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Juin 1990
Le terme "canut" désigne l'ouvrier tisseur de soie à Lyon.
Pour chanter Veni creator
Il faut une chasuble d'or
Nous en tissons pour vous, Grands de l'Église,
Et nous, pauvres canuts, n'avons pas de chemise.
C'est nous les canuts
Nous sommes tout nus.
Chanson d'Aristide Bruant, créée en 1894.
Le terme « canut » désigne l'ouvrier tisseur de soie à Lyon.
« Un teint pâle, des membres grêles, des chairs molles et frappées d'atonie, une stature en général au-dessous de la moyenne: telle est la constitution physique ordinaire aux ouvriers en soie lyonnais [ ... ]. La taille des tisseurs manque de proportion ; leurs membres inférieurs sont souvent déformés de bonne heure ; [...]. Lorsque, les jours de fête, un habit semble les confondre avec les autres citoyens, on les reconnaît encore au développement irrégulier du corps, à leur démarche incertaine et entièrement dépourvue d 'aisance. »
J.-B. Monfalcon,
Histoire des insurrections de Lyon de 1831 et 1834, éditée en 1834.
À cette époque, on utilise le métier à lacs, Des milliers de fils sont tendus dans le sens de la longueur : c'est la chaîne. Le tisseur réalise son motif en faisant passer les canettes de fil dans le sens de la largeur : c'est. la trame.

Selon le motif que l'on doit réaliser, tous les fils de chaîne ne sont pas levés en même temps pour laisser passer la canette : ce sont les tireurs de lacs qui lèvent les fils souhaités. Le tisseur assis sur son banc, active douze pédales et combine les fils de couleurs .avant de rabattre avec force un morceau de bois qui tasse les fils de trame. L'ensemble des bruits du métier a donné naissance à une onomatopée, le bistanclac : bis pour le passage de la navette, tan pour le bruit du mécanisme engendré par les pédales et clac pour le rabat de la pièce de bois.
Brocart
Ce cadre n'a pas beaucoup changé mais les pièces sont plus hautes de plafond pour permettre l'installation du .métier Jacquard.
Ce métier mis au point au début du XIXe siècle a perdu ses lacs remplacés .par un carton perforé ; les perforations permettent le passage d'aiguilles qui commandent la levée des fils de chaîne. Une seule pédale est nécessaire pour faire avancer le carton perforé d'un cran. Il ne faut qu'un seul ouvrier pour faire fonctionner ce métier. Les canuts n'ont pas vu d'un bon œil l'arrivée de cette invention, qui retirait le travail à bon nombre d'enfants ; ils ont même tenté de jeter Jacquard dans le Rhône !
Aujourd'hui, il ne reste qu'une dizaine de canuts à Lyon répartis dans trois ateliers. Le métier mécanique ne permet que l'utilisation de huit couleurs au maximum ; seul le métier Jacquard permet la réalisation de dessins plus colorés. Ainsi, les derniers canuts ne travaillent-ils que sur commande pour la restauration des monuments historiques ou pour des particuliers.
LA FABRIQUE
L'industrie de la soie à Lyon date de François 1er qui en fut le promoteur. Cette activité fait de Lyon, au XIXe siècle, la première ville industrielle de France. La ville compte 135 000 habitants en 1830,auxquels s'ajoutent 40 000 personnes habitant les faubourgs de Vaise, la Croix-Rousse et de la Guillotière.
La moitié des habitants vivent du tissage de la soie.
La Fabrique est le nom que l'on donne à l'organisation de cette industrie ; ainsi, on distingue trois groupes d'inégale importance :
- Les négociants ou les fabricants qui ne fabriquent rien : ce sont des entrepreneurs qui détiennent les capitaux, c'est-à-dire l'argent ; ils procurent la matière première, la font teindre, choisissent le dessin à réaliser et proposent le travail aux ouvriers en fixant eux-mêmes les salaires. Ils sont quatre cents.
- Les chefs d'atelier ou maîtres-ouvriers : ils sont huit mille, ils travaillent à domicile sur des métiers dont ils sont propriétaires. Ils en possèdent de deux à six.
- Les compagnons, au nombre de trente mille, ne possèdent que leurs bras ; ils travaillent et vivent chez les chefs d'atelier.

