Raccourci vers le contenu principal de la page

logo blog Ces histoires qui font l'histoire.

 Ces histoires qui font l'histoire.

Régulièrement le maître Freinet des petits moyens s’assoit parmi les enfants et s'adresse à l'un d'entre eux pour lui dire : « Que veux-tu que j'écrive sous ton dessin ? » Si au cours du développement de l'enfant, l'éducateur doit souvent en contenir les audaces, au contraire, il est souvent à pousser les petits de trois ans pour qu'ils osent s'exprimer, prendre la parole. Comme le dit Philippe Bertrand, « le maître Freinet est un accoucheur d'expression profonde ». Avec un peu d'expérience, l'éducateur obtient un récit de l'enfant, il est finalement assez facile «  d'induire et d'orienter le récit par un questionnement habile. Mais le risque est grand de voir des éducateurs bien intentionnés jouer – au mieux – les apprentis-sorciers et -au pire – les fouille-merde. » Que les petits soient tétanisés par la timidité ou exceptionnellement insatiables, l'éthique du maître reste identique : tenir sa place. Pour cela, il doit se maîtriser, garder la bonne distance avec les enfants, ne pas les rejeter sans les vampiriser pour autant. Se tenir tout simplement à leur portée, au service des apprentissages. Cette posture nécessite un travail sur soi pour mieux se connaître et l'idéal serait de pouvoir bénéficier d'un espace de régulation, un lieu où se sentir suffisamment en sécurité et entendu pour se dire et exposer ses difficultés. Ces moments font cruellement défaut dans le monde de l'éducation.

Raconte-moi une histoire
La plupart des enfants prennent plaisir à s'installer confortablement sur les coussins d'une bibliothèque pour feuilleter des livres et s'immerger dans leurs fictions, voyager dans leur poésie ou se laisser surprendre par les savoirs, regarder les images, imaginer, se souvenir du récit, essayer de comprendre. Ils sont habituellement friands d'entendre des histoires, des nouvelles ou ces anciennes sur lesquelles, souvent sans raison apparente, ils ont jeté leur dévolu et les réclament sans cesse de l'adulte usé de lire et relire toujours le même album fatigué. Lorsque l'éducateur Freinet demande une histoire à l'enfant, ce n'est pas pour jouer à inverser les rôles comme un effet de miroir. C'est une véritable action pédagogique, une dévolution qui caractérise la méthode naturelle d'apprentissage de la langue adaptée aux besoins de ces jeunes enfants. La procédure peut en être esquissée. L'idée n'est pas de donner à l'enfant l'illusion que son premier jet équivaut à la langue élaborée d'un écrivain, ce serait insensé. Il s'agit plutôt de faire prendre conscience à l'enfant que sa parole mérite d'être prise en compte et transcrite par qui maîtrise l'écriture. Le petit écolier découvre à cette occasion la permanence dans le temps du signifié d'un écrit malgré son désir de le voir évoluer, progresser avec lui, ses humeurs, sa maturation. Il m'est souvent arrivé, relisant au groupe d'auteurs leur journal imprimé et prêt à la diffusion, d'entendre des enfants contester leur propre récit dans lequel ils ne se reconnaissaient plus pour avoir, depuis, changé d'état d'esprit, de dispositions, ou leur pensée ayant évolué. Avec assurance, ils revendiquent un récit parfois très différent de celui initialement dicté. Ces enfants sont subitement confrontés au principe de réalité de l'écrit. Etre auteur s'apprend. Cet apprentissage passe par l'assimilation qu'un texte écrit reste identique, son contenu n'évolue ni avec le temps ni avec la pensée changeante de son auteur. L'écrit est une trace-mémoire. Il n'a rien de magique. Seul le travail de réécriture peut le transformer en modifiant la matière graphique qui le compose par la reformulation de l'énonciation. Ce travail sur la langue commence dès la dictée à l'adulte et s'effectue naturellement dans les reformulations demandées par l'enseignant soit pour clarifier le sens d'un texte, soit pour aider l'enfant à préciser sa pensée, son expression. De toute évidence, le bonhomme  ne vaut ni le garçon, ni la fille, ni le monsieur, ni la dame, ni Charlotte ni la princesse même si à trois ou quatre ans, leur symbolisation graphique, leur dessin, peut être approximatif au point de laisser planer le doute. A cet âge, l'enfant sait plus qu'il ne peut. Il a déjà vécu cette expérience avec l'oral. Durant sa vie intra-utérine, il percevait des voix humaines sans pouvoir, lui-même, émettre de son. Quelques jours après sa naissance, un nourrisson est capable de façon innée de distinguer les contrastes phonétiques de toutes les langues alors que son appareil phonatoire n’est que partiellement développé. Immature, son conduit vocal (pharynx et cavité buccale) l'empêche de produire des sons qu'il distingue cependant (2). La qualité des interactions avec son environnement social sera déterminante pour la réussite de son entrée dans le langage oral et, plus précocement que l'on croit, écrit.
La dictée à l'adulte d'un texte illustrant ou non un dessin, produit un type de récit bien particulier. Ce dernier peut être imaginaire. Il peut rapporter un savoir, un événement, un sentiment ou une émotion mémorisés. Sa vie en foisonne car sa mémoire meuble et vive est prompte à graver, à imprimer. Il s'agit de permettre à ce sujet-parlant d'utiliser un langage à sa portée pour travailler à le perfectionner. L'idéal serait de parvenir à faire aimer à l'enfant le plaisir d'affûter, de réfléchir aux sens des mots, de les choisir en toute conscience. Le langage donne de l'épaisseur à l'existence. Il fait exister davantage grâce à la subtilité du détail des mots. Il est un levier d'émancipations multiples. Il aide à combat l'ignorance et l'obscurantisme. Il est l'outil de l'intelligence. Son utilisateur gagne en liberté car lorsqu'il s'exprime, il extériorise, il met à distance des pensées parfois lourdes à porter ou nuisibles parce que confuses ou envahissantes. S'exprimer lui permet de comprendre en posant des hypothèses sur le monde. Par la dictée à l'adulte, il peut aussi vivre l'expérience de l'allègement de l'esprit que procure le processus de coucher sur le papier des réflexions qui, puisqu'écrites, laissent place nette à de nouvelles pensées. Du moins, l'éducateur, peut-il utiliser la répétition d'écrits d'un enfant pour attirer son attention sur cette dimension du langage. Bien sûr, en éducation, tout est affaire de nuance. Dans certains cas la répétition est une nécessité pour l'enfant et il est primordial de respecter ce besoin. Dans d'autres circonstances, la trace écrite peut être un bon support pour faire comprendre à l'enfant qu'une chose étant dite, il peut passer à autre chose, poursuivre son cheminement mental ou intellectuel. Dès ces premiers contacts avec la production écrite, l'enfant est plongé empiriquement dans la complexité inhérente au bon usage de la langue, le choix des mots et des formules, le risque de dire, l'autocensure, etc.

