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logo blog Un pas décisif, 1er octobre 1937

 Comptes rendus de Freinet de ses participations aux congrès de l’été.
Des congrès bien différents, le premier où l’enfant et les collectifs sont au centre avec des réflexions de sociologues, le deuxième où ce sont plutôt les problèmes d’éducation que rencontrent les éducateurs et les pédagogues, moment essentiel pour la divulgation des techniques du mouvement, le troisième celui de l’Imprimerie à l’École belge aux présentations et préoccupations communes avec le groupe français et le dernier, celui des jeunes instituteurs, groupe déjà intéressé par la Coopérative.  

 Avant de repartir pour l’année de travail efficient qui commence, il est bon que nous donnions, aux camarades qui n’ont pu assister aux diverses manifestations auxquelles nous avons participé, un peu du réconfortant optimisme que nous y avons gagné.

Rarement période d’été aura été si utilement remplie. Il faut dire aussi que l’occasion était vraiment unique, car l’exposition internationale a été l’occasion d’un rassemblement de philosophes, de psychologues et de pédagogues peut-être unique dans l’histoire. Et ce sera sans doute une des caractéristiques essentielles de cette exposition qu’elle a été merveilleusement doublée par une infinité de manifestations du plus haut intérêt qui n’ont pas été parmi les moindres attraits de Paris cet été.

 
 
CONGRÈS DE SOCIOLOGIE DE L’ENFANT
J’ai assisté d’abord, au début de Juillet, au 1er Congrès de Sociologie de l’Enfant, organisé par Mme Lahy-Hollebecque. Le thème général de ce Congrès était l’étude des sociétés d’enfants.
Pas de bien grandes nouveautés, car la plupart des sociologues vivent trop sur le passé sans mener, d’une façon originale, des expériences susceptibles d’éclairer ce passé par l’étude approfondie et véridique du présent. J’ai noté cependant : une expérience intéressante présentée par le camarade qui dirige l’Orphelinat ouvrier de la Villèlte-aux-Aulnes, sur la discipline scolaire par l’influence d’un groupe secret d’enfant, puissamment organisé, mais avec l’approbation et même le concours des dirigeants. C’est l’application du principe de la minorité dirigeante qui a, en éducation, ses avantages et ses inconvénients. Nous y reviendrons. Une émouvante évocation des comptines nivernaises par un camarade superbement artiste et qui a su les faire revivre et les expliquer d’une façon extraordinairement profonde.
J’ai personnellement pu faire une première communication sur « TRANSFORMONS L’ECOLE EN UNE SOCIETE D’ENFANTS PAR L’IMPRIMERIE A L’ECOLE », communication dont l’intérêt et la portée étaient encore amplifiées par l’importante exposition d’Imprimerie à l’École et de nos diverses réalisations dans une salle attenante où nos travaux furent très visités.
J’ai fait le lendemain une communication plus originale sur : « POINTS DE VUE NOUVEAUX SUR LE CONTE, SES POSSIBILITES ACTUELLES, SON AVENIR. »
Ce travail est pour ainsi dire une explication préalable de la tournure nouvelle que nous voudrions donner dans LA GERBE à nos CONTES MODERNES. C’est pourquoi nous publierons ici même ce rapport qui peut inciter quelques-uns de nos camarades à faire un effort original dans ce domaine.
Cette communication a été fort appréciée parce qu’elle apportait du nouveau, qu’elle ouvrait des horizons féconds, qu’elle montrait aux psychologues la possibilité d’aller plus avant et hardiment, loin des chemins traditionnels. Le monde, donc le milieu social, se transforment à une allure incroyable. Il s’agit de suivre cette évolution, d’examiner enfin avec quelque à-propos la véritable sociologie, non pas de l’enfant d’il y a cent ans, mais de l’enfant de notre époque chaotique et fiévreuse, mais si enthousiasmante aussi.
Nous sommes, nous, en plein dans cette vie, et c’est pourquoi nous jetons, dans toutes les directions, les bases nécessaires des futures recherches pédagogiques et sociologiques.
 