De nombreux autres métiers dépendent de la·Fabrique : les teinturiers, les plieurs, les liseurs, les dévideuses, les ourdisseuses ...
En 1831, la Croix-Rousse est connue dans la France entière et même au-delà des frontières. C'est ici, que pour la première fois des travailleurs artisans et ouvriers se sont unis pour défendre jusqu'au bout leur droit de vivre· dignement.


Photographies prises à la maison des canuts à Lyon
Rappel historique
La condition ouvrière :
- il est interdit de faire grève sous peine d’emprisonnement,
- les associations politiques ou professionnelles sont interdites ; seules les mutuelles ayant pour but l’entraide entre ouvriers, à condition qu’elles ne groupent pas plus de vingt personnes, sont tolérées.
1831, LA RÉVOLUTION DE LA FAIM « VIVRE EN TRAVAILLANT OU MOURIR EN COMBATTANT »
« Ces malheureux, en travaillant dix-huit heures par jour, ne gagnaient pas seulement pour vivre » reconnaît le préfet de Lyon en 1831.
Sous le premier Empire, un canut gagnait 4 à 6 francs par jour; en 1831, le salaire est tombé à 18 sous, soit moins de 1 franc (20 sous).
En octobre 1831, les ouvriers en soie demandent un tarif minimum. Le préfet presse les fabricants de fixer un tarif, craignant des désordres devant l'attitude déterminée des ouvriers. Le27 octobre, le tarif est affiché, mais l'ensemble des fabricants ne se sent pas lié par une décision prise par quelques-uns d’entre eux : le tarif n'est pas une obligation légale.
Le 21 novembre éclate l'insurrection : les canuts sont rejoints le lendemain par les ouvriers d'autres métiers. Le 23, ils sont maîtres de la ville.
La division des insurgés entre ceux qui se battent pour le tarif et ceux qui souhaitent élargir l'action à des revendications politiques provoque la fin du mouvement: le travail reprend le28.
Le 3 décembre, le duc d'Orléans et le ministre de la Guerre, accompagnés de 20 000 soldats arrivent à Lyon.
Le tarif est supprimé, quatre-vingt-dix ouvriers sont arrêtés, onze seront jugés et acquittés en 1832.
Cette révolte, qui se termine par un échec, a cependant prouvé la force des canuts quand ils sont unis et organisés. A la suite de ces événements est créée une presse ouvrière L'Echo de la Fabrique où sont développées les revendications du droit d'association et du droit de vivre en travaillant.
1834
« Savez-vous que c'est grand tout un peuple qui crie
Savez-vous que c'est triste une ville meurtrie. »
Marceline Desbordes Valmore, Pauvres fleurs, 1839.
Treize ouvriers de la soie, arrêtés après une grève de dix jours pour obtenir une augmentation de salaire sont jugés à Lyon.
Le devoir mutuel appelle à la grève générale pour le 9 avril, jour du jugement.
L'armée quadrille la ville. Un provocateur tire sur un gendarme: c'est le début de l'insurrection.
Pendant cinq jours, 10 000 soldats s'opposent à 2 000 ou 3 000 civils dont seuls 10 % possèdent une arme.
Au 15 avril, cent trente et un militaires et cent quatre-vingt-douze civils ont été tués.
Cette insurrection est politique. On revendique la République. D'autres villes se joignent au mouvement : Saint-Étienne, Grenoble, Vienne, Marseille, Épinal, Clermont, Chalon-sur-Saône, Lunéville et Paris : partout la répression est sanglante.
Les insurrections de Lyon sont considérées comme le début du mouvement ouvrier qui se développera tout au long du XIXe siècle.
Source :
BT Le ver à soie juin 1990 Auteur :