Journal du congrès d'Angers 2019
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La pensée de la pédagogie Freinet est complexe et non dogmatique, c’est ce qui fait sa richesse et sa puissance de vie. Les pratiques qui en découlent ne sont donc pas modélisables et mais diverses, c’est ce qui rend notre mouvement si riche mais aussi parfois si déroutant.
Il est indispensable et salutaire d’expliciter nos pratiques, de les analyser avec des outils formels, de collecter des données, de théoriser et conceptualiser. C’est indispensable et salutaire pour notre propre réflexion, pour « se rendre à nous-mêmes plus intelligibles notre pratique » (entendu dans un atelier). C’est aussi indispensable et salutaire pour être « visibles » et tenter de prendre une place dans la formation initiale et continue, pour esquisser une légitimité dans le champ des sciences de l’éducation. Bien sûr que c’est sérieux, la pédagogie Freinet ! Bien sûr que c’est solide, que c’est étayé, que ça repose sur une réflexion profonde, sur des dispositifs pédagogiques pensés finement.
Le travail du secteur « labo coopératif de recherche » va dans ce sens, ainsi que celui du secteur « formation-recherche » peu présent malheureusement dans ce congrès. Mais aussi le travail de tous les secteurs et chantiers, les échanges dans les GD et tout ce qui se construit dans la fourmillière de ce congrès.
Le combat est rude, il a des enjeux politiques et non des moindres. Ce n’est pas hasard si la pédagogie Freinet est peu présente dans la formation et dans les filières universitaires, ce n’est pas par hasard si elle est attaquée par la hiérarchie et par certains chercheurs qui prétendent détenir « la vérité scientifique ». Une pédagogie de l’émancipation et de la coopération, qui part du vécu des enfants et qui autoconstruit ses outils conceptuels est attaquée car elle combat les valeurs dominantes d’individualisme, d’efficacité, de compétition.
C’est donc en défendant les valeurs qui nous habitent, en défendant nos modalités de travail coopératives, en défendant notre aptitude à construire du collectif dans le respect des singularités que nous devons construire notre légitimité.
Puisque nos adversaires prétendent détenir « la vérité » et lutter contre les discriminations sociales en proposant à tous des chemins « simples » nous devons leur opposer que nous suivons entre adultes des chemins complexes et toujours en tâtonnement, pour accompagner les enfants sur les chemins complexes du savoir.
Pensée ainsi dans la complexité, cette formalisation pourra soutenir notre diversité, sans courir après la construction d’un modèle unique qui est l’inverse de l’essence de la pédagogie Freinet.
Oui les pratiques Freinet sont diverses et croisent les références : il y a loin de la Pédagogie Institutionnelle à la pédagogie dite du « 3ème type ». J’ignore si les praticiens qui se réfèrent à ces deux modèles se retrouvent dans le concept de « méthode naturelle », peut-être fantasmé ici comme concept commun à tous. Peu importe. Car il y a aussi parfois loin entre ma classe et ta classe, entre ta façon de mettre en place l’« entretien du matin » et ma manière de le faire, sous une autre appellation peut être. Mais nous savons qu’une même conception de l’enfant et de l’humain nous rassemble. Alors nous pouvons échanger, nous offrir le luxe de la controverse. Nous n’avons pas à « prouver scientifiquement » que telle modalité est plus efficace que telle autre, mais à nous doter d’outils pour étayer nos choix, mieux les comprendre, mieux les confronter. Constater la diversité ce n’est pas la confusion. Controverser, ce n’est pas polémiquer, ce n’est pas attiser les conflits, c’est jubiler de notre diversité et construire nos certitudes sur les sables mouvants de nos incertitudes.
Catherine Hurtig-Delattre 21 août 2019