LE CONGRÈS INTERNATIONAL DE L’ÉDUCATION POPULAIRE
Il a été le rendez-vous de ceux que passionnent les problèmes d’éducation, de ceux qui sentent l’indigence des méthodes actuelles et qui, même non initiés, offrent un terrain propice à la divulgation de notre effort.
Et nécessairement, tous les participants de ce Congrès connaissent, de nom au moins, nos réalisations; ils éprouvaient un ardent désir de se documenter. Ils sentaient que nous apportons, à l'angoisse des pédagogues, autre chose que (les mots ou d'aristocratiques essais. Et tous voulaient connaître.
C’est ce désir presque unanime – unanime dirais-je, – qui a créé dans ce Congrès une atmosphère de si chaude et de si réconfortante sympathie autour de nos réalisations.
Et une telle sélection de préoccupations, à une si vaste échelle, est suffisamment rare pour que nous la signalions aussi. Nous l'avons mieux appréciée encore lorsque, le 2 août, nous avons installé notre exposition dans le hall du Congrès du Syndicat National. Là, ce n'étaient plus les pédagogues, les éducateurs, qui se réunissaient ; c’étaient les instituteurs-fonctionnaires. Ils passaient, préoccupés et absents, devant notre stand, comme s’ils n’avaient pas été du métier.
Et certainement, de nombreux délégués n’ont pas vu fonctionner nos presses.
On nous dira peut-être que l’action revendicative a aussi son urgence. Ce n’est certes pas moi qui le nierai. Je soutiens seulement qu’elle peut aller de pair avec la préoccupation pédagogique, mieux : qu'elle sera renforcée par elle le jour où nous aurons redonné de d’harmonie à la vie et à la lutte de l'instituteur-fonctionnaire-pédagogue.
Cette diversion peut donner une idée de l’atmosphère vraiment exceptionnelle du Congrès de l’Enseignement Populaire.
Une autre constatation aussi, qui est toute à l’honneur des éducateurs français : J’ai assisté à de nombreux Congrès Internationaux ; j’en connais les difficultés et je ne leur croyais pratiquement qu’un grand avantage : celui d’être de grandes rencontres au cours desquelles fraternisent des travailleurs qui ont les mêmes préoccupations de foi en le progrès humain et de dévouement à l’enfance.
Mais je connais aussi l’habitude de ces Congrès : une grande affluence à la séance d’ouverture, puis toute l’assistance s’envole et ne restent que quelques groupes de passionnés qui suivent minutieusement conférences et discussions.
Le même fait se serait produit à Paris, j'en aurais été moins étonné encore puisqu'il y avait l’Exposition à visiter, si attirante.
Non ! Le Palais de la Mutualité a connu pendant une semaine une animation très soutenue et on a jugé de l’éducation pédagogique de ces éducateurs en voyant avec quel instinct, ou quelle sagesse, ils se portaient vers les salles où se traitaient les questions vitales, délaissant sans pitié le grand amphithéâtre où les officiels péroraient devant un haut-parleur qui répercutait les paroles dans une salle vide.
Et cela aussi était un vigoureux enseignement.
Notre exposition, réduite et concentrée certes, .n’en a pas moins grandement contribue à asseoir ce puissant intérêt qu’on sentait porté vers nos techniques. Des centaines et des centaines d’éducateurs français et étrangers se sont renseignés, ont vu fonctionner notre matériel, se sont enthousiasmés devant nos réalisations. Ils se sont pénétrés aussi de l’importance et de la cohésion de notre groupe. Ce n’était pas Freinet qui participait au Congrès et qui exposait, mais la Coopérative de l’Imprimerie à l’École. Boyau, en une intervention originale sur le cinéma, venait accentuer l’opinion des auditeurs sur la malfaisance pédagogique des bonzes exploiteurs et profiteurs de cette technique ; Davau, remplaçant Pagès, faisait sur les Disques C.E.L. une conférence du plus haut intérêt et que nous publions ; tous les camarades présents participaient aux démonstrations et à la vente. Et nous voyions parfois, dans un coin de la salle, autour du stand, un de nos adhérents, un Cazanave, un Tessier, et tant d’autres, expliquer à des instituteurs passionnés ce qu’ils réalisent dans leur classe.
Une atmosphère merveilleuse était créée pour le succès de la Conférence que je devais faire le mardi sur notre technique. A cette atmosphère, les organisateurs eux-mêmes y ont été sensibles, puisque, avec une bonne grâce et une amabilité auxquelles je suis heureux de rendre ainsi hommage, après nous avoir, en toutes occasions, facilité notre travail, ils se sont ingéniés pour nous affecter une grande salle à la place de la salle réduite où je devais prendre la parole.
Heureuse idée d’ailleurs. Car c’est devant une assistance très nombreuse que j’ai pu commencer mon exposé. Et preuve de l’attrait de mon exposé, les auditeurs, abandonnant d’autres salles et d’autres conférences, n’ont pas cessé d’affluer au cours des deux heures de mon exposé. Et une attention soutenue, un silence religieux, fréquemment coupé d’applaudissements enthousiastes. Une salle splendide comme disent les habitués des réunions publiques.
Et là, débordant l’abrégé que j’avais préparé et que je devais lire en trente minutes, j’ai pu traiter à fond le problème complet de notre technique nouvelle, devant plus d’un millier d'éducateurs de toutes les régions de France, un millier d’éducateurs qui seront sous peu nos adhérents.
Et ce succès — j’ai tenu à le marquer et je veux le répéter ici — il ne saurait être dû à mon éloquence plus que relative, mais bien aux réalisations pratiques dont je faisais l’exposé et dont les auditeurs avaient eu au préalable une idée pratique à l’examen de nos travaux. Ils comprenaient alors que cet exposé n’était pas, comme tant d’autres, que du verbiage, mais la relation de possibilités pratiques nouvelles, la promesse immédiatement réalisable d’un véritable renouveau dans l’enseignement populaire, le sentiment que la pédagogie changeait véritablement de sens et que nous allions enfin moderniser notre enseignement, pour l’adapter aux réalisations et à la vie contemporaine, pour le rendre aussi tout à la fois, plus efficient, plus humain et plus libérateur.
Le succès complet et total de cette conférence devrait avoir une heureuse répercussion sur le développement, au cours de l’année qui commence, de notre technique et de nos réalisations.
 
