Raccourci vers le contenu principal de la page

En réponse à des S.O. S.

Dans :  Formation et recherche › formation › 
Décembre 1946

 

 

C’est toute la tragédie de l’Ecole Française, toute la tragédie des jeunes Instituteurs qui s’expriment à travers ces S.O.S. quotidiens.

« Nous comprenons fort bien vos critiques de l’Ecole traditionnelle qui nous est un mortel ennui ; nous sommes persuadés, d’autre part, que vous vous orientez vraiment vers la voie du salut pédagogique et humain. Mais vous le dites fort bien : L’Ecole Moderne ne se construit pas avec du verbiage !.. et nous n’avons que la salive comme outil !... Mon école est pauvre, dans un milieu pauvre lui aussi, ou farouchement incompréhensif... Jamais je n’aurai une subvention du Conseil municipal pour acquérir le matériel dont vous dites la nécessité... Bien contents de nous abriter, de nous chauffer et de nous asseoir sur les bancs vétustes qui encombrent la classe exiguë !.

« Nous sentons si profondément le sens de votre enseignement, que nous serions disposés même à payer de notre propre argent les achats indispensables, mais vous connaissez la misère des jeunes instituteurs !..

« Voilà comment se pose pour nous, jeunes, le problème de l’Ecole Moderne. Or, la majorité de vos conseils et de vos recherches s’adressent aux seuls instituteurs qui ont eu la chance de pouvoir acquérir un minimum d’outils : fichiers, pâte à polycopier ou imprimerie.

« Mais, pour la masse des autres, de ceux qui n’ont encore rien et qui n’auront rien de quelque temps, que me conseillez-vous ? Ne rien faire ? Attendre des jours meilleurs ? Démarrer immédiatement ? Comment ?

« Aidez-nous !... »

*

* *

Tout notre effort coopératif est axé justement sur l’aide à apporter aux éducateurs, ou plutôt sur l’aide mutuelle que leur vaudra leur travail coopératif, ordonné et motivé. Les jeunes ne sont certes pas exclus de ce souci. Mais nous avons moins par habitude d’offrir des conseils que d’apporter des possibilités de travail et de vie.

Au jeune paysan qui vient nous consulter parce que sa ferme ne rend pas, que sa récolte est insuffisante et que, dégoûté de son métier, il cherche obstinément une situation plus humaine, nous pourrions répondre nous aussi, comme on l’a fait tant de fois, en chantant le charme d’un matin aux champs, la beauté d’un coucher de soleil, la saveur religieuse du pain, et du fromage qu’on mange à l’ombre du noyer... Nous lui démontrerions que la terre n’est jamais marâtre à qui l’aime et la sert.... Nous le regonflerions un instant ; mais, à la pratique, il s’apercevrait bien vite de la vanité de nos discours et nous n’aurions fait que précipiter, en définitive, sa décision.

Nous laisserons à d’autres, qui y sont entraînés, cette besogne charitable et vaine. Et nous vous parlerons le langage de la virilité et de la raison, que nous aurions aimé entendre autour de nous quand nous étions dans votre situation.

*
* *

Notre expérience de la vie — et c’est une expérience qui commence à compter, croyez-le, — nous fait vous donner le conseil suivant :

Acquerrez, ou gardez une grande rigidité quant au but humain vers lequel vous tendrez ! Entretenez, et attisez si vous le pouvez, les feux que, en des jours d’enthousiasme, vous avez allumés sur les sommets et qui éclaireront à jamais la pente de leur lumière vacillante parfois, imprécise souvent, mais qui ne vous en montrera pas moins la voie qui monte.

Mais pour monter, vous n’allez pas vous attaquer aux rochers, grimper aux murs, dépasser et abattre clôtures et barrières pour aller tout droit dans l’espoir d’arriver plus vite... Vous vous décourageriez bien rite de l’accumulation, des obstacles ; nous laisserions la lumière s’éteindre et vous regarderiez vers le bas, où vous ne trouveriez plug que l’erreur et la fange.

Un peu de philosophie : prenons les chemins en lacets déjà tracés, contournons les obstacles, usant de ce qui est, adhérons au réel. Nous aurons l’impression parfois de ne pas avancer bien vite, de piétiner peut-être. Qu’importe, pourvu que la flamme continue sur les sommets et vous guide dans la nuit

.Il en est ainsi en pédagogie : Nous voudrions, par nos réalisations plus encore-que par notre enseignement, allumer ces feux sur les sommets, vous faire saisir, ne-serait- ce qu’une fois, l'illumination de principes et de techniques qui, dépassant la scolastique, sont enfin dans la ligne de l’exemplaire destinée humaine.

