Le Nouvel Educateur
Documents n°237
Supplément au numéro 40 de juin 92
Education, exclusion, mutation
Par Eric Debarbieux
Ce dossier du Nouvel Éducateur ne parle pas de pédagogie, il parle d'éducation. Pour tenter de resituer la place de la pédagogie dans l'éducation. Il ne parle ni des techniques ni vraiment du comment. Il pose plutôt la question du pourquoi. Mais pas d'un pourquoi désincarné dans l'atemporalité de valeurs éternelles. Il tente de mettre en avant quelques grandes tendances sociales pour y discerner des enjeux et des conditions. Pour lire du sens.
Ce n'est pas un dossier coopératif, au sens où nul groupe de travail ne s'est réuni pour l'élaborer. Il n'en est pas moins vrai qu'il porte la marque de tous les travaux qui l'ont alimenté et que, maladroitement, il tente de synthétiser et de vulgariser. Ces travaux ne sont pas des travaux du Mouvement Freinet, mais ils doivent l'interpeller. C'est en partie pour cela que ce dossier a été écrit.
Toutefois, comme il va de soi, ce dossier n'a pas été écrit prioritairement pour cette raison. Il n'a pas non plus été écrit spécialement pour des enseignants. L'enfant est un être global qu'aucun corps de métier, aucune pédagogie ne peut S'approprier. C'est donc aux parents, aux travailleurs sociaux, à tous les partenaires éducatifs qu'il s'adresse aussi. Car sans partenariat les mutations de l'éducation risquent de ne générer que de l'exclusion.
Éric Debarbieux
Le système éducatif français est en crise, tout au moins de confiance. Ce n'est pas nouveau, ce n'est pas la première crise. D'ailleurs, comme le dit Robert Ballion (
1), « l'on peut faire remarquer qu’un malade condamné et qui survit n'est peut-être pas aussi malade qu'on l'a cru ». On serait tenté de croire qu'après tout cette crise ne sera pas beaucoup plus grave que les précédentes et qu'elle se dépassera jusqu'à la prochaine.
Cependant cette crise présente des caractères originaux qui la rendent plus délicate à gérer que d'autres. C'est en effet le rapport même à la jeunesse qui est mis en cause. Cette crise est crise de sens. Des indicateurs sociaux précis permettent de l'affirmer : malaise des banlieues, nouvelles exclusions sociales avec un chômage des jeunes (ou plutôt une exclusion du monde du travail) qui devient constitutif de notre société, perte de confiance massive dans les politiques, et même la politique, désagrégation des institutions judiciaires, législatives et éducatives, atonie idéologique, désarroi des enseignants, déstabilisation des modèles traditionnels etc. « Nous avons appris à mesurer la nature du mal qui ronge nos sociétés et nous savons maintenant sans discussion possible que la question sociale se reconstitue par le bas et plus précisément par l'exclusion et sa spirale, où se combinent le chômage, l'absence de formation, la ségrégation résidentielle, la discrimination raciale et leur cortège de violence, d'autodestruction, ou de destruction de la famille » (
2). Cette crise n'est pas franco-française, elle est celle qui touche toutes les démocraties, qui leur dit leurs limites. La montée de l'idéologie de l'extrême droite - et non pas de ses seuls partis - n'est pas liée au seul Front National ; les émeutes de Los Angeles, les violences dans les banlieues belges ou dans les villes anglaises ont même essence, malgré leurs particularités, que les violences encore limitées qui ont cours en France. Il s'agit de combattre l'exclusion dans un monde où la liberté démocratique se conjugue de plus en plus avec le libéralisme économique. Comment situer l'école dans cette crise et que peut-elle faire ? Le peut-elle seule ? Quelle éducation dans ce temps de crise ?
Pour tenter de répondre à ces questions, nous examinerons successivement quelques grandes tendances sociales : l'apparition de nouvelles formes d'exclusion, et particulièrement celles qui touchent les jeunes et les immigrés, la montée de l'intolérance et les signes d'anomie sociale, les difficultés de socialisation par dissolution du modèle familial nucléaire et les difficultés de l'institution scolaire. En tirant les conclusions, nous tenterons de réfléchir aux nécessaires mutations et novations sociales et éducatives (
3).
OBJECTIF
Veux-tu me dire pourquoi on est là,
A vivre ça, à apprendre tout ça
Et connaître tout cela ?
Mais pourquoi pas ?
On est là,
On y va,
Pas à pas
Et on y croit
A cette vie-là
A cet aniour-là
Malgré tout cela,
Ça se voit : on est tous là
Et pourquoi pas ?
Michel
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AUTOMATIQUE INTERROGATION
Pourquoi le soleil se lève-t-il le matin ?
Pourquoi les étoiles sont-elles des petits trous d’épinle dans le rideau de la nuit
Qui peut savoir ?
Mais ce que je sais, c'est toi, parce tu es venu
au monde différent
Les hommes te craindront et essaieront de se
débarrasser de toi
Sache que nous nous utilisons tous les uns les
autres et c'est ce quenous appelons l'amour
Et quand nous ne pouvons plus
C’est ce qu nous appelons la haine
Tu dois te battre jusqu’à ce qu’il en reste un
Tu ne seras en sécurité que sur le sol sacré
Personne ne violera cette loi
c’est la tradition
Tu dois les aider
ces hommes faibles et merveilleux
qui mettent tant de grâce à se retirre du jeu
Il faut qu’une main posée sur leur épaule
les pousse vers la vie
Toi
liberté
tu es cette main
leur drogue
pour l’électrification des fantasmes
La tête
cerclée d’une divine violence
tu leur débloques l’imaginaire
dans le déferlement nuptial des énergies cosmiques
Et tu voudras que cela ne finisse jamais…
Nebosjar, 2nde
Lycée Viette, Montbéliard
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Pauvreté et chômage, relégation et violence. Cela n'arrive pas qu'aux autres, et croire que ce sont des phénomènes (pour) marginaux ressort d'une mauvaise interprétation des chiffres et de la réalité. La mobilité sociale est bien plus grande que par le passé, tant "vers le haut" que "vers le bas" (
4). Le problème actuel n'est plus le pourrissement de lignées familiales reléguées dans des bidonvilles, mais l'arrivée massive de "nouveaux pauvres" devenus tels à la suite d'accidents de parcours tels que le chômage ou un divorce ressemblant à un abandon économique. La précarité - à l'exception des classes supérieures - peut frapper tout un chacun. La "galère" n'est pas que dans l'imaginaire des jeunes. Nous verrons, chiffres à l'appui, combien cette dimension existentielle est objectivement porteuse d'angoisse. Il ne s'agit pas ici de dresser un tableau apocalyptique de la société française, mais de pointer des dysfonctionnements pour ensuite les rapporter aux problèmes de l'école et participer à une prise de conscience du milieu éducatif.
Le pouvoir d'achat a globalement augmenté de manière très significative ces trente dernières années en France. La quasi-totalité des produits alimentaires par exemple est deux à trois fois plus accessible qu'en 1960. Le train est deux fois plus accessible, une voiture coûte 1284 heures de travail d'un manoeuvre en 1984 contre 2148 en 1960, etc. (
5). Cette montée du pouvoir d'achat a certes été inégalitaire, mais en moyenne la disparité des revenus a été réduite de 56 % en une vingtaine d'années. La classe moyenne s'est étendue en France. La France s'est enrichie. Cependant ce caractère centripète de la répartition des revenus disponibles ne peut masquer qu'aux deux extrémités de cette répartition, les inégalités se sont creusées. Le président socialiste de la République a dû reconnaître, pour s'en indigner, que les très riches étaient toujours plus riches. A l'inverse, il y a belle lurette que le clochard "philosophe" n'est même plus un personnage de légende et l'on sait que le nombre de ménages pauvres (vivant avec moins de 40 % du revenu disponible moyen) a augmenté de 15 % par exemple entre 1979 et 1984. Associations caritatives et services sociaux essaient, avec difficulté, de contrôler cette exclusion économique. L'État, en créant le RMI essaie de pallier aux insuffisances du système économique.
Cette exclusion économique est bien sûr liée à une exclusion sociale, qui a valeur existentielle : celle du chômage. Je tiens ici à en rappeler les données essentielles, car elles font sens dans la problématique éducative. D'autre part, il n'y a pas à s'habituer à cet état de fait, il n'y a pas à sombrer dans un fatalisme confortable, qui masquerait la nécessité des évolutions éducatives. Le chômage touche environ 11 % de la population active. On pourrait donc penser qu'il est marginal. Il n'en est rien : dans la réalité, ce sont 80 % des premiers emplois qui sont précédés d'une période de chômage. Il touche prioritairement les jeunes et les salariés de 50 ans et plus. En 1989 la durée moyenne du chômage était de 16 mois. On peut donc dire que le chômage touche à un moment ou à un autre la majeure partie de la population active. Pour les jeunes, et nous y reviendrons car c'est une des mutations principales, l'exclusion du marché du travail se traduit par un allongement inédit de la dépendance financière, affective et sociale (
6). C'est un des éléments essentiels dans la difficulté de la définition de soi des jeunes. Cet allongement pose des problèmes inédits à la famille, nouveau refuge, mais aussi à l'école, transformée en salle d'attente... Certes, l'idéologie dominante reste celle de l'élévation sociale par la montée du savoir scolaire. Mais, en réalité, si les jeunes restent de plus en plus à l'école c'est parce qu'ils sont exclus ailleurs, qu'ils n'ont pas de place autre. On sait maintenant que
cet allongement de la scolarité, et la multiplication des diplômés, ne se traduit pas, bien au contraire, par une baisse de niveau (
7). Mais le problème n'est pas dans cette prétendue baisse
du niveau: il est dans l'invention d'une école désormais de masse, tant au niveau du primaire et du collège (réalisée dans les années soixante) qu'au niveau du lycée et bientôt de
l'université. Ballion a raison de mettre en question cette incapacité de notre société à se renouveler et qui oblige l'être humain à passer plus du quart de sa vie ... pour se préparer à vivre(
8). Que signifie dans ce contexte" l'école ouverte sur la vie" ? Que signifie" l'éducation au travail ", suivant le titre d'un ouvrage de Célestin Freinet lorsqu'il faut tout autant se préparer à attendre le travail ? Rappelons encore quelques éléments (
9) : chaque année 700 000 jeunes sortent du système scolaire (à quelque niveau que ce soit). 9 mois plus tard 400 000 ont un emploi (y compris des emplois précaires qui concernent près de 8 % des 16-25 ans), soit 57 % seulement. Trois ans plus tard 30 % de ceux qui sont sortis en 1986 ont un emploi stable contre 70 % en 1979. 27,2 % des demandeurs d'emplois ont moins de 25 ans ... beaucoup ne sont pas indemnisés (40,8 % des demandeurs d'emplois ne le sont pas). L'échec scolaire, en
fournissant le gros des bataillons des jeunes allant de stages d'insertion en petits boulots a sa part dans la " galère", et son effet social est plus cumulatif encore que naguère. Comment
s'étonner alors que pour 86 % des jeunes le chômage soit un souci prioritaire, et qu'ils considèrent que" ça n'arrive pas qu'aux autres" ? (
10). Comme le dit G. Courtois en commentant ce sondage: « s'il existe parmi les lycéens un sentiment fédérateur c'est bien cette inquiétude, voire cette angoisse de l'avenir » .
