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logo blog Prendre le temps n’est pas le perdre

Billet d'humeur

Tout le monde se souvient de la publicité dérangeante de cette compagnie d’assurance où l’on voyait défiler une vie entière en quelques secondes, entraînée par la merveilleuse valse de Chostakovitch. Insupportable, pour de nombreux téléspectateurs. Elle est revenue dernièrement insidieuse, mais cette fois-ci, elle nous fait remonter le temps de la mort à la naissance. Lorsque la vie est décrite par une succession d’événements, le résultat est là, il suffit de quelques secondes pour la voir se dérouler. Les événements se créent, se vivent et se partagent et heureusement pour nous ne se réduisent pas à leur simple succession ! Mais c’est de plus en plus difficile.

Notre société, toujours en recherche de profits, nous entraîne d’activité en activité dite « éducative », « culturelle », « sportive », ce sont de véritables compléments de temps de travail bien intégrés au système économique global. Un tout « actif » indissociable, gage de notre bonne intégration, voire de notre bonne « citoyenneté ».

Les plages de temps vides n’ont de valeur que parce qu’elles peuvent se remplir d’activités. Ce sont des « temps-objets », des espaces potentiels de consommation. La rêverie, le « je n’ai rien à faire », sont suspects, « perdre son temps » est immoral : un espace de délinquance sans aucun doute ! Le temps de la (re)mise en question du monde et de soi-même est dangereux, c’est la porte ouverte à la liberté de penser, à l’utopie, à la création et donc à l’indocilité, à la désobéissance, à l’incroyance…

Il faut commencer très tôt, mettre l’enfant dans l’activité permanente pour le conduire à une certaine dépendance.
Et puis pour certains parents, charger leurs enfants d’activités, c’est vouloir les mettre sur la voie rapide pour les propulser vers la réussite sociale. C’est croire qu’ils pourront ainsi distancer leurs camarades dès la maternelle et être meilleurs dans de nombreux domaines. Tout jeu est alors structuré, organisé et porteur d’objectifs « éducatifs », « culturels », « sportifs » et ne permet pas d’expérimenter le monde. L’enfant n’a plus de temps libre. Le cours de danse, la leçon de piano, la pratique du foot, ce n’est pas du temps libre : celui que l’enfant utilise pour creuser la terre à la recherche de vers, pour courir après un papillon, pour jouer dans sa chambre, pour construire des châteaux, pour chahuter avec d’autres ou pour regarder tout simplement à la fenêtre… Ces temps de « paresse » sont des temps essentiels où l’imaginaire se construit, il est indispensable de savoir s’ennuyer.

Tout le temps et partout, il faut faire vite, être le plus rapide ! La pendule n’égrène plus le temps, elle le chronomètre. « Courir après le temps », « le temps c’est de l’argent », « pas de temps mort » ! La rapidité est devenue la qualité essentielle de notre société dite postmoderne.

Et pourtant, pour ne prendre qu’un seul exemple : la justice rapide est une justice injuste. Ne parle-t-on pas d’ailleurs de « justice expéditive » ? Condamner sur des faits sans prendre en compte la personne et son histoire, c’est à coup sûr plus rapide et va dans le sens de l’opinion publique, le fameux « bon sens populaire ». La « comparution immédiate » s’émancipe ainsi du temps d’instruction et de délibération.

L’éducation n’échappe pas à ce vertige de la vitesse. Soumise au tempo économique, elle programme, elle découpe, elle morcelle, elle vise la performance à court terme et se nourrit de compétitivité pour capter les meilleurs, elle se dote d’évaluations pour contrôler, rentabiliser les dépenses et justifier les baisses budgétaires.

Les dernières réformes ont encore concentré le temps scolaire et les nouveaux horaires de chaque discipline contrôlent de fait la pédagogie utilisée. Ce quantitatif imposé permet-il encore au temps de création, de découverte et de recherche de trouver sa place ?

Gaver du matin au soir les enfants d’informations prémâchées, simplifiées, édulcorées, c’est étouffer leur curiosité savante, leur soif de savoir, de comprendre, de connaître, c’est éteindre des passions en puissance et c’est confondre travail forcé et création.

Arrêtons, laissons les enfants prendre le temps d’être des enfants et l’humanité s’en portera mieux !