Là est notre tâche essentielle. Quand ces feux sont allumés, quand les jeunes instituteurs voient enfin, par-delà la scolastique, d’enthousiasmantes lignes de travail et de vie, alors nous ne craignons plus rien quant aux aléas de cette marche vers la lumière. Alors vous ne partirez plus du principe faux qui vous pousse à réaliser dans vos classes ce qui, matériellement et techniquement, est impossible ; car vous prendrez d’autres chemins, en entretenant la flamme.

Car il faut bien te dire, jeune camarade, que, dans certaines circonstances matérielles et techniques qui te dominent, tu n’iras pas loin dans la voie de l’éducation nouvelle. Si, tu auras tout de même fait un grand pas parce que t’éclairera la lumière des sommets et que tu verras ta classe avec d’autres yeux, que tu organiseras ton travail selon d’autres principes. Tu seras persuadé de la vanité de la discipline autoritaire et tu t’orienteras vers l’activité d’équipe en entrant franchement dans le jeu. Tu connaîtras la vanité du verbiage — du tien et de celui des manuels… et tu ne t’étonneras plus si l’enfant vit de toute son âme un bruit extérieur qui le touche pendant que tu ne l’effleures pas même de tes explications intellectuelles. Tu auras découvert les vertus supérieures de l’effort motivé et fonctionnel, et du travail. Tu auras appris qu’un individu ne s’extrait pas arbitrairement du milieu qui lui est naturel pour le hisser artificiellement sur les tréteaux branlants de la scolastique.

Tu sauras tout cela. Tu y conformeras de ton mieux ton comportement. Et quand tu seras contraint de faire un détour, ou que tu rencontreras un obstacle difficile, ne t’en étonne pas. Comprends, patiente,... et conserve la flamme.

*

* *

Ceci acquis, tu admettras maintenant que nous te disions : il est une illusion dont nous voudrions te garder, car elle risquerait de t’être mortelle et d’éteindre la flamme. C’est l'affirmation qui deviendra bientôt courante et officielle, qu’on peut, même dans les écoles les plus pauvres, même sans matériel, réaliser l’école moderne. D’abord je te conseille de te méfier parce que ceux qui t’encouragent ainsi aujourd'hui, sont les mêmes qui, il y a quelques années à peine, estimaient utopique et dangereux l’emploi des techniques modernes à l’Ecole populaire... avec matériel. Nous assistons ainsi à un dernier assaut de la pédagogie verbale. Si vous ne pouvez pratiquer les techniques modernes, on vous les fera expliquer... et le tour sera joué !

Nous aimons, nous, regarder les situations en face ; nous ne sommes pas à la recherche d’une clientèle ni d’une renommée — clientèle et renommée nous viennent d’ailleurs bien plus sûrement par d’autres voies.

Tu comprendras facilement d’ailleurs : la lumière brille sur les sommets, faisant danser sur les pentes les ombres des grands arbres. Et l’on te dit : monte tout droit, qu’as-tu besoin de sentiers déjà tracés, d’escaliers entaillés dans le roc... Avec la connaissance et la foi, marche....

Nous te conseillons : Nous nous sommes déchirés avant toi aux ronces et aux rochers.

Mais nous avons déblayé certains chemins qui montent vers la flamme ; nous avons fabriqué et installé des outils avec lesquels nous avançons avec sûreté. Et nous serons tous ensemble, pour nous entraider quand la montée sera trop dure, car il reste tant à faire.... Si, pour l’instant, tu ne peux user toi-même de ces outils, aide-nous du moins à les rendre plus accessibles encore à ceux qui te suivront.

Tu partiras alors, avec toute ton, audace, et ta témérité même, mais en mesurant d’avance tes possibilités.

CE QUE TU PEUX FAIRE PARTOUT :

A) Change l’atmosphère de ta classe en renonçant à la discipline autoritaire et en y instaurant l’esprit d’équipe : disparition de l’estrade, organisation immédiate de la coopérative scolaire, organisation des équipes de travail, questions et conférences, journal mural, établissement de projets coopératifs à la mesure de la classe.

Tu peux faire cela sans débourser un centime. Et n’importe qui peut le faire pourvu qu’il dépouille le vieil homme. Cela t’est encore facile : il n’y a pas trop longtemps que tu en portes la défroque.

B) Mêle tout de suite l’école à la vie par l’étude du milieu qui devient d’ailleurs officielle. Et le meilleur moyen de t’orienter vers cette intégration de l’Ecole à la vie est la pratique du TEXTE LIBRE, qui devient elle aussi officielle, — et c’est une de nos grandes victoires.

Seulement, afin de ne pas avoir de désillusion, sache bien que cette pratique du texte libre ne peut donner son plein que lorsqu’elle est motivée par la correspondance interscolaire et par le journal scolaire. Il se peut, en conséquence, que ces textes libres ne soient pas toujours d’une extrême richesse et d'une grande variété ; que parfois même l'engouement du début s’atténue. N’oublie pas, à ce moment-là, que la faute n’en est point ni à la pratique du texte libre, ni aux enfants, mais à l’imperfection technique de cet embryon d’outil libérateur.

