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Topor avant Topor c’était déjà Topor

Novembre 2002

 

 

Topor avant Topor, c’était déjà Topor

Les documents nous ont été gracieusement prêtés par Minouche Pedroletti.

Nom : Topor
Prénom : Roland
Mes parents juifs étaient venus de Pologne en France. Je suis né en 1938 et jusqu’en 1944, c’était la période la plus occupée de ma vie parce que j’avais toutes les polices d’Allemagne et de France au cul et je n’avais rien fait…

Fliqué, il se sentait… Et j’ai commencé à lui demander ses papiers ! ! !
Il était aux Beaux Arts en gravure, moi en peinture et nous étions surtout au bistrot, chez Melvezin, le bougnat du coin. Moi, sur le radiateur près de la vitre. Lui, attablé avec Olivier O’Olivier et Valentin-l’homme-indivisible, délirant de fou-rire en fou-rire qui m’exaspéraient, les croyant provocateurs.
La revue Bizarre circulait. Quand j’ai eu ses dessins entre les mains, je n’ai pas cru un instant que c’était ce garçon au rire HENAURME qui en était l’auteur. Je lui ai donc demandé : "C’est toi Topor ? – Oui – Montre-moi tes papiers !" Il m’a tendu sa carte d’identité dans un nouvel éclat de rire. Une complicité a démarré ce jour-là.
Son rire n’était pas provocateur, ni sa personne, seule son œuvre, inspirée de ses rêves. Il jouait à ne pas être sérieux, et ses dessins servaient à exorciser ses peurs.
Par exemple, invité quelque part : sa double angoisse “pas-faim-et-trop-à-manger” ou “trop-faim-et-rien-à-manger”. Ou encore, en vacances chez moi, au Muy, il ne supportait pas plus le silence que n’importe quel insecte (mouches, fourmis…). Je l’ai surpris un jour face à la colline, tapant sur des casseroles pour “se faire du bruit”.
A Paris, on faisait d’énormes fêtes de têtes à thèmes dans son atelier. On jouait à s’amuser : cadavres exquis, mimes etc. et aussi à inventer des chansons à deux stylos devant un vin chaud, au bistrot. Malgré notre complicité, je réalise aujourd’hui qu’une partie de sa vie nocturne m’était inconnue. Tout un mélange curieux de Topor :
pile = connais
face = sais pas
qui… tu es ? étais ?
secret. Inoubliable
           à jamais
           Minouche

“ Je reçus ma première boite de peinture à l’huile en guise de cadeau d’anniversaire pour mes six ans. La découverte de cette nouvelle technique d’une richesse insoupçonnée m’occupa les deux années qui suivirent. Je maniais avec délice la pâte onctueuse, j’étalais à pleines mains la couleur sur tout ce que je pouvais trouver : les robes de ma mère, les murs, les meubles, les draps. L’intensité de mon énergie créatrice provoquait de nombreux drames. Notre chambrière poussait des cris de désespoir, mais maman les accueillait avec sérénité. Elle jugeait de la qualité de l’œuvre en clignant de l’œil : si le verdict était favorable, un baiser constituait ma récompense. Lorsque tel n’était pas le cas, elle devenait le plus impitoyable des critiques. Décortiquant les fautes, analysant les erreurs, me révélant sur mes intentions plus de choses que je n’en connaissais moi-même. Elle terminait invariablement par ces mots: "Joséphine, nettoyez-moi tout ça.”

“ Mon père, lui, était sculpteur. Avec une bourse de sculpture, il a fait les Beaux-Arts de Varsovie. Il est arrivé à Paris en 1930 et il a fait de la maroquinerie jusqu’à sa retraite, et après de la peinture. Il voulait bien que je sois peintre, mais les natures mortes, cela m’embêtait. J’ai essayé de faire de l’abstrait, mais je n’y croyais pas trop. Un jour, je me suis dit “Je vais faire des choses pour les journaux”. Mon père a bien voulu, alors j’ai apporté mes dessins chez Pauvert. On m’a fait une couverture de Bizarre ce qui était très bien pour moi puisque c’était ma première publication. Je me suis donc dit “Je peux en publier d’autres, je peux vivre de ce que je veux !”. Chez Pauvert, j’ai rencontré d’autres éditeurs, dont Eric Losfeld qui m’a publié le premier livre Les Masochistes. J’étais content aux Beaux-Arts d’avoir une plaquette à mon nom. J’ai ensuite proposé des dessins à Hara Kiri.
Mais je rêvais aussi d’être écrivain. Je trouve qu’il est plus chic de dire “ écrivain ” que “ dessinateur ” ! J’avais donc très envie d’être publié, car tant qu’on n’a pas publié un livre, on n’est pas un écrivain. J’ai commencé à écrire parce que ma mère qui tenait un magasin, a laissé le comptoir au nouveau fonds de commerce qui s’installait pour vendre des machines à écrire, et au lieu de recevoir de l’argent, elle a eu une machine Remington. Donc, j’ai appris à taper sur cette machine. Pour moi, la vision que j’ai toujours eue de l’écrivain, c’est le mec amer qui tape à la machine. J’ai trouvé que ce serait bête de ne pas réussir à faire un livre avec cette Remington. J’ai donc écrit Le Locataire chimérique : ça peut être l’homme qui se nourrit de chimères ou qui n’existe pas. Ca donnait un côté précieux qui me plaisait beaucoup. C’était mon premier roman. J’ai vendu les droits tout de suite. Plus tard, Polanski en a tiré un film, Le Locataire, qu’il m ‘a fait lire, il était assez proche du livre. ”


