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logo blog Pour une post-paration de classe en PS-MS, paru dans le Nouvel Educateur spécial maternelle N°216 – Février 2014

 

 Pour une post-paration1 de classe en PS-MS

La maternelle n'est pas sortie indemne du formatage par la primarisation. Malgré un regain d'intérêt pour ses « spécificités », le pilonnage par le résultat demeure une menace pour la paix du travail de classe.

Le travail vrai

L'enseignement a horreur du vide. L'absence de fiche de préparation parcellisée en objectifs donne vertige et mauvaise conscience comme si éduquer n'était pas un projet suffisant. Même les coins jeux sont désormais surchargés d'intentions transmissives aux objectifs ciblés. Le but n'est pas le jeu en soi mais son détournement à des fins instructives, son encadrement par les sacro-saintes consignes. Le préambule à tout apprentissage consisterait-il systématiquement à simplifier le complexe pour EXPLOITER les situations ? Leurrer l'enfant, l'appâter en camouflant un exercice d'entrainement derrière le jeu ? Ces artifices sont nocifs car ils dépossèdent les sujets du sens de leur auto-élaboration.

Les enfants sont naturellement capables de créer pour eux-mêmes, avec d'autres, des situations d'apprentissage à partir de la diversité que leur offre la classe ( pairs, matériel, jeux, organisation...). Cette démarche permet de construire sur du solide, de lier désirs et connaissances. La part du maître de Petite Section/ Moyenne Section (PS/MS) est d'instaurer un milieu riche incitant au tâtonnement et aux expérimentations. Par sa posture de discret observateur et sa vigilance, l'éducateur garantit un cadre aux évolutions de chacun au sein d'un groupe solidaire. Il accompagne chaque sujet dans son travail de mobilisation, de motivations internes. L'Education du Travail2 demeure d'une actualité crue. Il s'agit de rechercher toujours l'humain derrière l'élève, de s'adresser aux enfants simplement et non doctement, de renoncer (un peu, beaucoup...) aux arrière-pensées didactiques.

 

Un être entier

De jeunes enfants peu rompus encore à la « déformation scolaire » sont mieux disposés à une relation entière, spontanée au travail et aux autres. Le maître se consacre davantage au soutien des élèves dont « l'authenticité » a déjà été écornée par la vie. A 3 ou 4 ans (et même plus tard !), les interactions sont empreintes d'émotions, séparer le psychisme de l'activité intellectuelle et du corps qui les produit et en est le siège, serait totalement illusoire. La transmission imbrique du transfert3. Chaque-un est porteur d'une histoire, d'une culture. L'école moderne, la classe coopérative parient sur la capacité du groupe à respecter ces savoirs et ces vécus, mieux, à les mettre en partage pour les dynamiser, enrichir le groupe et ses expériences collectives. C'est une démarche de valorisation de la personne. Elle requiert réflexion et détermination du maître. La reconnaissance de l'égalité de tous face à la nécessité de la création, du tâtonnement pour être auteur et responsable de sa vie, concrètement, cela se traduit en maternelle par des situations réelles où l'on s'amuse pour s'amuser. On rit pour rire. On discute pour discuter et réfléchir ensemble. On dessine pour le plaisir de dessiner.

 

L'être-là du maître

Le vrai travail ne se donne pas en spectacle. Protégé du diktat de l'audimat et du grand public, à l'abri des regards indiscrets, du contrôle, dans l'intimité de la salle de classe, il ne peut pas être dérangé par le tumulte et l'agitation. Le travail vrai, nous allons le puiser dans l'effort de chacun à se dire, à agir, à créer, à coopérer dans un groupe bienveillant. Les savoirs s'élaborent dans la confiance, naturellement et méthodiquement. L'image d'orchestrateur conviendrait mieux à celle de pilote pour le maître. Et tant pis pour le tableau de bord. Dans la classe, il fait attention à :

  • Etre avant pour penser sa classe, là, préparateur de l'espace, du matériel, du temps et de l'organisation,

  • Etre au début pour lancer ou reprendre au vol des idées,

  • Etre pendant pour aider à ex-primer, relancer et ne pas perdre trop du suc de l'action entreprise, la démarche d'apprentissage, l'entrain de l'en train.

  • Etre à la fin pour rassembler, récolter les fruits, les résultats, les traces, les mettre en valeur.

