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BENP N°9 - Le Dessin libre

Juin 1938

 

Publication mensuelle     N°9          Juin 1938

 

Brochures
d'Education Nouvelle
Populaire

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Elise FREINET
M. DAVAU
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Le Dessin libre

VENCE (ALPES-MARITIMES)
L'imprimerie à l'école

Prix : 10 fr.

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Le dessin libre

Le dessin, d'enfant n'est pas à mesure du pédagogue
Il est à la mesure de l'âme enfantine

 

On a écrit beaucoup sur le dessin d'enfants.
On n'y a jamais compris grand'chose.
Des psychologues, des pédagogues, des psychiatres ont réuni dans leurs cartons des documents impressionnants ; ils les ont étalés sur leur table, et se frappant le front, ils ont dit :
" Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
“ Est-ce que la psychologie n'y trouverait pas son compte ?
“  Est-ce que la sexualité n'y serait point indiquée ?
“ Est-ce que la pathologie n'y serait pas inscrite ?
“  Que les enfants se taisent et ne nous dérangent pas : Ici travaille le spécialiste !
Comment travaille le spécialiste ? Comme tout intellectuel, il a des lorgnons, un stylo, des feuilles blanches et des livres. Dans la tête, il a des cases toutes prêtes : animisme, réalisme, égocentrisme, syncrétisme ; il s'arrange pour loger tout ce qu'il découvre dans l'une de ces cases et quand les cases sont garnies, il écrit des livres sur le dessin d'enfant avec des documents à l'appui...
Le pédagogue dit : “ Voici un exemple typique de réalisme ”.
- Veuillez voir ! Dit le psychanalyste, cette petite fille a fait une fumée toute droite au bord du toit, sans enroulements ni volutes ! C'est un signe manifeste d'obsession sexuelle. Il faudra surveiller cette enfant !
- Attention ! Dit le névropathe, voici un chien qui a la tête d'un homme et un homme qui a des pieds de chien, c'est du domaine du délire ! Recherchez les antécédents du petit garçon !
Et tout le monde tremble devant tant de mystères et on ouvre les livres de spécialistes et l'on dit :
- Je crois que j'ai un eu compris. Donnez-moi des dessins d'enfants que je regarde ! Mais oui, en effet : Voilà une ligne droite et, tout près, une ligne ronde... , ah ! Mais c'est grave ! Qui m'aurait dit ça de ce petit enfant ! ... Il faudra que je le dise à sa mère ! J'éviterai un malheur ! ...

***

 Nous ne voulons discréditer en rien les chercheurs désintéressés de la science. Nous voulons tout bonnement mettre en garde nos camarades contre le danger qu’il  y aurait à user d'une culture mal assimilée et à fermer son intelligence aux manifestations les plus simples de la vie de l'enfant. Notre conviction personnelle est que tout ce qui a été écrit systématiquement en fonction de la psychologie humaine est une somme monstrueuse d'erreurs et de plagiats, et notre espoir serait de voir les prérogatives du bon sens re­prendre leurs droits sur les divagations de l'intellect spécialisé aux fonctions abstraites.

L'enfant est devant nous, simple et nu, comme le petit animal son frère. Comme lui, il gambade, fait des culbutes, tout à sa joie de vivre. Toute activité spontanée ne sera que l'expression de cette joie de vivre qu'il nous appartient d'éduquer dans un sens de grande humanité. Le dessin d'enfant est une des manifestations de cet élan de vie et il nous livrera les secrets de l'âme enfantine dans la mesure où nous aurons compris tout le comportement de l'enfant.

Regardons nos tout petits jouer :
En chevauchant un cheval imaginaire, le petit garçon rythme des marches endiablées ; la fillette endort sa poupée au son d'une berceuse improvisée dont la cadence connaît tous les secrets du rythme et de la mesure.
Où commence l'improvisation musicale et comment la séparer du jeu dont elle est un élément ? 

 La maman pour qui ne compte que la joie de son enfant, laisse chanter la fillette ou le garçonnet. Assise à son ouvrage, elle veille à ne point les troubler, les observe du coin de l'œeil et son cœeur est ravi de ces improvisations primitives chargées d'une seule richesse, la plus précieuse : la joie de vivre.

