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Notre école espérantiste d’été

Octobre 1934

 

ESPERANTO
 
Notre école espérantiste d’été
 
Après une Deuxième Expérience
 
Nous avions prévu l'an dernier, à pareille époque, un succès décuplé par les circonstances en faveur de notre initiative. Nous ne nous trompions point, comme on va le voir. Notre Ecole 1934, à Lesconil, prend rang dans l'histoire du mouvement espérantiste prolétarien comme une manifestation magnifique et consacre d'une façon très nette l'utilité des Cours d'Eté. Il est dès maintenant établi que l'Ecole de Vacances deviendra, dans les années à venir, l'un des instruments les plus efficaces pour une propagande rationnelle de l'Espéranto et sa diffusion parmi les éducateurs. Tout nous encourage à persévérer et à parfaire notre organisation. Oeuvre collective, elle intéresse à divers titres tous les membres de notre Coopérative. Les conclusions développées pourront être utilement commentées par tous : elles s'inspirent de l'expérience acquise au cours de notre travail ; elles peuvent donc être prétexte à discussion et amélioration de nos méthodes de travail, pour l'enseignement de la langue internationale.
 
1. ‑ Le Séjour,
 
Dès les premiers jours d'août, les participants commençaient à arriver à Lesconil, où ils furent fraternellement reçus par notre ami QUINIOU, secrétaire du Groupe espérantiste du Finistère, aidé du camarade LUCAS et de marins-pêcheurs. Le 9 août au soir, une assemblée générale des élèves réunissait déjà plus de soixante camarades des deux sexes, venus de tous les coins de la France. Les jours suivants, ce nombre ne fit que croître du fait de nouvelles rentrées, et dès la deuxième semaine d'août, nous pouvions compter à l'Ecole ‑ non sans quelque satisfaction ‑ près de 80 éducateurs appartenant à 31 départements différents.
 
Après l'élection de diverses Commissions, chargées d'assurer la marche régulière du séjour, les cours s'ouvraient, le 10 au matin à l'Ecole de garçons. Succès d'affluence, disions-nous plus haut, mais aussi succès complet quant aux normes de travail. Nous y reviendrons en détail. Succès encore, du point de vue propagande dans un milieu particulièrement avancé et sympathique à nos idées. Nos distributeurs de tracts reçurent partout le meilleur accueil, au cours de nombreuses excursions qui nous permirent de visiter de nombreuses localités, entre autres Douarnenez.
 
Notre assemblement fut par-dessus tout un important rassemblement prolétarien. Il n'est pour se convaincre de la portée de nos efforts que de noter l'imposante levée de boucliers parmi les cléricaux, fascistes et autres hobereaux de villages que suscita la seule annonce de notre séjour. Dès le mois de mal, l'ana­thème était jeté sur nous et les calomnies se faisaient jour : la « Lutte » anti- religieuse et prolétarienne, le bulletin du Groupe espérantiste finistérien étaient attaqués. Pour nos bons prophètes, la question fut rapidement tranchée : dès l'instant que, en dehors de l'étude de l'Espéranto, nous nous préoccupions de prendre part au mouvement général de lutte contre la guerre et le fascisme, il n'était plus permis de conserver la moindre illusion : le Groupe finistérien est « d'obédience communiste » comme les hôtes de l'Ecole d'Eté sont des communistes camouflés. Conclusions grotesques : les directeurs de   l'Ecole « sont surtout des instituteurs, et les élèves des... internationaux. » (!)                                                                                          
 
La lutte se poursuit, sous le voile courageux de l'anonymat. Une semaine avant l'ouverture des cours, une longue diatribe paraît dans « Le Progrès (!) du Finistère », organe officieux de l'évêché. Mais un incident va nous permettre de percer à jour certaines manœuvres. Le 15 août, au départ d'une excursion, les touristes de l'hôtel Atlantic, pour la plupart gros bourgeois ou fascistes militants, accompagnent de « hou ! hou ! » l'embarquement des camarades. La réplique se produit le soir, au retour : vibrante Internationale, que nos adversaires essayent de couvrir par la « Marseillaise ». Des touristes prennent à partie nos camarades... Il faut toute la mesure des nôtres pour éviter une correction aux perturbateurs. Cela n'empêchera pas l'ineffable rédacteur (en chef) du Progrès d'annoncer imperturbablement dans son numéro du 25 août :
 
