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DITS DE MATHIEU - Ne vous lâchez jamais des mains... ... avant de toucher des pieds !...

Juillet 1948

C’est une grande loi psychologique de l’expérience tâtonnée. Elle est permanente et universelle comme le besoin supérieur de conserver et de défendre la vie. Il ne viendra à l’idée de personne de se jeter du haut d’un mur histoire de voir comment on s’aplatira en bas sur la terre dure. Et les audacieux eux-mêmes n’apparaissent parfois téméraires que parce qu’ils ne mesurent pas à sa valeur la profondeur du précipice. Ils espèrent se cramponner des mains assez longtemps pour rebondir sur leurs jambes en tombant. S’ils se trompent, c’est la catastrophe.

La même loi est valable en pédagogie. Vous n’abandonnerez une méthode de travail que lorsque vous aurez trouvé mieux pour vous raccrocher. Vous ferez comme l’excursionniste qui veut avancer et monter, certes, puisque la destinée de l’homme est de toujours partir à la conquête d’un morceau de ciel bleu tentant au-dessus de la ligne des montagnes. Vous suivrez les sentiers battus le plus longtemps possible, tant qu’ils mènent dans la direction désirée ; vous vous arrêterez pour dormir et vous ravitailler dans les refuges accueillants, installés il y a cent ans par les audacieux comme vous qui ouvrirent la voie. Vous partirez ensuite de là, bien équipés, avec un guide, pour affronter la montagne invaincue.

Mais vous irez alors lentement et méthodiquement, ne hasardant un pas que lorsque la place pour poser le pied est déjà taillée dans le roc ; ne vous lançant au-dessus d’un névé que s’il reste sur la rive sûre les autres membres de la cordée, prêts à vous retenir et à vous rattraper s’il y a imprudence ou faux-pas.

Les audacieux qui ne sont qu’audacieux sont toujours vaincus par la montagne. Pour la vaincre, il faut savoir l’affronter selon les lois de la conquête et de la vie.

Vous ferez de même en pédagogie. Vous avancerez prudemment en utilisant le plus loin possible les vieux chemins sûrs, en vous ressaisissant aux haltes qui jalonnent, tels des calvaires, le rude chemin qui mène vers les cimes. Et vous attaquerez les difficultés sans vous lâcher des mains, solidement liés à la cordée qui vous ramènera, s’il le faut, non sans quelque brutalité, sur le terre-plein d’où vous pourrez à nouveau repartir pour l’inéluctable conquête.