CONGRÈS DE BRUXELLES
Entre temps, j’avais fait une courte apparition à Bruxelles, où notre ami Mawet avait organisé, pour le 25 Juillet, le premier Congrès de l’Imprimerie à l’École belge.
La veille au soir, je parlais à l’École de Paudure, devant les parents d’élèves auxquels s’étaient joints quelques éducateurs ou personnalités des environs. Dans cette même salle de l’école où j’avais parlé deux ans auparavant, j’étais présenté à nouveau par notre ami Fernand Dubois. Inspecteur Principal, qui sut, en quelques observations frappantes, faire comprendre ce que nos techniques apportent de nouveau dans nos classes. Après que les élèves de Mawet aient donné une petite séance de danse et rythmique avec les disques C.E.L., j’ai donc parlé aux parents assemblés. Je leur ai montré la nécessité de moderniser notre enseignement pour lui donner intérêt et efficience. Et ces parents, non habitués aux spéculations intellectuelles, ont pu suivre pendant deux heures, l’exposé de nos réalisations.
Le lendemain donc, Congrès de l’Imprimerie à l’École belge dans une grande salle aimablement mise à notre disposition par Mlle Wauthier.
Caractéristique de ce Congrès : il y a là les déjà anciens adhérents de l’Imprimerie à l’École, mais il y a aussi, à côté de M. Fernand Dubois, plusieurs autres Inspecteurs qui sont depuis longtemps de fervents adhérents de notre mouvement. Un de ces Inspecteurs pense même avoir une imprimerie dans chaque école de son canton à la rentrée prochaine.
L’intérêt que les Inspecteurs belges portent à notre technique n’est pas anormal d’ailleurs dans un pays qui applique maintenant le Nouveau Plan d’Études, et où les idées semées par Decroly poussent aujourd’hui en une si belle floraison.
Le matériel et les nombreuses réalisations exposées d’ailleurs dans la salle du Congrès donnaient une idée réconfortante du développement que notre technique prend en Belgique.
Après Fernand Dubois, après mon exposé, Mawet, puis Lallemand, qui était venu des Ardennes, parlèrent l’un de l’organisation des échanges, l’autre du fichier. Puis, Mme Mawet exposa longuement la pratique de la lecture par l’Imprimerie à l’École dans les Écoles Maternelles et Enfantines.
Nos disques, qui intéressent à un si haut point nos amis belges, furent aussi auditionnés.
Voilà une manifestation réconfortante qui pose à notre camarade Mawet des problèmes nouveaux d’organisation et de réalisations. Pour y faire face, ils lancent une petite revue mensuelle L’IMPRIMERIE A L’ECOLE, qui servira de lien indispensable entre les adeptes belges de nos techniques.
Cela n’empêchera pas d’ailleurs — au contraire — la diffusion de nos revues L'EDUCATEUR PROLETARIEN et LA GERBE surtout qui, nous l’espérons, seront de plus en plus lus en Belgique.
Nous continuerons à collaborer, dans tous les domaines, matériel et pédagogique, avec notre Coopérative sœur de Belgique pour notre plus grand avantage commun.
 
CONGRÈS DES JEUNES INSTITUTEURS
Il se tenait à Gentilly, et, naturellement, nous y avons exposé notre matériel et nos réalisations qui ont profondément intéressé nos jeunes camarades.
J’ai aussi salué le Congrès au nom de notre coopérative afin de sceller solidement cette Union entre Groupe de jeunes Instituteurs et Coopérative, union qui a déjà donné d’excellents résultats.
Puis, par les soins d’excellents camarades parmi lesquels notre dévoué Joachim, le même matériel était transporté à Issy-les-Moulineaux, où se tenait le Congrès de l’Internationale de l’Enseignement.
Célestin Freinet