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DITS DE MATHIEU - L’observation par illumination

Janvier 1947

Nicole a trois ans.

Je dis à Denise :

— Va dire à ta maman qu’elle l'habille un peu mieux...

— Ze vais à l'Auberze !...

Elle a compris dans un éclair la pensée profonde...

— Et maintenant, lui dis-je, il faut te laver.

— Ze ne veux pas aller cousser...

Par-delà la parole, elle a deviné l’idée directrice.

Mémé délasse ses souliers qui la gênent. Nicole écrit... on la croirait exclusivement absorbée par son exercice passionnant. Sans rien dire, elle se précipite et ramène les pantoufles.

Le pédagogue est dérouté devant ces cas de vue subite et de compréhension par illumination. Il aurait tendance à dire à Nicole : « Pourquoi crois-tu que, parce qu’on dit de t’habiller, c’est que tu dois aller à l'Auberge ? Par quel raisonnement as-tu lié l’acte de te laver à la crainte de te coucher ? Qui t’a fait comprendre que Mémé désirait ses pantoufles ?

Thomas se présentait à l’examen du C.E.P. Thomas, c’était, dans son école et à la maison ou dans les champs, l’as du calcul. Pendant que le maître dictait un problème, Thomas trouvait instantanément, on ne sait comment, la solution.

Le jour de l’examen, Thomas a résolu ainsi, dans un éclair, le problème qui lui était posé. Mais l’examinateur pédagogue scrupuleux, s’est penché sur sa copie. Il a vu le point de départ et l’arrivée, sans aucun raisonnement intermédiaire. L’idée ne lui est même pas venue qu’on pouvait ainsi résoudre des problèmes par illumination, sans détailler le processus qui mène sûrement au résultat.

L’examinateur compatissant a fait signe à Thomas qu’il devait revoir ses calculs. Thomas a recommencé en essayant de s’arrêter aux échelons... Et il s’est trompé... Il a échoué au C.E.P.

Il se peut que l’habitude scolastique de l’observation méthodique soit le reliquat d’une époque — il y a cinquante ans — où le voyageur à pied, le paysan allant aux champs sur son âne, le berger attentif aux rares variations de la vie autour de lui, pouvaient s’arrêter longuement sur l’événement unique qui s’offrait à eux. C’était l’ère des machines simples, qui tournaient à un seul mouvement.

Aujourd’hui, le chauffeur sent tourner son moteur, voit à droite et à gauche, et en arrière, réagit au klaxon voisin, et parle encore au voyageur à côté de lui.

L’enfant qui joue sur la chaussée voit passer les files d’autos et de camions, entend sauter une mine, siffler une sirène, vrombir l’avion. Il doit apprendre à réagir au complexe et au multiple et les dominer. Nous en sommes au temps des mécanismes compliqués qui produisent des actes à l’image déjà de la vie.