Tu peux réaliser cela absolument sans aucune dépense. Tu exploiteras pédagogiquement Ce texte libre comme nous l’indiquons dans nos brochures et nos articles, et tu verras que tu apporteras déjà un air et un sens nouveaux à ces exercices jadis insipides de grammaire, de vocabulaire, et même de calcul.

Seulement, attention, ne crée pas, autour du texte libre, une nouvelle scolastique. Quand la vie faiblit, c’est comme quand l’essence n’arrive plus dans le carburateur de notre auto : tu peux appuyer sur l’accélérateur, tourner la manivelle ou pousser la machine, tu ne la remettras pas en marche. Il vaut bien mieux chercher la carburation.

Cette carburation, tu l’auras plus facilement si tu peux réaliser un journal scolaire, base, pivot et outil de la correspondance interscolaire que nous ne saurions trop te recommander. Seulement, c’est à partir de là que nous te mettons en garde contre l’absence d’outils indispensables.

Tu peux, certes, réaliser le journal scolaire manuscrit — les grands élèves copiant les textes choisis, en script si possible, et illustrés, sur un cahier qui devient en fin de mois le journal scolaire. Emballement au début, puis fatigue rapide. Les correspondants ne sont jamais satisfaits, car il est un fait que l’enfant n’aime pas le journal manuscrit ou polycopié, même illustré, et qu’il se précipite d’emblée sur le journal imprimé. Alors, si, faute d’argent, tu ne peux acquérir les outils indispensables au tirage du journal, que veux-tu, fais comme tu peux, accommode-toi du journal manuscrit tant qu’il tient, et de la correspondance imparfaite qu’il te permettra. Ce sera certes mieux que rien, mieux que la technique des manuels. Seulement ne t’étonne pas si tu piétines quelque peu au pied des rochers. Si tu sais pourquoi et si tu continues à voir là-haut, la flamme, tu es sauvé. Un jour prochain tu reprendras la marche.

Tu reprendras la marche plus tôt peut-être que tu ne l’espères. Tes enfants auront eux aussi, entrevu la flamme, Ils ont plus de hâte encore que toi de sortir de la scolastique. Peu à peu les parents, eux aussi, comprendront : ils sont si simples et si humains les principes que nous défendons !

Alors on s'activera autour de la Coopérative et, par un des nombreux biais dont nous avons donné une idée dans noire brochure « LA COOPERATIVE A L’ECOLE MODERNE », l’Ecole trouvera quelques fonds. Je crois qu’il est vraiment peu de communes ou de hameaux où il n’y ait rien à faire. Des camarades nous citent l’exemple de communes de 170 habitants où une fête longuement préparée par la Coopérative, a rapporté plusieurs milliers de francs.

C) Quand tu auras quelques fonds, si tu n'en as pas assez pour l’imprimerie,, pense au FICHIER SCOLAIRE COOPERATIF. Il est le deuxième grand pivot de notre école.

J’aurais pu te recommander d’abord, comme d’autres ne manqueront pas de le faire : la pratique de la conférence d’enfants, le carnet ou la boite à questions... Nous savons de quoi il retourne puisque nous en avers été les initiateurs. Ne compte pas aller très loin dans cette technique si tu n’as pas un embryon au moins de BIBLIOTHEQUE DE TRAVAIL et de FICHIER SCOLAIRE COOPERATIF.

Tu peux te constituer la Bibliothèque de Travail par les manuels scolaires auxquels tu adjoindras dès que possible nos brochures B.T. Pour le F.S.C., après en avoir étudié la réalisation, partez tous à la chasse aux documents et procure-toi des cartons de collage. C’est hélas?! la chose la plus coûteuse actuellement, Mais commence. Tu verras quel intérêt et quelle utilité !

Quand tu auras des fonds, tu achèteras notre F.S.C. qui est un de ces chemins tracés coopérativement par des milliers de camarades qui ont pensé à toi en œuvrant pour eux et pour leur classe.

Mais si, en attendant la réalisation de ces outils indispensables, tu constates que la réalisation de conférences d’enfants est trop difficile, que l’intérêt faiblit, ne t’étonne pas, ne t'obstine pas. Attends patiemment et tâche de t’orienter vers le vrai remède : l’aménagement matériel et technique de ta classe.

D) LA GERBE et ENFANTINES peuvent t’aider. Quand tes enfants ont produit quelque chose d'original, quand vous avez réalisé ensemble une œuvre dont vous devinez la valeur nouvelle, envoyez-nous votre travail. S’il passe dans nos revues, vous aurez une partie au moins de la motivation qui sera la carburation.

