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La force morale de notre groupe

Octobre 1932

L’IMPRIMERIE A L’ECOLE

La force morale de notre groupe

Avant de repartir hardiment pour l'année qui commence, nous devons à nos adhérents et à nos lecteurs un compte rendu spécial des importants Congrès d'août qui ont montré d'une façon éclatante et notre force morale et les résultats déjà tangibles de notre action.
Nos camarades savent dans quelles conditions difficiles s'est réuni notre Congrès de Bordeaux. Nous n'avons certes par redouté un instant le jugement de nos adhérents, mais nous avions une ambition plus haute que de nous justifier personnellement : nous voulions continuer la tradition de notre Coopérative et grouper à nouveau, sur les questions importantes et vitales de notre Congrès, non pas une majorité statutaire, mais une unanimité susceptible d'encourager et de renforcer notre action à venir.
Nous avions raison d'avoir pleine confiance. Si quelques camarades mal renseignés étaient d'abord hésitants, les explications totales données par le C.A. sur toutes les questions portées à l'ordre du jour ont rassuré tous les assistants. Et c'est à l'unanimité moins une abstention, que l'ordre du jour final qu'on lira plus loin a été, voté.
Nous ne pouvons qu'être pleinement satisfaits de ce résultat. Il montre la puissance idéologique et tactique de notre position : comme les années précédentes nous n'avons rien abdiqué ici de nos conceptions sociales ou syndicalistes ; nous avons répété bien souvent encore pourquoi nous voulons mettre la pédagogie au service de l'école populaire et quelle nous parait être la voie sûre du renouveau pédagogique. Nous n'avons à prononcer aucun acte de foi mais seulement à rester nous mêmes, avec notre classe, décidés à dire ce que nous voyons, ce que nous pensons, ce que nous vivons sans égard pour les marchands et les politiciens que notre franchise pourrait blesser.
L'expérience a montré que, par des¬sus les partis politiques et les groupes syndicalistes, cette formule pouvait animer, en une sorte de front unique permanent, tous les éducateurs honnêtes, dévoués à leur classe, aux enfants de leur classe et décidés à chercher, sur la voie révolutionnaire les solutions définitives aux graves problèmes que la décadence capitaliste rend chaque jour plus tragiques.
On ne manque pas, on manquera encore moins à l'avenir, d'essayer en toute occasion de nous couper de la masse enseignante en nous présentant comme un épouvantail révolutionnaire. Aussi tenons nous à préciser encore une fois dans ce numéro de lancement que, coopérative légalement constituée, ne pouvant pas faire de politique, nous accueillons fraternellement tous les camarades qui souscrivent nos statuts. Mais cette neutralité politique ne signifie nullement que nous devions nous mettre servilement aux ordres d'un gouvernement, d'une classe, d’un trust. Nous resterons décidés à œuvrer pour que nos camarades éducateurs prennent toujours davantage conscience des nécessités actuelles, qu'ils jugent sainement des questions diverses qui les sollicitent et qu'ils nous aident à jeter dès aujourd'hui les fondements de l'école nouvelle prolé¬tarienne.
Nous ne vous présentons aucun credo ; nous ne vous imposerons aucune théorie. La discussion est toujours libre et bienfaisante au sein de notre groupe, mais notre véritable crédo c'est l'action. Ceux qui vivent ce sont ceux qui agissent et pour agir il faut d'abord, et toujours, lutter.
Nous avons dépassé les cinq cents adhérents. Nous devrions dépasser les mille cette année.
Camarades qui nous lisez, soyez des nôtres, puis, autour de vous, faites connaître notre action.
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Il ne faut pas croire cependant que ces discussions pour ainsi dire théoriques, aient accaparé tant soit peu notre Congrès. Nous leur avions réservé notre dernière séance après avoir consacré deux jours entiers à l'examen approfondi, attentif et sérieux, des nombreuses questions soumises à notre Assemblée générale.
A la lumière de ces discussions, guidés par ¬les décisions prises, il nous sera plus facile de poursuivre, au cours de l'année qui commence la tâche chaque jour plus impressionnante que nous avons entreprise.
