Raccourci vers le contenu principal de la page

logo blog Le Groupe Français d’Éducation Nouvelle et nous, 1er janvier 1938

 En réponse à la résolution prise lors d’une réunion nationale du G.F.E.N., Freinet renouvelle ses préoccupations sur le devenir du travail avec le Groupe s’il ne devient pas plus actif et représentatif dans les sections départementales et au premier degré.  

 
Dans le n° 2 de l’E.P. nous avons cru devoir mettre nos camarades au courant des discussions poursuivies à Bellevue, durant la journée d’Éducation nouvelle du 1er août. Selon notre habitude, nous avons tenu à mettre nos lecteurs en face des problèmes sans rien masquer de leur acuité.

Au Groupe Français on s’est quelque peu ému de quelques passages de cet article et il en a été discuté dans une récente réunion à laquelle je n’ai malheureusement pas pu assister. J’avais envoyé cependant une longue lettre explicative dans laquelle je maintenais en tous points la forme et le fonds de mon court rapport en disant encore une fois la nécessité urgente pour le Groupe de travailler et de réaliser s’il voulait répondre aux aspirations des cercles toujours plus importants d’éducateurs s’intéressant à l’éducation nouvelle.
Voici la résolution publiée à ce sujet à l’issue de la réunion du 9 décembre du Groupe Français :

•••

   COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 9 DECEMBRE 1937

 A propos du compte-rendu publié dans « l’Éducateur Prolétarien » sur la réunion qui a rassemblé, à Bellevue, en juillet dernier des amis de l’Éducation nouvelle, dont plusieurs d’ailleurs n’appartenaient pas au G.F.E.N., M. Wallon croit nécessaire de relever certaines inexactitudes d’où pourraient résulter des malentendus qu’il est évidemment dans les intentions de M. Freinet lui-même d’éviter. 

Loin d’avoir, comme le dit M. Freinet, manifesté de l’inquiétude au sujet de son activité pédagogique. Mlle Flayol et M. Wallon l’en ont publiquement félicité. Mais comme il invoquait cette activité pour se faire réserver à lui et à ses amis de l’enseignement primaire les questions relatives à la pédagogie du premier degré, on lui a fait remarquer le morcellement qui en résulterait et qui est tout à fait contraire aux conceptions les plus modernes sur l’évolution de l’enfant et sur les besoins de son développement harmonieux, personnel et total. La réunion n’avait d’ailleurs pas qualité pour modifier la structure du Groupe.

 Quant à la menace dont M. Freinet avait appuyé sa demande de faire démissionner ses amis, il ne s’agissait évidemment là que d’une boutade sur laquelle il est inutile d’insister.  D’autres membres du Groupe ont dit le malaise que leur avait causé l’article de Freinet. Des explications échangées il résulte que liberté appartient à tous et à chacun de combiner à des préférences pédagogiques telles préférences politiques, philosophiques ou religieuses. Mais le Groupe Français d'Éducation Nouvelle n’est responsable que des décisions prises officiellement par lui et publiées comme telles dans le « Bulletin du Groupe Français d’Éducation Nouvelle » et dans « Pour l'Ère Nouvelle ». Tout le reste relève de la simple liberté de discussion.

Le G.F.E.N. profite de cette occasion pour rappeler son ferme propos de réunir, d’aider, de soutenir, tous ceux, individus ou groupements qui travaillent au perfectionnement ou a la propagande des méthodes d’éducation nouvelle quelles que soient leurs convictions religieuses, politiques, philosophiques, etc. et par ailleurs leurs activités au sein d’autres groupements. Il ne prononce d’exclusive pour aucune méthode, pour aucune catégorie d'enfants, pour aucun milieu. Il demande à ses membres — dont chacun travaille dans son milieu, avec sa foi ou ses espoirs, avec ses techniques — d'accepter qu'à côté d’eux d’autres travaillent dans des milieux, avec des croyances et des techniques différentes. Il n'est inféodé à aucun parti politique laissant chacun de ses membres se réjouir de voir réalisé ses vœux d'éducation nouvelle par son parti ou regretter qu’ils le soient par un autre.
L’influence et la part d’autorité de ses membres sont dues à la valeur de leur travail dans le domaine de l’éducation, non à leurs croyances ou leur parti et il est juste que les meilleurs ouvriers soient plus écoutés et plus étroitement associés à la direction, sans pourtant disposer jamais d'un monopole.

•••

 Je ne ferai à ce sujet que deux courtes mises au point.