 Mais que vienne le musicien spécialiste.
-Arrête, petit, dira-t-il, ce n'est pas une phrase musicale que tu chantes là, car où est la demande et où est la réponse ? Et où sont les huit mesures fatidiques ? Cela ne peut pas être un thème musical.
Nous sommes d'accord avec le musicien. Cette improvisation n'a en elle-même aucune perfection musicale.
- J' fais pas une chanson, dirait le petit garçon, je fais trotter mon cheval !
Est-ce à dire que cette improvisation techniquement condamnable n'a aucun intérêt ?

Est-ce que les erreurs techniques de la musique nous empêcheraient de jouir du beau spectacle d'un petit garçon heureux ? Et qui osera prétendre qu'il ne faut pas laisser chanter librement les petits garçons sous le prétexte qu'ils n'apprendront jamais à chanter juste et bien ?

Ces considérations visent à cette conclusion : Si nous sommes inhabiles, profanes ou spécialistes, contentons-nous de regarder l'enfant ; laissons-le aller et enregistrons ses trouvailles. Tout le monde y trouvera son compte, l'enfant le premier, nous ensuite qui apprendrons à respecter la pensée enfantine, à 1a comprendre, à la servir.

Notre attitude vis-à-vis des improvisations graphiques de l'enfant sera la même : Laissons dessiner l'enfant. Ne regardons pas le dessin en soi ; regardons l'enfant dessiner si possible dans le monde de ses rêves et montons avec lui dans le domaine du merveilleux. Tout à l'heure nous toucherons mieux le plancher des vaches, car nous nous serons libérés de bien d'erreurs primaires.

****

Regardons dessiner l'enfant : le crayon court sur le papier sans hésitation ni calcul et les commentaires vont leur train.
-Viens, regarde, regarde, voilà le cheval qui " s'a échappé ”, il court, il court... oh ! lala... il va tuer quelqu'un peut-être...

Peu de manifestations spontanées de l'activité enfantine seront aussi riches de contenu. La réalité épouse le rêve fantastique, le détail le plus prosaïque séduit parce qu'il coudoie le pittoresque le plus inédit. Reportage et divagation, vérité et mensonge... Qui assignera des limites à l'âme prisonnière passionnée de rêve fou ?
-Tiens, regarde, regarde... Ça c'est la maison, et voilà la cheminée. La fumée sort de la cheminée, parce qu'on fait cuire le dîner.
(Interruption). C'est du   macaroni... Mon vieux, c'est bon le macaroni avec du fromage grillé dessus ! La fumée monte dans le ciel comme ça, comme ça. Ici, il y a un petit oiseau. (Ils volent dans le ciel, hein ? les oiseaux, comme les avions, mais les avions c'est plus grand que les oiseaux, mais c'est pas vivant, les avions. ) La fumée monte toujours dan le ciel comme ça, comme ça ; Ah ! Voilà q'elle attrape le petit oiseau. Pauvre petit oiseau! Il n'est pas tout à fait mort mais un peu étouffé. Il fait Cui, Cui, Cui... Et voilà qu'il est tout mangé par la fumée...

 

Réalité ou divagation ? Nous voilà fort surpris de tant de lyrisme sorti comme une eau courante d'un détail très prosaïque : la cheminée qui fume.

Le psychologue ne sait dans quelle case ranger la fumée qui attrape le petit oiseau ; il la passe à M. Bergson ; mais M. Bergson n'a pas ça non plus dans son rayon de “ Ima­gination créatrice ” ; la fumée qui attrape l'oiseau, voyons, c'est dans le domaine du délire, c'est le psychiatre que ça regarde. Et voici que le psychiatre s'en empare. com­mence à le disséquer, ravi d'une telle aubaine... Mais,  par-dessus son épaule, l'homme de lettres, ironique et élégant, s'interpose :

 - Cher Maître, c'est à moi que la fumée revient... il ne s'agit que d'une fleur de rhétorique ! ..