  • Etre là, après pour aider à ranger, remettre en ordre et passer à autre chose en pensant à la suite, cette post-paration, tremplin indispensable pour impulser, donner une suite.

    Cet après est essentiel. En revenant sur l'ouvrage, sans en avoir précisément conscience, les enfants acquièrent du métier. Une élaboration agit en eux. Et l'on constate, alors, une évolution progressive de leur travail. Même s'il n'y a pas de règle en éducation, proposer sans cesse de nouvelles techniques et variantes n'est pas toujours pertinent. Pour s'approprier un outil d'expression, l'enfant doit le manipuler un certain temps, l'avoir bien en main, en soupçonner toutes les potentialités.

 

Connaître les élèves

En Petite Section, on est encore entier, on est encore enfant. Chacun est unique, distinct. L'enfant est sujet dans son corps, sa personne, son caractère. Son prénom l'incarne. La PS est une classe par essence hétérogène. Les enfants nés en janvier ont une expérience de vie d'un quart plus ancienne à celle des enfants nés fin décembre. Toutefois, d'autres paramètres déterminent la maturité comme l'origine, les liens et les équilibres familiaux, la place dans la fratrie, la qualité de l'encadrement et du cadre de vie, l'avant de la vie...

Ecouter les enfants dans leur vérité brute, les observer en interactions est riche d'enseignement4. Noter, reconstituer le puzzle de chacun, revenir sur ces notes pour constater évolutions, compulsions et, le cas échéant, réfléchir à leur dépassement. L'une des richesses du cours double est bien de disposer d'une seconde année pour vivre avec un groupe et mieux l'accompagner.

 

Deux éducateurs par classe, c'est un minimum

A Marseille, misère est faite aux enfants des écoles maternelles. Dans notre PS/MS, l'aide maternelle (ATSEM) intervient de 8h20 à 10h10 en classe et pendant la sieste. Après ? Le maître se débrouille seul, en ZEP, avec 27 enfants. Quelle estime a-t-on des enfants, de la pertinence du travail de classe pour accompagner les plus démunis?

Pourtant, la coopération ATSEM/Enseignant ne va pas de soi. Elle est biaisée du fait de leur asymétrie sociale. D'injustes et cruelles disparités polluent leur liaison, différences de cursus, de salaires, d'appartenance de classe. Tout les sépare et nous renvoie à l'époque des employées de maison et des nurses. C'est simple, à Marseille, elles s'appellent toutes « Tata ». D'autres formes de doublettes pourraient être imaginées. Par exemple, un roulement d'enseignants en formation serait bienvenu pour apprendre le métier en mettant la main à la pâte. Le maître n'a pas besoin d'un serviteur en classe, mais les enfants décuplent leur potentiel d'apprentissage par le tandem de deux éducateurs. Un seul travaille dans l'urgence. Pour peu qu'un incident arrive, un pot de peinture se casse, de la colle se renverse, un enfant est malade et plus rien n'est possible. Ce duo est indispensable au sérieux du travail éducatif en maternelle. Ne pas le respecter, c'est mépriser cette école. Le maître et l'ATSEM sont condamnés à travailler main dans la main pour le bien des enfants.

 

Importance du beau

Jamais en début de carrière, je n'aurais cru privilégier, un jour, le beau dans ma classe. Les critères du beau sont tellement subjectifs. J'imaginais plutôt un atelier d'usine ou mieux, une imprimerie. Alors, précisons. J'entends par là, un espace n'ayant pas la froideur d'un hall de gare, l'anonymat d'une consigne où sont amoncelés des cartons, des travaux, des outils inutiles. Faire d'une salle de classe de 60 m2 un milieu riche demande de l'ingéniosité. Aucun superflu n'est de mise. Le travail de pré-paration du maître, c'est passer régulièrement en revue le moindre élément contenu dans sa classe, sur les étagères, dans et au-dessus des armoires. Ranger, éliminer, sortir, ré-alimenter, le matérialisme pédagogique prend vie dans cette agitation-cogitation . Le « beau », cela peut être le pratique dans une logique accessible à la collectivité : les enfants doivent savoir et mémoriser facilement où se trouvent le matériel autorisé, les espaces interdits (réserve, bureau). Est belle, une classe chaleureuse comme une maison d’ami, un lieu où l'on a envie d'entrer, de rester, où l'on se sent bien, avec un affichage pertinent, régulièrement renouvelé, des coins où l'on a envie de jouer, un espace-bibliothèque où l'on a envie de s'installer. Bref, un espace qui ne génère ni ennui, ni désir d'évasion.

