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Une étape de plus dans l’organisation du travail de notre Institut

Novembre 1946

Nous ne sommes pas de ceux, on le sait, qui créent sur le papier des organismes qui tournent à. vide — ou ne tournent pas du tout. Nous marchons d’abord, et c’est chemin faisant, à même les nécessités complexes de notre travail, que nous procédons à une organisation qui n’asservira pas nos initiatives, mais les exaltera et les renforcera.

Notre INSTITUT COOPERATIF DE L’ECOLE MODERNE fonctionne depuis six mois. Son programme a agrégé et enthousiasmé plusieurs milliers de camarades qui sont à la besogne. Plus de trente commissions de travail sont organisées avec chacune 20, 30, 100 collaborateurs. Une grande œuvre surtout est amorcée à l’échelle nationale : la préparation sur les lieux de travail et de production à même les classes, avec et par les enfants la plupart du temps, de centaines et de centaines de brochures Bibliothèque de Travail.

Nous sommes vraiment à pied d’œuvre. Notre réunion des responsables de Commissions le 15 Septembre dernier, à Cannes, nous a montré toute l’éminente valeur des équipes qui sont en train de diriger l’activité commune.

Nous allons faire un pas de plus sur la voie de cette organisation de notre travail et de notre vie coopératifs.

Des centaines de camarades sont actuellement occupés à nous préparer des brochures Bibliothèque de Travail. Nous avons fait connaître dans notre n° 1 les conditions de rémunération qui indemniseront nos travailleurs et les encourageront à nous apporter leur collaboration. Nous avons déjà entre les mains de nombreuses brochures toutes prêtes, avec leurs dessins et leurs illustrations.

Mais avant l’édition, nous voulons encore nous assurer que ces brochures répondent bien aux besoins de nos élèves et de nos classes : il faut que nous leur fassions subir pour ainsi dire l’épreuve du feu et que des groupes assez importants d’éducateurs puissent, à même leurs classes, les contrôler et les aménager.

Nous attachons une importance primordiale à ce travail de mise au point. Et c’est ce travail que nous allons tout de suite organiser.

Nous avons déjà demandé à une quinzaine de camarades de diverses régions de France d’organiser une commission de contrôle dont la composition et le fonctionnement pourraient être ainsi définis : vous trouvez autour de vous, pas trop loin pour que vous puissiez vous voir ou vous réunir sans trop de peine, deux, trois camarades décidés à travailler. Il vaut mieux que la commission ne comprenne pas plus de quatre membres : le travail en sera certainement plus régulier.

Nous vous envoyons une brochure à contrôler, que nous aurons au préalable tapé à quatre exemplaires. L’original, avec dessins et photos, sera envoyé au responsable.

Chacun des membres de la Commission examine le travail, le lit à ses élèves, en mesure les lacunes ou les faiblesses, prépare les critiques ou modifications qu’il propose. Et, au jour fixé par entente commune, la Commission se réunit au lieu choisi par les membres, pour une matinée ou une journée de travail. Chacun apporte son opinion et son expérience : la commission met définitivement au point la brochure proposée.

Le résultat de ce premier contrôle pourra, si besoin est, être soumis à un deuxième contrôle d’une autre commission.

L’Institut paiera tous les frais de correspondance ainsi que les frais de fonctionnement de la Commission et notamment les dépenses occasionnées par le déplacement ou le repas en commun pour la réunion de travail.

L’expérience a prouvé qu’une telle organisation devait fonctionner d« façon satisfaisante.

Alors, nous voudrions faire mieux : nous voudrions asseoir toute l’activité de notre Institut sur la généralisation à travers la France, et même à l’étranger de ces Commissions de travail de trois à quatre membres.

A l’origine, en effet, la recherche et la création sont individuelles et personnelles. Mais dès qu’on a fait un essai, amorcé la réalisation d’une idée, on éprouve le besoin d’avoir les conseils, l'aide et l’appui d’autres camarades.

Nous demandons donc à tous nos adhérents, à tous ceux du moins — et ils doivent être l’immense majorité — qui sont décidés à travailler, de chercher autour d’eux et de constituer une commission de contrôle et de travail, ou de s’agréger à une Commission naissantes La Commission désigne un responsable qui entre en liaison avec l’Institut.

Dans notre esprit, ces Commissions pourraient être plus ou moins spécialisées. Elles seraient tout à la fois commissions de contrôle et commissions de travail. Les responsables pourraient se réunir au chef-lieu de département en séances d’information ou de travail, sous l’égide du groupe départemental de l’Ecole Moderne, en accord avec la direction départementale de la C.E.L., la direction syndicale et les diverses organisations d’éducation nouvelle.

L’Institut assurera les frais de fonctionnement de ces commissions à tous les degrés. Une carte de membre actif de l’Institut va sous peu être distribuée à tous nos travailleurs. Cette carte donnera droit à certains avantages que nous préciserons.

Dès aujourd’hui donc, sans perdre de temps, entrez en relations avec les meilleurs de vos camarades et constituez votre équipe de contrôle et de travail.

Car voilà tout de suite la besogne :

a) Participation active, par spécialités, au travail de nos Commissions ;

b) Contrôle des brochures B. T. ;

C) Amorce de la préparation de notre GRANDE FRESQUE DE L’HISTOIRE DU TRAVAIL.