Ces histoires qui font l'histoire
Même si l'enfant a déjà fréquenté une collectivité comme la crèche, en entrant à l'école, il passe définitivement dans l'ère de l'enfance, son statut d'écolier le décentre de sa personne. Il devient un parmi d'autres. Son univers social s'étend au-delà du cercle familial, il devient membre de l'institution scolaire et de sa communauté éducative. C'est une inscription dans la société. Le groupe classe en est une représentation. Le maître prend soin des conditions de cette entrée en société. L'art du maître est d'être attentif à la part du groupe, à la fluidité des échanges constructifs.
Il porte son exigence sur le respect de valeurs et de principes de travail. L'un de ses objectifs est de faire comprendre et admettre à ses jeunes élèves les postulats indispensables à la vie en société. A la tendance à l'égocentrisme spontané de la petite enfance doit faire place une reconnaissance de l'autre et de ses désirs parfois antagonistes aux siens. Dans la micro-société de la classe, l'enfant apprend le partage et le plaisir différé. Il apprécie la joie de faire avec les autres. Il découvre les vertus de la patience en attendant son tour pour jouer, d'utiliser un matériau ou de prendre place dans un atelier. En classe, la dynamique du groupe ne se limite pas au respect pacifique, elle alimente les apprentissages. Dans sa méthode naturelle d'apprentissage, le maître organise la vie du groupe en institutionnalisant des échanges coopératifs de connaissances. Rituellement, il attire l'attention du groupe sur les réussites, les innovations, les particularités de chacun, il incite à l'entraide, à s'inspirer les uns des autres. La communication se présente comme une évidence. Montrer ce que l'on fait, dire qui l'on est, écouter et se reconnaître dans l'autre. L'étonnement et la surprise des identités différentes font grandir les enfants. Ce sont de joyeuses découvertes. En toute logique, un sujet s'exprime d'autant plus précisément et de manière plus nuancée qu'il domine le langage. Plus l'enfant est jeune et plus ses centres d'intérêts et ses modes d'expression sont malléables même si l'enfant de trois ans est déjà nettement imprégné de culture et d'habitus familiaux. Les langages sont multiples et l'on peut déjà percevoir des intérêts variables selon les enfants, le moment de leur vie, le hasard des rencontres et la stimulation sociale, familiale et scolaire. La richesse culturelle d'un groupe-classe profite de l'hétérogénéité des centres d'intérêts, des savoirs, des savoir-faire et des personnalités du groupe. L'anomalie devient une chance dans une classe où chacun occupe une place originale. Lors des réunions, moments d'échanges oraux institutionnels, durant des jeux partagés, en danse, en peinture, au dessin, dans le journal ou la cour de récréation, le groupe est amené à entrevoir des bribes de vie, expression d'histoires personnelles. Dans une classe-coopérative, le maître focalise l'attention du groupe sur ces récits individuels, il aide à leur mise en forme, il veille à en conserver la trace, pour qu'ils constituent une grammaire commune, trame d'une histoire collective faite du patchwork des récits singuliers.

