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DITS DE MATHIEU - Serre chaude ou plein vent

Février 1947

L’Ecole sera-t-elle une serre où l’on « force » les individus pour les faire produire avant l’âge et la saison et se glorifier des performances hors nature obtenues ? Ou bien cultiverons-nous l'enfant en plein champ au gré du temps et des saisons, en aidant seulement la jeune plante à triompher des éléments pour atteindre à sa plénitude de vie ?

J’apporte au dilemme mes quelques arguments de bon sens, si souvent oubliés et négligés justement parce qu’ils ne sont que de bon sens.

Il existe bien chez nous les deux modes de culture. On produit sous serre des œillets et des roses à Noël, des tomates en mars et des melons en avril. Il est indéniable que ces fleurs et ces fruits ont une valeur exceptionnelle qui leur vient non pas de leur qualité, mais de leur production hors saison.

Vous produirez de même dans vos serres scolaires des petits prodiges dont la seule originalité sera de faire et de dire à huit ans ce qu’ils ne sauraient normalement donner qu’à dix ou douze.

Mais ces produits de serre n’ont jamais la valeur profonde des choses naturelles. La tomate de serre vous paraît bonne parce que vous n’en avez pas mangé, depuis longtemps, mais si vous pouviez la comparer intégralement au bon fruit bien nourri de sève et de soleil du mois de juin, quelle déception ! Le melon précoce vous enchante, d’autant plus que vous l’avez payé plus cher. Mais s’il vous était donné d’en comparer le parfum à celui du melon mûri lentement à l’air libre dont il semble avoir distillé la finesse, vous seriez édifié.

L’Ecole aussi ne construira solidement et profondément, avec tonte la saveur désirable, que si elle sait faire pousser en pleine terre et en plein vent les êtres fragiles, certes, mais qui sont faits aussi pour affronter une vie qui est avant tout lutte et conquêtes.

Et surtout, les producteurs de plantes « poussées » vous diront la fragilité organique des fleurs et des fruits qu’ils obtiennent et qui se flétrissent ou se corrompent dès qu’ils quittent leur serre pour affronter l’air libre, la lumière et le soleil. Il en faut des précautions pour transporter les roses et les œillets, ou les premières tomates. On leur offre même l’avion parce qu’il faut faire vite avant que ne s’en aille, cette vie artificielle dont on les a gonflés.

Méfiez-vous de la serre scolaire et craignez que les acquisitions prématurées dont vous vous enorgueillissez s’évanouissent et se corrompent de même au souffle trop vif et trop dru de la vie.

Quand le paysan voit ses arbres bourgeonner et fleurir trop tôt, il ne fait pas comme vous qui vous réjouirez dans vos classes de cette précocité. Lui est inquiet et souhaite et bénit le léger retour de froid qui va ralentir la floraison.

Cultivez des fruits de saison, à même l’air, le froid, l’eau et le vent. Vous aurez abondance, saveur et fécondité.