Et voici que quelqu'un est venu. Il n'était pas un spécialiste car il n'était ni pédagogue, ni psychologue, ni philosophe, ni psychiatre. Il avait une caméra dans la main. C'était le faiseur d'images. Il ne disait pas : ceci est à moi, ceci est à toi, ceci est à lui. Il ouvrait ses yeux et il pensait :

- Oh ! Comme c'est joli ! Je vais le mettre dans ma boîte pour le monter aux autres.

  Il regarda le petit enfant penché sur sa feuille. Il ne voyait qu'une belle chevelure blonde, la ligne arrondie des joues, un petit bout de nez au milieu et sur le papier une menotte refermée sur le crayon magicien. Et la voix de l'enfant était vibrante et claire comme une aube de mai.

L'homme approcha le viseur de son œil, déclencha le déclic et la caméra, manœuvrée par la main intelligente, enregistra docilement toute la belle histoire qui montait du cerveau du petit enfant. Et quand cette belle histoire défilait sur les écrans des villes, tous les bambins battaient des mains, déliraient de joie et d'enthousiasme.

 D'abord, l'on voyait un petit enfant en train de dessiner et de parler, c'était tout à fait comme s'il jouait la comédie. Puis, peu à peu, on voyait le dessin du garçonnet qui, lui aussi, jouait la comédie. Près de la maisonnette, l'eau du ruisseau coulait, l'arbre faisait chanter ses feuilles à la brise, le chemin se mettait à courir et en haut de la che­minée montait la petite fumée. Légère et bleue, elle gagnait le ciel, poursuivait le petit oiseau, s'enroulait autour de-lui comme une voile perfide et l’on entendait, de plus en plus affaiblis, les “ Cui Cui ” du petit oiseau étouffé...

 C'était beau de couleurs, de rythme et de poésie... C'était plus beau que du Mickey et que toutes les histoires folles venues d'Amérique, car c'était l'âme de l'enfant qui passait pour la première fois au milieu des foules.

Comme dans toute histoire qui se termine bien, il faudrait un épilogue. Ce serait celui-ci :

Alors, on laissa les petits enfants dessiner et raconter leurs histoires et les spécialistes pédagogues, psychologues, psychiatres plièrent leur serviette et ne revinrent plus...

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Laissons s’exprimer l’enfant

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Tous ces développements peuvent sembler des bavardages très faciles. Mais oui, ce sont des bavardages puisqu'ils ne reposent encore sur aucune réalité pratique ; mais qui contestera que ce sont d'utiles bavardages qui revendiquent le mérite de situer mieux le problème de l'enfant ? Oui, bavardons ! Si nous n'écoutons pas les bavardages de l'enfant, que saurons-nous de Iui ?La première difficulté pour le maître ce sera de laisser parler l'enfant. Ça n'est pas commode. D'abord, l'instituteur n'aime pas que l'enfant parle. Ça le fatigue, ça le dérange, ça l'énerve... Il a ses raisons, cet homme. Quand, dans une salle de classe, il est “ aux prises ” avec quelques quarante enfants, le bavardage est un délit au premier chef. C'est pourquoi bavarder a pris un sens péjoratif et pourquoi les plus conséquentes punitions vont toujours aux bavards. Le mieux est d'instituer des leçons de bavar­dage... A l'Ecole Freinet les leçons de dessin sont des leçons de bavardage... ce sont des heures adorables ! Il en sort des chefs-d’œuvres que l'on tiendrait dans ses mains tou­jours comme une offrande perpétuelle au génie de l'enfant.

Là, ne s'arrête pas le miracle.

Au-delà de ces heures de joie, où l'on est si divinement une maman et des petits enfants, où l'on s'allonge à plat ventre pour dessiner “ à la manière des petits chiens ”, où l'on discute de ses préférences sur la couleur “ caca d'oie ” ou “ crotte de bique ”, se construit l'atmosphère de totale liberté et de totale confiance propice à la création artistique.