C’est de ce projet que nous voulons plus particulièrement nous entretenir aujourd’hui.

Grande fresque de l’Histoire du Travail

Tous nos lecteurs connaissent la formule de nos brochures Carlier : Histoire du

Pain, du Livre, de la Navigation, etc... Nous continuons et nous continuerons, certes. Mais nous voudrions faire mieux encore.

Nous aurions pu demander à Carlier de nous présenter lui-même l’histoire du travail : l’histoire de la maçonnerie, de la boulangerie, de la charronnerie, etc... Mais nous voudrions réaliser cette grande histoire des métiers et des outils de travail avec la collaboration de nos adhérents et de nos commissions.

Voici ce que nous allons réaliser :

a) Carlier nous a fourni un premier schéma détaillé de l’histoire de la boulangerie. Nous allons polygraphier ce schéma que nous enverrons à tous les camarades qui nous en ferons la demande.

b) En partant de cette base, chacun dans sa sphère recherchera la survivance, dans son milieu, des pratiques, des coutumes, des règlements mentionnés par Carlier : vieux fours, vieux outils encore en usage, persistance de coutumes, techniques, redevances, contes du folklore, chants, documents d’archives.

Envoyez-nous un relevé détaillé, avec dessins et photos de ce que vous pourrez nous apporter pour' cette collaboration.

Nous passerons alors à la partie créatrice.

c) Après mise au point précise en accord avec notre équipe de cinéastes, nous ferons filmer les éléments intéressants et nous aurons ainsi le plus beau film d’enseignement que des éducateurs puissent réaliser à ce jour.

Ce premier sujet permettra de mettre au point la technique de cette réalisation que nous poursuivrons ensuite activement. La situation financière actuelle de la C.E.L. nous permet d’envisager positivement de tels projets.

Et ce même travail sera du même coup la meilleure des préparations pour les brochures B.T. dont nous demanderons à Carlier l’illustration définitive et qui seront un complément merveilleux du film.

Que tous ceux qu’emballe une telle réalisation nous écrivent, constituent leur commission et se mettent au travail.

Réalisation de collections photographiques et de films fixes

Sur ces mêmes bases d’organisation du travail de notre Institut, nous pourrons asseoir la recherche de photos documentaires et la préparation de films fixes.

Notre ami Gautier (Hérault) a réalisé un film fixe très intéressant et que peut être mis en vente au prix normal : « La Pierre de Tavel ».

Nous pourrions mettre à la disposition de nos Commissions de Travail des appareils photographiques et des caméras en 9mm5 et en 16mm dont nous étudions actuellement l’achat sous la direction des Commissions intéressées.

Collections technologiques d’enseignement scientifique, historique et géographique

On a lu dans « L’Educateur » n° 1 l’appel de notre ami Guillard pour la réalisation coopérative immédiate de collections susceptibles d’enrichir nos musées et nos fichiers.

Nous élargissons aujourd’hui notre appel à la documentation historique et géographique et nous disons à nos camarades, à nos Commissions, aux Coopératives scolaires :

1° Constituez d'urgence des collections types de produits spécifiques de votre région (produits du sol, matière première ou ouvrée d’industries locales). Ecrivez à GUILLARD, Instituteur à VILLARD BONNOT (Isère), qui vous donnera des instructions pour la standardisation et la vente par la C.E.L. de ces collections.

2° Constituez des collections de fossiles historiques ou des vestiges du passé (vieilles monnaies, poteries, etc.) Informez comme ci-dessus.

3° Préparez des collections de cartes postales typiques de la géographie, de l’histoire, du travail et de l’industrie de votre région.

Ecrivez à la C.E.L. à CANNES, qui organisera la vente de ces collections.

Vous voyez certainement les conséquences pratiques d’une telle organisation du travail. Nous y voyons un autre avantage essentiellement coopératif. Ces commissions, que vous allez constituer, seront les éléments pour ainsi dire primaires de notre Coopérative, ceux qui, dans les coins les plus reculés de notre territoire, apporteront aux éducateurs les plus isolés l’aide et le soutien de notre puissant mouvement pédagogique, et qui impulseront aussi, de la base au sommet, tout notre effort constructif.

Quand nous aurons ainsi quelques centaines de commissions réparties dans tous nos départements — et la chose peut être réalisée avant Noël — nous aurons fait un pas décisif dans notre organisation coopérative. La C.E.L. ne sera pas une vulgaire maison d’édition et de commerce avec son appareil central et ses dépôts ; elle sera la vaste organisation d’approvisionnement, de recherches et de travail des éducateurs qui, de la Commission de base de travail, par l’Institut départemental et la filiale départementale, par les Commissions, nationales spécialisées, par es Congrès et son Conseil d’administration, est vraiment maîtresse exclusive d’une œuvre qui honore le personnel enseignant de notre pays. .

Une œuvre n’est vraiment nôtre que lorsque nous avons contribué à la créer ; c’est dans la mesure où nous nous sommes sacrifiés pour elle que nous savons la servir et la défendre avec enthousiasme

Alors, par le travail, prenez la possession totale d’une œuvre qui a été fondée par une équipe dévouée dont la meilleure récompense est le succès aujourd’hui définitive de l’œuvre entreprise il y a plus de vingt ans face au scepticisme et à l’opposition de ceux qui voudraient bien aujourd’hui s’en approprier la paternité.

C. FREINET.