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LES TECHNIQUES FREINET (C. E. L. - IMPRIMERIE A L’ÉCOLE) au service de l'Ecole Laïque

Janvier 1947

Nous voudrions par l’exposé des possibilités nouvelles que nous apportons à l’Ecole laïque, lever les dernières suspicions contre le mouvement dit d’Education nouvelle, et que nous préférons appeler, nous, mouvement de l’Ecole Moderne Française.

L’Education Nouvelle, du point de vue populaire, est née, il faut le reconnaître, sous des auspices au moins tendancieux : les premières expériences en ont été faites dans des Ecoles Nouvelles essentiellement bourgeoises, dans des écoles privées, surtout étrangères, qui n’étaient pas du tout dans les conditions de l'école populaire ; et, en France, l’Ecole des Roches, qui prétendait former les « capitaines » et où l’on payait de si forts écolages, si elle a eu un moment de triomphe sous Vichy, n’est pas sortie sans dommage de l’épreuve de la collaboration.

Cette éducation nouvelle, était à juste titre en France, sujette à caution, dans les milieux laïques, qui lui reprochaient de plus de n’être nullement à la mesure de la masse des écoles laïques françaises qui ne pouvaient tirer aucun bénéfice des principes dont les pédagogues du monde entier s’accordaient à montrer l’excellence.

Notre mouvement a, en France, réagi contre ces insuffisances, et déjà, en 1929, à Genève, au cours d’une de mes conférences, le professeur Claparède se réjouissait de voir que nous avions enfin établi le pont entre les rêves des pédagogues et les nécessités de l’Éducation populaire, et que, grâce à nous, ces rêves devenaient à une grande échelle, réalité.

Nous avons pris dans l’Education Nouvelle tout ce que nous y trouvions de bon, et nous devons reconnaître qu’il y en avait beaucoup. Seulement les principes énoncés, les expériences tentées en milieu restreint ou fermé, nous les avons passées au feu de notre propre expérience dans des centaines et des centaines d’Ecoles laïques.

Nous avons reconnu alors que notre école laïque, même sous son ancienne forme, tenait malgré tout, dans la pédagogie mondiale, une place honorable. Ces principes mêmes de la pédagogie nouvelle ne lui étaient pas tellement étrangers. Dans bien des cas, il suffirait de permettre aux instituteurs, techniquement, matériellement et administrativement, de se lancer dans la nouvelle voie pour que se produise lentement, méthodiquement, l’imprégnation, par les principes de pédagogie nouvelle, de l’Ecole laïque française.

Il fallait « moderniser » l’Ecole, réaliser en 1947, l’Ecole de 1947, qui ne craindrait pas, certes, les innovations hardies nées des découvertes scientifiques modernes, mais qui resterait cependant solidement assise sur les grandes traditions de notre Ecole laïque.

Le branle est maintenant très sérieusement donné : quelques-unes de nos réalisations, le TEXTE LIBRE notamment, sont devenues officielles. L’Imprimerie à l’Ecole, le journal scolaire, les échanges interscolaires, la Coopération scolaire sont en passe d’animer toutes les écoles françaises qui en reconnaissent à l’expérience, la supériorité.

Tout notre effort ici vise à montrer et à parfaire la mise au point pédagogique de nos outils et de notre technique.

Mais notre pédagogie n’est pas exclusivement scolaire. Sa répercussion sociale a également une importance essentielle pour la défense et le triomphe de l’Ecole laïque. C’est sur cette répercussion que nous voudrions insister pour bien faire comprendre aux éducateurs que nous leur offrons un outil complet, non seulement scolaire et pédagogique, mais susceptible d’aider l’école à asseoir définitivement son influence et son rayonnement, jusqu'à devenir l’axe culturel de la nouvelle vie populaire.

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NOTRE PÉDAGOGIE A RAPPROCHÉ L’ECOLE DU PEUPLE.

L’Ecole traditionnelle, basée notamment sur la culture adulte, sur les manuels d’adultes et les textes de grands écrivains, avec une philosophie, un rythme et une pensée qui sont l’honneur peut-être de l’Université française mais qui ne sont ni à la mesure de nos élèves ni de leur milieu, cette école, anachroniquement aristocratique, n’était pas du tout intégrée à la vie du peuple. Elle la dominait peut-être, comme essaye de la dominer l’Eglise, à laquelle elle s'apparentait sur bien des points de tradition et de technique. Nous ne croyons pas exagérer en disant qu’il y avait d’un côté le peuple, la vie, et de l’autre l’Ecole. Et la liaison était bien difficile à opérer ; les efforts pourtant tenaces des éducateurs laïques n’avaient pu réaliser du dehors une conjonction qui nécessitait une reconsidération totale de la nature même de notre Ecole. 1

