Raccourci vers le contenu principal de la page

logo blog Bienveillant mais pas trop

 

 
Un illusoire mouvement de balancier
En éducation, la bienveillance n'est pas opposable à la malveillance. Aucun responsable d'enfants n'oserait se déclarer malveillant. Des pratiques pédagogiques diamétralement opposées se revendiquent toutes de la bienveillance. La notion de « bienveillance » prônée par la Loi d'orientation de 2013 semble donc vouloir plutôt contrebalancer la maltraitance subie par l'école autour des années 2008. Elle essaie de panser les plaies de l'enseignement mais un mot d'ordre est insuffisant pour transformer une situation et des comportements installés de longue date. La refondation est enterrée et n'a pas écorné un mauvais traitement bien antérieur à la révolution néolibérale appliquée à l'école. La maltraitance scolaire et sociale envers les enfants ne se révèle pas par une brutalité physique. Elle a plutôt l'aspect d'une indifférence au sort fait aux enfants, d'une part, dans le présent des sévices subis sur les bancs de l'école, et d'autre part, dans un apparent désintérêt pour leurs promesses d'avenir. Comment et pour quel futur l'école les prépare-t-elle ?
Les violences sociétales et scolaires faites aux enfants ne sont pas visibles pour qui détourne le regard de la réalité, elles forment une liste non-exhaustive... 
  • Classes surchargées,
  • Travail exagérément axé sur la mémoire à court terme,
  • Contrainte prématurée à la station assise,
  • Leçons artificielles imposées,
  • Punitions,
  • Potentialités laissées en friche,
  • Dégradation de l'encadrement scolaire, notamment des élèves en échec, comme le non rétablissement des RASED ou le temps d'attente des prises en charge en CMP et CMPP qui atteint presque un an,
  • Nécessaire vigilance de RESF pour éviter encore l'expulsion d'enfants scolarisés en France,
  • TAP qui viennent ébranler le service public d'éducation. Les enseignants ne sont plus totalement maîtres de leur salle de classe prêtée pour les TAP, ni de l'éducation et de son organisation dans l'enceinte de l'école occupée le temps des TAP par des animateurs sous-payés et mal formés,
  • Destiner une partie des enfants à n'acquérir qu'un socle au lieu de rechercher et d'entretenir l'intérêt culturel de tous,
  • Evaluations-sanctions,
  • Imposition de l'ennui,
  • Cours de récréation au format d'un mouchoir de poche et sans jeux,
  • Masses de devoirs écrits à la maison,
  • Règles fondées sur une morale contre-nature : l'immobilité, le silence, ne pas copier, la recherche de l'employabilité à l'heure où l'on doute de la pérennité des emplois progressivement remplacés par des ordinateurs intelligents,
  • Plonger les enfants dès la naissance dans le moule médiatique de la société de consommation,
  • Devancer et créer les désirs des enfants au lieu de se consacrer à leur équilibre et à leur épanouissement,
  • Dégradation environnementale qui expose les enfants à des altérations physiologiques menaçant gravement leur santé et leur fécondité.
 