 

Cela veut dire des choses prodigieuses. Cela veut dire d'abord que nous sommes humbles parmi les humbles devant notre loyauté et qu'il ne sera de confessionnal ni de Temple qui nous fera plus fervents dans notre sincérité :

 - Maman, je veux te dire toute la vérité : C'est moi qui avais pris les cerises sur le buffet...

 

- Dis, c'est vrai que tout le monde doit mourir ? Et moi aussi ? à force à force, je finirai par mourir ? Oh ! non, je ne peux pas croire cela

 - Tu sais ce qu'il faudrait ? rien que man­ger moitié du dîner et envoyer le reste à l'Ecole Freinet de Barcelone.

 - Oh ! Moi je ne veux pas croire que les hommes ont été des poissons puis des singes. Moi, je n'ai pas été un singe, car où serait passée ma queue ?

Quand on est fatigué, il y a quelqu'un qui est toujours encore plus fatigué, c'est notre maman.

- Avant, je croyais que travailler c'était une punition, et maintenant plus je travaille, plus je m'amuse !

Bavardages ! Etrangers, en apparence, au dessin et qui en constituent l'âme, Si, à l'exemple de l'enfant, nous bavardons un peu à côté du sujet, c'est que nous ne redi­rons jamais assez que chez l'enfant, plus encore que chez l'adulte, c'est un danger de faire un travail de spécialisation au détri­ment de toute éducation.

Dès lors, nous serons plus à l'aise pour laisser à l'enfant la plus grande liberté d'ex­pression. L'enfant dessinera ce qui lui plaît et quand il lui plaît.

Cela ne voudra pas forcément dire qu'à cause du dessin la plus grande anarchie doive régner dans une classe et bouleverser programmes et emplois du temps. Il faut re­marquer, en effet, que l'esprit de l'enfant n'est pas étranger à la ligne générale de l'intérêt de la classe. Si une leçon de calcul pratique, de science ou d'histoire est bien conduite, la majorité des enfants en sui­vront l'exposé et participeront à sa démons­tration. Mais si un enfant, point capté par le charme, se laisse aller à quelques impro­visations graphiques ne vaut-il pas mieux l'abandonner à son intérêt du moment que d'exiger de lui une attention de forme, fac­teur de déséquilibre de la volonté ?

Bien que nous ne soyons pas pour un enseignement systématique du dessin, il est des moments de la journée qui s'avèrent plus propices que d'autres pour dessiner :

Au début de la classe, le matin, quand on rédige les textes libres pour les imprimer et que se crée cette atmosphère idéale, favo­rable à l'expression libre, les enfants peuvent très bien dessiner tout en participant à la rédaction du texte. Faut-il redouter qu'en faisant deux travaux à la fois on les fasse mal tous les deux ? Cela arrive. Mais il ar­rive aussi qu'en faisant un seul travail, sans intérêt, on courre à un échec certain... L'ex­périence nous a montré que l'atmosphère de grande liberté qui règne au moment de la rédaction des textes, a chance de libérer les impondérables affectifs qui font le charme des dessins d'enfants. Ceci ne vise que le graphisme en lui-même. La leçon de pein­ture proprement dite serait réservée dans le courant de l'après-midi aux heures creuses de la journée, quand la digestion endort l'es­prit et que l'effort intellectuel imposé à l'en­fant est une mauvaise action que tout instituteur se reproche. Ce n'est pas que la leçon de peinture s'accommode forcément des conditions mauvaises, mais parce qu'elle est en général pour l'enfant comme une détente et un jeu et qu'il est facile d'organiser col­lectivement l'installation des palettes, des godets à eau sans que l'on ait à craindre trop de mouvements et de remue-ménage dans la classe.

***

Et si l'on dépasse les limites de temps prescrites par horaire ?

 

Cauchemar des horaires ! M. l'Inspecteur fait irruption dans la classe :

 - Votre emploi du temps ? Quelle heure avez-vous ?

Si l'on brisait toutes les montres des ins­tituteurs, on ferait plus pour la libération de l'enfant qu'en élaborant les meilleurs pro­grammes et emplois du temps du monde.