Pour jouer sa fonction active de partage d'une culture commune à la classe, l'affichage doit être dynamique, il ne supporte pas les dessins trop anciens, ridiculement petits, accrochés sans goût. Un truc tout simple : encadrer les peintures d'un trait épais au marqueur ou au pastel, écrire en gros le nom de l'auteur, la date, ça appelle tout de suite le respect.

 

Le tour de parole en réunion

Avec des enfants de 3 ans, inutile d'être trop ambitieux en matière de communication orale en grand groupe. Il est bon d'amadouer les enfants, de les apprivoiser en établissant une relation de confiance et de respect. Ne pas les brusquer est prioritaire. Le forçage a souvent des contre-coups néfastes. Certains enfants ont besoin de temps pour se sentir en confiance dans l'univers scolaire et se dévoiler. En PS, certains n'accèdent pas encore au langage oral en société. Ils parviennent à se faire entendre de leurs proches mais ne maîtrisent pas encore le code. Cela se régularise généralement en Grande Section où les plus timides parviennent à surmonter leurs craintes. C'est un processus naturel.

Pour la réunion du matin, les enfants sont assis sur le pourtour d'un linoléum d'environ 9 m2. Le maître est parmi eux et propose successivement à chaque enfant de prendre la parole. Généralement, la règle est d'accorder la parole à tour de rôle. Ensuite, ceux qui souhaitent encore s'exprimer sont invités à demander la parole en levant le doigt. Cette technique de prise de parole exigeant une plus grande maturité est donc introduite progressivement. Les enfants se l'approprient quand ils en ont la capacité.

Durant la réunion du matin, la parole est libre. Comme plus tard dans les textes libres, nous avons remarqué l'utilisation d'une phrase de référence sécurisante. Cette année, par exemple, c'est une phrase prononcée par un élève lors d'une réunion de rentrée, du type : « J'ai pris le bateau avec mon papa. On est allé au Frioul. Puis, on est revenu. » Depuis, une multitude de variantes sont déclinées : «  Dimanche, je suis allé au port avec mon papa. On a fait un tour de bateau. » ; « J'ai fait du bateau avec maman et je me suis baigné. »... D'autres enfants, plus à l'aise à l'oral, se lancent vers des horizons plus périlleux, certains rapportant des faits concrets, d'autres, plus rares ( 1/7) osent imaginer des aventures. Le maître est là encore pour guider, éviter les compulsions, les dominations, protéger les plus faibles.

L'amplification de la voix, son enregistrement peuvent être des déclencheurs ou des outils de redynamisation de la parole.

 

Ranger et (se) construire

Le rangement est crucial en Petite Section. D'une part, il est sécurisant car il facilite le repérage dans l'espace. D'autre part, il participe de la structuration et de la construction de la personne. L'apprentissage de la vie démocratique passe par la possibilité de s'approprier l'espace classe en sachant où se trouve le matériel accessible, les espaces réservés à l'enseignant (réserve, bureau du maître, certains ouvrages fragiles, certains matériaux et outils utilisables seulement en compagnie d'adultes, etc.). Participer au rangement facilite cette appropriation. C'est un long apprentissage impliquant une lente maturation, la prise de conscience de son intérêt pour les autres et pour soi-même. Impliquer les enfants dans le rangement procède d'une co-construction. Si l'on prend l'exemple du « coin cuisine », la dimension éducative repose sur son organisation rigoureuse. Chaque jour les enfants le redécouvrent dans un ordre toujours identique. Ainsi le jeu peut commencer. Les enfants investissent l'espace et les objets. Ils jouent des situations, étant autorisés à modifier l'ordre matériel initial. Dans l'action, des évènements symboliques se jouent, échange de gestes et de paroles. Les enfants se construisent en désorganisant et en réorganisant l'espace et les objets. En fin de partie, associer les enfants à la remise en ordre est formateur à plus d'un titre. Ce moment de bascule circonscrit le temps ludique de l'imaginaire. La valorisation de la participation des enfants à l'organisation de la classe encourage le retour au réel. Ranger, c'est coopérer.

