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logo blog La maternelle, c'est du sport

 Le moment du n'importe quoi

 

Il y a quelques années, traversant la salle de sport que j'avais investie avec mes élèves de petite section, un collègue lance comme une galéjade : « Ah, c'est le moment du n'importe quoi pour la classe de Jean. » La galéjade est par essence ambivalente. C'est une plaisanterie pour faire passer une opinion. Rituellement, on répond par un sourire imperturbable qui n'interdit pas de raisonner en son for intérieur. Ici, il s'agissait de théoriser pour justifier une pratique physique peu orthodoxe dans la tradition de l'Education Nationale. Le formatage institutionnel voudrait que, dès la petite section, toute activité scolaire soit inscrite dans une programmation de progressions où chaque séance fasse l'objet d'une fiche de préparation. Déconcerté par mes pratiques éducatives de la pédagogie du bon sens de Célestin Freinet, ce collègue n'y trouvait plus ses repères. Les élèves ne s'adonnaient pas à un exercice collectif identique pour tous et régi par une consigne délimitant précisément la gestuelle. La salle, le matériel étaient investis selon un mode dont l'ordre était difficilement perceptible pour le néophyte. J'avais avancé la structure d'escalade, installé quelques tapis, imaginé un toboggan, sorti le trampoline, improvisé quelques bascules, tendu une cabane reliée à son tunnel ombilical. Pendant que je dressais le décor, mettant en scène les instruments, assis en rang d'oignon, les enfants attendaient patiemment en m'écoutant décrire les usages possibles et les recommandations. A mon signal, ils se répandaient dans la salle. A leur tour de s'activer. Je me posais pour les observer, encourager l'un, rappeler les règles de sécurité à un autre, gérer un conflit entre deux autres, donner un conseil ou aider un dernier. Ici point de performance à atteindre, de compétition entre équipes, de geste décomposé et certainement pas d'ennui. C'est un peu notre petit parc comme il en manque tant dans notre ville. Un parc où l'on se retrouve pour jouer ensemble, faire attention aux autres, ne pas leur sauter dessus, ne pas les bousculer. On n'y crie pas plus que ça. On y joue régulièrement tout au long de l'année. Avec des variantes. Parfois la cabane fait place à des planches à roulettes, on ajoute des cerceaux, des cordes à sauter pour suspendre et escalader. On saute de la structure de bois, d'abord des premiers échelons pour finir tout en haut en appelant le maître car on est fier qu'il nous regarde.

A d'autres moments, nous installons des parcours. Le maître, la première fois, puis, de plus en plus les enfants. Puis vient la période des constructions en volume à faire ensemble pour nous imaginer ensuite équipage d'un grand navire pris dans la tempête, luttant contre les vagues et menacés par les ailerons de requins imprévisibles. De temps en temps, nous ne jouons qu'aux ballons. Notre stock est suffisant pour assouvir le besoin de possession propre à cet âge. A la main, au pied, on les lance loin, contre le mur, le plafond, dans le panier, à un autre, sur le maître. Pour varier, nous prenons des balles. Ensuite, vient le tour des cerceaux, des foulards, des échasses, des cordes à sauter.

Mais du début à la fin de l'année, tous les vendredis, place à la danse. Bien sûr, j'ai mon fonds musical de base composé notamment de l'éternelle Messe pour le temps présent (Pierre Henry) déjà si ancienne, Lambarena Bach to Africa, Cold Song (Klauss Nomy), Le Carnaval des animaux (Saint-Saëns), mes groupes de rap préférés, locaux et d'ailleurs, I am, ZEP, de la cumbia, du forrò et les Suites pour violoncelle seul (Bach), le Requiem de Mozart, Vivaldi et Verdi, A l'écoute des vents solaires (David Hykes, Harmonic Choir) car toute séance de danse se termine immanquablement par un temps de relaxation, « Tous allongés, on ferme les yeux, on parle pas, on écoute, on se détend » Et régulièrement, je passe à la médiathèque piquer au hasard des rayonnages dans un plus vaste répertoire musical car tout se danse. La séance, c'est simple. Assis au fond de la salle, les enfants écoutent les premières mesures et, au signal, se lancent. Quand ça court trop, j'interviens pour réclamer un peu de sur-place. Quand ça piaille trop, je fais baisser le ton. Quand la créativité semble s'essouffler, je mets en exergue un semblant d'innovation ou d'originalité en invitant le groupe à s'asseoir et à regarder la trouvaille de tel ou tel enfant. Parfois, notre séance de danse prend des airs de baletti quand on installe la sono dans un coin de la cour et ouvrons notre bal à toute l'école.

 

Bien sûr, il nous arrive au cours de l'année de jouer aux grenouilles sautant de pierre en pierre dans un lac infesté de crocodiles mais rapidement je me retrouve bien seul sur mon nénuphar cerné de crocs féroces. Nous nous adonnons régulièrement à quelques rondes bien traditionnelles où la conjugaison de la patience, des répétitions et de moments de grâce permettent un beau jour une ronde qui tourne rond. Ces instants d'activités de groupe préfigurent les jeux collectifs qui viendront à point quand la maturité des enfants les poussera à davantage de grégarité déjà en grande section mais surtout à l'âge de raison.

Enfin, dès les beaux jours, certains matins, nous nous échappons de l'école à la conquête des parcs de la ville, marche, tram, parc, tram, marche. Retour bien satisfaits, repus.

Et c'est du n'importe quoi pour qui ne sait pas que les enfants sautent, lancent, attrapent, grimpent, courent, se courbent se tournent, rampent, virevoltent, roulent sur eux-mêmes, traînent, trottent, secouent, bondissent et rebondissent, portent, prennent, projettent, nouent, mêlent, lâchent, luttent, jettent, heurtent, frôlent, estiment, ébauchent, échappent, émettent, empêchent, fuient, étalent, s'essoufflent, s'exercent, tâtonnent et rient, rient à gorge déployée. Mais il est vrai, dans un ordre différent de celui qu'aurait imaginé un maître pour eux.  

 

 

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Reçu par Mail de Nathalie qui travaille en crèche

Bonjour,

Ça me donne envie de participer à ta séance de motricité libre!!!
Bien souvent, les adultes n’arrivent pas à lâcher prise , ont peur de perdre le contrôle face à de jeunes enfants…
Et pourtant, il suffit de proposer aux enfants un environnement stimulant, de poser un regard bienveillant, de rappeler les règles
de sécurité, sans que cela entrave leur activité spontanée . Et quel bonheur de les voir évoluer à leur rythme, prendre confiance en eux, détourner la fonction première des objets
laisser libre cours à leurs jeux et leur imaginaire!!
Oui, c’est souvent le jugement des collègues qui est le plus casse noisette!
Quand je bossais dans la crèche à Marseille (celle où tu es passé une fois à Belsunce), des collègues me prenaient pour une inconsciente laxiste, car j’installais dans un parcours de motricité
une petite table ( haute de 30cm), avec des tapis tout autour (je precise). Je ne posais aucune consigne, ils pouvaient passer dessus, dessous, debout, à quatre pattes...
Outre le fait de trouver celà HYPER dangereux, certaines de mes collègues (pas toutes ouf!) me disaient que les enfants allaient monter sur les tables pendant le repas!!!
Cela ne s’est jamais produit, comme quoi, les enfants sont capables de discerner certains contextes.
Une société du risque zéro, où tout est maitrisé, consigné, où l’enfant doit suivre la ligne dans un ordre précis, c’est un leurre absolu!
Bon courage à toi dans ta bataille quotidienne.

Nathalie