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Le Congrès de Nice, de la Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle nous fut à nous mêmes une révélation du rayonnement que, malgré le silence unanime de la presse, nous a valu le travail méthodique et hardi de ces dernières années.
On a dit, et la Révolution Prolétarienne a écrit, en un style énigmatique : Freinet a quitté le Congrès de Bordeaux pour se rendre à un Congrès bourgeois à Nice.
Non délégué au Congrès de la Fédération, j'ai personnellement quitté Bordeaux lorsque notre Congrès a été terminé et l'exposition pédagogique installée. Nous sommes d'ailleurs nombreux à avoir assisté au Congrès bourgeois de Nice, et nous ne le re¬grettons pas.
Il est d'ailleurs abusif d'appeler Congrès une importe manifestation qui a été avant tout une rencontre de plus d'un millier d'éducateurs des divers points du globe. Nous avons seulement eu le tort, à notre avis, de sous-estimer le libéralisme qui y a présidé et de ne pas en avoir tiré, pour notre cause, tout le bénéfice possible
Nous avions ici même, en fin d'année, donné notre opinion sur la Ligue et sur son Congrès, afin d'aider nos camarades à se dépouiller des œillères pacifistes qui pouvaient les laisser croire encore aux possibilités de paix par l'éducation en régime capitaliste. Il est malheureusement avéré que, de bonne foi, de nombreux pédagogues en sont encore à cette conception progressiste que les événements journaliers sapent irrésistiblement. Leurs conférences ont été le reflet de ces croyances et il a été salutaire pour tous les auditeurs, et pour la pédagogie en général que partout nos camarades puissent prendre la parole pour ponctuer les contradictions nées de cette incompréhension sociale des possibilités pédagogiques.
Cette incompréhension a d'ailleurs été bien moins générale que nous n'aurions pu le supposer et la campagne que nous menons dans ce sens depuis plusieurs années n'aura pas été inutile. Il y avait au Congrès une importante proportion de camarades qui, en contact direct, chez eux, avec la misère prolétarienne, ne pouvaient se résoudre à voir traiter avec cette indifférence scientifique, hypocritement bourgeoise, ce qui constituait le thème même du Congrès : l'Education dans ses rapports avec l'évolution sociale.
Le Congrès pédagogique de Saint-Paul, a permis justement à ces critiques de se faire jour, de se concrétiser pour s'affirmer ensuite dans les diverses réunions du Congrès.
Il faut avoir connu l'organisation chaotique du Congrès de Nice, la multiplicité des conférences, cours, visites, discussions, qui s'imposaient aux éducateurs pour comprendre les difficultés que nous allions rencontrer pour emmener, pendant tout un jour, des groupes de camarades à Saint Paul.
Et pourtant, le 7 août au matin, des cars spéciaux amenaient sur la place du village près d'une centaine de camarades adhérents ou sympathisants parmi lesquels Roger Cousinet, Mme Guéritte, Delaunay, F. Dubois, Lucien Welens, Lebbe, Mlle Jadoulle pour la Belgique, Roubakine pour l'U.R.S.S., Otto Müller Main pour l'Allemagne (R.Dottrens, Suisse, qui avait dû quitter Nice quelques jours auparavant, envoya au Congrès un télégramme, d'encouragements sympathiques). Et à midi un déjeûner amical à la vériré extraordinairement animé – réunissait une soixantaine de camarades heureux de se rencontrer ainsi en intimité dans l'atmosphère familière qui manquait trop à Nice.
Nous n'avons certes pas pu, au cours de cette trop courte journée, largement coupée encore par une attentive visite à l'exposition pédagogique de Saint Paul, amorcer l'intéressante discussion technique que nous nous proposions.
Nous avons essayé de donner à ce Congrès pédagogique de Saint Paul un sens précis : éducateurs prolétariens, souffrant chaque jour de la misère matérielle, intellectuelle et morale qui accable le peuple, nous ne pouvons nous résoudre à faire de la pédagogie purement idéaliste, sans assises solides dans la vie même des enfants. Notre technique, en normalisant dans une large mesure l'activité scolaire, a hautement contribué à nous révéler la voix saine de l'éducation nouvelle populaire.