“ J’ai toujours peur de devenir ce que les autres pensent de moi. Je ne suis pas une pensée, je suis moi. Je suis incarné, je ne tiens pas à être coincé à cause de mes œuvres. ”

Topor, c’est l’un des derniers touche-à-tout. Il est fascinant, c’était d’abord un peintre, c’était un dessinateur, c’était un écrivain, c’était un homme de théâtre. Il aurait pu être cinéaste, même. C’était ce touche-à-tout qui avait sa morale, celle de n’être jamais correct, ce qui n’excluait pas la rigueur. Topor, c’était pas seulement ce rire incroyable, c’était une pensée extrêmement précise, extrêmement nette, extrêmement aiguë, qui avait l’air de ne pas vouloir se prendre au sérieux. Topor, c’était un humaniste utopiste. Ce qui l’intéressait, c’était désigner jusqu’à l’excès toutes les petites manies, c’était jouer à fond sur le burlesque, grotesque, pittoresque.
Il y avait trois visages de Topor :
- le Topor de l’extérieur, personnage un peu rond, cigare, rigolard, traînant dans les bars, rentrant avec un copain, sortant avec cinq de plus, rentrant dans un autre bar, sortant à dix, et ça durait jusqu’au matin.
- le Topor qui, voyant la réalité, disait “ il faut la montrer telle quelle ” plus fort que les surréalistes, plus inquiétant, pour faire comprendre à tout le monde que le présent peut devenir le futur. Il était viscéralement contre toute forme de fascisme et de totalitarisme.
- enfin le Topor du non-sens, de l’absurde, de la famille. Si Topor est beaucoup plus important que certains le croient, c’est qu’il n’était pas héritier de la famille de Kafka et Jarry, il était de leur famille, au même niveau, dans la même mouvance de travail. Topor, avec un humour ravageur, touchait toujours là où ça fait mal. Il aimait cette phrase “ halte à l’immobilisme ”. Il n’était pas fou du tout. C’était un sage qui faisait croire qu’il était toujours en récréation.

Noël Simsolo

“Le dessin, c’est avec du fusain, des pinceaux, des crayons, du spray, c’est ce qu’on décide. Je préfère dire que c’est des dessins plutôt que des peintures. Pour moi, c’est plus proche de l’idée, c’est moins un objet fini.
Un bon dessin, c’est celui où vous percevez les variations du temps avec ses à-coups, ses saccades, ses rythmes différenciés. Dans le dessin, vous êtes toujours confrontés à une lecture qui retrace l’aventure même du dessin. Rubens et Rembrandt, Dürer, Goya, dessinaient au rythme de leurs battements de cœur. Leurs traits retracent des séismes. Il n’y a rien de plus triste à mes yeux qu’un dessin exécuté, celui qui donne l’impression que l’auteur a commencé à tel endroit et terminé à tel autre, travaillant sur le même rythme. Le rythme, il ne faudrait pas que les musiciens le confisquent. Il existe aussi bien pour les architectes, les sculpteurs, les graphistes. Je n’établis aucune différence entre dessin et peinture. c’est une question de choix de support. Mais la respiration, le souffle qui provoque l’émotion musicale devient visible, transmis par la main dans le dessin. C’est la différence essentielle entre une œuvre sensible et une merde. Ce que je dessine, c’est une réaction contre le déferlement d’images qui vient de toutes parts. Les images improbables, celles qui n’existent pas dans la nature, m’intéressent plus… Moi qui suis éphémère, fragile, je ne dispose que de la main pour rendre compte de mes pensées, de mes sensations, de mes sentiments. Sont-ils capables d’intéresser les autres ? En tout cas, ils m’intéressent davantage que les merveilles de l’univers”.

 
“ Qui est Roland Topor ?
Il est presque impossible de répondre à cette question. Les avis à son sujet sont assez partagés, et des bruits contradictoires circulent. Tout cela pourrait s’expliquer par Janus. Topor est né en janvier, et il paraît avoir deux visages : on le loue pour son courage, et il refuse de prendre l’avion. Mais tous ceux qui le connaissent avouent sa lâcheté. Son égoïsme est exceptionnel mais il se trouve compensé par une immense générosité : il ne cesse de dire aux gens qu’ils ont raison. Quel est donc le vrai Topor, et combien de Topor y a-t-il ? Je pense que je pourrais clarifier ce mystère. Je suis allé à l’école avec lui, pendant la guerre en Savoie. Nous gardions les vaches ensemble. Bref, j’ai couché avec sa femme. Il n’y a guère de gens qui puissent le connaître plus intimement. Signé : Roland Topor.
 

légende de la photo de la  page 3 : Pochette de disque créée par Minouche Pedroletti. Chansons composées par Roland Topor et Minouche.

 

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