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Janvier 1959
Il existe à Genève un «boulevard des philosophes». î! y en a peut-être ailleurs de ce nom. Mais il y avait aussi un boulevard des «petits philosophes». Peut-être a-t-on voulu dire un petit boulevard voisin de celui des grands philosophes ? En tout cas, je n'en ai vu de pareil dans aucune autre ville !
Les grands philosophes ? Platon, Aristote, Leibniz... Il y en a bien d'autres. Les uns se situent si haut dans les nuages, ou au-dessus, qu'on n'y comprend rien. Tout au moins moi. D'autres sont clairs, mais dépassés à notre époque.
Quant aux petits philosophes, il y en a en abondance. C'est vous, c'est moi. Vous les trouverez dans les « Dits de Mathieu ». Leur philosophie est identique au «bon sens», tout simplement.
Soyons sérieux. Je pense qu'il s'agit ici du sens de la vie. Le mot « sens » veut dire deux choses : signification (linguistique et logique) et orientation. Or, la vie se dirige dans un sens : vers le haut. Comme l'herbe, comme les arbres. Mais ici, le « haut » est du domaine de la pensée claire, de plus en plus claire et de plus en plus vraie. Chez les enfants, l'image de la plante se vérifie de façon imagée. Les racines, ce sont les connaissances de plus en plus nombreuses qu'il leur est donné d'acquérir. Donnez-leur une bonne terre, assez d'eau, assez de soleil et elles pousseront. Je dis : assez ; pas trop. L'école traditionnelle impose trop de choses indigestes à l'enfant. Trop pour son âge, sa capacité d'apprendre, son désir de savoir — qui est monumental chez les tout- petits, — ses intérêts vivants qui vont vers l'agir et non le savoir. Ou bien disons : le savoir agir. Un lien s'établit très tôt, à quelques mois, entre les yeux, les mains et le cerveau. Le petit a-t-il bougé ? Son siège s'est-il secoué ? Il a vu, compris et recommence volontairement. Grande joie.
La joie est le signe du progrès.
Voilà le noyau vivant et réel de la philosophie de l'éducation. Car, à la curiosité vers les choses multiples de la vie, de la vue, de l'ouïe, de la compréhension, va succéder la tige qui, à l'inverse de la racine, tendra vers le ciel, vers le soleil ; je veux dire la pensée qui cherche les rapprochements d'idées, les synthèses, la science. C'est le grand bouillonnement de l'adolescence. Mais cette compréhension (mot qui est parent du verbe : prendre) naît déjà beaucoup plus tôt. Et l'adulte, s'il a gardé le goût de réfléchir, montera plus haut encore, sur l'échelle du savoir, de l'action orientée par la science.
C'est bien là, je crois, ce qu'on peut appeler la philosophie de l'Ecole Moderne. Ne pas tuer le vouloir savoir, apprendre à chaque enfant à vivre, à agir, à croître !
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