Nous avons pensé alors qu'il était de notre devoir d'exprimer la pensée de nos nombreux camarades, de dénon¬cer la timidité, et parfois la complici¬té, des congressistes de Nice qui n'o¬saient jamais aborder totalement le véritable thème du Congrès. Nous avons rappelé, par des exemples, hé¬las ! trop précis puisque les visi¬leurs allaient les contrôler sur place comment l'école populaire était ac¬cablée matériellement, administrativement et socialement par le régime ; nous avons dit l'impuissance des théo¬ries et des exhortations en face d'un état de fait logiquement né du capitalisme pour dire enfin notre espoir qu'une profonde rénovation sociale, que l'avènement du socialisme vainqueur en U.R.S.S., viennent rendre possible l'éducation nouvelle que nous rêvons et que nous préparons.
L'approbation enthousiaste de tous les éducateurs présents nous assura que ces saines et vigoureuses paroles avaient besoin d'être dites et il en résulta pour la journée une atmosphère nouvelle, parce que nous avions extériorisé le solide lien prolétarien qui unit nos efforts et motive notre activité pédagogique.
Après une longue et passionnante visite à l'exposition de Saint Paul, la discussion fut reprise et, malgré notre désir de la consacrer à l'étude des questions coopératives, ce sont les grands problèmes sociaux pédagogiques évoqués le matin qui en ont été l'objet.
C'est dans une atmosphère de parfaite cordialité que Roger Cousinet nous exposa les fondements de sa méthode, que Fernand Dubois, si souvent cité ici, nous parla de la méthode Decroly et répondit à nos critiques. Otto Muller Main fit comprendre à tous la nécessité d'une action pédagogique systématiquement internationale et Roubakine enfin parla de l'éducation en U.R.S.S. sujet passionnant qui aurait pu, à lui seul, occuper plusieurs journées du Congrès et qui, sous la pression de nombreux camarades devait du moins être brillament traitée par Roubakine en une séance très suivie, quelques jours plus tard, au Palais de la Méditerranée.
L'heure du retour approchait ; les curieux du village envahissaient peu à peu la vaste salle où Roubakine évoquait les grands problèmes du renouveau soviétique, et l'avide attention de tous était comme un hommage silencieux rendu à l'effort révolutionnaire.
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Malgré le peu de temps dont nous avons pu disposer pour la tenue de ce Congrès de St Paul, il nous a été à tous un précieux réconfort. Une sorte de courant idéologique a uni une centaine de bons camarades qui ont senti dès lors les faiblesses et les contradictions du Congrès de Nice ; une sorte « d'esprit du Congrès de St Paul » a imprégné le Congrès International et a permis à nos camarades de s'en retourner avec la conscience d'avoir fait du moins à Nice une besogne de clarification pédagogique sans précédent.
C'est dans ce sens que notre réunion de St Paul a été plus qu'une assemblée de camarades ; elle a été un acte, conclusion naturelle de notre effort passé et de la vigueur de notre action, mais un acte qui a eu sur le Congrès de Nice une influence morale que nous avons eu le tort de sous estimer.
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La réunion d'adhérents et de sympathisants que nous avions prévue pour l'étude approfondie de nos diverses réalisations a eu lieu à Nice le 10 août. Nous avons pu y discuter longuement et utilement du Bulletin, du Fichier de calcul, de la Chronologie mobile d'Histoire de France, de la Bibliothèque de Travail.
Nous y avons aussi défini la position pratique que notre groupe devait prendre au Congrès et nous avons décidé de présenter les motions suivantes qui traduisaient l'opposition des camarades révolution-naires. Sur mandat des camarades de notre groupe, nous nous sommes rendus le lendemain matin, avec notre ami Roger, présenter à Mlle Flayol, d'abord, à M.Langevin, président du Congrès, ensuite, les motions ci dessous.