« Des incidents ont lieu journellement (1) entre les deux catégories de touristes « qui fréquentent la plage de Lesconil : les baigneurs espérantistes‑communistes, les plus nombreux, et les baigneurs paisibles. Dans les hôtels, les repas étant continuellement troublés par des discussions entre les baigneurs espérantistes et les autres, les gérants ont affecté des salles à manger différentes aux deux catégories (?) de pensionnaires.
Il y avait échange d'injures (2), chant de l'Internationale auquel répliquait la Marseillaise ; menaces de rixes... et mêmes rixes. »
 
Nous ne nous attarderons pas à reproduire tout au long les élucubrations de la feuille cléricale. Disons simplement que le reste est au moins aussi savoureux, et que « L'Ouest‑Eclair » du 31 août s'empressa de reproduire les renseignements ci-dessus en partie, ajoutant de son propre chef que « les provocations du groupe espérantiste sont dues à des éléments étrangers (Allemands, Russes, etc…) », et que « la population paisible de Lesconil est justement indignée des procédés auxquels elle est en butte ».
 
Avec un cynisme déconcertant, le plumitif du « Progrès » signalait à la vindicte populaire... et surtout aux foudres de l'administration les instituteurs « qui se permettent d'enseigner des doctrines contre la Patrie et contre Dieu ». C'est l'époque où l'on enquête un peu partout sur le fameux Congrès de Nice, et il importe de ne pas perdre une occasion de sanctions envers les « meneurs ». Inutile de dire que nos noms sont complaisamment mis en vedette dans les divers articles publiés par les gazettes bien pensantes. C'est là le but essentiel de la campagne de basses calomnies engagée contre nous.
 
Il y en a un autre. Il faut empêcher par tous les moyens, la fête qui doit terminer, le 2 septembre, le séjour du Groupe à Lesconil. Les prétextes ? Les « amis de l'ordre » sont gens de ressources ! Et l'on va, publiant partout que les espérantistes‑communistes se proposent d'interdire la procession du Pardon de Lesconil. « Il est à craindre, dit le Progrès toujours sur la brèche, que les cours d'espéranto provoquent des troubles plus graves, soit le 26 août..., soit le 2 septembre » !
 
Conclusion : puisque ces énergumènes veulent « violenter la procession » (sic), il faut interdire la fête du 2 septembre !
 
En définitive, la procession n'eut pas lieu, et Lesconil vit ce jour-là un rassemblement antifasciste important, auquel participaient tous nos membres. Mais... sous la pression des forces réactionnaires, le préfet du Finistère se décidait à prendre, à la dernière minute, un arrêté interdisant aux espérantistes la disposition des locaux scolaires pour l'organisation de la fête ! Il nous faut remercier ici bien chaleureusement à ce propos, le propriétaire de l'Hôtel des Dunes qui voulut bien mettre au pied levé son vaste établissement à notre disposition, ce qui permit, d'organiser superbement, avec le concours de tous les participants et de nombreux marins, une matinée récréative qui eut un succès inespéré. Une foule énorme, évaluée à deux mille personnes minimum, venue de tous les villages et bourgs de la région, s'entassait littéralement dans l'immense salle verte, à tel point qu'il fallut organiser deux représentations pour satisfaire l'enthousiasme de tous. Affluence énorme, succès des numéros présentés, notamment de là fête des Provinces, recette très fructueuse, tels sont en quelques mots les résultats tangibles. Ajoutons que le préfet lui-même assistait à la fête, accompagné de son chef de cabinet, du commissaire spécial de la préfecture et du commandant de gendarmerie de la région !
 