Autre exclusion, qui n'est pas nouvelle, mais qui prend d'autres proportions, celle de la relégation dans ce qu 'on appelle des" ghettos urbains ". Cette relégation a classiquement été
lue comme le résultat d 'une industrialisation qui a vidé les campagnes, frappées d'exode rural. Cette explication n'est sans doute pas suffisante. Alors que l'on est passé depuis longtemps à une société" post-industrielle " ce phénomène d'urbanisation n'a fait que croître. En effet, tandis qu'au XI xe siècle les faubourgs ont accueilli en moyenne 100 000 ruraux supplémentaires par an, et que jusqu'aux années cinquante les banlieues pavillonnaires en ont logés 140 000 annuellement, on sait que les grands ensembles ont dû depuis loger 570 000 nouveaux
citadins par an (11). Cinq français sur dix vivent en banlieue, et le phénomène s'accélère. Le dernier recensement a ainsi montré que d'ici 2015 un Français sur 5 vivra en lle-de-France,
qui comptera alors 12,3 millions d'habitants (contre 10,6 actuellement). Comment, dans ces conditions, parler encore de décentralisation? Il faudra construire 65 000 nouvelles habitations
par an dans cette région. Avec quel choix? L'urbanisation des zones encore vertes ou la construction " en hauteur ", en continuant l'entassement? Le problème dépasse de loin les
clivages politiques et la politique de la ville est désormais une priorité pour les édiles de tous bords.
Ces" ghettos" concernent prioritairement les immigrés et les étrangers. Un rapport récent de l'INSEE montre cet effet-ghetto (12) : 65 % des ménages habitent en milieu urbain. Chaque
étranger occupe en moyenne moins de 20 m2 contre 33,5 m2 par Français. Pire, en région parisienne le rapport est de 16,7 m2 contre 30,4 m2. Il ,2 % des étrangers contre 4,6 % des
Français occupent un logement sans eau chaude. La moitié des ménages étrangers hors CEEoccupent des logements type HLM contre un ménage français sur six. L'exclusion n'est pas qu'un sentiment.
Bref, la banlieue n'est pas " marginale ", même si ses habitants sont marginalisables. Le sort des démocraties se joue en grande partie dans la maîtrise de l'urbanisation. Los Angeles nous le rappelle aussi bien que le Val Fourré ou La Courneuve. Les politiques et les nouvelles associations s'en sont bien rendu compte. Indéniablement une conscience sociale est en train de naître qui veut s'emparer du débat, et agir concrètement, sur le terrain. L'école est parfois, pas assez, partie prenante de ce débat. Mettra-t-elle vraiment en place de nouvelles pratiques ? La relégation est aussi son fait : à quartiers ghettos, établissement spécialisés dans " l'échec scolaire ". L'inégalité sociale, qui antérieurement s'affirmait dans les " filières " s'affirme de plus en plus dans une séparation entre l'établissement de prestige, dit "d'excellence" et l'établissement à qui incombe la charge de scolariser les exclus (les fameux 20 %) (
13). Le dynamisme de certains de ces derniers établissements n'est pas en cause, même si trop souvent c'est plutôt la fuite et le découragement qui saisissent les enseignants qui, généralement, n'habitent pas dans le quartier. Actuellement le tissu scolaire joue plutôt, sous prétexte de « choix de l'école », la carte de l'exclusion. Le Haut Conseil à l'intégration (
14) a en particulier prouvé, après une enquête auprès des maires, que ce phénomène de concentration des étrangers est une tendance générale : « Ainsi dans les communes qui ont un pourcentage peu éloigné de la moyenne nationale (entre 6 et 10% d'étrangers) il existe des écoles qui accueillent entre 40 et 60% d'enfants étrangers ». Cette concentration est rarement plus forte dans les autres communes qui comptent un pourcentage plus élevé de population étrangère. Il y a donc bien des "écoles-ghettos", mais en aucun cas la seule démographie ne suffit à l'expliquer. Cette constatation ne doit pas pour autant faire croire à une quelconque fatalité sociologique de l'échec. Toutes les enquêtes menées ont montré l'importance du style pédagogique de l'établissement, qui parfois, malgré sa mauvaise réputation arrive à des résultats nettement supérieurs à ce qu'on attendait (
15). Nous reviendrons naturellement sur ce rôle de l'école et sur sa liaison avec la politique de la ville.
Ces phénomènes de relégation s'accompagnent, dans l'esprit du public au moins, d'une certaine montée de la délinquance et de l'anomie. Mais est-ce bien exact ? Pour la petite délinquance, il semble bien que les atteintes aux biens, mais non aux personnes, ont spectaculairement augmenté de 1975 à 1985, passant de 1 570 000 infractions constatées à 3 108 000 (
16). Après avoir décru de 1986 à 1989, elles augmentent à nouveau en 1989 et 1990, en particulier dans les zones fortement urbanisées (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Côte d'Azur avec 44 % des infractions). Pourtant il faut se garder d'une lecture dramatique de ces chiffres : les vols d'automobile par exemple ont progressé de 42 % en 16 ans, de 1972 à 1988... mais le parc automobile s'est accru de 80 %. Statistiquement chaque voiture a moins de risque d'être volée que par le passé ! (
17).
Le sentiment d'insécurité a augmenté nettement plus que les faits puisque plus de 40 % des Français disent être parfois " sérieusement inquiets " pour leur sécurité (
18) et que la sécurité est la troisième valeur qu'ils préfèrent, après la liberté... mais avant l'égalité (SOFRES, 1991). La désanctuarisation de certains lieux, l'école en particulier participe de la montée de ce sentiment d'insécurité. Là encore gardons-nous des simplifications outrancières : certains établissements « qui devraient avoir des problèmes » en ont peu, et d'autres, qui devraient être calmes ne le sont pas. Il n'en est pas moins vrai que la violence de " la galère " apparait souvent gratuite et autodestructice, renforçant le sentiment d'insécurité - c'est-à-dire d'imprévisibilité aussi bien chez les jeunes de la galère euxmêmes (
19) que chez les adultes.
Autre indicateur éminemment significatif : le développement des signes d'anomie (
20). On peut mesurer celle-ci à l'accroissement par exemple de la consommation de drogue. Cette consommation touchait dans les années 70 les milieux étudiants, plus aisés. Elle touche maintenant tous les milieux et pas seulement en banlieue. Elle s'est surtout développée dans les milieux fragilisés socialement. Les drogues " douces " « participent de la galère et de sa soc,ialité », comme l'écrit Dubet (
21), mais le " trou noir " de l'héroïne ou autres drogues " dures " est maintenant un moyen de sortir de celle-ci, alors qu'elle était quasiment inconnue en France il y a une vingtaine d'années. Le taux global des suicides a lui aussi fortement augmenté, surtout chez les hommes de 16-25 ans (triplement de ce taux depuis 1950). Drogues légales, les somnifères ont vu leur consommation sextupler depuis 1970.
A ces nouvelles formes d'exclusion sociale, il n'y a pas une réponse bien définie, et la démocratie tâtonne encore à la recherche d'un traitement approprié. Une première tentation est au repli sur soi et à la recherche de bouc émissaire. C'est cette tentation sécuritaire et xénophobe que nous allons maintenant étudier en revenant sur l'exclusion des immigrés. Ou plutôt sur les difficultés du "nouveau prolétariat urbain multiracial" et la tentation extrémiste.
A ces phénomènes d'exclusion se surajoute en effet, dans les sociétés démocratiques, une représentation très négative de l'Autre, de l'étranger. Cette représentation, loin d'être épiphénoménale et passagère se conforte avec le temps et gagne de nouvelles couches de population. Ainsi, en 1975, 61 % des Français trouvaient " sympathiques que des étrangers qui se sont installés en France puissent continuer à vivre de la même manière que chez eux ". Ils ne sont plus que 47 % en 1985, et ils sont 53 % à ne pas croire que la présence d'étrangers appartenant à d'autres cultures est une chance pour la France (
22). Dans de nombreux pays d'Europe, l'extrême droite progresse, clairement néonazie ou néo-fasciste en Allemagne, en Autriche, en Belgique. A peine voilée en France sous un populisme xénophobe. Mais le débat n'est pas dans la victoire ou non de l'extrême droite politique, mais de son idéologie. On ne peut s'empêcher de penser que ses idées ont fortement progressé quand un ancien Premier Ministre joue avec succès de la " mauvaise odeur " des immigrés, ou quand un ancien président de la République parle du " droit du sang ". Avec quel résultat'? Pour l'un une hausse de cinq points dans les sondages, pour l'autre de sept points. Un tribunal de la République a pu sans rire estimer que la phrase sur la mauvaise odeur était en fait destinée à améliorer la « dignité humaine » des immigrés. 37 % des Français se sentent proches des idées de J.-M. Le Pen, même s'ils ne votent pas pour lui, et 37 % disent " éprouver des sentiments racistes " (SOFRES 1991 et 1992). Les trois quarts sont opposés au vote des immigrés aux élections locales (SOFRES, 1990). L'exclusion des immigrés est aussi exclusion politique. Cette exclusion risque de se renforcer encore avec les modifications constitutionnelles liées au Traité de Maastricht, qui effectueront un tri entre bons " et " mauvais " immigrés : seuls les " Européens " seront éligibles. Ce qui ne peut que renforcer la " rage " des jeunes issus d'autres communautés, particulièrement du Maghreb et d'Afrique noire.