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PROPOSITIONS DU GROUPE
DE L'IMPRIMERIE A L'ECOLE
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Le VIe Congrès d'Education Nouvelle,
Après avoir entendu les divers discours et communications reflétant les tendances générales de l'éducation nouvelle,
Constatant que ce Congrès a été dominé par les problèmes que pose aux éducateurs la faillite du régime économique actuel ;
Persuadé que l'éducation nouvelle doit nécessairement être élévation harmonieuse et libération maximum, des individus ;
Considérant que les diverses conceptions des rapports normaux entre l'éducation et l'évolution sociale ont pu seulement se faire jour au cours des discussions qui viennent de finir ;
Décide de consacrer l'effort du VIIe Congrès à l'étude approfondie des questions suivantes :
1° « Dans quelle mesure, et par quels moyens, l'éducation nouvelle peut elle être réalisée dans des milieux sociaux basés sur la concurrence, sur l'exploitation, sur la compétition armée ?
2° « Dans quelle mesure, et par quels moyens précis, par quelles méthodes, selon quelles techniques, l'éducation nouvelle peut elle hâter la venue d'un monde nouveau dans lequel l'organisation sociale répondra au maximum aux besoins pédagogiques de la masse des enfants ? »
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Les instituteurs et pédagogues participant au VIe Congrès d'éducation nouvelle,
Venus à Nice pour y étudier et y voir exposés tous les aspects de l'éducation nouvelle dans ses rapports avec l'évolution sociale,
Regrettent que l'expérience russe, qui pouvait être parmi les plus édifiantes pour la compréhension du thème proposé, n'ait eu aucune place, tant dans les conférences que dans l'exposition générale ;
Demandent au Comité de la Ligue de prévoir à l'avenir toutes mesures utiles pour que la pédagogie russe puisse au même titre que les autres pédagogies nationales, participer à nos grandes rencontres internationales.

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En cette période de chômage accen¬tué, alors que des milliers, que des millions d'enfants sont profondément atteints dans leur vie même, il est impossible de discuter des rapports en¬tre l'éducation et l'évolution sociale sans considérer la crise sans précédent qui annihile en partie ou totalement les efforts des éducateurs.
Nous demandons au Congrès de marquer d'une façon tangible qu'il ne peut effectivement se désintéresser de ces graves considérations sociales et nous proposons :
1° Que le reliquat éventuel de ce Congrès soit versé aux organisations ouvrières internationales pour venir en aide aux fils de chômeurs des divers pays ;
2° Que chaque congressiste, à l'issue de la séance, verse une souscription de dix francs au moins, dont le montant sera versé également aux mêmes organisations ouvrières internationales.
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M.Langevin nous accueillit avec sympathie, nous promettant, dans l'impossibilité où on était de faire émettre un vote à un Congrès qui n'avait jamais voté, d'inclure notre demande dans le discours de clôture qu'il allait prononcer le soir même. Pour ce qui concerne les fils de chômeurs, il reconnaissait tout le bienfondé de notre demande et se réservait seulement de soumettre la proposition au Comité pour la réalisation pratique.
Roger dit ensuite la déception des nombreux camarades qui étaient venus à Nice sur la promesses formelle que l'école soviétique y serait représentée. M. Langevin nous assura que la Ligue avait fait tout son possible pour s'assurer la participation soviétique, mais que des raisons indépendantes de sa volonté ne lui avaient pas permis d'aboutir.
Il semblait donc, après cette entrevue, que nous allions avoir satisfaction. Hélas ! Si nous connaissons l'esprit libéral et pacifiste de M.Langevin, nous ne nous sommes jamais fait d'illusion sur la vigueur morale des milieux petits-bourgeois, verbalement pacifiste, conformistes à l'occasion dont la Ligue est la véritable expression et nous restions sceptiques sur la bienveillance du comité à notre égard.
Nous avions bien raison.