1) Je n’ai jamais demandé à me faire réserver à moi et à mes amis les questions relatives à la pédagogie du premier degré. Comme si nous avions pu avoir quelque avantage à ce privilège.
J’ai simplement constaté un fait, regrettable d’ailleurs : que, lorsqu’on parle d’éducation nouvelle dans les départements, c’est toujours notre mouvement qui est là, à la besogne ; lorsque des éducateurs œuvrent pour ce mouvement, comme par hasard, ce sont toujours des fidèles de notre Groupe; lorsqu’il s’agit de mener un enquête pédagogique, d’organiser conférence ou exposition, ce sont encore des membres de notre Groupe qui s'en chargent. De ce fait l’action pour l’éducation nouvelle dans les départements risque toujours d’apparaître comme trop directement influencée par nos réalisations. Et c’est ce que craint le Groupe Français qui a raison d’ailleurs de rappeler qu’il reste largement ouvert à toutes les idéologies et à toutes les tendances.
Mais nous sommes en face d’un fait. J’ai fait moi-même appel à la collaboration : connaissez-vous quelque éducateur actif et dévoué, hors de notre Groupe, susceptible de s’occuper, non pas en dilettante, mais avec cœur et persévérance des grandes questions que le Groupe devrait mettre d'urgence à l’étude ? Et nous reposons la même question, car on aurait tort de croire que nous recherchons et que nous cultivons le redoutable monopole de l’éducation nouvelle dans l’enseignement primaire où il y a tant à faire.
Mais si, malgré nos recherches, pas plus que dans le passé, nul ne se présente pour la besogne sans brillant et sans gloire qu’il nous faut mener tout au long des jours, comme il est cependant indispensable, pour notre marche en avant, d’étudier les grandes questions connexes d’actualité, eh bien, nous serons à la tâche.
Mais nous nous demandons pourquoi cette besogne devrait être faite comme clandestinement par nous, comme s’il fallait laisser croire que d’autres que les adhérents de notre Groupe ont collaboré à notre travail lorsque cela n’est pas ? Pourquoi continuerions- nous à masquer notre activité alors que nos réalisations, aujourd’hui connues de tous les éducateurs, imprègnent directement la réorganisation en cours de l’enseignement primaire.
Nous demandions au Groupe Français de donner au Groupe de l’Imprimerie à l’École autorité pour mener en son nom toutes enquêtes concernant l’Éducation nouvelle. Notre Groupe, nos adhérents, se seraient mis alors, officiellement au service d’un mouvement pour lequel, sans rien abdiquer de leurs préoccupations, ils auraient su encore se dévouer généreusement.
Il reste bien sûr que nos camarades sont libres de donner au Groupe toute l’activité dont ils sont capables, et nous les y convions avec insistance. Mais il y a loin de là à l’action cohérente et ordonnée que nous aurions voulu mener, par notre Groupe, au nom du Groupe Français, Et il y avait tout à faire.
On a eu peur de l’influence de notre Groupe. Résultat : aucun travail d’aucune sorte n’est amorcé pour l’enseignement primaire. Et cela est grave : car, nous ne craignons pas de le répéter, un Groupe d’Éducation nouvelle ne peut vivre et prospérer que s’il travaille, s’il réalise dans le sens de l'éducation nouvelle.
2) Je n’ai pas menacé de faire démissionner mes amis. Ceux-ci sont absolument libres de leurs actes et je n’ai aucune autorité pour les faire se séparer de telle ou telle organisation. Je ne suis jamais intervenu dans ce sens auprès d’aucun de nos camarades qui sont suffisamment éduqués pour savoir où vont leurs intérêts.
J'ai été seulement le porte-parole de centaines de camarades et j’ai dit : j’ai fait campagne au cours de l’année pour la constitution de Groupes départementaux d’éducation nouvelle. Mais nos camarades supposent naturellement que ce Groupe agira et réalisera selon leurs aspirations. Dans le cas contraire, comme je prévois les déceptions, je ne pourrais pas tromper davantage nos membres et les pousser à adhérer à une association au dynamisme insuffisant. Si le Groupe Français veut travailler, nous serons nombreux à nous dévouer pour lui. Dans le cas contraire, nous serons contraints de chercher une autre forme d’organisation nationale.
Il ne s’agit là ni d'une menace ni d’une boutade, mais simplement de l’expression évidente de ce que pensent, de ce que veulent tous les camarades qui, à notre appel, se sont lancés dans le mouvement d’éducation nouvelle. La menace ce n’est pas moi qui la brandis. Je la formule. Mais elle reste une menace de fait : les éducateurs d’avant- garde ne sauraient s’accommoder d’une organisation nationale qui pour des questions de formalisme intérieur, craindrait de se lancer dans la lutte et le travail.
Nous ne réclamons aucun privilège. Nous sommes totalement d’accord avec les paragraphes suivants de la résolution votée. Mais nous ne voudrions pas non plus que, pour ne pas déplaire à quelques éléments dont l’appui à notre mouvement est plus qu’aléatoire, on se refuse à considérer la puissance dynamique d’un Groupe qui a montré pratiquement ce qu’il était capable de réaliser.
Nous le répétons avec quelque angoisse : le Groupe Français est-il disposé à travailler dans l’enseignement primaire, même s’il doit faire appel pour cela à la collaboration avouée des adhérents de notre Groupe ? Dans ce cas-là nous sommes totalement à sa disposition, et nous ne tirerons pas la couverture à nous, car cc qui nous importe avant tout c’est la marche en avant.
Dans le cas contraire, soyez persuadés que je ne serai pas seul à faire des réserves, à proférer des menaces sérieuses, et à chercher, s'il le faut, la possibilité de réaliser nationalement, malgré toutes les défaillances, les aspirations des éducateurs populaires.
•••

 Nous ne voudrions pas que les dirigeants du Groupe Français puissent croire à une quelconque manœuvre de notre part; nous voudrions encore moins que nos adhérents puissent nous reprocher un jour un silence nuisible à la grande cause de l’éducation nouvelle populaire. C’est notre sort de lutter, de protester, de déplaire parfois. Nous nous y résolvons parce que nous voyons là la condition nécessaire de notre marche en avant. Que ceux qui auraient tendance peut- être à nous reprocher l’âpreté de nos critiques veuillent bien considérer qu’elles nous coûtent à nous aussi mais que seul doit compter le progrès général de l'éducation nouvelle populaire.

 

Célestin Freinet

 
L’Éducateur Prolétarien, n° 7, 1er janvier 1938 dans son intégralité