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 Consoler

 
C’est le geste inaugural de l’enseignant de petite section à l’arrivée des enfants le jour de la rentrée des classes. Instinctivement, il écoute et intervient auprès des enfants insécurisés qui fondent en larmes dans la salle de classe qu’ils connaissent seulement de réputation ou de l’extérieur lorsqu’ils y ont accompagné une connaissance ou un aîné. J’ai été surpris par l’étymologie que donne de ce terme le Littré . Il viendrait de « cum, et solus, dont le sens propre est entier. Consolari est proprement rendre entier et, par extension, satisfaire. » Littéralement, les enseignants aident spontanément les enfants à se reconstituer, condition sine qua non pour qu’ils puissent tirer bénéfice de leur présence à l’école. Il n’est bon pour personne de laisser un enfant mariner dans ses larmes. Les premières matinées, les pleurs fusent de toute part et le maître n’a pas assez de deux genoux et de deux bras pour accueillir tous ces malheureux. Par chance, dans un cours double, la grande majorité des enfants de 4 ans s’occupent entre eux, tandis que les petits nouveaux jouent seuls ou commencent à faire leurs premières rencontres.
Les larmes des premiers jours n’ont pas valeurs égales. Leur teneur varie selon des trajectoires personnelles intimes. Elles ruissellent d’une déjà longue expérience affective et sociale. Elles ont été parmi les premiers modes d’expression de l’enfant nouveau-né. Par la tonalité différente de ses pleurs, il a exprimé la faim, l’inconfort, le manque de l’autre.  Les adultes qui en prenaient soin sont très vite parvenus à les interpréter et y ont répondu d’une façon très personnelle et, dans les meilleurs des cas, en interagissant par des gestes accompagnés de paroles. C’est par cette verbalisation signifiante des adultes que les enfants accèdent au langage.
Les larmes surgissent d’une émotion déjà socialement contrôlée. Inutile de nous référer au rôle conventionnel des pleureuses pour asseoir leur évidente connotation culturelle. On ne s’autorise pas à pleurer de la même façon, selon son milieu d’origine, selon son genre. A trois ans ou presque, les enfants sont doués de paroles et les larmes viennent seulement exposer le trop-plein d’émotion dû à la crainte du départ imminent des proches qui les ont accompagnés et qui, parfois, communiquent leur propre anxiété. A cet instant, ce langage d’avant la parole reprend ses droits. C’est le langage archaïque des émotions. Sa symbolique est souvent accessible aux seuls membres du cercle étroit de la cellule familiale centrée sur la relation mère-enfant. A la rentrée des classes, certains adultes peinent à évaluer le bon moment du départ. S’ils s’éternisent, s’ils savent mal se séparer, alors les pleurs redoublent et prennent une dimension dramatique. Mais une fois la classe vidée de tous les parents, à quelques exceptions près, les pleurs cessent rapidement comme si une fois les derniers témoins partis, pleurer pour dire sa peine perdait tout son sens. Ce rituel de séparation passé, les enfants se tournent vers autre chose, d’autres comportements, d’autres relations.
Cette année, le soir de la rentrée, je suis allé au cinéma avec mes habits de travail voir So long my son. Je n’ai pas fait attention, ma chemise était maculée de « morvelle » séchée à hauteur d’épaule. Je portais les stigmates du jour de rentrée en petite section, juste à l’endroit où les petits posent leur tête pour se faire consoler. 

rentrée des classes

Merci Jean pour ce magnifique texte qui traduit ce que j'ai pu vivre ces deux dernières semaines et qui risque de perdurer encore un petit moment.
Pauline, enseignante en TPS PS, Digne les bains.