La séance de clôture ne fut qu'une mise en scène mondaine où nul n'essaya de tirer de ce Congrès les conclusions qui s'imposaient, où il fallut se congratuler mutuellement, louer le Maire de Nice et aussi le propriétaire du tripot de la Méditerranée et s'assurer, par maintes courbettes, les sympathies officielles des gouvernements qui, de plus en plus, patronnent et subventionnent la Ligue.
M.Langevin ne dit pas un mot de notre première motion. Nous en avons été peinés et déçus car nous avions une autre confiance en la conscience du professeur Langevin.
Nous avons attendu que, du moins, avant la clôture, soit lue notre motion sur les enfants de chômeurs et décidé le geste que nous avions demandé au Congrès. Lorsque, désabusé, nous aurions voulu réclamer contre cet escamotage de demandes aussi naturelles et aussi pondérées, le Congrès avait entonné je ne sais quelle chanson pacifiste en formant la chaîne symbolique que nous avons délibérément rompue car notre chaine est constituée par d'autres anneaux et l'hymne que nous aurions voulu entonner que nous aurions dû entonner c'est notre Internationale.
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Nous pouvons bien apporter ici, sans restriction aucune, nos critiques.
Nous avons, tout au cours du Congrès, participé loyalement à tous les travaux pédagogiques, assisté aux diverses commissions, apporté dans toutes les discussions, mais sans sectarisme, notre point de vue, nous contentant de dire ce que nous croyons, ce que nous savons juste et humain. Mais hélas ! qu'y a t il de plus subversif, en notre époque, que la vérité ?
Qu'un Congrès d'éducation nouvelle, qui se pare d'une renommée de libéralisme, de loyauté dans la recherche pédagogique, d'indépendance idéologique, ait cru devoir brimer l'expression d'une tendance pédagogique largement représentée au Congrès, n'est-ce pas aussi un signe des temps ? On est ou pour la libération populaire contre les exploiteurs ou avec nos maîtres contre toutes les forces d’action et de vie. Après avoir accepté les subsides gouvernementaux, la Ligue se devait en effet de prendre position et de montrer qu'elle saurait aussi, sur le terrain pédagogique, barrer insidieusement la route à l'idéal révolutionnaire.
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Toutes ces observations confirment à merveille le jugement préalable que nous avions porté sur le Congrès de Nice. Nous savions que ce Congres serait une mosaïque de discours et de discussions, d'idées et de suggestions mais qu'il y manquerait le nerf vital qu'une ligne directrice ferme aurait pu suggérer ou imposer.
Il en a été ainsi, en effet. Des idées intéressantes, des conférences au plus haut point instructives données par les maîtres du monde pédagogiques actuel. Mais le visiteur était sollicité de toutes parts, accablé par tant de richesses sans parvenir à s'en assimiler une partie pour son enrichissement personnel. Car ce ne sont pas les idées nouvelles, intéressantes qui manquent à la pédagogie actuelle, mais bien la ligne générale et l'effort constructeur qui feront de cette science une des chevilles essentielles de la rénovation sociale.
Aussi tous les assistants sont ils unanimes à demander pour l’avenir une subordination plus sévère de tous les travaux au thème central du Congrès afin d'aboutir à des conclusions susceptibles de faire avancer effectivement la pédagogie.
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Le Congrès, nous l'avons dit, fut un bon Congrès bourgeois. La Ligue tend malheureusement à prendre de plus en plus et ses congrès de même ¬ une allure officielle dans le monde capitaliste.
Les déclarations de loyauté intellectuelle, même teintées de religiosité, ne nous suffisent pas pour nous persuader de l'action inoffensive de la Li¬gue sur le terrain social.
Il y a des faits patents qui sont là.
