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Janvier 1940

 

Discipline, « force principale des armées ». Discipline renforcée à l’intérieur avec les nécessités de la défense passive inconnues dans les guerres précédentes ; discipline dans les bureaux, discipline pour le paiement des allocations, discipline pour l’approvisionnement.

Dans tous les domaines, la discipline est plus que jamais à l’ordre du jour.

une ligne censurée

Les pères sont partis précipitamment en août... La mère, seule au logis, a de multiples soucis qui diminuent encore ses velléités de résistance à l’enfance envahissante... Les vacances ont été anormalement allongées ; l’Ecole finit tôt le soir ; les rues sont noires ; il y a les alertes, les soldats, le repliement pour quelques-uns. Toutes conditions éminemment favorables à l'indiscipline et au désordre.

L’Ecole devrait tout corriger. Et c'est au moment où lui échoit la plus difficile besogne de redressement qu’elle ait jamais eu à affronter que l’Ecole elle-même est désorganisée par le départ des mobilisés, l’entassement des enfants, le resserrement des crédits, et l’arrivée parfois de suppléants et suppléantes de bonne volonté, certes, mais nullement préparés à leur tâche si délicate.

Rien d’étonnant dans ces conditions que la discipline passe au premier plan des préoccupations pédagogiques.

J’assistais, il y a quelques jours, à une réunion pédagogique d’information, organisée par une section du Syndicat National à l’intention des suppléants de guerre. Initiative dont l’excellence était attestée par une affluence extraordinaire d’auditeurs. Un camarade donna de longues indications — très scolastiques — sur l’organisation de l’emploi du temps et du travail. Mais lorsqu’il offrit la parole aux auditeurs pour qu’ils disent eux-mêmes les questions qui les préoccupaient tout spécialement, ce fut une sorte de cri spontané : LA DISCIPLINE !

Ces débutants, ces débutantes, attendaient de leurs aînés une sorte de remède idéal et immédiat aux difficultés rencontrées. Et les aînés, à leur tour, étaient bien embarrassés parce que la discipline est avant tout une résultante.

— Organisez le travail... Préparez soigneusement votre classe...

— Mais ils sont terribles !

— Punitions !

— Lesquelles ?

— Verbes... copies... leçons.,,

— Ils s’en moquent !... Il faudrait !....

— C’est interdit par les règlements... Que voulez-vous ?

Non, il n’y a pas d’issue dans cette voie, et j’ai tenu à le marquer.

Pourtant il faut de la discipline.

*

* *

Les uns, avec M, Delfolie (1) prônent la discipline autoritaire. Ils se disent fervents disciples de Kant : « L’obéissance est, pour les enfants, toute la morale ».

« Nous pensons, avec Kant, qu’il faut mater et discipliner les volontés, Il faut que l’enfant apprenne à l’école à faire céder ses désirs devant une loi étrangère, afin qu’il soit capable d’obéir plus tard ».

Et M. Delfolie indique dans sa brochure les secrets, d’ailleurs classiques, de cette discipline autoritaire : Ne jamais céder ni aux pleurs ni aux cris des enfants — que tous vos refus soient irrévocables — commander d’un seul mot et qu’il soit sans appel. — toujours infliger la punition d’un ton calme, et ferme — Pas de gestes, pas de nervosité, soyez impénétrables — Ne jamais tolérer une leçon qui n’est pas sue, un devoir qui n’est pas fait,...

Nos suppléants essaieront de ces remèdes pour se plaindre peut-être encore :

— Ils s’en moquent... Il faudrait ...

Essayez encore ce conseil de M. Delfolie :

— En discipline, le grand art, c’est toujours d’isoler l’individu !

... Diviser pour régner ! Nous qui croyions que le grand art pédagogique est au contraire de replacer sans cesse l’individu dans la communauté qui sera la grande moralisatrice.

Mais M. Delfolie lui-même n’est pas très persuadé de la vertu de ses prescriptions puisque, pour en terminer la liste, il en vient indirectement à notre remède :

— « Mais surtout mettre de la chaleur et du la vie dans son enseignement. Intéresser les enfants ».

Alors, nous voilà presque d’accord : essayez de tous les remèdes autoritaires, mais sans grande illusion. Seul compteront l’intérêt, le désir et le besoin de travail, la joie de l’effort, que vous aurez suscités par des techniques qui sont exactement à l’opposé des pratiques disciplinaires traditionnelles.

Comment intéresser les enfants, comment mettre chaleur et vie dans son enseignement, là est le secret majeur que M. Delfolie ne nous dévoilera pas dans sa brochure et que nous vous aiderons, nous, à percer et à utiliser.

*

* *

Rien d’étonnant d’ailleurs que des pédagogues mal informés, étant témoins des ravages faits dans la jeunesse par la fausse liberté et le relâchement anarchique déclarent s’en tenir aussi farouchement à des méthodes qui ont du moins fait leurs preuves, bonnes ou mauvaises. Nous les imiterions sans doute si l’éducation que nous préconisons était vraiment celle qu’ils s’imaginent, car, nous l’avons dit bien des fois, nous ne craignons pas d’être fidèles au passé toutes les fois que nous y voyons un modèle et un enseignement.

