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logo blog Deux mots au sujet du journal

Une rapide tentative de réponse à Monique Quertier au sujet du journal de ma classe de PS-MS.  

Voici l'extrait du message de Monique :
« Je voudrais revenir sur ton texte des dessins.
Merveilleuse opportunité offerte aux enfants d'utiliser, d'explorer à fond ce langage pour s'épanouir, s'ouvrir à la vie, grandir, se libérer, se désencombrer... Quelle chance ont tes enfants ! Je pense aux dessins de ma petite fille en maternelle : remplissage de formes avec des gommettes ou autres signes graphiques selon des consignes très précises... pas   beaucoup d'expression-création !

Mais je me pose la question du support journal.
Pourquoi un journal ? Quel plus apporte-t-il ? Quel est son intérêt ?
S'il n'existait pas, les enfants s'exprimeraient-ils autant dans le dessin ?
Le temps passé à le réaliser n'est-il pas trop important ?
Je me questionne seulement, il n'y a pas de jugement de valeur dans mes questions.
Et que fais-tu des dessins réalisés ? Je les vois bien reliés entre eux par enfant constituant ainsi un document, sorte de biographie à regarder éventuellement pour étude. »

Jean :

- Monique, tu écris, "Quelle chance ont tes enfants". Moi, je me dis : « Quelle chance, j'ai de pouvoir continuer à travailler dans cet esprit, à espérer, à suggérer, à provoquer, à accoucher des créations d'enfants en petite section. Quel luxe ! Quel privilège ! » Avec un IEN qui me laisse une paix royale, sachant de loin, l'ésotérisme de ma pédagogie, mais fermant les yeux car il sait que j'ai du répondant (je peux justifier ma posture). Des parents confiants, des collègues complices même si nos point de vue pédag diffèrent. Théoriser sa pratique est finalement un bon outil pour prévenir toute critique : la meilleure des défenses, c'est d'attaquer sur le terrain concret de la théorie de la pratique : "Je fais comme ça parce que je pense que c'est comme ça que je peux faire le mieux. Vous avez mieux à me proposer ? Faites voir. Je vais étudier, et je vais vous dire, de mon point de vue..."
Monique, tu écris aussi : 
« Mais je me pose la question du support journal.
Pourquoi un journal ? Quel plus apporte-t-il ? Quel est son intérêt ? »
Je te renvoie à ce texte réalisé avec Philippe Bertrand :
https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/46319
L'intérêt du journal, dans ma classe où les petits arrivent avec leurs gribouillis, c'est qu'il aide à mettre au clair (sous les projecteurs)  ce qui surgit du magma du gribouillage : un semblant de bonhomme, un soleil, un escargot, bref des signes-symboles identifiables pouvant être mis en valeur -dans le journal notamment- pour montrer aux enfant une voix/voie qu'il est indispensable qu'ils connaissent et utilisent quotidiennement pour acquérir une dextérité dans le langage graphique (qui vient s'ajouter, à cet âge,  aux langages oral, corporel, musical, ...)
Le journal a une multitude d'autres intérêts : il est un objet "propre", montrable pour  les autres (parents, collègues, institution, partenaires...) qui auraient du mal à voir ce que nous fabriquons parce qu'ils n'en ont pas les clefs. Dans mon texte précédent  (1), je parle des casiers où je suis souvent le seul à pouvoir identifier les promesses qu'ils contiennent. Rares sont les travaux d'enfants de cet âge qui peuvent être véritablement qualifiés d’œuvres. 90 % d'entre eux relèvent de l'essai. C'est comme quand on apprend à planter un clou, on en tord 9 avant d'en enfoncer un jusqu'à la tête. Et nombreux sont ceux qui se satisfont d'un clou à peu près bien planté mais qui tient. Je dois faire partie de cette catégorie, d'ailleurs...
Le journal est aussi une trace. Il nous permet d'être identifiables. 
Le journal est un repère dans le temps, pour nous, pour l'enfant dans sa famille. 
Le journal permet de constater l'évolution des dessins et des commentaires sur une année, au niveau de chaque enfant et à l'échelle de la classe. 
Pour moi, il est l'occasion de "coller" du texte à un dessin, ça non-plus, ce n'est pas naturel.  Bien sûr, je pourrais le faire sans journal, mais le concept de journal me permet de donner un impératif extérieur à mon pouvoir de maître : "Pendant que vous dessinez, vous vous concentrez sur le texte qui va accompagner votre dessin et que vous allez me dicter quand vous aurez terminé. Rappelez-vous bien, c'est pour le journal que vous le faites. "

Monique : 
- S'il n'existait pas, les enfants s'exprimeraient-ils autant dans le dessin ?

Jean :
- Sûrement par d'autres formes, d'autres techniques matérielles. Actuellement, pour nous, le journal est l'un des outils scolaires que j'utilise auprès de mes élèves, pour tirer vers le haut leurs représentations graphiques (cheminant aussi vers l'écrit, les maths , la géométrie et les sciences). 

Monique : 
- Le temps passé à le réaliser n'est-il pas trop important ?

Jean : 
- Pas en classe. Pas pour les enfants. Mais pour moi, certainement ! Le processus de mise en page est lent. Il avoisine les cinq heures par journal ! Mais après, quelle récompense pour le maître de voir le travail fini, d'avoir passé de longues heures à fréquenter les œuvres de ses élèves. D'avoir perçu des tas de petits détails éclairant leurs questionnements, leurs tactiques graphiques, de percevoir, après coup, des échanges fructueux dans le groupe, de percevoir l'évidence d'expressions très personnelles cachées derrière  des dessins et des récits imaginaires. Le journal est l'occasion pour moi de m'attarder sur le travail de mes enfants et de le questionner. Il continue de m'apprendre mon métier en aiguisant mon œil. Il me permet de perfectionner ma connaissance des dessins de petits moyens.

Monique : 
- Je me questionne seulement, il n'y a pas de jugement de valeur dans mes questions.
Et que fais-tu des dessins réalisés ? Je les vois bien reliés entre eux par enfant constituant ainsi un document, sorte de biographie à regarder éventuellement pour étude.

Jean : 
- Oui et non. Le perfectionnisme n'est pas l'une de mes caractéristiques. Une fois le journal réalisé, les dessins retournent dans les casiers des enfants. Et en fin de période, ils sont archivés dans une pochette, dans la chronologie inversée de leur réalisation. Cette pochette part dans les familles lorsqu'elle est pleine et en fin d'année. 
Mais tu viens peut-être de semer une graine qui va mûrir dans ma tête et faire évoluer ma pratique. Il n'y a pas de hasard. Le nom de notre profession "enseignant" est  tiré d'un verbe au participe présent.  j'y vois deux sens prémonitoires : d'une part, le métier d'enseignant c'est, avant tout, participer au présent du temps de classe (et particulièrement en petite section comme je l'écrivais dans le texte sur le temps). Par extension, l'enseignant participe au monde présent, sensible et impliqué dans ses destinées. D'autre part, l'enseignant est par essence, continûment dans un devenir. Il apprend son métier en le pratiquant et en étant questionné, en toute bienveillance, par ses pairs, comme tu le fais ici. Merci 

(1) https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/50428