Que la ville de Nice ait accordé une forte subvention pour l'organisation du Congrès, qu'elle soit intervenue vigoureusement pour offrir le Palais de la Méditerranée aux congressistes que le Conseil général ait, lui aussi, accordé sa subvention une subvention d'ailleurs plus importante avait été réservée aux gymnastes catholiques qui avaient évolué à Nice quelques semaines auparavant ce sont là de simples mesures commerciales, dont la faveur n'est refusée qu'aux Congrès révolutionnaires. Mais que le Gouvernement français accorde une subvention officielle ; que les divers pays U.R.S.S. exceptée envoient leurs délégations officielles, qui pensent officiellement, qui parlent officiellement, cela ne suffit il pas pour faire perdre à la Ligue, à ses congrès leur caractère initial d'organismes de recherche désintéressée pour le seul progrès de l'Ecole ? Ces gestes sollicités et acceptés par le Comité de la Ligue ne sont ils pas le signe regrettable d'une évolution, d'un tournant définitif : la Ligue se met volontairement au service des gouvernements, au service d'une classe.
Il est de notre devoir de dénoncer cette collusion et de rappeler aux chercheurs sincères qui ont créé et animé la Ligue le péril extrême, la faillite morale et idéologique qui seront inévitablement la conséquence de ces agissements. Nous demandons à tous les éducateurs qui s'intéressent au sort et à la vie de la Ligue de protester avec nous et d'exiger qu'à l'avenir l'association garde son entière liberté pour la recherche hardie des meilleures solutions éducatives, que, sans souci de plaire ou de déplaire aux dirigeants du jour, elle accepte, elle favorise toutes les initiatives, toutes les discussions qui sont dans le sens de l'éducation nouvelle ou bien qu'elle révise alors ses principes de ralliement afin que la bonne foi des éducateurs ne soit pas surprise par des déclarations idéalistes incompatibles avec les tendances nouvelles du Comité directeur.
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Quant à nous, nous voyons une double raison de continuer notre campagne en faveur d'une éducation nouvelle prolétarienne : Les quelques as¬sociations pédagogiques qui avaient, ces dernières années, camouflé sous des apparences libéralistes leurs sympathies réactionnaires, se démasquent peu à peu et choisissent le camp auquel elles croient devoir prêter main forte.
D'autre part, la campagne que nous menons depuis plusieurs années pour donner à la pédagogie populaire tout son contenu social, tout son sens de classe, commence à porter ses fruits les événements aidant.
Non seulement plusieurs conférenciers ont affirmé à Nice des points de vue semblables au nôtre, mais tous les représentants des pays durement touchés par la crise ont affirmé la nécessité de traiter toutes les questions pédagogiques à la lumière des enseignements sociaux et politiques de ces dernières années. L'école, organisme d'évolution pacifique ; la pédagogie en tant que science dégagée des nécessités vitales de la masse du peuple l'éducation, séparée de la vie et soustraite aux pénibles bouleversements de l'heure présente, tous ces beaux rêves de penseurs jaloux de leur quiétude morale s'évanouissent peu à peu.
Il faudra bien que les éducateurs décidés à lutter pour le triomphe de leurs idées se résolvent à regarder en face la stricte réalité, qu'ils comprennent la misère du peuple, qu'ils participent aux luttes de ceux qui prétendent jeter les bases du monde nouveau qu'ils donnent avec nous, au mot éducation toute son ampleur et sa complexité, toute sa « vie ». Il ne s'agit plus seulement d'agiter des idées, d'écrire et de compulser des livres. Les générations que nous devons former attendent de nous que nous leur enseignions l'action dans un monde où l'organisation sociale et politique appuiera inévitablement l'effort de l'éducation.
Plus que jamais, lions l'école à la vie ; tâchons de créer l'école prolétarienne. C'est là une saine besogne de vérité à laquelle tous les éducateurs sincères doivent collaborer.

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Les Expositions
Un effort sans précédent fait pour les expositions de fin d'année, a doublé notre action au sein des Congrès.
Notre exposition de Bordeaux fut facilitée par la proximité de camarades imprimeurs qui, en organisant la salle du Congrès, avaient prévu pour nous un petit hall admirablement placé, qu'ils nous ont aidé à aménager : imprimerie avec nos quatre modèles de presse ordinaires et de luxe - fichiers, dessins, cinéma... Grâce au dévouement de Mlle Meiffret (Var) qui en a assuré la permanence, tous les congressistes ont pu, encore une fois, se rendre compte de nos réalisations.