Si un courant antisémite minoritaire mais tout de même important (de l'ordre de 12 % selon la SOFRES, 1991) persiste, les principales difficultés d'intégration concernent les Maghrébins et particulièrement les Algériens (
23). Il y a à cela des raisons historiques, liées à la décolonisation et aux lenteurs de l'histoire. Rappelons simplement quelques chiffres : les Algériens ont le plus fort taux de chômage (21,9 % contre 14 % pour les étrangers en moyenne), occupent les emplois les moins qualifiés (46,8 % sont ouvriers non-qualifiés contre 12,6 % pour les Français et 38,1 %) pour l'ensemble des étrangers (seule la population d'origine portugaise approche les chiffres des Maghrébins). Le peuple ouvrier, le prolétariat, ce sont les immigrés. Le chômage " étranger " a augmenté entre 1984 et 1989 de 16,6 % à 17,8 % alors que pendant ce temps le chômage " français " est resté stable. Ce sont surtout les femmes " étrangères ", exclues parmi les exclus, qui ont vu les plus fortes pertes d'emploi durant la période, avec un taux de 24,7 % (
24).
En conclusion de cette première partie, il faut moduler ce qui vient d'être dit. Ne pas tomber dans un excès misérabiliste. La mobilité sociale des exclus et de leurs enfants est bien plus grande qu'on l'imagine et des progès sensibles ont eu lieu. Progrès contradictoires, mêlés parfois de régression, progrès fragiles mais réels. Ainsi le Haut Conseil à l'intégration a relevé l'amélioration générale des conditions du logement des étrangers depuis 1982, mais cette amélioration n'empêche que ces conditions sont nettement moins bonnes que celles des " Français ". Les immigrés arrivés en France avant 1968 sont en majorité (à 54 %) ouvriers, leurs enfants sont en majorité employés ou exercent des professions intermédiaires (54 %, INSEE 1986). La forte progression des mariages mixtes, qui ont doublé depuis 1970, malgré une stabilité des flux migratoires, montre les réels progrès de l'intégration. Mais paradoxalement, les psychosociologues ont montré que la plus grande proximité amplifiait les phénomènes de rejet. Plus l'Autre est proche - plus on risque de devenir l'Autre - et plus il fait peur (
25). On assiste à ce paradoxe qui fait que l'étranger fait encore plus peur lorsqu'il s'intègre dans la société française. Exclure, c'est avoir peur que l'Autre prenne ma place. Si l'intégration a effectivement progressé structurellement, les attitudes du public ont sans doute régressé. Elles impliquent l'exclusion au quotidien, celle qui est la plus difficile à vivre. Celle d'où naît en partie la « rage ». Celle qui ne peut changer qu'à long terme, avec une priorité peut-être aux solutions éducatives.
Elément important de la crise du système éducatif : la déconstruction/recomposition du modèle antérieur de socialisation avec ses deux institutions majeures, la famille et l'école. A une famille de plus en plus éclatée, on demande plus, en exigeant d'elle qu'elle assiste tardivement de jeunes adultes. A une école qui n'y est pas prête correspond un élargissement de son rôle de socialisation. Ces transformations doivent également se penser sur le long terme.
La sociologie de la famille a depuis la fin des années soixante prévu et décrit l'émergence de nouveaux modèles familiaux, en particulier celui de la " famille post-modeme " selon les termes d'Edward Shorter (
26). Cette famille se traduit d'abord par une instabilité plus grande du couple parental, et par une importance toujours plus grande accordée à l'amour. Ces deux points ne sont contradictoires qu'en apparence. En effet, la valeur " amour " qui préside idéologiquement et pratiquement à la constitution et à la vie des couples depuis le triomphe du modèle malthusien ne peut qu'accréditer la légitimité de la séparation quand les liens amoureux se distendent. Galland résume cet effet inattendu en affirmant que « au contraire, l'idéologie du mariage d'a mour n'a cessé de progresser, au point de tuer le mariage lui-même, en opposant l'exigence de sincérité de l'engagement interpersonnel au formalisme des conventions matrimoniales » (
27).
Le nombre d'enfants ne vivant plus avec les deux géniteurs est en augmentation importante depuis 1970. Nous sommes passés de 37 000 divorces par an à 107 000 environ. Le taux de divorcialité a allégrement dépassé 33 % (
28). Ce sont plus d'un million et demi d'enfants du divorce, sans préjuger du nombre d'enfants naturels " ne vivant pas avec les deux parents. y a en France près de 10 % d'enfants vivant dans une famille monoparentale (
29). Ce sont à 85,5 % des femmes seules. L'accroissement de ce dernier nombre est de 85,5 % de 1968 à 1982. Il y a là un premier facteur de rupture avec le modèle nucléaire monogamique antérieur. « Ce qui est nouveau dans la France des années 80 c'est que ces modèles, dans leur diversité, sont acceptés. De déviances, ils sont devenus nouvelles normalités admises par la société contrairement à l'idéologie bourgeoise du XIXE siècle qui se prolonge jusque dans les années 1960 et qui faisait de la famille légalement constituée la norme unique et contraignante » (
30). Sans doute, reste que la représentation sociale du divorce ou de la séparation a encore gardé quelques automatismes et quelques archaïsmes : 83 % des décisions de garde des enfants sont établies en faveur de la mère, et la persistance d'une image de la fatalité de l'échec scolaire et social des enfants de divorcés reste forte. Nadine Lefaucheur, dans une étude déjà citée, a montré combien par exemple la «,famille monoparentale » renvoie à une image de pauvreté et d'assistance. La recherche récente a montré que cette fatalité était loin d'être prouvée, tant au niveau économique qu'au niveau éducatif. Ainsi au niveau économique une courbe de Gauss pourrait être tracée montrant que les revenus restent identiques en moyenne après la séparation, augmentant dans 25 % des cas et diminuant pour une proportion identique. Au niveau éducatif s'inventent des réseaux plus larges où peut se rejouer la socialisation de l'enfant, malgré le fait qu'un père sur deux voit peu ou pas du tout ses enfants. Il reste de la culpabilité, elle est plus un archaïsme qu'une certitude raisonnable.
« Il s'invente quelque chose » au niveau d'une nouvelle prise en charge de l'enfance. Et il est vrai que les « nouvelles fàmilles» sont de véritables « laboratoires de production normative et de régulation sociale ». Cependant, cette inventivité est parfois limitée et angoissante, comme en toute période de déséquilibre où les modèles traditionnels ne fonctionnent plus. La rupture avec le père peut mais ce n'est surtout pas fatal - créer des problèmes de rapport à la loi, problèmes de toute manière déjà existants dans la famille encore structurée dans une apparente tradition.
Avant de passer à ces difficultés intrafamiliales, notons de manière un peu provocante que, quoi qu'il en soit du rejet de l'étranger " polygame ", la société française avec d'autres - est désormais une société largement polygame, aussi bien polyginique que polyandre. La différence est qu'il s'agit d'une polygamie étalée dans le temps. Il n'empêche qu'un enfant a toutes les chances de connaître les compagnes ou les compagnons successifs de ses parents. C'est la naissance de la " famille en réseau ". Nul ne peut encore dire ce qu'elle deviendra.
Nous disions à l'instant que la rupture familiale pouvait engendrer quelques difficultés de rapport à la loi. Outre qu'il s'agit ici d'une fausse évidence, le divorce n'étant pas nécessairement suivi d'un échec scolaire ou social, il faut dire que les véritables difficultés du rapport à la loi sont bien plutôt dans la famille " postmoderne ", avec ou sans rupture structurelle. Plusieurs éléments entrent enjeu (
31) dont nous n'évoquerons que la dissociation affection-éducation et le brouillage des limites jeunes adultes. Ces deux éléments posent en effet de nouvelles missions aux institutions éducatives, particulièrement à l'école.
Dissociation affection-éducation. La valeur essentielle d'une société hédoniste et consumériste reste l'amour-plaisir comme base du bonheur. Le " cocooning " devient un mode de vie massif dans les classes moyennes, majoritaires. On veut " tout donner " à l'enfant, conçu comme une valeur de base. Est-ce le règne de " l'enfant-roi ", c'est-à-dire en fait de l'enfant surprotégé, exclu du véritable jeu social et de la citoyenneté ? Le discours parfois excessif porté sur les seuls droits passifs de l'enfant est un indicateur. La médiatisation insensée des " violences sexuelles " est aussi indicatrice d'une peur de la trop grande érotisation intra-familiale des rapports à l'enfant. Le développement de l'enfance comme cible privilégiée du consumérisme a des effets ravageurs dans toutes les classes sociales. Ne peut-on par exemple voir avec Jazouli que « le vol de produits de consommation ou d'habillement ne sont que l'expression de la pauvreté et de la frustration face à une société qui durant cette décennie a placé l'argent, l'avoir et le paraître en tête de ses valeurs » (
32). En bref, qu'on le veuille ou non, on préfère " aimer " que punir. La famille ne joue plus aussi clairement le jeu des interdits fondamentaux, et en particulier celui de la confrontation principe de plaisir-principe de réalité, si l'on accepte cette explication analytique. La sociopsychanalyse a mais à jour l'image d'un Père " infiltré d'éléments maternels ", selon le mot de Mendel. Il y a en tout cas des difficultés à internaliser la loi du Père.
Les limites jeunes-adultes se brouillent. Le long retardement de l'entrée dans la vie active peut être vécu comme une infantilisation des jeunes adultes. Il est aussi l'abandon de tout rite de passage clair, par une prolongation de l'adolescence. D'autre part la jeunesse vécue comme « valeur » par les parents gêne les processus d'identification et efface la limite jeune-adulte... au profit des adultes. En cette période de réorganisation, les relations familiales sont plutôt " floues ". Aimée, certes, la jeunesse est aussi exclue de tout pouvoir réel de décision. D'ailleurs si l'on a peur pour elle, on a aussi peur d'elle.