Un forçage bienveillant
Pour nombre d'enfants, l'école est la première institution connue au sortir du noyau familial. Certains sont passés par le sas des assistantes maternelles ou de la crèche, instances de protection et d'accompagnement du bébé dans ses premiers développements personnels, ses premiers pas, son passage du gazouillis au langage. En petite section, tous franchissent une étape. Ils entrent solennellement dans l'univers symbolique et réel de la collectivité scolaire. Les intentions de l'école à leur sujet sont d'un ordre nouveau : acquérir des savoirs en suivant un programme d'instructions nationales. L'un des objectifs de la petite section est d'opérer assez rapidement la transition d'une attention centrée essentiellement sur les besoins du jeune enfant vers des projets d'apprentissage devant conduire en trois ans une cohorte en école élémentaire. Dès la maternelle, dans la plupart des classes, les enseignements sont segmentés, systématisés et intensifs dans l'ensemble des disciplines. Même si personne ne traverse ces castrations et contraintes sans douleur, généralement, les enfants en bonne santé et bien stimulés effectuent ce parcours sans embûche. Malgré quelques moments régressifs, ils subliment et progressent par paliers, s'émancipent des grandes dépendances corporelles et affectives de la petite enfance envers les adultes tutélaires. Mais la disponibilité à se former est inconstante dans une classe de 27 petits moyens. Pour l'un ou pour l'autre, vient toujours un moment d'égarement, une période régressive en réaction à une préoccupation personnelle due par exemple à l’amertume du sevrage de la tétine, à une maladie, à une difficulté familiale, à une carence affective, au décès d'un proche, au stress d'un parent au chômage, à des scènes de parents qui se déchirent ou se séparent. Personne n'y échappe. La palette des déséquilibres psychoaffectifs épouse un large spectre allant jusqu'à ces « inclus » qui n'entrent pas dans le moule, les abîmés de la vie, les traumatisés de naissance, ceux qui, à 3 ans, ont encore une conscience approximative du monde et de l'art de s'y mouvoir socialement. Si la distinction des bonnes manières peut s'enseigner, la socialisation élémentaire s'apprend d'instinct, par mimétisme implicite et inconscient. L'irrespect des interdits relève du pulsionnel. C'est plus fort que lui, l'enfant est agi. A l'école, la marge de manœuvre de l'enseignant est étroite avec un groupe de 27 élèves par classe en REP+. Le rapport à l'autorité devient rapidement une affaire d'ordre autoritaire. L'art du maître consiste à exercer, faire reconnaître et accepter son autorité par le plus grand nombre sans laisser trop transpirer son caractère inéluctablement autoritariste. Les limites franchies, il doit vite neutraliser le contrevenant pour être, de nouveau disponible pour la plupart. Avec automatisme, il recourt à sa palette de gestes habituels : isolement et punitions. Ce faisant, il apporte une réponse légale à un acte agi par l'inconscient et guidé par l'affect. Il réagit au symptôme. Rarement, sa réponse traite la cause.
 
La caisse à outils de l’éducateur
Si le rôle premier de l’enseignant n’est pas thérapeutique, la notion de bienveillance vient rappeler la place prépondérante du soin en éducation. Objectivement, le maître d’école ne peut en faire abstraction. Il ne peut systématiquement accuser ses élèves de la responsabilité des échecs de son enseignement. Autant sur le plan du comportement (la discipline) que sur celui des apprentissages (les disciplines), bonne santé et équilibre sont indispensables. Pour accompagner les réparations partielles d’un ego blessé, d’une image de soi abîmée, d’un manque de confiance, la caisse à outils du maître contient des objets bien hétéroclites et empiriques. Par expérience, il a pu en tester l’efficacité à travers des transformations flagrantes du comportement et de la manière d’être d’enfants. L'éducateur doit faire le deuil d'un parcours professionnel lisse, sans faute et sans échec mais il n'a pas droit au renoncement. Si le succès n’est pas mécaniquement au rendez-vous, la répétition de réussites a donné force à ses convictions.
En premier lieu, il met en confiance ses élèves. Il fait de l’école, de la classe un lieu accueillant où les enfants se rendent avec plaisir. Il perfectionne sans cesse l'organisation de sa classe pour en varier les propositions, éviter l'ennui de la routine tout en préservant les rituels sécurisants. Il évite de programmer tous les savoirs pour ne pas figer les apprentissages. Il apprend à saisir au vol, à l'occasion d'un événement survenu dans la classe, une parole, une pensée, un geste, une rencontre, une réflexion pour en alimenter la culture de la classe1.  Il est attentif au groupe, aux interactions, à la protection et à la promotion des plus faibles pour les aider à développer leur immunité et conquérir une place reconnue dans le respect de celle des autres. Avec des enfants de 3 ans, prendre dans ses bras, consoler, câliner en sont éventuellement les gestes. Ne pas livrer un enfant à ses larmes, à sa tristesse, à un sentiment d'insécurité ou d'abandon part d’une noble intention professionnelle, mais pour éviter d’agir en toute inconscience, l'enseignant doit apprendre à savoir ce qui l’anime. Prendre soin des enfants, apprendre à vivre avec soi-même parmi les autres en toute lucidité sont un long chemin, un lent travail sur soi et devrait toujours pouvoir s 'appuyer sur un groupe de parole comme il est de pratique courante dans l'univers du soin.
Le maître communique avec les parents. Il fait son possible pour les rassurer,  les mettre en confiance pour accompagner dans la meilleure harmonie le développement des enfants.
Il offre aux élèves la possibilité de s’approprier des langages. Avec méthode, il met en place les conditions d’utilisation de ces langages  pour permettre aux enfants d’exprimer sentiments, créations imaginaires, pensées profondes et accroître leur conscience. Les enfants s’emparent  de ces langages pour acquérir des savoirs corporels, artistiques, littéraires ou scientifiques, et lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies, ils les utilisent pour se dire, se comprendre et, parfois, le charme opère, une évolution positive se produit. L’enfant se fait grandir. Le maître constate des apaisements. 
Bien veiller sur les enfants passe par l'explicite du dire. Dès la petite section, les enfants apprennent le rituel de la parole qui circule, attendre son temps de parole, écouter et parler. Dans le cercle solennel de la réunion, la parole pèse plus. La réunion est instance de régulation et base de lancement des activités avant dispersion dans les ateliers, le cadre des possibles est cerné, les limites sont rappelées, les dysfonctionnements mis à plat, des remédiations envisagées. On peut difficilement qualifier ces réunions de coopératives car à trois ans, la vie sociale en est à ses prémices, coopérer est en devenir. Le code langagier, le repérage dans le temps et dans l'espace sont encore en pleine élaboration. Les rituels s'installent sur la journée, ils sont rappelés par demi-journée.
 