L'exposition organisée au Congrès du Syndicat National à Clermont Ferrant, sous l'active direction de notre ami Cazanave et avec l'appui des imprimeurs du S.N. a eu un succès qui a dépassé de loin celui des congrès précédents, et qui prouve que la masse des instituteurs, après s'être intéressée en curieux à notre technique, commencent à regarder de plus près, à s'essayer au travail nouveau pour se préparer à nous suivre. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
L'exposition que nous avions organisée à Saint Paul même, dans le lo¬cal coopératif, a eu un succès considérable. Il faut dire que là rien n'avait été oublié : pendant que, en parcourant les salles les visiteurs se rendaient compte de la complexité et de la structure de nos services actuels, ils pouvaient examiner en détail nos diverses réalisations. Le riche stand russe que nous avions organisé avec ses grandes affiches, ses photos couvrant les murs, ses livres d'enfants ses revues impressionnantes a paré dans une certaine mesure à l'absence totale de la pédagogie russe à Nice.
Une salle enfin avait été réservée aux plus beaux dessins d'enfants reçus au cours de l'année. Ce fut pour tous une surprise et un émerveillement.

Plusieurs centaines de visiteurs français et étrangers ont longuement visité notre exposition, et le spectacle d'une nouveauté si originale contribuera certainement à la propagande mondiale en faveur de notre technique.
Nous avons de même pu, étant donnée la proximité de Nice, organiser sans peine ni dépenses excessives un stand qui était certainement un des plus originaux de l'exposition mondiale. Il est seulement regrettable que la direction de l'exposition nous ait relégué dans une salle excentrique, sans aucune indication extérieure, et qu'elle nous ait obligé à partager entre deux salles notre matériel et nos documents.
Malgré cela, et grâce au dévouement de nos camarades Alziary et de tous les adhérents présents au Congrès de Nice, de nombreuses démonstrations ont été faites devant les pédagogues de tous pays, des explications ont sans cesse été fournies. Le résultat en sera inévitablement un accroissement rapide de nos adhérents et de nos abonnés.
Notre ami Bourguignon, délégué au Congrès espérantiste mondial de Paris, y avait organisé une petite exposition de nos réalisations et a pu ainsi faire une sérieuse propagande en notre faveur.
Un de nos plus anciens amis espa¬gnols, Manuel Cluet, présent à notre Congrès de Bordeaux, a également emporté en août le matériel nécessaire pour une exposition et des démonstra¬tions à l'Ecole d'Eté de Barcelone, où un millier d'instituteurs catalans sont venus se mettre au courant des méthodes nouvelles. Il y a rencontré deux propagandistes enthousiastes de l'Imprimerie à l'Ecole : Jésus Sanz Poch et H. Almendros qui travaillent à créer à Barcelone un groupe actif d'imprimeurs dont nous aurons bientôt l'occasion de parler.
Nos éditions et nos réalisations ont, de même, été exposées à la Semaine Pédagogique de Gand à laquelle assistaient plusieurs centaines de professeurs et instituteurs.
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Toutes ces diverses manifestations donnent une idée du rayonnement actuel de l'Imprimerie à l'Ecole et des diverses techniques coopératives. Des centaines d'éducateurs vivent et travaillent avec nous ; cherchent avec nous les réalisations qui peuvent servir l’école et ses maîtres ; et il ne se passe guère de semaine sans que quelque proposition intéressante soit faite par des camarades des divers coins de France.
Forts de notre succès actuel, nous ne pouvons qu'encourager cet enthousiasme, accueillir avec sympathie toutes les offres de collaboration. Notre revue agrandie nous permettra justement de les étudier attentivement en les soumettant à la critique de tous nos lecteurs.
Notre effort commence à porter des fruits. Cela doit nous encourager à poursuivre notre action dans le sens que l'unanimité de nos congrès a sans cesse définie et approuvée.
Bon courage donc, et au travail coopérativement pour le progrès pédagogique et l'amélioration sociale.

C. FREINET.