En bref, on peut dire qu'un des problèmes majeurs posé actuellement au système éducatif - et je n'entends pas par là la seule école – est celui du rapport à la loi. Ballion résume au mieux ce problème en notant (
33) : « Depuis la fin des années soixante, une mutation idéologique profonde s'est effectuée, engendrée par les nouvelles conditions de vie de, la société de consommation et ultérieurement de crise, par l'évolution des moeurs, les industries culturelles et les médias de masse visant la jouissance immédiate et valorisant l'absence de contraintes, et , in fine, par l’affaiblissement de l'engagement collectif social ". Mon propos n'est pas bien sûr de prôner une quelconque restauration d'un ordre moral. Mais d'essayer de mettre en lumière les pratiques sociales nouvelles, qui interfèrent avec les missions traditionnelles des institutions éducatives, en particulier l'école et ses partenaires.
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Slogans lycéens
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Jospin du fric
Jospin radin
Passe à la caisse
Jospin gros radin
Les trois quarts des slogans réclamaient de l’argent pour l’éducation nationale. Au lycée Viette, notre établissement, il n’y a pas encore de véritables problèmes de surcharge d’élèves dans les classes, mais nous déplorons un manque de place dans les ateliers, des machines endommagées et un manque de matériel suffisament perfectionné.
Au lieu de blanchir les députés, blanchis nos lycées.
Réforme globale.
Du fric pour l’école, pas pour la guerre du pétrole.
Tous les sous pour l’armée, pas assez pour l’éducation.
D’autres slogans étaient contre la politique actuellement menée, aussi bien à l’intérieur qu’autour de la guerre du Golfe.
Manifester oui, foutre le bordel non
Ce dernier slogan s’adressait à certains qui n’étaient pas lycéens et qui venaient se glisser au milieu des manifestants pour saccager les boutiques et détruire les voitures ; là nous disons non.
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L'éducation est donc en profonde mutation. De grandes tendances nous sont apparues dans le corps social, qui toutes ont un impact sur le processus de socialisation. D'abord l'apparition de nouvelles formes d'exclusion, qui concernent directement bien des jeunes, et les angoissent massivement. Exclusion du monde du travail, pour la plupart avec la perspective d'une prolongation indéterminée des études et de la dépendance. L'entrée dans la vie se traduit par une période plus ou moins longue de chômage. Pour une part fragile de la jeunesse, l'engluement dans le travail précaire et la fuite sans fin des stages d'insertion est la seule perspective identifiée. La tendance au repli sur soi dans la famille est forte. Les valeurs individualistes et hédonistes créent en même temps le sentiment d'une frustration intolérable. Le repli dans la famille est d'autant plus problématique que le modèle familial traditionnel est lui-même en mutation. Le rapport à la loi est rendu délicat par une dissociation affection-éducation et un certain refus des contraintes.
L'insécurité de la jeunesse et dans le rapport à la jeunesse est grande. La tentation est grande de désigner certains jeunes (et leurs familles) comme responsables des difficultés rencontrées. En particulier sont accusées les "hordes barbaresques " qui dévaleraient des banlieues pour jouer les casseurs. Elles jouent dans l'imaginaire social le rôle de l'épouvantail. La mutation de la famille est assimilée à un triomphe du " laxisme ". Discours dangereux pour les démocraties. Le discours conservateur domine par exemple la politique américaine. En France, 60 % des Français croient à un retour des valeurs traditionnelles dans les prochaines années et ils sont 80 % à souhaiter ce retour (34). Le discours de l'ordre appelle à la restauration impossible de valeurs disparues avec les pratiques sociales qui les soutenaient. Le discours de l'ordre s'accompagne aussi d'une tentation du traitement judiciaire des problèmes de la jeunesse en difficulté. Cette tentation, rappelons-le, est constante dans les périodes incertaines sur le plan politique et social. Rappelons simplement qu'en 1980, période incertaine s'il en fut, le pourcentage des détentions provisoires des mineurs avait augmenté de 40 %.
Or le problème n'est ni de punir, ni de soupirer après un passé mythifié. Un nouveau rapport à la jeunesse s'invente, toute restauration serait une régression. Nous vivons une période de profonde mutation. Ce qui n'empêche la famille et l'école de devenir des " valeurs-refuges ". La famille, accusée des pires maux par les enseignants, a pourtant une mission élargie : elle doit garder en son sein, et de plus en plus tard, de jeunes adultes. Elle l'avait d'ailleurs fait bien antérieurement, mais dans un contexte très différent où les valeurs collectives étaient bien plus fortes. La solidarité familiale est plus que jamais une des conditions de l'entrée dans la vie des jeunes. Elle se base sur l'amour, plus que dans le passé des sociétés rurales. C'est là une des résultantes du passage de la famille moderne à la famille post-modeme. La réorganisation de la socialisation sépare donc le rôle d'affection du rôle de normalisation. Cette séparation n'est évidemment pas totale, et la transmission des valeurs continue dans la famille. Mais la contrainte y est nettement moins forte dans bien des milieux (35). Les arrangements familiaux, la naissance de nouveaux réseaux pour les familles entraînera peut-être de nouveaux procès d'identification. En attendant, une des tendances lourdes de la société française paraît bien être cette nouvelle séparation famille-normalisation. Tout se passe comme si c'est à d'autres institutions éducatives, et à d'autres personnes que les parents, que revenait désormais la tâche de conformation.
Rappelons que la socialisation, si elle n'est pas que cela, est d'abord l'internalisation de normes. « La seule raison d'être d'un être, c'est d'être. La seule raison d'être d'un être c'est de maintenir sa structure, de ne pas être mis en désordre, de conserver son équilibre biologique » (
36). La motivation fondamentale des êtres vivants est le maintien de leur structure organique. C'est-à-dire aussi, pour les animaux les plus évolués, de leur structure psychique dans la mesure où elle est structurée pour favoriser ce maintien, et des structures sociales dans la mesure où ces structures favorisent et autorisent la survie de ces vivants. Au niveau des sociétés animales, l'adaptation des petits à la société est la reproduction de l'adaptation plus générales de ces sociétés à un biotope précis, lequel, lorsqu'il change, exige une ré-évolution de ces sociétés sous peine de mort pour l'espèce. On se socialise et on s'adapte pour vivre. C'est une règle pour les sociétés, c'est une règle pour les individus qui les composent. Une société ne pourra vivre si les individus n'intègrent pas les processus adaptatifs du groupe, un individu ne pourra vivre s'il ne s'adapte pas au groupe (ce qui montre combien adaptation et socialisation sont des concepts actifs : on se socialise plus qu'on est socialisé, on s'adapte plus qu'on est adapté).
Il n'en va pas autrement pour les groupes humains. Seulement cette nécessité prend une tout autre ampleur du fait de l'extraordinaire durée de la dépendance physiologique du petit d'homme vis-à-vis de ses géniteurs ou de leurs substituts, qui est à l'origine d'une vie psychique très développée et de la complexité connexe du milieu social. Malgré cette complexité il n'en reste pas moins ce fait massif : « tous les groupes façonnent des normes, ou des règles de conduite appropriées. Bien que le contenu de ces normes varie d'un groupe à l'autre et souvent se modifie au cours du temps à l'intérieur d'un groupe donné, aucun groupe ne peut permettre que ses normes soient couramment violées » (
37). Acquérir la " culture " est d'abord acquérir des normes, fixant les limites nécessaires pour rendre la vie commune possible et efficace (
38). Bref, la culture est aussi la transmission des normes fondamentales, qui ne peuvent être constamment violées si les membres du groupe veulent avoir des interactions sans heurts et si le groupe dans son ensemble doit survivre et atteindre ses buts. En ce sens, se socialiser c'est s'adapter à ses normes. Et cette conformité est nécessaire.
Ce détour théorique pourrait nourrir le discours de l'ordre. Ce serait oublier que cette nécessaire conformité a ses limites, tant sur le plan du groupe que sur celui de l'individu. Pour une société ou un groupe donné, une conception trop rigide de la culture ne permet pas d'intégrer les apports extérieurs, qui peuvent être changement de milieu ou apports hétéroculturels. Dans le cas d'un trop grand conformisme le groupe donne des réponses inadéquates qui peuvent aller jusqu'à menacer son existence. L'ethnopsychiatrie a abondamment prouvé l'existence de sociétés qui sont désespérément enlisées dans les sables mouvants d'un hyper-conformisme dont elles ne peuvent se dégager (
39). C'est rendre service à une société que d'être déviant et une société qui écarte les apports extérieurs s'autodétruit. Ce n'est rien d'autre en Sciences humaines que l'illustration de ce vieux principe de physique : l'entropie. Tout système clos sur lui-même perd de l'énergie et finit par se désintégrer. Une société qui refuse d'évoluer, qui refuse les apports allogènes n'est rien d'autre qu'une société en décadence. La décadence n'est pas dans la nouveauté, elle est dans l'immobilisme. Le multiculturalisme n'est rien d'autre qu'une chance donnée pour corriger les effets pervers du conformisme. S'il est vrai que la conformité a pour principale fonction d'adapter le monde social au monde physique (
40) et d'assurer l'efficacité du groupe, les pressions vers l'uniformité d'opinion peuvent nuire à l'efficacité du groupe si elles empêchent de rechercher et discuter des solutions de rechange. Le cas des régimes totalitaires est clair. L'effondrement brutal des régimes de l'Est est l'exemple parlant de cette loi humaine. La logomachie du Front national comme la sanglante résurgence des nationalismes balkaniques participent de cette tendance chaotique et sans gloire.
Plus les problèmes sont complexes, et le choc des cultures est une complexification intense, plus le conformisme est un mode d'approche inadéquat. Bref le non-conformisme, dans un univers changeant et multiculturel est la réponse adéquate pour permettre au groupe d'agir et de s'adapter. Alors revenir à l'ordre ancien? Certes pas : une socialisation réussie est un équilibre entre la conformité et la non-conformité. Plutôt que de pleurer sur la disparition des modèles antérieurs, nous devons voir dans les mutations évoquées une tentative de réadaptation de nos sociétés à un milieu qui a globalement changé. Cette réadaptation est douloureuse pour tous les acteurs du champ éducatif. Elle est inéluctable. Les enseignants, les parents, les enfants et les jeunes, les travailleurs sociaux sont au pied du mur. Dans une situation difficile on peut innover car il FAUT innover sous peine de disparaître. Les mutations en cours concernent les acteurs sociaux au plus près de leur vie quotidienne. En ce sens l'effondrement des régimes de l'Est est une grande chance : le changement peut être produit sur des modes autrement réalistes que celui d'un impossible Il grand soir". C'est sur le terrain, dans l'utopie restreinte, que se joue l'avenir. Ce retour du local et de l'acteur est sans doute la manière finde-siècle de prendre en compte la complexité des réadaptations nécessaires (
41). Cela est particulièrement vrai pour l'école.
