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Devenir une troupe de théâtre

Dans :  Principes pédagogiques › 

 

 
CréAtions "Témoignages en liberté"
Séjour d'adolescents, Association Vitacolo - Directrice du séjour : Nathalie Ramas – Animatrices : Sarah Blanquart, Marine Klein et Caroline Bronquart.

Propos recueillis par Lucie Gaudet.

 

 
Devenir une troupe de théâtre


 

 

Courant de l'été 2015, Nathalie Ramas propose pour la troisième fois un stage de théâtre ambulant d’une durée de treize jours. Le groupe est constitué de vingt jeunes, filles et garçons, de 12 à 18 ans.


Nathalie Ramas, professeure des écoles en cycle 1, transpose les techniques de pédagogie coopérative qu'elle applique en classe à la vie de ce groupe. Elle a choisi de travailler avec l'organisme Vitacolo car elle se sent en accord avec les valeurs éducatives qu'il véhicule. Directrice du séjour, elle est responsable de l'organisation matérielle, de la logistique de la tournée, du recrutement des animateurs et des axes pédagogiques développés. Elle travaille avec trois animatrices sur ce projet. Les adolescents s'inscrivent pour pratiquer le théâtre et savent que le stage se terminera par une tournée de quatre jours.
 
Un séjour coopératif où chaque individu trouve sa place à travers l'élaboration d'un projet collectif.

 

Le projet pédagogique est d'emblée très clair : un des objectifs principaux de ce stage est que chacun se sente à l'aise et apprenne à donner son avis. Pour permettre l'émergence de ce climat bienveillant, les adultes sont particulièrement vigilants à l'égard des plus jeunes et veillent à solliciter les plus timides afin qu'ils osent exprimer leur opinion. Pendant les ateliers de pratique théâtrale, le degré d'exigence porte sur le sérieux et l'implication dans le travail plus que sur la performance d'acteur.
Pour organiser la vie du groupe, les adolescents et les animateurs se réunissent quotidiennement en forum (en fin de journée). Ils font alors le bilan de la journée en essayant de nommer précisément leurs émotions et décident qui fait quoi, comment et pourquoi. Les jeunes sont ainsi invités à participer activement à l'élaboration du planning du lendemain et à l'avancement du projet. Ces forums jouent un rôle essentiel dans l'organisation de la vie coopérative.
Le groupe s'organise en équipes chargées de la préparation des repas pour une journée (budget de cinq euros par jour et par enfant). Les jeunes décident du menu, se chargent des courses et préparent les repas, apprennent à monter leur tente, essaient d'être attentifs à l'état émotionnel des autres. Dans la vie quotidienne, comme dans le travail de création, ils cherchent ensemble des solutions aux problèmes qui se posent. Comment peut-on mettre en valeur la puissance d'un texte ? Du groupe émane la proposition de positionner en hauteur le comédien, de façon à accentuer la portée des mots qu'il prononce. D'autres questions plus pragmatiques se posent aux stagiaires : comment égoutter les pâtes sans passoire ? La tournée qui clôt le stage est l'apogée du fonctionnement coopératif : le groupe quitte le centre de vacances et doit trouver des solutions pour gérer la vie quotidienne dans l'itinérance.
 
 
Différents ateliers de pratique théâtrale pour entrer dans le processus d'expression.
 
Les motivations de l'équipe d'animation sont très claires : il s'agit d'amener les adolescents à prendre du plaisir à travers l'expression libre, en découvrant de nouvelles techniques. Les adultes arrivent avec, dans leurs valises, plusieurs propositions d’atelier qui seront autant de déclencheurs pour amorcer des travaux sur la voix, le corps, le texte, l'espace, l’improvisation, l'écoute du groupe, etc.

Au cours des ateliers quotidiens, les adolescents sont régulièrement invités à se mettre en situation de représentation. Ces exercices leur donnent l'habitude de s'exprimer sur scène, face à un public. Lors de la première veillée, des matchs d'improvisation sont proposés aux stagiaires, les amenant par le jeu à libérer leur spontanéité.

