Inventer « quelque chose de mathématique »
Pourquoi, comment ?
Une trajectoire dans l'enseignement des mathématiques
La pédagogie Freinet, pédagogie centrée sur l'enfant, s'appuie sur un certain nombre de principes, essentiels dans les apprentissages :
Individualisation et Personnalisation
Expression - création - Communication
Tâtonnement expérimental
Coopération - entraide
Dans ma façon de fonctionner à l'époque, les seuls critères pris en compte étaient l'individualisation et la coopération, manquaient les parties "expression, création", "tâtonnement expérimental" et "communication".
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Inventer quelque chose de mathématique
Au fil des ans, j'ai tenté différentes approches des mathématiques permettant plus ou moins de fonctionner selon ces critères. J'ai fait plusieurs essais de maths plus créatives : j'avais vu plusieurs fois Paul Le Bohec animer des séances de « textes libres mathématiques », et j'ai donc tenté de fonctionner de cette façon. Je demandais à chaque enfant, lors d'une séance, d'inventer chacun quelque chose de mathématique. Je prenais ensuite trois ou quatre créations qui me semblaient prometteuses, les autres élèves devaient « deviner » ce que l'auteur avait pensé.
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Face à ces situations, mon attitude d'enseignant change : je suis dans la situation de mes élèves, je ne sais pas ce qui va sortir de la situation examinée, je ne suis plus forcément celui qui sait, et qui veut que les autres trouvent sa solution bien formatée. Mon rôle est de permettre le questionnement, donner éventuellement des précisions ou de faire prendre conscience des erreurs. C'est une situation déstabilisante !
Pendant deux ans, j’ai pratiqué ces séances à l'occasion, trois ou quatre fois dans l'année : j’ai fait quelques constatations :
La majorité des enfants rentrent dans ce type de création sans problème.
Certains reproduisent lors d'une autre séquence ce qu'ils ont vu la fois précédente.
C'est moi qui choisis les créations : il y a donc déjà un jugement de valeur sur ce qui est créé de ma part. Les enfants dont le travail n'a pas été choisi manifestent leur déception.
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Il y a une bonne participation : beaucoup veulent savoir ce qui est caché dans les énigmes proposées.
Cependant, si cette activité peut inciter certains enfants à s'intéresser un peu plus aux mathématiques qui deviennent une matière plus vivante, il n'y a pas de lien avec le reste du « programme » de math.
Autre essai : la recherche de situations mathématiques dans la classe.
Selon Freinet, les enfants dont nous avons la responsabilité en classe sont des enfants, et non simplement des élèves. Ils n'activent pas simplement leurs compétences d'élèves en classe, mais réagissent de façon globale : l'affectivité, la socialisation, interfèrent dans les processus d'apprentissage. C'est pourquoi il nous faut tenter de rendre les mathématiques vivantes en proposant des recherches à partir de la vie de la classe.
J'ai donc tenté de devenir attentif aux situations mathématiques rencontrées dans notre vie de tous les jours. De temps en temps, je leur proposais donc une série de « situations mathématiques », partant de leurs recherches, de leurs exposés, du « quoi de neuf », de leurs erreurs, de leurs bricolages, etc.
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Pendant la vie quotidienne dans la classe, les enfants ont l'occasion de vivre des situations mathématiques, sans même s’en apercevoir. J’essaie de les repérer et de les noter. Je propose ensuite ces situations en les accompagnant de défis mathématiques. Les enfants choisissent les défis mais ils doivent ensuite expliquer leurs découvertes à la classe.
Ces « défis » étaient proposés à la classe partagée en groupes pendant un temps donné. Ils étaient ensuite ajoutés à un fichier « problèmes » à faire pendant le temps de travail personnel, selon les indications du plan de travail.
Une année de créations mathématiques
Dès le 6 septembre, j'ai distribué un cahier, noté « cahier de créations mathématique », et fait recopier sur la première page l'intitulé suivant :
Vous devez créer quelque chose de mathématiques, avec des signes, des opérations, des chiffres et des nombres, des symboles à inventer, des outils comme le double décimètre, l'équerre, le compas, etc.
Je précise que j'héritais d'un CM1 « normal », d'un niveau très hétérogène, dans une école classée « à favoriser ». J'étais leur premier enseignant « Freinet ».
Ils se sont lancés dans leur première création, un peu interloqués tout de même et ne sachant pas trop ce que je voulais
J'ai partagé la classe, un peu au hasard, en quatre groupes. J'ai pris deux groupes avec moi, on a examiné les créations d'un seul groupe.
Le lendemain, le compte-rendu de cette première séquence était affiché. C'était le premier élément de notre culture mathématique de classe qui venait de se constituer. Nous pouvions désormais nous y référer (vous vous rappelez la création de Marion, quand elle a obtenu un parallélogramme dans sa maison...).
Des « trucs »
Pour permettre un réinvestissement après ces séances d'observation, je propose des exercices dans le plan de travail qui suit.
Pour répondre aux besoins du « programme » et aborder des notions non proposées je propose des créations à thème : « pour la prochaine séance, vous inventez une création qui devra comporter des mesures »… et des séances sur papiers spéciaux (papier millimétré, etc.).
Tout comme pour l'écriture, une contrainte peut permettre de débloquer l'imagination.
Pour enrichir, suggérer de nouvelles voies d'exploration : il m'est arrivé dans l'année de présenter mes propres créations (la création mathématique du maître) ou des fiches extraites de l'incitation à la recherche mathématique, des éditions Odilon.
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Julie : on voit une ligne, des fleurs, des feuilles.
On dit que les fleurs indiquent les unités et les feuilles les dizaines. On obtient donc 44.
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Premier bilan
Je crois que le partage travail collectif/travail individuel était harmonieux. Nous réfléchissions par demi classe sur des situations, et nous organisions nos découvertes mathématiques : c'était un temps d'abstraction, de construction de lois, de constitution de notre culture de classe. Pour le maître, ce type d'activité est très accessible, une fois dépassée, l'éventuelle déstabilisation du début. Nul besoin d'avoir un bagage mathématique particulier (j'ai un bac littéraire et ne me suis jamais intéressé particulièrement aux maths). Il faut s'entraîner cependant à voir les notions mathématiques dans les créations des enfants.
Ce système peut rejaillir sur d'autres activités que les maths : je pense travailler en français en employant la même méthode, en ce qui concerne la grammaire en particulier (examen de textes au tableau : que peut-on en dire au niveau de la grammaire, de la conjugaison, de l'orthographe, etc).

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