L'école n'échappe pas, évidemment, aux mutations. Et là aussi, plutôt que de s'en désoler il convient de s'en réjouir. Il y aurait en effet quelque paradoxe à désirer à la fois une meilleure intégration des jeunes, à souhaiter sincèrement lutter contre l'échec scolaire, et à se satisfaire de l'immobilisme d'une école qui participe fortement aux processus d'exclusions sociales. Ce paradoxe est pourtant un des paradoxes du corps enseignant, insécurisé, ayant de soi une image bien plus négative que celle que l'opinion a de lui-même (CSA/Ligue de l'enseignement, 1988). La résistance au changement est forte. Nous rappellerons donc d'abord quelques données sur le caractère excluant de l'école, mais nous les éclairerons ensuite par l'évocation des changements en cours, afin de mieux identifier les changements nécessaires.
L'école exclue, l'école reproduit les clivages sociaux. La sociologie des années 70 a largement mis en lumière ces effets. Sous l'impulsion des travaux de Bourdieu et Passeron, de Beaudelot et Establet, des théories du labelling ou de la philosophie de Michel Foucault, s'est imposée l'image d'un appareil reproduisant une culture stable et effectuant la discrimination sociale. L'idée que la pratique pouvait changer cet état de fait était dénoncée comme un leurre, une illusion idéologique (
42). Ce qu'on appelait le pédagogisme. Cette analyse garde une grande force et le caractère sélectif du système scolaire reste globalement important. Le Haut Conseil à l'intégration (rapport 1991) a ainsi identifié la situation scolaire des enfants étrangers comme un des éléments qui risquent de freiner l'intégration. La répartition des élèves étrangers dans les différents niveaux du second degré laisse apparaître pour eux une moins grande réussite. Leur surreprésentation dans les enseignements aux débouchés difficiles est caractéristique. Ainsi alors qu'ils représentent 7,4 % de la population scolaire en 1989-1990, ils représentent 18,3 % des effectifs de l'enseignement spécial, 13,5 % des CPPN et CPA et 8,6 % du 2e cycle professionnel. Ils ne représentent à l'inverse que 4,2 % des effectifs de l'enseignement général et technologique. C'est surtout dans l'accès à l'enseignement long que le tri a lieu, dès la classe de quatrième. Comme le conclue le Haut Conseil, les statistiques semblent faire apparaître un " effet étranger " qui amoindrit les chances de promotion sociale. Robert Ballion a de son côté montré, comme nous l'avons déja évoqué, qu'une des manières actuellement privilégiées pour le tri social est la spécialisation des établissements. Les uns pour l'élite, d'autres un peu moins " bons " dont se contentent les élèves moyens, des établissements spécialisés dans les cas difficiles enfin. L'appartenance sociale continue de peser lourdement sur la réussite scolaire. Ainsi plus des trois quarts des enfants d'enseignants, de cadres supérieurs ou de professions libérales entrés en sixième en 1980 ont obtenu leur baccalauréat. Un quart seulement des enfants d'ouvriers sont devenus bacheliers (
43).
Tout cela est bien connu. Ce qui ajoute à la rage des jeunes issus de l'immigration n'est d'ailleurs pas tant l'exclusion elle-même que son fondement ethnique. Les groupes rassemblés par F. Dubet pour ses travaux sur la galère expriment ce sentiment d'une sur-exclusion par le " délit de sale gueule " (
44). Les travaux de D. Zimmermann ont bien montré à quel point la sélection s'opérait au moins autant dans les gestes quotidiens, de manière non verbale, que par le jeu de l'appareil. En particulier le facteur " immigration " entraîne un ensemble de conduites d'exclusion inapparentes, mais réelles (
45). Ainsi les jugements " plaisants " sur les enfants vont prioritairement vers les enfants " favorisés " (36,7 %), suivis par les enfants d'ouvriers français (23,3 %) puis de loin par les enfants d'ouvriers immigrés (14,5 %).
La littérature de l'échec scolaire est abondante. Elle a contribué à une prise de conscience nécessaire, mais aussi à une culpabilisation et un pessimisme immobiliste du corps enseignant. Elle est aussi accusée d'avoir contribué à un discours " égalitariste " qui aurait fait baissé le niveau. Les recherches récentes et les changements méthodologiques en sociologie de l'éducation permettent cependant de fortement nuancer le tableau (
46). Avec la naissance du collège, puis du lycée de masse (
47) une ère nouvelle s'est ouverte. Des possibilités de promotion sociale par l'école se sont ouvertes. Les trajectoires scolaires se sont individualisées et si le déterminisme socioculturel reste fort il ne peut plus apparaître fatal (
48). Pour B. Charlot, " le destin du je ne n'est plus scellé par son origine familiale : l'école ouvre des espaces de promotion et de réussite sociale ". Statistiquement, il est d'ailleurs amplement prouvé que la possession d'un diplôme, quel qu'il soit, facilite l'insertion professionnelle. Ce risque (
49) est de 42 % pour les non-diplômés, de 31 % pour un CAP ou un BEP, de 22% pour les titulaires du BEPC, de 14 % pour les titulaires d'un Bac technique, de 19 % d'un bac général et de 8 % pour un diplômé de l'enseignement supérieur. Les travaux récents de Beaudelot et Establet sont sans appels (
50) : non seulement la part des sans diplômes a diminué de moitié depuis 1960, mais la structure des diplômes est à la fois plus équilibrée et tirée vers le haut, sans qu'il y ait, au contraire, perte de niveau. De plus certaines catégories sociales (les femmes en particulier), traditionnellement sous-diplômées réussissent une percée inenvisageable il y a quelques années. La part d'une classe d'âge scolarisée au lycée dépasse actuellement les 50%, elle n'était que de 15 % en 1975. Le modèle d'école que l'on regrette si fort était bien plus élitiste, sélectif et facteur d'ignorance pour la majeure partie de la population que l'école actuelle.
Le modèle antérieur, basé sur la tradition inutilitaire des humanités est dépassé. Ce modèle d'un enseignement volontairement décalé de la vie, basé sur des valeurs " éternelles ", qui étaient des valeurs scolaires n'est plus de mise. L'enseignement de masse est une réalité, avec ses difficultés.
Loin de se traduire par une " défaite de la pensée " comme ses pourfendeurs le voudraient, y ayant leur fonds de commerce, il s'accompagne d'une hausse généralisé du niveau scolaire. Le déséquilibre entre une représentation encore ancienne de l'enseignement et une représentation largement passéiste de celui-ci par les enseignants est une source grave du malaise actuel. Nos propres recherches (
51) ont montré la persistance chez l'enseignant d'une représentation figée de la culture et de la transmission des savoirs. Le mode normal de transmission des connaissances reste largement le cours magistral, distillant une culture savante décalée du désir des jeunes pour une culture active et préprofessionnelle. Il y a un véritable décalage entre des enseignants jugés archaïques et des jeunes exigeant une part plus grande dans leur projet de vie. La fuite dans la non-participation aux cours est signe de ce décalage. Il est vrai que les lycéens ne " veulent " pas participer. Peut-être est-ce surtout qu'ils ne souhaitent pas qu'on fixe à leur place les règles de cette participation.
Le tableau doit en conséquence être nuancé. Certes l'école sélectionne, trie, et l'échec scolaire reste un problème majeur. Les parcours de réussite scolaire sont bien moins déterminés qu'on l'a longtemps cru. L'enseignement de masse pose cependant trois problèmes difficiles : le premier qui est en relation directe avec celui du marché du travail est celui de la surqualification, le deuxième est celui de la surexclusion, le troisième enfin est celui de la socialisation. Le nombre des diplômés, l'allongement des études, ne correspondent pas aux besoins réels du marché du travail.
L'école, en formant plus d'individus à niveau élevé que l'entreprise n'en a besoin, il en résulte une baisse de la valeur marchande des diplômes (
52). Il en résulte une fuite en avant absurde, et surtout une moindre chance pour les niveaux les moins élevés de trouver un emploi. L'insatisfaction, la frustration et l'angoisse sont les éléments psychosociaux incontournables de l'expérience étudiante (
53). Par sa logique interne, l'école de masse, qui débouche sur l'université de masse, risque bien d'aller à l'encontre de la démocratisation. Seuls ceux qui pourront mener des études longues pourront prétendre à un poste élevé. Pour les autres, très qualifiés, la déception sera très grande, à mesure des espoirs placés dans l'institution. L'échec catastrophique en université (près d'un étudiant sur deux en premier cycle) nous fait penser que celle-ci n'est plus à l'abri des mêmes problèmes que ceux du collège ou du lycée, et en particulier de la violence. Il est à noter que ce choix est un choix français, la formation professionnelle étant très différemment envisagée en Allemagne par exemple, où un diplôme d'ingénieur peut se préparer par l'apprentissage. De plus cette surqualification culturelle n'est pas, loin s'en faut, une véritable qualification professionnelle. L'enseignement est loin d'avoir réalisé sa révolution pédagogique, quand bien même il réalise sa mutation structurelle.
Par le jeu de l'élévation du nombre de diplômés, l'école de masse crée donc une surexclusion. On sait l'effet ravageur qu'a eu le fameux slogan des 80 % d'élèves au niveau bac sur les jeunes. Soit par désir de justice, une des valeurs principales de la société française (
54), soit par peur de faire partie des 20 % d'exclus les plus fragiles vivent la formation comme un leurre, dénué de sens. Le rapport Luppi a mis en évidence que, pour une frange importante, l'école est perçue comme n'ayant aucun sens, et le vécu scolaire est carcéral (
55). Quoiqu'en soient ses évolutions positives, notre système éducatif produit une sélection interne, basée sur les seules valeurs scolaires, qui laisse pressentir à bien des élèves de manière précoce que leur avenir s'inscrit dans l'exclusion. Leur vie scolaire est un saut dans le vide, un parcours entre diverses voies de garage, qui peuvent changer de nom (de SES en SEGPA, de PERF en CLIS, etc.), mais dont la fonction réelle est la même.