 
D'autres matériaux sont également présents sur le lieu du stage pour permettre l'émergence du spectacle. Certains jeunes, revenant d'une année sur l'autre, ont apporté des textes qu'ils aimeraient jouer. Les animatrices ont également constitué une bibliothèque théâtrale mêlant textes classiques et contemporains. Pour le spectacle Je veux crier !, beaucoup de textes finalement choisis par les adolescents proviendront de cette bibliothèque.
Ainsi, si elle insuffle l'esprit du stage en tant que directrice, Nathalie intervient de façon ponctuelle dans l'animation. Elle encadre les ateliers d'écriture dramatique et anime les débats où sera choisi le fil rouge de la pièce. Selon elle, le recours à la production de textes joue un rôle primordial dans la cohésion du groupe. Chacun accepte de prendre un risque, celui de donner à voir une partie de son individualité. Cette étape amène les jeunes à appréhender une posture d’auteur.
 

Nathalie explique qu'en général, ils trouvent plus aisé d'interpréter des textes d'auteurs que leurs propres écrits. Pour autant, la présentation des textes issus de l'atelier d'écriture joue un rôle de ciment dans le groupe. Certains adolescents se livrent beaucoup à travers ceux-ci. Le partage de cette expérience constitue également un stock d'émotions partagées réellement. Nathalie précise « l'objectif est que le groupe devienne une troupe. On est tous dans le même bateau ! ».

L'équipe choisit également d'utiliser la vidéo à plusieurs reprises au fil du projet. Des répétitions sont régulièrement filmées et projetées pour que les adolescents puissent avoir un regard distancié sur leur propre pratique. Suite au visionnage, ils pourront prendre conscience de leur posture et ainsi réajuster leurs déplacements, leur jeu.

 
Pour travailler la confiance mutuelle, les animateurs proposent des exercices qui demandent un réel abandon : monter sur un muret en hauteur et se laisser tomber en arrière, sachant que quelqu’un dans le groupe vous réceptionnera en est un exemple. Ce lâcher prise est évidemment très difficile et implique un long travail de cohésion de groupe.
 

Construction coopérative du spectacle.

Nous avons déjà évoqué l'importance du forum de fin de journée dans l'organisation du stage. Ce moment fondamental permet au groupe d'échanger et de débattre sur la mise en scène du spectacle. Qu'est-ce qu'on souhaite évoquer à travers notre pièce ? Quel sera notre fil rouge ? Quelle est la façon la plus judicieuse d'articuler les saynètes préparées ? Les thèmes qui peuvent être abordés en fonction de l'adhésion générale sont la liberté, la démocratie, la solidarité, la justice, la citoyenneté, la peur, la conscience , etc.
Tous les éléments de la pièce sont passés en revue. Les jeunes choisissent chacun cinq musiques qui permettront d'élaborer l'environnement sonore du spectacle. Pour celui-ci, il sera décidé de jouer « à nu », sans costumes ni décor. La parole et le corps en jeu seront donc à l'honneur dans cette production. Les stagiaires doivent également décider s'ils veulent utiliser certains de leurs écrits pour la pièce (lesquels et à quel moment).
 
Afin d'étayer cette réflexion collective, un mur d'expression installé dans la salle de théâtre ambulant recueille les bribes de vie du stage. Il apporte de la nourriture à la création collective et il est suffisamment fourni pour remplacer le cahier de vie utilisé parfois sur d’autres stages.
Dans ce cheminement, les quatre adultes sont constamment présents. Ils veillent notamment à ce que chaque adolescent passe le même nombre de fois sur scène. Si certains textes peuvent paraitre crus, les adultes choisissent de ne pas censurer les paroles et les envies qui émanent du groupe. Nathalie revendique le choix pédagogique de ne pas se mettre à la place du spectateur, ce qui risquerait d'être un frein à l'expression. À l'issue de la représentation devant les parents, il y a effectivement quelques remarques. Nathalie, forte de son expérience, sait justifier ses choix auprès de sa hiérarchie.
Si le groupe est porteur du projet, il importe que chaque jeune, individuellement, s'y reconnaisse. L'importance du groupe est régulièrement rappelée par la présence sur scène de toute la troupe ce qui contribue à conforter l'énergie du spectacle. Le respect des individualités passe également dans cette production par le recours à de nombreux monologues.
  
Chacun peut ainsi, aidé par le groupe, sélectionner un texte qui résonne spécialement pour lui-elle et être accompagné pour le jouer. Les animatrices font leur maximum pour respecter les envies de chacun.
 
Finalement, l'itinérance qui clôture le stage est une expérience de groupe forte qui permet d'évaluer le degré de coopération et d'entre-aide.
Ce projet marque durablement les différents participants qui en ressortent enrichis par l'effervescence créative partagée et la rencontre avec l'altérité.
 
 
Témoignages en liberté