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Dits de Mathieu - Eduquer ou domestiquer ?

Novembre 1946

La nature est ainsi faite : nul n’aime obéir passivement.

Quand, tout enfant, je suivais mon âne, il m’arrivait de vouloir le faire passer là où, on ne sait pourquoi, il n’acceptait pas d’aller.

Je le tirais... je le tirais... Et plus je le tirais, plus il tirait en sens inverse. Je lâchais le licol, je passais par derrière, et vlan ! à coups de bâtons !... L’âne démarrait, faisait quelques pas pour me laisser croire qu’il s’était rendu à mes raisons, puis, brusquement, repartait au galop dans la direction qui l’attirait.

On dit l’âne têtu... Le plus têtu est encore bien docile !

Essayez de pousser un chevreau dans un sentier ou dans un parc. La bête sent un danger, comme si elle était au bord d’un précipice. Plus vous poussez, plus elle réagit pour s’opposer à vos efforts. Cela fait partie de l’instinct de conservation et de défense des êtres animés.

L’homme ne fait pas exception. Il y a, certes, l’individu habitué au troupeau, plié à l’obéissance, domestiqué au point d’en avoir perdu cette réaction vitale qui est sa dignité.

Mais l’enfant est neuf encore. Il réagit comme le chevreau. S’il sent seulement que vous voulez l’orienter dans une certaine voie, son mouvement naturel est de foncer dans le sens opposé.

Si vos efforts sont visibles, obstinés, si vous le tirez ou le poussez, il s’opposera jusqu’à la violence.

Si vous parvenez à le contraindre, par la force ou par la ruse, il fera comme l’âne, il tournera bride à la première occasion.

Votre premier mouvement, quand quelqu’un vous pousse, n’est-il pas de résister à la pression et d’essayer de la vaincre ?

Le vieux pédagogue, le philosophe obstiné savent peut-être tout cela. Mais ils objectent : dans la vie on ne fait jamais ce qu’on veut... qu’ils apprennent d’abord à obéir !

Et ils ne se rendent pas compte que, ce faisant, ils sont aussi illogiques que le menuisier qui s’obstinerait à travailler son bois à contre-fil, parce que c’est le bois, n’est-ce pas, qui doit se plier à la volonté de l’artisan, ou que le pâtre qui serait fier d’avoir habitué ses chevreaux à pénétrer passivement dans le parc sombre où le boucher viendra les choisir.