C’est cette reconsidération que nous avons opérée par nos techniques. Notre Ecole n’est plus le temple hautain qui détient la culture ; elle devient la maison de l’enfant, où l’enfant se rend avec joie parce qu’il y vit, qu’il quitte à regret, que les parents connaissent aussi par ce que leur en disent leurs enfants, par la part de plus en plus grande qu’ils sont appelés à y prendre (textes d’enfants, enquêtes, jeux, fêtes, etc.), par le journal scolaire dont ils s’enorgueillissent parce qu’il contient les textes écrits et illustrés par leurs enfants.

L’Ecole était comme ces hôtels trop opulents qu’on regarde en passant, dont on écoute parfois de l’extérieur, les bruits mystérieux ; mais, où l’homme du peuple n’entre que timidement, sur la pointe des pieds et la casquette à la main.

L’Ecole que réalisent nos techniques, est comme ce restaurant populaire, moins opulent peut-être, mais accueillant à tous, où l’on peut parler et rire, s’attarder pour traiter des affaires, inviter des voisins. L’instituteur n’est plus l’éducateur exclusif de nos classes modernes : l’artisan, le forain, le retraité, y ont accès. L’Ecole se transporte, aux champs pour y recevoir les enseignements du paysan et à l’usine pour s’initier au travail des hommes. Et le paysan et l’ouvrier viennent aussi à l’Ecole quand la Coopérative Scolaire le leur demande. Le facteur apporte tous les jours les échos que la vie de notre classe a suscités hors de l’horizon de notre village. L’Ecole est enfin dans la vie.

Et cela, tous les parents le comprennent fort bien. Pas toujours spontanément parce qu’ils croient parfois que l'Ecole ne saurait jouer son rôle si elle n’était majestueuse et hautaine comme l’Ecole qui les a dressés sans les former. Mais la vie, comme toujours, opérera le miracle. Ce que les parents comprendront surtout bien vite, c’est que l’Ecole SERT enfin la vie, qu’elle prépare véritablement et pratiquement les enfants à leur destinée de travailleurs conscients et efficients, et ils sont fiers de voir que c’est par le travail — ce travail qu’ils aiment et qui les honorent — que c’est par le travail que s’opère le miracle de la modernisation pédagogique.

La victoire de l’Ecole laïque ne nous viendra jamais de l’extérieur : elle est d’abord affirmation expérimentale et pour ainsi dire technologique des vertus de l’éducation laïque et de ses méthodes. Quand cette affirmation est réalisée, quand le peuple comprend et aime l’école de ses enfants, alors, mais alors seulement, l’organisation y suffit : la partie est gagnée.

LES POSSIBILITÉS NOUVELLES TECHNOLOGIQUES
DE L’ACTION LAÏQUE

Ce ne sont pas seulement des conseils ou des canevas de discours que nous offrons aux éducateurs. Nous leur donnons les moyens techniques, pratiques, éprouvés, qui seront les armes décisives du succès de l’Ecole laïque.

Trois réalisations sont plus spécialement recommandées pour leur efficience ;

— LE JOURNAL SCOLAIRE, par l'expression libre grâce à l’Imprimerie à l’Ecole,

— LA COOPERATIVE SCOLAIRE.

— LES FÊTES SCOLAIRES selon notre nouvelle formule d’expression de l’enfant dans son milieu.

a) LE JOURNAL SCOLAIRE : Partout le journal s’avère comme l’élément décisif pour l’unification des efforts dans une société, une entreprise, une profession.

Notre journal scolaire ne saurait être un vulgaire cahier de classe. Selon l’esprit et l’évolution même de nos techniques, il est nécessairement l’expression de la vie du milieu, non seulement de la vie des enfants mais aussi des soucis, des travaux, des peines et des joies des parents, de la vie et du travail des bêtes, du profond labeur de la terre elle-même. Tel quel, ce journal intéresse profondément tous les habitants du village. Il suffit d’y ajouter quelques nouvelles locales pour qu’il apparaisse comme une expression unique des soucis communs du peuple autour de l’Ecole.

Il est facile dès lors de recueillir des abonnements, de vendre des numéros chaque mois, de diffuser exceptionnellement certains n° spéciaux, d’intéresser de nombreux lecteurs à la monographie du village qui sera Imprimée et illustrée, d’exposer et de vendre des dessins ou des linos gravés.