 

La peinture

Trente ans d'expérience en école banale me permettent de l'affirmer, la plupart de mes élèves auront rarement l'opportunité, au cours de leur scolarité, de peindre régulièrement (une semaine sur deux) et librement sur des feuilles de 120 grammes (minimum) de format A3 (minimum). C'est une raison suffisante pour accorder à l'atelier peinture une importance incontournable. Depuis de nombreuses années, j'ai adopté des brosses rondes et plates de dimensions variées, de bonnes gouaches aux couleurs vives disposées dans des barquettes contenant une dizaine de petits pots bébé dont le contenu (un doigt de peinture non diluée) est renouvelé très régulièrement. Je suis particulièrement vigilant et présent dans cet atelier. Je veille : interdiction pour certains, autorisation pour d'autres de mélanger les couleurs, de superposer des couches, obligation de « remplir sa feuille » pour untel. Souvent cela relève de l'implicite, de l'entendu entre le maître et l'élève. Les enfants sont traités avec une égale attention, mais les exigences diffèrent. Elles sont adaptées. C'est cela, non, l'individualisation des apprentissages ?

Pour sécher, les peintures sont suspendues par des pinces à linge percées dans leur travers (vieille technique de séchage des feuilles à l'ère de l'imprimerie). Le lendemain, tampon de la date et certaines œuvres sont sélectionnées pour être montrées au groupe puis affichées. Les autres classées par ordre alphabétique dans un carton et distribuées tout au cours de l'année à chacun, lorsque le carton est plein. Comme pour l'ensemble des activités de la classe, il n'y a pas de passage obligé par la case peinture.

 

Lire, lire, lire encore ...

En PS/MS, pour l'enfant lire, c'est apprendre à feuilleter observer et écouter attentivement, reprendre des albums et se remémorer le récit, les évènements. Pour le maître, c'est transmettre l'idée d'un effort de concentration. Une certaine quiétude est nécessaire à ces gestes. Capter l'attention d'un groupe d'une trentaine d'enfants de 3 à 4 ans est une gageure. Laisser de côté le temps d'un livre, les histoires avec les voisins, le copain, faire silence, ne pas interrompre un récit au risque de démobiliser l'attention ou de couper une histoire en cours, demander son tour de parole lorsqu'il s'agit de réagir, appellent des règles précises et ritualisées.

Très tôt dans l'année, les enfants aiment écouter, suivre le récit au fil des illustrations. Quotidiennement, le maître lit des albums. Les premières sorties possibles, c'est pour se rendre à la bibliothèque de quartier. La présence de MS justifie et stimule l'intérêt pour des ouvrages plus ambitieux. L'après-midi, quand la plupart des petits dorment, les albums lus sont plus longs, plus élaborés. Le coin bibliothèque est bien achalandé, les livres en accès libre. Ils sont rangés parfois plusieurs fois par jour, le fonds est régulièrement renouvelé, les albums restaurés. Comme à la maison, il y a des bestsellers, ces livres demandés et bissés jusqu'à plus soif. S'amuser à se faire peur, retrouver le plaisir de la première fois, les rires ou les émotions du groupe, connaître, apprendre l'histoire par cœur, anticiper le récit, cette gratification de l'être cultivé. Pourquoi s'en priver ?

 

Naissance de l'écriture

En PS, au cours de l'année, des lettres (souvent celles du prénom de l'enfant) apparaissent dans ou comme du dessin libre. Généralement, l'enfant les répète comme il répète toujours ce qu'il est en train d'apprendre, pour le fixer. Par période, les mêmes lettres reviennent sous sa plume. Dans une PS/MS, les lettres arrivent plus rapidement grâce aux MS.

Si l'écriture vient avec le dessin, son apparition ne peut le précéder. Le passage prématuré à l'écriture est l'un des effets pervers du forçage scolaire ou parfois familial. En toute logique, l'enfant tâtonne en dessin, parvient à des représentations symboliques avant de s'attaquer, vers 4 ans au dessin de lettres, le graphisme, pour commencer à 5 ans à réfléchir à la signification de signes alphabétiques rassemblés en mots. Ce temps de maturation chronologique disparaît en raison de l'inquiétude autour des programmes. Il faudrait sortir de la maternelle en sachant écrire son prénom en cursive, sans parler des exigences des évaluations départementales de grande section5.

Dans la classe, le sens et l'utilité de l'écriture sont évidemment mis en valeur par l'affichage des prénoms, la présence d'albums ou la publication d'un journal.