Quoi d'étonnant alors qu'à une orientation perçue comme violente réponde en retour la violence. Quoi d'étonnant à ce que les locaux scolaires puissent être saccagés ? L'institution scolaire et ses acteurs, objet de tous les ressentiments. On n'en a pas fini avec la violence en milieu scolaire.
La violence des jeunes à l'école est d'autant plus présente du fait de l'abandon relatif des tâches de normalisation par la famille. L'école devient en effet le grand lieu de l'opposition nécessaire jeune-adulte. Son rapport à la discipline est paradoxal, du moins dans le second degré et surtout en lycée. C'est-à-dire à l'âge des réorganisations adolescentes en Occident. La loi est en effet peu visible dans bien des établissements, l'espace de liberté très grand. Ce n'est évidemment pas une critique: il serait ridicule d'infantiliser des jeunes adultes, alors même qu'on sait depuis longtemps que même les plus jeunes enfants peuvent activement participer à la vie d'une école, même s'il n'est pas évident qu'ils le souhaitent. A l'inverse, la classe est le lieu de tous les dangers fantasmatiques. Celui où un individu, l'enseignant, est le maître du temps, de la parole, du corps de l'élève (
56). L'enseignant dans ces conditions risque très vite de devenir le " bouc-émisssaire " (
57). La salle de classe risque de devenir dans certains endroits, symptomatiques de l'avenir, un lieu d'affrontements faute de devenir un lieu de dialogue.
Pour de nombreux chercheurs, et pour bien des textes officiels parus depuis les événements lycéens de 1990, la solution viendra de l'établissement. Ainsi pour Ballion (
58), si l'école primaire et le collège restent des lieux de soumission à la relation d'autorité, les lycéens, de par leur âge ne peuvent plus accepter cette relation. Il y a donc à inventer un lieu « où le vivre ensemble repose sur un contrat définissant les droits et les devoirs de chacun », une « forme sociale politique ». Pour Dubet (
59) la formation d'une culture d'établissement constitue « la principale transformation du système éducatif», les équipes qui les dirigent en seront demain des acteurs de plus en plus importants. Les textes officiels, tentent d'accélérer la participation des élèves à la vie scolaire, par le biais de délégués. Derouet (
60) a mis en évidence la nécessité des " arrangements " locaux, des équilibres mouvants qui peuvent partiellement répondre aux problèmes rencontrés. C'est vers une synergie entre le plan local et un guidage national que vont les préférences. Nous ne pouvons qu'être en accord avec cette solution, l'heure est bien au " bricolage " par les acteurs de terrain eux-mêmes avec l'aide de l'État.
Cependant, il semble que la dimension du pédagogique reste une dimension essentielle. Car il ne suffit pas de décréter la démocratie et la participation hors de la classe. Le système des délégués d'une part est globalement insuffisant. Alors que la récupération politique des événements lycéens a été catastrophique, la méfiance pour tout système de délégation est énorme. Comment un délégué pourrait-il valablement représenter un agrégat d'individus sans véritable conscience collective ? Seule la démocratie directe peut redonner un sens collectif à la vie scolaire. La cellule de base de la vie démocratique peut être la salle de classe. Même si cela se heurte à l'extraordinaire et archaïque résistance des enseignants et de certains de leurs syndicats (par exemple le Syndicat des lycées et collèges qui dénonce le trop grand pouvoir donné aux élèves lors de son congrès (91). Après tout, la culture d'établissement ne leur est pas plus naturelle. D'autre part, dans le vécu des élèves, la grande affaire reste la relation enseignant-enseigné. Dans un travail encore inédit mené avec les étudiants de Sciences de l'éducation à Bordeaux II et les étudiants de sociologie de Paris V, il est remarquable de constater qu'à la question «Connaissez-vous ou avez-vous ressenti de la violence dans votre classe ou dans votre école ? » c'est la relation pédagogique qui est massivement mise en cause. Près de 100 entretiens nondirectifs de recherche ont été menés auprès d'une centaine d'enseignants et d'élèves dans des établissements de tous types.
Ces entretiens individuels ont été complétés par des entretiens de groupe et des interventions in situ (formation, groupe Balint, intervention dans les classes et les établissements). L'analyse de contenu en cours sur ce matériau montre que si la violence entre élèves est présente, essentiellement sous la forme de bagarres, elle n'est pas la plus problématique, et ce même dans les établissements " à problèmes " (
61). Massivement chez les élèves c'est la violence " morale " excercée par l'enseignant qui est mise en cause : ce thème est présent dans 74 % des entretiens. Le constat est amer avec particulièrement le thème du nonrespect, de l'humiliation, voire du racisme lui-même dénoncé par près du tiers des élèves. La communication élève-enseignant semble particulièrement problématique et la déception à cet égard est à la hauteur des fortes attentes (" être considéré ", " être écouté ", et même être aimé "). Le contrat pédagogique ne leur semble pas rempli. Du côté des enseignants ce sont les thèmes du bruit, de la non-écoute, de l'usure. Les conflits entre adultes reviennent également très souvent, et la " vie d'équipe " semble bien problématique quand un enseignant sur deux évoque comme très durs des conflits avec l'administration, les supérieurs ou d'autres collègues. On sait que dans leur grande majorité les enseignants voient la transformation du métier comme la perte d'un prestige, l'affaiblissement d'une culture, un abandon de leur rôle professionnel avec la peur exprimée de glisser vers "le travail social". Une anecdote personnelle l'illustrera : lors des "concertations Savary" un enseignant d'Anglais en collège, par ailleurs très ouvert aux élèves s'exclame « je n'ai quand même pas fait quatre ans d'études pour les emmener promener ! » (62)
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JE N'AI PAS DE MOTS...
Je n'ai pas de mots pour dire
Que je vais mourir
De peur.
J'ai une boule dans la gorge,
Le souffle coupé, je ne peux rien exprimer.
Mes jambes flageolent.
J'ai la chair de poule,
Mes mains sont moites,
Je ronge mes ongles, mes doigts
Bientôt, je n'aurai plus de mains !
Pourtant je voudrais tellement vous dire « bonjour »
- Bonjour !
- Oh ! ah !... Mais vous m'avez entendu ?
Alors... J'ai parlé ! BONJOUR !
Vincent et ses amies de 3e
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Alors mutation éducative hors de l'école, mutation structurelle de l'école de masse, mutation des établissements... mais la mutation pédagogique est loin d'être réalisée. Tout ce que nous avons dit jusqu'ici nous conduit pourtant à penser qu'elle est nécessaire. Pour que la socialisation ait des chances d'être plus harmonieuse, elle doit aussi se faire dans la classe, seul lieu où tous les jeunes sont obligatoirement confronté à des adultes normatifs, où la satisfaction immédiate n'est pas la règle. Le problème n'est pas : l'école doit-elle socialiser les jeunes ? Elle le fait déjà, malgré le refus d'un de ses acteurs principaux, l'enseignant. Est-ce à dire qu'il faut que l'enseignant se transforme en " travailleur social " ? J'entends d'ici les protestations des enseignants... et celles des travailleurs sociaux. Non, bien sûr, mais il s'agit de donner des droits aux élèves parfois malgré eux, car tout droit implique un devoir, non seulement hors de la classe. Bien plutôt dans les processus même d'apprentissage : communiquer, bouger, négocier des projets qu'on puisse se représenter immédiatement, même s'ils engagent un travail long, ces projets prenant sens dans le milieu (quartier, entreprise, espace social large). Il est temps de se remettre à l'écoute des pédagogies de la communication. On peut penser bien sûr en premier lieu à une pédagogie du type de la pédagogie Freinet ou de la pédagogie coopérative. Cependant, après ce qui a été mis à jour sur les questions que pose l'exclusion des personnes issues d'autres cultures - voire de certaines sous-cultures - à l'intérieur de la culture dominante, on doit donner un autre sens au mot communication en lui adjoignant l'aspect interculturel. Il ne suffit pas en effet d'apprendre à communiquer, de communiquer pour communiquer, sans une véritable connaissance et reconnaissance des enjeux réciproques dans la chaîne de la communication. Nous n'avons pas ici la place de développer cet aspect pourtant fondamental (
63). Le reproche qui peut être adressé actuellement à la plupart des praticiens de la pédagogie Freinet est de n'avoir pas suffisamment pensé l'éducation interculturelle en estimant que la simple reconnaissance de l'individualisation des apprentissages était reconnaissance suffisante au droit à la différence. Comme si les différences culturelles ne nécessitaient pas une connaissance plus approfondie des matrices cultures propres aux groupes différents, et à notre propre culture. L'ethnocentrisme de l'enseignant, malgré toute sa bonne volonté, est un obstacle qu'il faut contourner. La communication n'est pas la même par exemple pour un enfant issu d'une tradition orale (
64), gestuelle ou écrite. L'accès au savoir peut se faire selon des modes et des logiques diverses, etc.
Quoiqu'en soit " l'effet-établissement ", il est donc temps de faire un retour sur la question pédagogique. En montrant l'importance de l'acteur, et en nous délivrant de la réification hyperdéterministe des années 70, la sociologie actuelle nous libère pour une nouvelle réflexion à propos de l'acte pédagogique lui-même. Elle nous en montre en même temps les nouvelles conditions d'exercice. Non pas que telle ou telle pédagogie labellisée puisse à elle seule suffire, évidemment. Ce serait une nouvelle scolastique et manqueraient d'autres nécessités, la formation et le partenariat.
On dira : après tout avec un peu plus de " discipline ", de " punitions ", tous ces problèmes de " socialisation " n'existeraient plus. Restaurons l'ordre, une fois de plus. Une jeune enseignante me disait ainsi « l'administration n'a qu'à faire son travail ». De même les lycéens d'octobre 90, largement poussés par les enseignants, ont réclamé plus de " surveillants ". Mais quel rôle auront ces surveillants ? Cela résoudra-t-il vraiment la question essentielle de la relation enseignant-enseigné dans la salle de classe ? Une telle revendication montre que face aux problèmes de socialisation, et face à la violence, la réaction risque de n'être que la sanction.