Seulement, M. Delfolie et ceux qui tendraient à penser comme lui sont mal informés et notre but ici est justement de rétablir la vérité. Quand ils la connaîtront, quand ils auront loyalement expérimenté dans le sens que nous préconisons, ils pourront faire marche arrière, s’ils le jugent utile, mais ce sera alors en connaissance de causes. Comme c’est en toutes connaissances de causes que nous avons vu la nécessité de corriger des erreurs pédagogiques dont nous avons été terriblement marqués et dont nous voulons délivrer nos enfants.

Mal informés !

La lecture de la note suivante de M. Delfolie dans l’opuscule précédemment cité suffira pour vous en convaincre.

« Elles sont plus nombreuses qu’on ne le croit ces classes que le virus de l’éducation nouvelle a transformées en véritables guêpiers grouillants, piquants, menaçants... C'est dire que nous considérons comme une utopie dangereuse les méthodes de self-government. Comment ? Laisser les enfants libres de se gouverner eux-mêmes quand les hommes n’en sont point capables ! — Nous reviendrons un jour sur ces principes néfastes du Groupe dit « d’éducation nouvelle » que nous rendrons responsable de la crise de l’autorité et du savoir positif. — Rappelons simplement que les Claparède, Ferrière, Decroly, Piaget, Rovet, Fauconnet.... et leurs disciples réclament pour l’enfant une liberté totale, complète, absolue, toujours génératrice de tapage et d’anarchie. L’élève n’apprendra que ce qui lui plaît. Tout l’enseignement se fera par le feu. Le rôle du maître se réduira à celui d’un « souffleur honteux ». — Plus d’emploi du temps, Plus de discipline ! Tout le monde sera à l’aise : les enfants seront dispensés de respect et les maîtres d’autorité. ’Cette « révolution copernicienne » dans le domaine pédagogique puise son inspiration dans le dogme métaphysique lancé à grand renfort d’une publicité tapageuse par Bergson : la vie s’explique par l'élan vital. Nous savions déjà que si l’opium fait dormir, c’est qu’il possède, avec certaine philosophie, un élan dormitif. Mais ceci est une autre histoire ».

Autant de phrases, autant de mots, dirais-je presque, autant d’erreurs.

Aucun des pédagogues cités par Delfolie n’est partisan d’une liberté totale, complète, absolue, effectivement génératrice de tapage et d’anarchie. Et si même ils en étaient partisans, nous ne les suivrions pas. Nous sommes pour un maximum de liberté, au sein de la communauté classe, au sein de la communauté sociale, Et cette communauté, partout où on l’a rendue active et vivante, est bien plus exigeante en fait de devoirs et de discipline que les classes les plus autoritaires.

Nous avons dit bien souvent que nous en viendrions à haïr ce mot de liberté qui a trop longtemps servi et qui sert encore de paravent aux pires oppressions. Il y a la liberté de travailler, la liberté de penser par soi-même, la liberté de se réaliser au maximum, la liberté de collaborer à une œuvre qu’on aime, la liberté d’œuvrer en général pour la réalisation d’un idéal. Mais il n'y a nulle part, dans aucune société organisée, et à l’école moins qu’ailleurs, de liberté absolue, complète et totale.

« L’enfant n’apprendra que ce qui lui plaît... ». Cela est exact au fond, et faux dans son expression tendancieuse. Au cours des deux premières années, l’enfant n’apprend que ce qui lui plaît — et il n’y réussit pas trop mal. Et l’idéal, pour nous, serait effectivement que, tout au long du jour, l’enfant s’emploie à une tâche qui lui plaît et qu’il aime — même si elle est rébarbative. Faire aimer le travail et l’effort, n’est-ce pas notre but le plus sacré.

« Tout l’enseignement se fera par le jeu »

Nous ne cessons pas de dénoncer l’éducation par le jeu qui est née de l’impuissance de l’éducation autoritaire. Il fallait intéresser — M. Delfolie le recommande lui-même —. Pour qui n’a pas préparé les techniques profondes qui mobilisent effectivement cet intérêt, il n’y a que le jeu. Nous n’avons pas besoin de ce palliatif.

Nous serions des « souffleurs honteux » !

La maman a-t-elle quelque honte à soutenir inlassablement les premiers pas de son enfant et à l’aider candidement dans ses premiers essais d’expression ?

Oui, nous voulons procéder comme la maman, ou comme le jardinier, avec la même humanité et le même naturel. Nous ne prétendons pas créer la vie ni la science. Nous nous contentons d’être les guides, les appuis, les aides, les tuteurs, les souffleurs à l’occasion. Et nous nous glorifions d’avoir rétabli l’éducation dans son véritable rôle, qui n’est pas de création, mais d’aide incessante et généreuse à l’être vivant qui monte vers son humanité.

Plus d’emploi du temps ! Plus de discipline !