« La Dépêche de Brest » relatait le lendemain même le succès de la manifestation. Ce qui n'a pas empêché le « Progrès » décidément incorrigible, d'annoncer en grosses lettres, une semaine après la fête, que « la manifestation communiste de Lesconil avait été (enfin) interdite grâce aux Patriotes » ! Il faut du temps dans certaines sphères pour prendre certaines décisions, mais il faut aussi un certain aplomb pour oser maintenir certaines affirmations et informations. C'est avec le plus grand sérieux que notre scribe annonce que « la grande fête Espéranto‑Communiste n'a pas eu lieu ». Et il traite de « contre‑vérité manifeste » l'information de la Dépêche, déjà citée.
 
Nous n'aurons garde d'omettre dans notre compte-rendu l'inoubliable manifestation de solidarité prolétarienne que fut le meeting de protestation du 1er septembre au soir, en réponse à l'arrêté préfectoral. Nous avons trouvé ce soir-là, groupée étroitement autour de nous, la population entière de Lesconil, comme aussi le lendemain au cours de la fête. Ce sont là des témoignages ineffaçables d'amitié qui réconfortent et permettent d'envisager la lutte sous un jour moins sombre. A cette heure, où nous évoquons ces souvenirs à quelques semaines de distance, une émotion nous étreint. Il me revient en particulier d'amicales protestations qui me furent prodiguées par de nombreux camarades en cette soirée du 2 septembre, qui devait être la dernière passée en commun ; de ces protestations qui vont droit au cœur, parce que empreintes d'une sollicitude qu'on ne trouve ‑ quoi qu'on dise ‑ que parmi la classe travailleuse, de laquelle nous sommes issus, et à laquelle nous sommes fiers d'appartenir toujours.
 
Il nous plait de confondre dans un même sentiment de gratitude affectueuse tous ces témoignages comme aussi ceux que nous avons reçus à diverses reprises de tous les participants, sans exception, de notre Caravane 1934. Tout cela fait chaud au cœur, comme on dit, et les journées des 3 et 4 septembre restent de réconfortants souvenirs, malgré qu'elles aient vu les départs de la grande majorité des camarades.
 
Il nous faut, dès maintenant, préparer notre Ecole 1935 : elle aura lieu en Provence, ainsi que l'a décidé l'assemblée générale qui termina les cours. Au moment où nous nous engageons dans une nouvelle organisation, nous tenons à unir ici dans des remerciements particulièrement chaleureux, notre ami QUINIOU, qui se dépensa sans compter pour satisfaire les désirs de tous, sans jamais réussir complètement, les camarades Lucas et Le Lay, des organisations locales et surtout le camarade Cariou, marin‑pècheur, secrétaire de la commission locale d'organisation qui nous prépara un séjour des plus agréables ; à la population de Lesconil, enfin, pour son accueil si sympathique et les marques d'amitié qui nous furent prodiguées, en particulier au camarade maire de Plobannalec‑Lesconil. A tous, nous disons bien volontiers : au revoir !
 
Nous donnerons, dans un deuxième article, la parole aux participants de notre Ecole à propos des desideratas émis en fin de cours, et nous nous efforcerons de tirer quelques conclusions pratiques.
 
H. BOURGUIGNON
 
Secrétaire de l'Ecole Espérantiste d'Eté instituteur à Besse‑sur‑Issole (Var)
 
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COURS D'ESPÉRANT0
 
Un cours d'Espéranto par correspondance, organisé par la Fédération des Espérantistes Prolétariens, fonctionne toute l'année. A la fin du cours, l'Elève est mis en relations avec des camarades de tous pays (en particulier de l'U.R.S.S. et d'Allemagne) et est à même de remplir une tâche de rabcor international. Ce cours est gratuit. Pour tous renseignements, s'adresser à
 
FEDERATION DES ESPERANTISTES PROLETARIENS
 
(Bourse du Travail, 14, rue Pavée, 14, NIMES ‑ Gard)
 
 
 
(1) C'est nous qui soulignons dans les citations.
 
(2) Ce qui prouve que les « amis de l'ordre et de la liberté » ne furent pas en reste.