Or si tout le monde est pour la discipline, la punition est perçue à la fois comme une vengeance et comme une preuve de faiblesse (
65
) et par là ne fait qu'ajouter à la frustration et à la violence. Une simple étude des faits divers relevés à l'école suffirait d'ailleurs à le montrer. La punition, c'est quelquefois le début d'une chaîne sans fin transgression/punition/agression. Le recours à l'extérieur est fort méprisé. Le support d'une instance hiérarchique, l'appel au conseil de classe ou les retenues cautionnées par l'administration et assurées par les surveillants sont lus comme autant de signes d'une faiblesse impardonnable. C'est au " maître " à assurer la discipline. Qu'il le veuille ou non. C'est lui le détenteur légitime du pouvoir pour l'élève. La psychosociologie a montré les effets extrêmement limités de la punition. Selon les observations de B. Douet « trop punir semble provoquer des sentiments d'opposition et de révolte chez les élèves ». Bref le modèle répressif n'est pas opérant. Pas plus que le modèle nondirectif, dont on verrait mal, dans le contexte décrit, l'utilité socialisante.
La grande affaire, j'y insiste encore, est dans la relation pédagogique. Alors, les enseignants sont-ils coupables ? Il ne s'agit pas de désigner un ou des coupables. Pris entre une représentation traditionnelle et un changement impensé, ils sont eux aussi acteurs du changement et facteurs de résistance. Rien n'est simple. Comment un enseignant pourrait-il facilement changer sa pédagogie alors que toute sa formation lui a imposé le modèle descendant traditionnel. Ce qui est révoltant est même une situation de non formation aux interrelations. Quel psychiatre, quel éducateur accepterait d'être confronté six heures par jour à un groupe de plusieurs dizaines d'enfants et de jeunes parfois fragiles ? L'enseignant doit certes posséder des savoirs disciplinaires. Il doit connaître la didactique des disciplines. Il doit aussi savoir " apprendre à apprendre ", selon la formule consacrée. Mais c'est insuffisant. Si le seul modèle de transmission des savoirs, vécu par lui, reste le cours magistral (qui n'est pas à dédaigner totalement pour autant), comment pourrait-il innover ?
Une formation à l'écoute d'autrui, une formation à la conduite d'entretiens et de réunions, une réelle formation pluriculturelle lui sont nécessaires. Ces formations doivent être réellement expérimentées. Il ne suffit pas " d'entendre parler " de la pédagogie coopérative pour savoir la pratiquer. Il ne suffit pas d'une simple sensibilisation aux autres cultures, dont les effets peuvent d'ailleurs être pervers en renforçant un certain paternalisme de l'exotisme. Il faut aussi une formation à son propre relativisme culturel à l'intérieur de l'histoire de son propre groupe, pour prendre conscience de ses représentations sociales, de ses mécanismes de défense, de communication, d'acquisition. La formation des enseignants, comme celle des travailleurs sociaux, doit leur permettre la rencontre réelle de pratiques innovantes dans une modélisation différente de l'acte d'enseigner et de celui d'éduquer. C'est la seule manière d'en finir enfin avec l'opposition surannée de l'instruction et de l'éducation. C'est une manière aussi de construire un nouveau sens l'enseignement.
Nous n'aurons pas la naïveté de croire que la pédagogie, fusse-t-elle avec la meilleure des formations possibles, soit suffisante pour répondre à toutes les questions posées (
66). Le croire serait une fois de plus s'enfermer dans les fantasmes de toute-puissance d'une école libératrice. L'école a elle seule ne peut résoudre les problèmes éducatifs. Nous l'avons dit, ce qui est enjeu est le rapport même à l'enfance et à la jeunesse. Ce qui veut dire que la novation sociale ne saurait se contenter d'être une simple innovation pédagogique. C'est tout le corps social qui est concerné. La famille au premier chef y travaille, en autorisant et en inventant un rapport " parents "-enfants de longue durée et de nouveau type. Dans ce rapport, la relation à l'école a une importance considérable, dont prennent conscience (cf. Zeroulou) une part non négligeable des familles issues de l'immigration. De nouvelles stratégies se mettent en place, qui ne demandent qu'à inclure un effectif partenariat. On peut toutefois douter que la décrispation des rapports enseignants-parents soit pour bientôt. Elle est pourtant indispensable et il faudrait réinterroger certaines expériences, comme par exemple celle de la Rue Vitruve.
Paradoxalement, il semble que la réflexion et les pratiques sur un tel partenariat soient très minoritaires. Pratiques de la famille et pratiques de l'école sont examinées comme deux domaines presque étrangers l'un à l'autre, ce qui n'est d'ailleurs pas vraiment faux (
67). Même si les enseignants sont eux-mêmes parents d'élèves, en tant que tels ils dénoncent le plus souvent une école qu'ils savent pourtant admirablement utiliser.
D'autres partenariats sont à mettre mieux en place. Avec le monde associatif, avec le monde du travail social, avec la police. Par le biais des actions de D.S.Q., des coordinations ZEP, des associations d'aide aux devoirs ou de soutien scolaire, de nouvelles pratiques naissent. Difficilement et contradictoirement. Le manque de liaison effectif avec les enseignants rend leur réussite très aléatoire. Elles sont toutefois une chance considérable pour que des institutions jusqu'ici opaques les unes aux autres se rencontrent enfin. Il y va de la fin du morcellement de l'action éducative (
68). Mais des représentations très négatives entraînent bien souvent des imprécations réciproques animateurs incompétents enseignants fainéants " s'accusent les uns les autres dans une bonne conscience satisfaite et légèrement surréaliste d'être des " chiens de garde du capitalisme ", de purs agents du contrôle social. Et se réconcilient sur le dos de la police. Il n'y a pas que chez les élèves qu'il y a des difficultés dans le rapport à la loi. Il n'y a pas à nier les bavures en tout genre, ni l'idéologie lénifiante du travail social, ni l'effet reproducteur de l'enseignement. Malgré cela, dans leur histoire personnelle combien de jeunes de la galère, et les autres, n'ont pu véritablement émerger comme sujet qu'avec l'aide des " alliés ", comme le rappelle Dubet (
69). Animateurs et éducateurs donnent les moyens de s'organiser, d'accéder à la parole socialement reconnue. Même s'ils sont violemment remis en cause, ils rompent sans parfois même sans rendre compte, les mécanismes de l'exclusion. Il peut en être de même pour les enseignants, lorsqu'ils savent écouter et faire parier. J'ai travaillé aussi pour ma part avec des gardiens de la paix et des îlotiers dans le cadre de ZEP à Paris et en banlieue qui étaient des éléments du dialogue préventif. Il est trop facile de garder son quant à soi en jetant l'anathème sur ceux qui sont embarqués dans la même... galère. C'est de la déculpabilisation à bon compte. Le partenariat exige une reconnaissance mutuelle. Une régulation des conflits entre adultes ne passera sans doute que par des formations communes où les hiérarchies culturelles par le savoir scolaire seront conscientisées. Alors des pratiques consciemment différentes des différents corps de métier, et des bénévoles, pourront se mettre en place. Car il ne suffit pas non plus de travailler ensemble pour bien travailler. Ainsi des actions de soutien scolaire qui reproduiraient les tics de l'école seraient vouées à l'échec. Ainsi l'école a tout à gagner de l'expérience des éducateurs.
Il ne s'agit pas de noyer un métier dans un autre. Mais l'enfant est un in-dividu. Un être indivisible. Il n'y a pas d'action " péri-éducative ", malgré les textes officiels. L'éducation efficace est une éducation globale. La liaison effective des actions, avec des dominantes suivant les lieux institutionnels est une manière de prendre en compte la globalité. On sent bien toutefois que ce partenariat pourrait être un danger, peser trop sur l'enfant et du coup être rejeté.
En définitive le seul partenariat qui vaille vraiment est celui qui se noue avec l'enfant, avec le jeune. Un partenariat où les limites de chacun sont clairement posées. Une forme insidieuse de racisme tient d'ailleurs à un soi-disant " respect des différences " qui excuserait tout manquement aux règles de la société d'accueil. Ce partenariat est redéfinition de la socialisation. Dans cette perspective, la famille, en se réorganisant, va peut-être dépasser ses contradictions. A un relatif laisser-faire, ou à une trop grande rigidité, pourrait bien succéder la négociation, c'est un des styles éducatifs actuellement à l'essai (
70). Les autres institutions éducatives suivront-elles ? Se socialiser : négocier. Négocier ses droits et ses devoirs. C'est à une révolution culturelle que nous sommes conviés. Mais cela est notre autre histoire.
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1) R. Ballion, La Bonne école, Paris, 1991, p. 19.
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2) M. Wieviorka, Changement de cap in Libération du 26 avril 1991.
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3) Cet article développe les arguments exposés dans ma communication « Mouvements pédagogiques et mutations sociales » au colloque « Les pédagogies alternatives en France et en Allemagne », Lille, CRDP-Goethe Institut, avril 1992.
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4) Voir le point sur cet important débat dans l'article de C. Thelot, « La mobilité sociale » in De Singly, La Famille : l'état des savoirs, Paris, La Découverte, 199 1, p. 22 / passim.
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5) La plupart des chiffres économiques que nous citerons sont extraits de la synthèse réalisée par le groupe Louis Dirn in La Société française en tendance, Paris, PUF, 1990 (ici p. 278 passim).
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6) Cf O. Galland, L'entrée dans la vie familiale in F. de Singly, op. cit. p. 43.
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7) Cf. les conclusions sans appel de Baudelot et Establet in Le niveau monte, Paris, Seuil, 1989
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8) Ballion, op. cit. p. 17 seq.
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9) Ces chiffres sont tirés de l'article de N. Clément, R. Sue et P. Vanlerenberghe " Lycéens: le sens et le mouvement" in Echange et projets n° 62, Décembre 1990.
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10) Sondage SCP/ Le Monde / MNEF/ ONISEP publié dans Le Monde du 30 mai 1991 .
