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Hommage rendu par un ancien élève le mercredi 26 mars 2008, lors de l'ouverture du 18ème salon Freinet de Nantes

Il est des êtres qui traversent votre existence et la marquent durablement.

Monsieur Mathieu est de ceux-là à mes yeux puisqu’il restera à jamais mon professeur de français. Le professeur qui m’a donné le goût des mots et de la parole.

C’est pourquoi c’est avec fierté et émotion que je me saisis aujourd’hui de l’occasion que m’offre ce salon pour saluer et honorer sa mémoire en évoquant quelques unes des images fortes laissées en chemin.

A bientôt 30 ans mes souvenirs de collégien sont néanmoins encore bien vivaces. Non seulement j’ai gardé de cette époque de solides amitiés mais je me suis depuis frotté de mon côté aux difficultés et aux joies du métier d’enseignant. J’ai beaucoup pensé à lui quand, fébrile, je me suis trouvé pour la première fois devant 30 paires d’yeux que je devinais impitoyables et qui me scrutaient à m’en faire rougir et à m’en nouer l’estomac. Avec cette question au creux de mes mains moites : mais comment diable faisait-il donc pour toujours sortir de son vieux cartable en cuir noir des trouvailles qui associait ainsi son public à son enseignement ? Comment parvenait-il, à première vue sans effort à abolir de telles barrières, de telles distances ?

Le souvenir de Monsieur Mathieu n’en est devenu que plus fort. Si bien que le voile du souvenir ne recouvre pas tout à fait son visage sur lequel je n’avais su déceler les signes du temps qui passe lorsque je l’avais revu par hasard il y a quelques années. Alors même que moi j’avais pris un peu du poids des années, perdu quelques cheveux et gagné une paire de lunettes…

Je me souviens aussi très bien de sa voix, où la malice perçait toujours même au plus fort de ses éclats. Son ton et son expression se détachent donc encore nettement dans mon esprit. Peu d’enseignants m’ont laissé tant. Et ce n’est pas faute d’avoir croisé la route d’une flopée d’enseignants les plus divers puisque je viens juste de parachever ma thèse de doctorat.

C’est d’ailleurs à l’occasion de ma soutenance que j’ai appris la triste nouvelle de son décès.

Je voulais l’y inviter, pour lui rappeler le pronostic goguenard qu’il avait livré à mes parents un soir de conseil de classe en 3e : « Pierre-Yves ? Ma foi si ce ne sera pas tout à fait rectiligne ça peut être droit et long… ! ». Mes parents en ont été vite persuadés, bien avant moi d’ailleurs… Je suis sûr que ça l’aurait fait sourire dans sa moustache.

Mais ses talents divinatoires sont bien peu de choses au regard de ses qualités pédagogiques. Il m’a fait comprendre que l’enseignant comme l’élève sont bien plus que la discipline à laquelle il peut être tentant de les réduire. Il est question de regards de bienveillance réciproque, d’écoute, de relations humaines avant toute chose en somme.

Et puis je me rappelle également du plaisir de constater l’étonnement et l’incompréhension dans les yeux de nos camarades de récré lorsque nous dévoilions à mots couverts de quoi étaient faits nos cours de français. Notre description se voulait un brin ésotérique, bien trop conscients de notre statut d’initiés et de privilégiés puisque nous étions propulsés au centre de la classe. Idée aussi simple qu’originale. Je ne crois pas qu’un seul élève ait rusé pour échapper à ces parenthèses de cinq heures par semaines. Chacun à sa manière entendait y participer, s’exposer, donner de ses efforts, de son temps et de sa petite personne pourtant aux prises avec les impérieuses tensions hormonales de l’adolescence, le tout loin du chantage du carnet de liaison ou du pilori du passage au tableau.

Monsieur Mathieu, l’air de pas trop y toucher, nous guidait tout en nous donnant l’impression de tenir la bride très lâche. Professeur peut-être mais pas tout à fait maître. Cette impression de liberté était enivrante de sorte qu’il est difficile une fois que l’on y a goûté de revenir à des méthodes plus orthodoxes pour ne pas dire plus dirigistes, plus rigides…

Il est donc des êtres lumineux qui traversent votre existence et la marquent durablement. Monsieur Mathieu fut résolument de ces figures d’exception dans mon parcours personnel. Il le soupçonnait peut-être mais certainement pas dans de telles proportions tant son humilité l’en préservait sans doute. Mon hommage se doit donc d’être humble et chaleureux, à son image, c’est pourquoi je vais rendre la parole que l’on m’a gracieusement offerte et vous remercier de votre attention.