 

1 Dévolution : Objectif = Favoriser de la part de l’élève l’émergence d’une rationalité dans la situation d’apprentissage. Cette dévolution se traduit chez l’élève par la maîtrise de compétences méthodologiques, par l’acceptation des rôles sociaux et elle lui permet de se prendre en charge. (https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9volution_de_probl%C3%A8me)

2 M. Delahaie L’évolution du langage chez l’enfant De la difficulté au trouble, INPES, 2004

 

 

Fichier attachéTaille
ces_histoires.pdf65.95 Ko

Ma très courte expérience en

Ma très courte expérience en maternelle m’incite à la plus grande prudence, cependant je ne résiste pas à ce petit commentaire.
Les questions de langage, d'oral et d'écriture des liens entre eux, les questions de la relation de l'enfant avec ces domaines, relation qui évolue presque au jour le jour, sont, me semble-t-il, extrêmement complexes. Quel est la part de mimétisme, quel est la part de construction autonome « quasi-biologique » (les Freinet diraient « naturelle »), dans les apprentissages de l’enfant ? Quelle est aussi la part, en général non travaillée, des comportements et des convictions des maîtres-ses, des parents, comportements et convictions bien souvent issus de l’enfance et transmis de génération en génération ? Cette dernière part, mélangée à des injonctions ministérielles, est couramment à l’œuvre dans ce que je peux observer – et je ne m’exonère pas de cette observation - et tout cela dans le grand melting-pot de la « société des compétences », qui, elle, est bien certaine de son fait : il faut préparer les enfants au monde du travail tel qu’on nous le propose-impose aujourd’hui. TINA comme aurait Thatcher ! Ce TINA est intégré par de nombreux enseignants. Et tout cela est évidemment véhiculé par nos comportements et nos convictions que les enfants boivent heure après heure.
Marc Petazzoni GD04

apprentis-sorciers et fouille-merde

Merci de me citer, Jean.

Cela dit, je voulais t'alerter, d'une part, sur ces maîtres fouille-merde que l'on rencontre plutôt en campagne. Généralement installés depuis des décennies dans la commune, ils savent tout de tous, savent questionner les mômes pour en apprendre encore davantage et sont friands de la dernière dispute entre parents ou des violences probables et autres ragots. J'en ai connu. Ces gens-là sont toxiques en salle des maîtres. Heureusement, je pense qu'ils sont en voie de disparition.

Je voulais aussi dénoncer les apprentis sorciers. Ceux-là ont peut être été en licence de psycho. Les mômes de leurs classes sont étiquetés à vie dès qu'ils ont dessiné un bonhomme. Et chaque nouvelle expression n'est reçue qu'au filtre de leurs idées préconçues.
Ils savent.
Ils cherchent à dénicher du psy dans chaque lapsus. Ils sont confortés par chaque événement qui va dans leur sens. Et comme les enfants sont disposés à les satisfaire (quelle que soit la nocivité de la situation), ils se conforment à ces attentes et la boucle est bouclée.

A ces deux types d'enseignant, on devrait interdire la méthode naturelle, la pratique du texte libre et de la dictée à l'adulte !

Peut-être qu'en instaurant un permis de M.N. ? :o)

Phil

apprentis-sorciers et fouille-merde

Merci de prendre cette citation pour point de départ.

Cela dit, je voulais t'alerter, d'une part, sur ces maîtres fouille-merde que l'on rencontre plutôt en campagne. Généralement installés depuis des décennies dans la commune, ils savent tout de tous, savent questionner les mômes pour en apprendre encore davantage et sont friands de la dernière dispute entre parents ou des violences probables et autres ragots. J'en ai connu. Ces gens-là sont toxiques en salle des maîtres. Heureusement, je pense qu'ils sont en voie de disparition.

Je voulais aussi dénoncer les apprentis-sorciers. Ceux-là ont peut être été en licence de psycho. Les mômes de leurs classes sont étiquetés à vie dès qu'ils ont dessiné un bonhomme. Et chaque nouvelle expression enfantine n'est reçue qu'au filtre de leurs idées préconçues.
Ils savent.
Ils cherchent à dénicher du psy dans chaque lapsus. Ils sont confortés par chaque événement qui va dans leur sens. Et comme les enfants sont disposés à les satisfaire (quelle que soit la nocivité de la situation), ils se conforment à ces attentes et la boucle est bouclée.

A ces deux types d'enseignant, on devrait interdire la méthode naturelle, la pratique du texte libre et de la dictée à l'adulte !

Peut-être qu'en instaurant un permis de M.N. ?
:o)

Phil