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11) Chiffres cités in " Une France banlieusarde" Le Monde du jeudi 12 mars 1992. Un autre article fort intéressant du même journal montre les différences avec d'autres modèles d'urbanisation, comme celui de l'Angleterre, où il n'existe pas une telle relégation. Les problèmes de violence existent pourtant en Angleterre, évidemment. Pour un commentaire région par région de cette mutation démographique voir D. Pumain et J.-P. Faur, "Villes et régions au rendez-vous de l'Europe" in Population et sociétés n° 257, INED, mai 1991.
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12) INSEE (sous la direction de C. Seibel), " Les étrangers en France ", Économie et Statistiques, 1992 .
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13)Çf R. Ballion op cité. p.196 passim
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14)Haut Conseil à l'Intégration, Pour un modèle français d'intégration, Premier Rapport Annuel, 1991 (exemplaire ronéoté).
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15) ibid. Voir aussi F. Dubet Trois collèges en rénovation, Commissariat général au Plan, Paris, 1988.
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16)Ministère de la Justice, Annuaire statistique de la Justice 1985, Paris, Docum entation française, 1987.
(
17) Cf l'articIe de R. Padieu " L'insécurité statistique " in Les cahiers et l'IHESI, Paris, Documentation française, avril 1991, qui fait le poin t sur les paradoxes statistiques des mesures de la délinquance.
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18) SOFRES, L'état de l'opinion 1987, Paris, Seuil, 1987.
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19) F.Dubet, La galère, jeunes en survie, Paris, Fayard, 1987 p.103 passim.
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20) Cf Louis Dirn, op cité p.357 passim
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21) F. Dubet, op cité, p. 120.
(
22) M. Hannoun, Français et immigrés au quotidien, Paris, Albatros, 1985.
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23) Voir M. Khellil, L'Intégration des Maghrébins en France, Paris, PUF, 1991.
(
24) Haut Conseil à l'Intégration, loc. cit.
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25) Cf. D. Jodelet, Folies et représentations sociales, Paris, PUF, 1989, p. 36 passim et sa bibliographie
(
26) E. Shorter, Naissance de la famille moderne, Le Seuil, Paris, 1977. Pour une revue des savoirs sur la fàmille voir surtout De Singly, op. cit.
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27) O. Galland, loc. cit. p. 37.
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28) D. Le Gall, C. Martin " L'instabilité conjugale et la recomposition familiale " in De Singly, op. cit. p. 58-66.
(
29) N. Lefaucheur, "Les familles dites monoparentales " in De Singly, op. cit. p. 67-74 et D. Le Gall, C. Martin, Les familles monoparentales, Paris, ESF 1987.
(
30) M. Segalen, F. Zonabend, " Familles en France " in Histoire de la Famille (sous la direction de A. Burguière, M. Segalen, C. Klapisch-Zuber et F. Zonabend), Tome II, Paris A. Colin, 1986 p. 501.
(
31) Outre les ouvrages dé.ja cités (De Singly, Shorter, Segalen ... ) voir M. Crubellier, L'enfance et la jeunesse dans la société française, Paris, A.Colin, 1979.
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32) A. Jazouli, Banlieues, violence et intégration, in Libération du mardi, 4 décembre 1990.
(
33) R. Ballion, La démocratie au lycée, in Informations Sociales n°18, Paris, février 1992 p. 42.
(
34) SOFRES, L'état de l'opinion 1991, op.c-it. p. 277. Ce conservatisme ne va pas toutefois pas jusqu'à remettre en question des lois comme celle sur l'IVG, mais ce pas est allégrement franchi dans d'autres démocraties.
(
35) Cf les travaux d'Annick Percheron, par ex. " Le domestique et le politique ", in Revue française de science politique, vol. 35-5, 1985 ou ceux de C.Thelot, Tel père, tel fils ?, Paris, Dunod, 1982.
(
36) H. Laborit, Eloge de la fuite, Paris, 1984.
(
37) J.-M. Levine et M.-A. Pavelchak,"Conformité et obéissance", in S. Moscovici, Psychologie sociale, Paris PUF, 1984.
(
38) R. Fouraste, Introduction à l'ethnopsychiatrie, Privat, Toulouse, 1985 p. 28.
(
39) G. Devereux, Essais d'ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, 1977. 0n peut aussi penser à l'analyse de l'enfermement spartiate dans des valeurs passées telle qu'elle a été tentée par la psychologie historique.
(
40) M. Doms et S. Moscovici, "Innovation et influence des minorités" in Moscovici, op. cit. p. 51 passim
(
41) Cf' A. Touraine, M. Wievorka, F. Dubet, Le retour de l'acteur, Paris, Fayard 1984.
(
42) Cf. F. Dubet, "Les acteurs du lycée", in informations sociales n°18, op. cit. p. 20.
(
43) Pour une revue récente de la question, cf. P. Esquieu, Démocratisation et sélection, in Informations sociales n° 18, op. cit. p. 10 sq.. Voir aussi sur le choix de l'école, R. Ballion, Les consommateurs d'école, Paris, Stock, 1982
(
44) F. Dubet, La galère, op. cit. pp. 330 331.
(
45) D. Zimmermann, La sélection non-verbale à l'école, Paris, ESF, 1983.
(
46) Cf par ex. B. Charlot, " Penser l'échec comme événement, penser l'immigration comme histoire " in La réussite scolaire. Parcourset stratégies, Migrants formation n°81, CNDP,juin 1990, p. 8 passim .
(
47) F. Dubet, Les lycéens, Paris, Seuil. 1990.
(
48) Voir par exemple les travaux de Zaiha Zeroulou surles stratégies scolaires des familles immigrées (communication au congrès 1CEM de Villeneuve d'Ascq, 1991, extraits in le NouvelEducateur, novembre 1991) ou œuvre de F. Dubet, Les lycéens, op. cit..
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49) INSEE, Economie et statistiques n° 216, Décembre 1988.
(
50) C. Baudelot et R. Establet, Le niveau monte, Paris, Seuil, 1989 et Allez les filles, Paris, Seuil, 1992.
(
51) E. Debarbieux, La violence dans la classe, Paris, ESF, 1990. Ces recherches se poursuivent actuellement, avec l'aide des étudiants de Bordeaux II, et seront publiées en 1993.
(
52) R. Ballion, La bonne école, op. cit. p. 88 seq.
(
53) Voir 1'excellent livre de D. Lapeyronnie et J.-L. Marie, Campus Blues, Paris, le Seuil, 1992.
(
54) SOFRES, op. cit. p. 287, sur une liste de mots proposés celui qui obtient le plus haut score est la justice (68 %).
(
55) R. Luppi, La vie des lycéens dans les établissements professionnels, Paris, La Documentation Française, 1990. Voir aussi notre article "Le sens, la parole et le geste" in Informations sociales n°18 op. cit. p. 66.
(
56) Cf. E. Debarbieux, La violence dans la classe, op. cit. et C. Pujade-Renaud, le Corps de l'élève dans la classe, Paris, ESF, 1982. Voir aussi J. Filloud, Du contrat pédagogique, Paris, Dunod, rééd. 1986.
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57) Je ne peux m'empêcher de penser à la parenté tyran-bouc émissaire (le couple tyrannos-pharmakos), tel qu'il a été mis en lumière par J.-P. Vernantet la psychologie historique (J.-P. Vernant, P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie II, Paris, La Découverte, 1986
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58) La bonne école, op. cit. p.18-19.
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59) In Informations sociales n' 18, loc. cit. p. 31.
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60) J.-L. Derouet, "Désaccords et arrangements dans les collèges, 1981-1986" ' in Revue Française de Pédagogie, n° 83, Paris, INRP, 1988.
(
61) Ce qui correspond aux rares enquêtes quantitatives effectuées sur le problème. Dans le sondage Le Monde/MNEF/ONISEP déja cité (1991), seulement 2 % des lycéens interrogés pensent que leur établissement est très violent, 8 % assez violent, 45 % peu violent, 45 % pas du tout violent. Ces chiffres s'expliquent aussi par une définition trop restreinte de la violence comme agression physique.
(
63) Cf. les articles d'A. Laurent-Fahier publiés dans le Nouvel Educateur en 1991-1992, en particulier l'article " Perspective interculturelle: la dimension culturelle dans la relation pédagogique " et F. Ouellet, L'éducation interculturelle, Paris, L'Harmattan, 1991.
(
64) Cf. A. Laurent-Fahier, Les Tsiganes et l'école, dossier du Nouvel Educateur, PEMF, 1991.
(
65) Cf B. Douet, Discipline et punitions à l'école, Paris, PUF, 1987. Nous reprenons ici en partie notre article "Punir ou se former" paru dans L'école Libératrice du l9 janvier l991.
(
66) Il ne s'agit pas ici de l'attente pseudo-révolutionnaire d'un changement global... La période a ceci de motivant qu'elle,fait prendre conscience que le changement n'est possible qu'en travaillant hic et nunc. Ce n'est pas pour autant de la soft-idéologie, ni un pur pragmatisme.
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67) C'est sur le versant vécu de la sociologie de la famille et de l'édification que les recherches manquent le plus cruellement. Pour une revue des questions posées cf J.-M. Queiroz in, De Singly, op. cit.p. 201.
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68) Pour une évaluation de ces actions voir D.Glasman et all. "Le soutien scolaire hors école" in Revue.française de Pédagogie n° 95, Paris, INRP,mai -juin 1991.
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69) La galère, op. cit. p. 321.
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70) M. Fize, La Démocratie familiale. Évolution des relations entre parents et adolescents, Presse de la Renaissance, Paris, 1990.
Bibliographie
· Robert Baillon, La bonne école, Paris 19991
· Louis Dirn, La société française en tendance, Paris PUF, 1990
· Christian Baudelot et Roger Establet, Le niveau monte, Paris, Seuil, 1989
· F. Dubet, La galère, jeunes en survie, Paris, Fayard, 1987
· F. Dubet, Les lycéens, Paris, Seuil, 1990
· F. de Singly, Familles : l’état des savoirs , Editions La Découverte, Paris, 1991
· S. Moscovici, Psychologie sociale, Paris, PUF, 1984
· Eric Debarbieux, La violence dans la classe, Paris, ESF, 1990
· R. Luppi, La vie des lycéens dans les établissements professionnels, Paris, La Documentation française, 1990
· Informations sociales n°18, L’école à vocation multiple, Février 1992