Lorsque j'ai l'arrogance de croire être parvenu à communiquer cette inclination à certains de mes élèves, même partiellement, même pour quelques instants éphémères, j'en tire ma plus intense jubilation professionnelle.
Qu'espérer de meilleur pour la vie humaine que cet immense luxe de pouvoir se réaliser par le travail ?
Au printemps, j'ai eu le privilège de visiter le musée Picasso de Barcelone. Quelle n'a pas été mon extase en découvrant la salle des Meninas.
J'étais subjugué par la juxtaposition et la conjugaison des quarante quatre versions de l'artisan à l'œuvre et davantage encore par le sentiment d'y reconnaître mes petits écoliers tirant la langue, et ce n'est pas seulement une image, pour tenter de concrétiser un projet, de se réaliser en sortant victorieux d'une partie de bras de fer avec la matière résistante.
Comme par exemple, le petit Ilian venu librement deux jours consécutifs à l'atelier marqueur indélébile et encre. Ses œuvres, reproduites ici, témoignent de son désir de parvenir à représenter son « bonhomme-papillon ».
Mon propos n'est pas de niveler la grandeur de Picasso, mais plutôt de soupçonner en chaque humain des potentialités susceptibles de le porter aux sommets des Arts. Il s'agit de montrer les similitudes de nature de la force et de la forme du travail communes à l'humanité entière.
D'Ilian à Picasso, l'échelle est incommensurable.
D'un côté, un artiste de 76 ans, mondialement reconnu, s'enfermant une centaine de jours au second étage de sa villa cannoise pour réaliser 58 chefs d’œuvres dont les 44 Meninas.(1)
De l'autre, un enfant de 56 mois (4 ans et 8 mois) revenant deux jours d'affilée à la même technique pour réaliser six œuvres.
Indéniablement, les deux artistes sont portés par un processus créatif analogue.
Comme Picasso, Ilian, en faisant siennes des contraintes matérielles choisies, les transmute en instruments d'émancipation.
Il se fixe ou plutôt accepte le « cadre/canal d'expression » proposé dans la classe de tracer au marqueur à pointe ogive et de couvrir à l'encre.
Il concentre sa recherche sur l'expression de la forme du « bonhomme-papillon », à travers son corps, sa tête et ses ailles. Se limitant aux couleurs bleue et verte, il renonce momentanément à diversifier sa palette pour mieux s'entraîner à la maîtrise du feutre et du trait, perfectionner une technique d'expression, en acquérir la grammaire et le lexique, pour enfin, en sortir vainqueur et transformé.
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