Nos camarades connaissent les efforts incessants que nous poursuivons pour l’organisation véritable du travail scolaire. Dans cette organisation d’ailleurs nous ne faisons qu’imiter le commerce ou l’industrie modernes qui ne se contentent pas d’afficher dans leurs ateliers des recommandations ou des emplois du temps, mais qui étudient, dans le plus petit détail, l’organisation du travail pour que chacun, à la place qui lui convient le mieux, rende au maximum.

Nous avons fait, et nous poursuivons un très gros effort pour l’organisation véritable du travail scolaire, sous le signe de l’intérêt et de la discipline comprise et consentie — pour un rendement humain maximum.

Enfants dispensés de respect !

Ah ! parlons-en du respect des enfants pour leurs maîtres dans les classes autoritaires ! Nous les avons subies et nous savons à quoi nous en tenir. Lorsque ce respect nécessite la chaire et tout l’appareil traditionnel de récompenses et de punitions, c’est un drôle de respect.

Nous pouvons assurer que nos techniques au contraire, rétablissent le véritable respect et la véritable autorité, auxquels nous tenons jalousement. Mais pour nous, ils sont symbolisés par cet enfant qui nous accoste en pleine rue, sms même enlever son béret peut-être, mais qui vient à nous comme un fils à son père, comme un maître à son disciple, non pas pour exprimer des sentiments de politesse, mais pour chercher aide et conseils, pour faire avec nous un bon bout de chemin, pour s’éduquer.

Ah ! non, nous n’en sommes ni pour la façade ni pour la facilité. Nous avons horreur des mots avec lesquels on a masqué toutes les faiblesses. Nous sommes à fond contre cette éducation de surface qui se contente des mots et des signes extérieurs de la discipline, de l'autorité et du respect. -Mois nous faisons tout pour que nos enfants soient des hommes habitués au travail sérieux et ordonné, habitués au respect de ce qui mérite respect, entraînés aussi au sacrifice de soi pour la communauté.

Nous avons déjà prononcé le mot, et, dans certains milieux, on a feint même de nous le reprocher : nous en sommes pour une culture de l’héroïsme qui est exactement à l’opposé de cette éducation débilitante que M. Delfolie croit être l’éducation nouvelle.

Censuré

Nous voulons préparer ces hommes-là, qui construiront, mieux que nous ne l’avons fait, un monde meilleur.

Et si on reste sceptique sur les possibilités de cet héroïsme, nous donnerons en exemple celui que parviennent à pratiquer les enfants de notre école.

Notre thérapeutique est basée sur le choc-froid suivi d’une immédiate réaction chaude. Tous les matins nos enfants se trempent dans l’eau glacée pour se réchauffer ensuite entre les couvertures très chaudes de leur lit. Et vous entendriez ici, à 6 h. 30 du matin, quarante petits pieds courir dans le dortoir, descendre l’escalier ; vous entendriez casser la glace, puis les petits corps plonger...

Sans un cri, sans un pleur, sans aucune obligation immédiate... Et notre benjamine, qui a 14 mois, est trempée de même, dans l’eau glacée... Et cela la fait rire, elle qui, depuis sa naissance, a pris contact avec les éléments violents de la Nature et ignore l’appréhension.

Car l’héroïsme n’entraîne pas forcément des serrements de dents ou des cris ; c’est avant tout un entraînement vigoureux, compris, senti, accepté, à des actes qui servent la vie et l’élan.

*

* *

Nous avons cru qu’il était de notre devoir de rétablir quelque peu la vérité sur nos pratiques. D’abord parce que nous avions conscience de rendre service aux jeunes, aux débutants, que les tenants de la discipline traditionnelle risquent d’aiguiller vers des pratiques où ils ne trouveront que déceptions, fatigue nerveuse et impuissance. Nous sommes des milliers d’éducateurs à nous orienter vers les pratiques que nous recommandons. Et nous avons discipline, respect, travail, et succès même. Nous ne vous offrons pas des mots mais des réalités ; nous vous enseignons, nous vous aidons par nos travaux à permettre aux enfants de se réaliser au maximum, de s’exercer à devenir des hommes.

Etudiez ces réalisations, essayez-les, quittez votre masque de pédagogue autoritaire pour prendre la figure humaine qui vous est naturelle. La joie et la réussite illumineront alors votre vie d’éducateur.

Nous avons insisté aussi sur cette question de discipline, car nous savons les moments hélas ! favorables pour diriger les indécis vers des pratiques autoritaires qui sont à l’ordre du jour.

Censuré

Notre démocratie sous-entend au contraire libre discipline, exaltation de la personnalité digne et consciente des nécessités sociales, dévouement à la collectivité, dévouement héroïque s’il le faut, mais non pas dévouement pour des mots trompeurs, dont nous avons souffert l’emprise, mais pour des réalités sociales que nous apprenons en commun à juger et à servir.

(1) V. Delfolie, Inspecteur Primaire : Organisation matérielle et pédagogique (Nouvelle collection des Grandes Monographies Pédagogiques).— Maison d'Edition des Primaires. Chambéry.