E) Tu auras enfin un peu d’argent. Achète notre matériel à graver. Tu verras quel emballement, et soutenu. Cela te donnera un avant-goût de ce que t’apportera l’imprimerie. Vous en tirerez merveille, vous verrez.

F) Je sais bien que si, à ce stade, nous pouvions offrir à nos écoles un moyen pratique, rapide et bon marché de reproduction de nos textes et de nos dessins, le problème serait résolu.

N’y compte pas. Il existait avant-guerre des pâtes à polycopie et des limographes. Il faut attendre, pour les recommander à nouveau, non seulement qu’ils reparaissent sur le marché, mais qu’ils permettent des résultats au moins passables. Car il faut que vous sachiez que vous aurez beaucoup de désillusions si vous espérez sortir un journal scolaire avec ces outils. Ce sont, par contre, d’excellents compléments de l’Imprimerie à l’Ecole.

G) Dès que vous aurez les 3.000 fr., vous achèterez l’imprimerie à l’Ecole. Ce n’est pas là, qu’on le croit bien, une réclame ni directe, ni oblique. Mais l’expérience prouve que l’Imprimerie à l’Ecole telle que nous l’avons réalisée, est l’outil qui, à ce jour, répond le mieux à nos besoins scolaires. Nous n’en redirons pas ici tous les avantages.

H) Prospecte la nature et la vie autour de toi, la vie présente et la vie du passé. Tu peux, là, sans outil, réaliser un travail suprêmement intéressant, pourvu qu’il soit éclairé par cette lumière des sommets, dans le cadre de notre grande organisation coopérative.

I) Et nous terminerons ces conseils essentiels par ceux-ci :

Intègre-toi de plus en plus dans l’activité de notre coopérative, toi, et ta classe aussi. Ce que tu découvres, ce que tu réalises, étudie-le immédiatement en fonction de l’utilité coopérative : cherche dans les archives pour « La Gerbe », prospecte le milieu pour des fiches de sciences, pour une brochure B. T., pour un film cinéma, pour une boîte de notre musée technologique. Ce que tu ne peux peut-être pas faire dans ta classe, tu peux le réaliser toi-même, comme ouvrier de notre Institut. Agrège-toi à une de ces équipes de travail et de contrôle dont nous avons lancé l’idée. Tu travailleras avec nous pour mener plus loin et plus haut, vers la flamme, les sentiers que nous avons amorcés. Tu sais combien est enthousiasmant l'e travail d’explorateur et de réalisateur, surtout lorsqu’on se sent lié à une cordée homogène, et qui a une âme, et qu’éclaire la flamme.

*

* *

Si tu as bien compris mes soucis, et aussi mes espoirs, tu ne te décourageras plus parce que tel jour, ou chaque jour, à telle heure, tu as dû abandonner le travail qui t’intéressait pour sacrifier aux programmes, aux examens, ou aux parents.

Nous en sommes tous là. Et ces sacrifices nous les consentons tous, à un degré plus ou moins grave. C’est notre force et la raison d’être de notre mouvement de ne jamais présenter, dans l’absolu, des réalisations qui enthousiasment un instant, puis lassent et découragent parce qu’elles ne sont pas à la mesure de nos possibilités véritables. Jeune instituteur, nous construisons et nous réalisons pour tous les instituteurs qui sont dans ta situation, dans notre situation commune. Nous ne chambardons pas l’Ecole : nous la modernisons, en tenant compte de tous les éléments qui nous ont permis et nous permettront de faire de l’Ecole du passé, dogmatique et morte, l’Ecole moderne et vivante des travailleurs.

C. FREINET

A l’occasion du mois de l’U.N.E.S.C.O.

La C.E.L. a sa place dans les diverses manifestations qui marquent le mois de l’U.N.E.S.C.O.

Notre matériel et nos éditions sont en bonne place à l’exposition qui se tient au Musée Pédagogique.

Les 16, 17 et 18 décembre prochain se tiendra au Musée Pédagogique, à Paris, un Congrès des Directeurs des différents Bureaux de Correspondance Scolaire Internationale. La C.E.L. y sera représentée. Nous avons adressé un rapport mettant en valeur notre formule particulière de correspondance de classe à classe par le journal scolaire de préférence.

De Mme CHRISTIANE BRAESCH (Aisne) :

Je suis pleinement d'accord avec le camarade Coquin dont vous avez cité la lettre dans L’Educateur, numéro 3.

Peu importe que les opinions politiques, religieuses ou autres diffèrent. Au contraire, je crois. Ce qui attire dans la C.E.L., c’est justement ce- désir de sincérité et la primordialité donnée à tout ce qui peut aider à la marche en avant.