Des gestes éducatifs
En maternelle, se couvrir et se boutonner quand il fait froid, attacher ses chaussures, aller aux toilettes, boire, manger sont des actes auxquels participe l'enseignant, complice d'une ATSEM (dont la présence est scandaleusement insuffisante à Marseille). Moucher, soigner un bobo, consoler complètent ces contacts corporels qui iront s'espaçant, s'atténuant jusqu'à disparaître autour de 8 ou 9 ans lorsque le petit jeune s'essaie spontanément à ses premiers vouvoiements.
 Un contrat implicite d'enseignement voudrait que l'on s'adresse uniquement à une raison séparée du corps. Le câlin, en apparence transgressif, s'appuie sur l'évidence de l'enracinement de la raison dans les profondeurs du sensible.En maternelle, il est courant que les adultes (enseignants, ATSEM, AVS, EVS) prennent un enfant dans leurs bras pour consoler, rassurer, retenir lorsque papa s'en va ou pour contenir un caprice. Par ce contact physique, ce corps à corps, l'adulte communique affectivement à l'enfant, en maternelle, il adopte une attitude maternante. Durant le temps du câlin, l'adulte parle avec ses gestes, avec ses sens, dans sa façon de prendre et de porter l'enfant, son ton de voix, ses gestes, caresse sur la joue ou baiser au milieu des larmes. Par cette gestuelle, l'éducateur a pour principal souci de calmer, de rassurer l'enfant pour lui permettre de retrouver bientôt une disposition mentale la plus optimale possible malgré le contexte et les événements, pour qu'il puisse reprendre le cours de sa vie dans la collectivité scolaire, cet univers de culture. Consoler vise cette émancipation2.
La bienveillance est pleine de bonnes intentions mais les préceptes éducatifs ont valeur seulement s'ils se traduisent en acte. Décréter la bonté ne suffit pas à son émergence. Or, le monde contemporain fait le contraire de ce qu'il dit.
Sous couvert d'aménagement des rythmes scolaires pour le bien-être des enfants, les réformes de la décennie qui s'écoule ont, au contraire, accru leur fatigue. Aujourd'hui, ils sont soumis aux activités éducatives complémentaires durant la pause méridienne, ils ont perdu leur repos du mercredi matin et subissent, au sein de l'école, de médiocres animations le mardi après-midi. Au bout du compte, leurs rythmes de vie se sont passablement dégradés, leur fatigue s'est accrue.
A chaque nouvel attentat, resurgit le chœur des pleureuses implorant à l'unisson une morale du vivre ensemble quand les réseaux existants de coopération culturelle sont sapés à la base. Combien d'écoles ne peuvent plus compter sur l'appui d'espaces d'éducation populaire de quartier saignés à blanc par les successives coupes budgétaires ordonnées par des hooligans en col blanc ?
 
 
 
 
 
1http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/46273
Fichier attachéTaille
bienveillant.pdf88.95 Ko