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Edito Nouvel Educateur n°184, octobre 2007

Dans :  Principes pédagogiques › 

Edito ART ET MATHS

Nouvel Educateur d'octobre 2007


 

ART ET MATHS

 

Depuis quelques années, de nombreux ouvrages pédagogiques encensés par les médias paraissent, prônant un retour au passé et tournant en dérision les pédagogies nouvelles centrées sur l’enfant. Des arrêtés ministériels nous imposent des « petites mesures techniques » comme la lecture syllabique, les leçons de grammaire et de vocabulaire, le retour des quatre opérations en maternelle. Celles-ci ne régleront en rien la crise de l’école qui nous renvoie à des enjeux plus fondamentaux comme : donner du sens aux savoirs, les présenter comme des outils d’émancipation, diminuer la pression évaluative et favoriser la coopération.

De plus, notre société, dirigée par la loi du marché et de la consommation à tous crins, fabrique des enfants de plus en plus capricieux, empêtrés dans leurs désirs et dans leurs « pulsions d’achat » qui sont devenus le moteur de notre développement économique. Les médias, par la publicité, répercutent ce phénomène : « Tes désirs sont des ordres et tu as le droit de les satisfaire immédiatement ».

Plus que jamais, nous devons entrer en résistance et apprendre à nos enfants à « résister à ce qui les aliène et créer ce qui les émancipe » (Nicolas Go).
Nous devons créer, dans nos classes, un milieu où chacun puisse s’investir dans un projet qui l’inscrit dans un temps collectif, l’amène à la rencontre des autres et lui fait entrevoir des satisfactions bien plus grandes que la réalisation immédiate de ses désirs personnels.
Nous devons promouvoir « une pédagogie du chef d’œuvre » et multiplier les occasions de créer dans tous les domaines.
Dans nos classes coopératives, nos élèves ont de nombreuses occasions de créer : en littérature, en art, en étude du milieu mais nous peinons encore à faire créer les enfants dans le domaine mathématique.
A l’école, on oppose souvent activités mathématiques et activités artistiques. Les premières relèveraient de la rigueur, de l’emprisonnement dans un réseau de conventions, de la logique la plus stricte et d’une certaine froideur, les deuxièmes relèveraient de l’émotion, du vagabondage et d’une grande liberté de création.
Pourtant, quand Poincaré nous parle de la beauté d’une démonstration mathématique, n’a –t-on pas l’impression qu’il nous parle d’une œuvre artistique ?
« C’est l’harmonie des diverses parties…C’est en un mot tout ce qui lui donne de l’unité, ce qui nous permet par conséquent d’y voir clair et d’en comprendre l’ensemble en même temps que les détails… En effet, plus nous verrons cet ensemble clairement et d’un seul coup d’œil, mieux nous apercevrons ses relations avec d’autres objets voisins, plus par conséquent, nous aurons de chance de deviner les généralisations possibles ».

Les mouvements artistiques n’ont-ils pas été influencés par l’évolution des mathématiques ?
Les mathématiciens n’acceptent-ils pas de plus en plus l’aléatoire, l’incertain, etc. ?
Le mouvement cubiste n’a-t-il pas pu associer son approche artistique dans l’histoire de l’art à celle qu’occupent les géométries non euclidiennes dans l’histoire des mathématiques ? Cette forme de relativité du savoir que constituent les géométries non euclidiennes ont encouragé les artistes à créer leurs propres conventions.

Pour relever le défi d’un enseignement populaire des mathématiques, il nous faut bousculer cette croyance en une frontière infranchissable entre art et math. Comme il faut amener les enfants à penser qu’une production artistique peut être rigoureuse, pensée à l’avance, pas floue du tout…., il faut permettre aux enfants de ressentir des émotions en inventant de la mathématique selon des conventions qu’ils se donnent eux-mêmes ou en découvrant la beauté et l’harmonie de ses structures.
L’enfant doit « s’autoriser » à inventer de la mathématique, il doit accéder au statut d’auteur en math comme en art.
Le chantier mathématique de l’ICEM s’est depuis longtemps attelé à promouvoir la création, l’invention et la recherche mathématique pour donner à l’enfant ce statut d’auteur et résister au climat actuel. Nous devons continuer dans cette voie sans pour cela oublier (occulter) l’exigence et la rigueur dans les productions de nos élèves.


Danielle Thorel, membre du chantier CréAtions

 

 

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