Notre expérience, répétée dans des milliers d’écoles, nous prouve de façon définitive la valeur exceptionnelle du journal scolaire pour l’unification autour de l’Ecole de toutes les forces laïques.

D'autres possibilités vont se faire jour encore, dès que nos adhérents seront suffisamment nombreux dans chaque département et que les conditions économiques nous permettront un meilleur approvisionnement en papier, une plus grande régularité dans nos éditions et la mise sur pied de travail de nos filiales départementales. Nous pourrons réaliser dans tous les départements ce qu’ont tenté — avec un total succès, n’en doutons pas — nos camarades du Rhône. En accord avec le Syndicat des Instituteurs., la Ligne de l’Enseignement et toutes les œuvres laïques, un supplément départemental mensuel est édité, livré aux écoles travaillant à l’imprimerie et encarté dans chaque journal scolaire oui devient ainsi le véritable journal paroissial laïque, touchant toutes les familles par le canal de l’Ecole elle-même, liant organiquement l’action laïque à l’activité profonde et vitale que nous avons rendue possible par notre matériel et nos techniques.

Il n’est pas osé d’affirmer que, dans un nombre d’années très réduit, il n’y aura plus d’école sans journal scolaire et que quelque chose alors sera changé dans les destins de notre école laïque.

b) LA COOPERATIVE SCOLAIRE : Nous ne redirons pas ici tout ce qui a fait l’objet de notre brochure : LA COOPÉRATION A l’ECOLE MODERNE, que tous les éducateurs devraient posséder.

La Coopérative scolaire animée — qui a acquis une âme — par nos techniques, et dont le journal scolaire devient l’expression, est l’organisme d’action indispensable et vraiment à la mesure des nécessités modernes de travail d’équipe et d’auto-administration.

Dans certaines communes, les instituteurs élargissent même leur coopérative à laquelle adhèrent parents d’élèves et amis de l'école. Partout les laïques deviennent membres honoraires de la Coopérative scolaire.

L’idée laïque a désormais non seulement une âme mais une charpente et une maison.

Et c’est parce qu’elles sont désormais animées par notre conception pédagogique de l’expression libre de l’enfant, parce que, par le journal scolaire, par la coopérative, les élèves sont les véritables artisans de toutes les manifestations laïques que celles-ci ont désormais un tel succès. Finies les fêtes compassées et formelles pour lesquelles, dans les meilleures conjonctures, il fallait faire bachoter pendant des mois des textes et des mimiques sans vie. Aujourd’hui, nos enfants inventent leurs scènes, ou les recréent, préparent leurs décors, impriment et diffusent invitation et programmes. Et le village entier est là : tous les enfants sont acteurs, tous les parents en sont fiers. Il suffit parfois de représenter sur la scène la vraie vie de notre école pour faire sentir au spectateur cette âme nouvelle de la laïque.

Et demain nos disques C.E.L., nos films aideront encore à la réussite totale de ces fêtes qui, de plus, garnit les caisses de la Coopé, ce qui n’est pas à négliger.

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Que les instituteurs laïques méditent les enseignements de ce rapide tableau, qu’ils s’informent autour d'eux, et qu’ils se joignent à nous pour parfaire l'œuvre grandiose que nous avons entreprise.

Nous nous contenterons pour terminer, de citer une lettre, parmi des centaines d'autres, qui vous dira comment l’effectif d’une école passe de 9 à 20. De tels succès sont notre meilleure récompense.

De neuf élèves à vingt

Au début de cette année, nous écrit notre camarade Bourdet, du Lot, je me suis abonné à L’Educateur. J’ai participé ensuite au stage de Cannes, fin juillet et début août. A la rentrée d’octobre, j'ai commencé à orienter ma classe selon vos techniques. J’ai adopté le texte libre de français plusieurs fois par semaine, le calcul sur fiches, le dessin libre. En histoire, géographie, sciences, les enfants se sont partagés les différents chapitres qu’ils préparent, puis exposent chacun à son tour devant leurs camarades. La classe est organisée coopérativement. Nous avons commencé à constituer un fichier scolaire coopératif. J’ai obtenu quatre tables neuves plates de 120x60 cm. Avec les anciennes tables à quatre places, j’ai fait cinq tables plates. Je fabrique aussi les tabourets. Les enfants m’ont apporté chacun un peu de bois. A la belle saison, j’espère que d’importantes réparations seront faites à l’école et, peut-être, j’obtiendrai un petit atelier attenant à la classe. Ainsi l’école se transforme. De neuf élèves à la rentrée d’octobre 1945, mon effectif est passé à vingt.