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logo blog Deux ou trois choses au sujet de l'expression graphique chez les moins de 6 ans

 

Les langages s'acquièrent à travers une pratique expérimentale. Le langage graphique permet d'exprimer une trace-mémoire. Du magma du gribouillis surgissent progressivement des symboles prenant sens de dessins. Et quand on connaît et que l'on souhaite utiliser des codes spécifiques à certains langages, le graphisme devient de l'écriture ou des mathématiques.

La part du maître
Le maître ne doit pas avoir de scrupule pour induire les enfants vers l'acquisition de codes et de symboles. Il n'a pas à les leur imposer d'autorité ni à les leur servir sur un plateau. Leur impression dans la mémoire infantile est d'autant plus forte qu'elle est vécue comme une conquête. C'est un principe éducatif. Le maître doit éviter de s'ériger en modèle. Le maître s'efforce d'être exemplaire mais il n'est pas un modèle. Pour servir l'objectif émancipateur de l'acte éducatif, il ne doit pas leurrer ses élèves en les enfermant dans l'illusion que le maître détient LA 'Vérité' modélisable. Il doit utiliser ce pouvoir catalyseur que lui accorde son statut pour dynamiser le mimétisme entre pairs par l'entraide, la coopération, la copie. Il incite à poursuivre l'appropriation des langages entamée en dehors de l'école grâce aux identifications à d'autres aînés qui ont permis aux enfants d'être déjà culturellement animés. Il s'agit des parents, de la fratrie, de la famille élargie, du voisinage, des adultes tutélaires, etc. Le maître accompagne la propagation du code dans la classe, d'un enfant à l'autre. Il ouvre à d'autres perspectives pour s'étoffer à des sources culturelles extra-familiales chez les alter-ego à travers le monde et ses mémoires.
Le maître favorise la copie sans faire de rétention des savoirs. Il privilégie la culture de classe en suscitant les échanges horizontaux, en proposant un bain culturel universel en commençant par la fréquentation de l'environnement local des parcs, des scènes de spectacles, des expositions et des projections, le contact des livres et les services informatiques.

Plus l'enfant est jeune et plus intense est son besoin d'expérimentation par la manipulation même mentale, abstraite. Sa compréhension passe par l'agir, par le faire. Cela reste indispensable pour nombre d'adultes, particulièrement à certaines périodes de leur vie.

Saucissonner les savoirs en les programmant dans un socle n'est pas nécessaire, c'est même nuisible car cela les rend artificiels, déconnectés de la réalité et du désir du sujet. Les exercices artificiels détournent de la démarche personnelle d'apprentissage. Il est bien plus utile que l'éducateur se préoccupe de l'appétence cognitive générale de chacun de ses élèves et de leur bonne santé, c'est à dire de leur équilibre physique, psychique, social et de l'interaction de ces instances.

Un milieu de classe riche d'une offre diversifiée de possibilités expérimentales où les coopérations entre tiers sont dynamiques et animées d'un esprit d'ouverture culturelle au monde suffit pour permettre à chacun de ne pas s'ennuyer, de développer ses savoirs et de se nourrir culturellement. La part du maître consiste à (re)mettre en route et à entretenir la motivation interne. Il la stimule en montrant l'intérêt qu'il attache à l'ouvrage de chacun et en accordant une place institutionnelle à la présentation des œuvres entre pairs. La culture se construit, les réflexions s'élaborent par le jeu de la découverte des diversités et de l'identification de similitudes.

De quoi expérimenter est-il le verbe ?
Expérimenter, c'est se frotter à, pour goûter, pour savoir, pour apprendre.
Expérimenter permet au sujet d'émettre des hypothèses.
Tandis que faire des batteries d'exercices est un entraînement artificiel, faire des expériences est un apprentissage naturel d'autant plus que le processus expérimental comprend, pour la plupart d'entre nous, une phase de répétition pour transformer une découverte en automatisme.
En expérimentant, le sujet travaille, fait le point sur ses savoirs, ses pensées et ses émotions.

Expérimenter, c'est exprimer
Exprimer des découvertes sur et par des manipulations.
Exprimer des hypothèses sur le monde qui demandent vérification par confrontation .
Laisser parler (malgré soi) l'inconscient d'une manière acceptable socialement.
(S') exprimer, c'est laisser une trace de soi au monde, de ce que l'on est, de ce que l'on croit être, de ce que l'on aimerait être, de ce que l'on est malgré nous.

Ce qui agite la classe
L'individu est loin d'avoir une totale maîtrise des ses motivations, de ses désirs, de ses plaisirs, de ses actes, de ses pensées et des interactions avec les autres et les choses. Il y a une méta-expression, cet impensé de l'Etre qui se rappelle à la mémoire de la classe à travers l'élaboration d'œuvres ou par des parasitages de l'organisation. Elle s'invite sans aucune bonne manière. Elle se fiche des règles et des lois. L'éducateur et les enfants doivent faire avec tous ces inconscients à l’œuvre qui agissent chaque sujet dans ce qu'il fait et ce qu'il est avec les autres (et leurs interactions parfois sulfureuses).

Le maître a tout intérêt à avoir la plus grande méfiance de ce qui l'agit pour éviter d'en éclabousser les enfants. Il doit faire un travail d'analyse de ses positionnements, de ses réactions. Sans aller jusqu'à une obligation psychanalytique, au moins devrait-il pouvoir, dans le cadre professionnel, bénéficier de groupes de parole offrant une supervision sur la façon dont il mène son métier.
Chez les enfants, toutes les figures psychiques sont possibles. Donner la parole, donner le choix, permettre d'exprimer à l'aide de langages n'est pas une panacée, mais cela offre un canal d'expression et peut, parfois, contourner des terreurs oppressives confrontées à des provocations transgressives. La pratique de l'expression libre en classe est, finalement, un apprentissage à la paix. Elle peut, à l'insu des protagonistes, avoir des vertus apaisantes par la satisfaction qu'elle procure. Elle soulage de poids. Elle est sublimation.