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Dits de Mathieu - Sur la vie et le travail... ALIGNEMENT !

Décembre 1946

« L’enseignement des arriérés, dit Dottrens, l’excellent pédagogue suisse, a permis de perfectionner certaines méthodes pédagogiques et parfois de transformer complètement celles-ci. »

Ne rappelle-t-on pas, dans tout traité d’Education Nouvelle, que Itard et Seguin fondèrent leurs observations sur les retardés ; que Mme Montessori et le docteur Decroly s’occupèrent, à l’origine, de l’éducation des anormaux et que leurs découvertes et leur matériel, qui ont incontestablement marqué la pédagogie internationale, étaient destinés d’abord à ce degré spécial d’enseignement.

Devons-nous nous louer sans réserve de cette origine et de cette tendance d’une importante partie de l'éducation nouvelle contemporaine ?

Nous y avons gagné, certes, l’enseignement sur mesure, la nécessité de l’intérêt fonctionnel sans lequel ne vibre aucune fibre de l’être amorphe, l’individualisation de l’enseignement qui permet à chaque élève de mieux marcher à son pas, la matérialisation et l’expérimentation qui corrigent peu à peu l’intellectualisation à outrance dont nous mourions — toutes conquêtes dont nous ne saurions exagérer la portée dans le processus de modernisation pédagogique.

Mais n’y aurait-il pas aussi de graves dangers à nous aligner ainsi sans réserves sur l’éducation des anormaux, et ne serait-il pas temps de réagir pour la réalisation d’une pédagogie plus naturelle et plus humaine ?

Je noterai seulement aujourd’hui — et nous aurons l’occasion d’en reparler — trois de ces dangers essentiels :

1° La pédagogie des anormaux nous enseigne à monter prudemment, marche à marche, dans la voie de la compréhension, de l’acquisition et de l’action. Elle oublie qu’il est des individus qui sont aptes à monter l’escalier quatre à quatre ou qui, même, d’un bond, parviennent au sommet, et pour qui il est suprêmement énervant et quelque peu débilitant de piétiner sur place.

2° La pédagogie des anormaux a mis en valeur l’enseignement concret et l’expérimentation, mais aussi le matériel didactique et les jeux. Nous assistons dans ce domaine à une véritable régression qui, sous le couvert du progrès, limite les envolées et les audaces.

3° Le docteur Decroly a mis en valeur la nécessité de l’observation minutieuse, pièce à pièce, brin à brin. Elle réussit fort bien aux anormaux. Mais elle néglige totalement cette autre observation qui agit selon d’autres processus synthétiques, par des sens et avec des possibilités parfois encore mystérieux, cette observation qui se fait dans un éclair, qui voit, en un clin d’œil, ce que des heures d’observation dirigée ne sauraient faire découvrir.

On a trop dit : « Sur les arriérés... alignement !... » Si nous disions : « Sur la vie et le travail... alignement !... »