 

Le journal

Habituellement, les journaux sortant de ma classe ou de mon école, puisque je suis aussi directeur, cultivent plutôt l'image de marque comme une sorte de vitrine. Les parents en sont fiers, ils les font circuler dans la famille, ils les archivent. Les enfants en tirent gloriole. Pour l'école, c'est une preuve de modernité6 de ses techniques-actives-faisant sens - liant TICE - expression – graphisme. Bref, c'est tout bénef. Mais éduquer m'oblige à me contredire. Je dois l'avouer, cette année, sans vraiment l'avoir désiré, le journal scolaire est une clé principale du travail dans ma classe. Nous en tirons un numéro par quinzaine. Jusqu'à présent, le journal avait une place secondaire. Je lui trouvais bien des défauts, sa lourdeur, l'obligation à la censure et à l'auto-censure ou, au contraire, son exhibitionnisme... Alors d'où vient un tel changement d'approche ? Cette année, j'ai la chance de suivre 13 enfants de Moyenne Section. Grâce à eux, la rentrée a été facilitée. La mise en route de la classe a été rapide. De 13 heures 30 à 15 heures, la plupart des PS font la sieste. Les 13 MS commencent à maîtriser la symbolisation graphique. Certains après-midi, ils s'attèlent au journal (un recueil de dessins commentés) avec l'exigence de devoir être compris par le lecteur grâce à l'usage de signes lisibles par tous et partout, nécessité objective.

 

Le partage des cultures

« Tout savoir doit être enseigné comme culture au sens de Bruner. C'est à dire enseigné dans un récit qui lui donne sens, articulé à l'histoire de ceux qui l'ont construit, remis en perspective au regard d'un environnement notionnel et civilisationnel, repris dans une démarche de création personnelle et collective. »7

Aussi longtemps que nous porterons l'utopie d'une école républicaine, nous ne pourrons réduire les êtres humains et leurs cultures au dérisoire concept de socle. Les cultures sont plurielles et aux antipodes de cet inventaire d' « incontournables fondamentaux ». Comme si l'humanité dépendait soudain de ce formatage de base pendant les quinze premières années de la vie, au risque d'inhiber définitivement toute volonté du sujet culturel. Les sept piliers du socle font violence à ceux pour lesquels cette culture est extérieure, étrange, étrangère. Certains enfants du peuple doivent se livrer à un processus d'acculturation. Ils doivent faire place nette dans leur esprit pour engranger artificiellement la culture de l'école. Mais la greffe prend difficilement. Depuis ses origines, le projet d'une école républicaine se fracasse sur cet écueil. L'école impose à tous la seule culture de la classe dominante. Elle la fonde, elle la reproduit. Pourtant, l'enfant de trois ans est indéniablement pétri et porteur d'une culture8 distincte. Les passerelles culturelles foisonnent en PS. Les petits écoliers sont réceptifs à l'altérité. Les habitudes n'y font pas encore obstacle. La PS/MS est le lieu de toutes les ouvertures musicales, linguistiques, picturales, chorégraphiques... Une ambition culturelle forte donne sens au savoir. Concrètement, en école maternelle, cela passe par la mise en commun des cultures reçues à égalité. Le maître distingue chacun, (re)cueille les apports individuels, les raccorde à ceux des autres, à ce qu'il sait et souhaite transmettre, c'est son rôle. Et la classe rebondit intelligemment, se forge une culture partagée.

 

Marseille, 2014

Jean Astier

1Expression empruntée à Paul Le Bohec, par opposition à la sacro-sainte « préparation » de classe de mise dans l'Education Nationale.

2 Freinet Célestin, Œuvres pédagogiques, Seuil, 1994. Tome 1 : L’éducation du travail (1942-1943)

3 Imbert F. L'inconscient dans la classe, Paris, ESF, 1996.

4Montagner H. L'enfant et la communication,Dunod, 2012

5http://www.tice1d.13.ac-aix-marseille.fr/evaluations/doc_EVALDEP_12-13/EVAL_FIN-GS_ELEVE_2012-2013.pdf

6Les journaux scolaires existent depuis seulement un siècle! Après tout, c'était hier, à Vence...

7Philippe Meirieu, Tout savoir doit être enseigné comme une culture, Entrtien avec Jean Michel Zakhartchouk

www.meirieu.com/ARTICLES/socle.pdf

8 Pour l'UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Conférence mondiale sur les politiques culturelles- Juillet/Août 1982.