 Peut-être n'en sommes-nous plus au temps où M. l'Inspecteur est forcément la bête noi­re, personnage administratif par excellence, à l'image d'un contrôleur des poids et mesu­res, Si même ce cas regrettable était encore de mise, pourquoi ne pas dire avec politesse et conviction à M. l'Inspecteur :

- Monsieur l'Inspecteur, ce qui compte, c'est l'âge mental de l'enfant. L'âge mental de l'enfant ne se mesure pas à un effort de mémoire, mais à son jugement, à son sens critique, à ses moyens d'expression. Acquérir devient par la suite facile. Si en acquérant je leur permets d'être heureux m'en ferez­ vous un grief ?

M. l'Inspecteur comprendra, ou alors son opinion pèsera peu en regard de vos responsabilités vis-à-vis de l'enfant.

 

***

Combien d'exercices de dessin par semaine ?

 

Nous considérons le dessin comme l'un des meilleurs moyens qu'à l'enfant de s'expri­mer, Tous les jours il rédige, chante, joue, parle ; tous les jours, il doit dessiner et nous redisons que cela est fort possible grâce à la complicité favorable des textes libres rédi­gés le matin. Pour les tout-petits, la leçon de peinture sera facilement quotidienne, Pour les grands cela dépendra des appétits de chacun. Un enfant, deux, trois enfants parti­culièrement doués, peuvent peindre chaque jour, Pour la majorité de la classe peut-être un exercice quotidien pourrait être un peu oppressif et d'ailleurs risquerait de plonger le maître dans de grandes angoisses relativement à l'emploi du temps !

 

***

 

Comment enseigner le dessin ?

 

Savoir quand dessiner est un fait. Appren­dre à dessiner en est un autre.

Et pourquoi apprendre à dessiner ? Savez-­vous dessiner, vous ? Prenez un crayon : faites un chat, faites un chien, un cheval, un cerisier, ou même le simple petit navire au long voyage ! Si le résultat n'est pas une réussite graphique, du moins aurez-vous trouvé l'occasion de rire un peu, de devenir mo­deste et peut-être ne serez-vous plus de ceux qui, pour cacher leur insuffisance devant une œuvre enfantine, disent avec une pointe d'indulgence :

-Ce n’est pas mal pour un enfant !

Non, pas mal en effet, veuillez vous laisser conduire par lui…

- Moi, me laisser conduire par lui ? Mais c'est idiot, absolument idiot, ne voyez-vous pas que l'enfant non plus ne sait pas dessiner ? Son chat n’est pas mieux dessiné que le mien, il doit ap­prendre à faire un chat. Si ce n'est moi qui le lui apprendrai, ce sera le modèle de chat, il regardera, il copiera et il fera un chat…

Tout s'apprend dans la vie, tout est nécessaire ; l'entant apprend la grammaire, le calcul, l'histoire de France… Que fera-t-il plus tard dans la vie ?

Excellentes raisons, si vieilles, si ancien­nes qu'elles trônent au centre du monde, comme un Bouddha éternel dont la malfai sance alimente sans fin les générations serviles.

 On voit dans les foires de petits singes savants qui conduisent des autos, marchent à bicyclette, font de la corde raide et saluent à la romaine. Ils gagnent leur vie et celle de leur maître. Marcher sur la corde raide leur est nécessaire. C’est par ce moyen qu'ils ont la maigre pitance qui les empêche de mourir de faim. Ailleurs, les singes vivent en liberté. Ils ne font pas de corde raide ; ils grimpent aux cocotiers, escaladent des montagnes d'arbres. Ils ont dans leur cer­velle étroite, dans leurs membres agiles, le génie du singe qui, mieux que la corde raide, leur dispense la nourriture.

Gagner sa vie n'est pas un but, Appren­dre à gagner sa vie n'est pas une éducation, c'est parfois tout le contraire d'une édu­cation, c'est de l'abrutissement. Le poly­technicien est le chef-d’œuvre de l'homme

qui a travaillé pour gagner sa vie. Il ne donne pas forcément l'échelle de l'intelligence humaine.

 Nous sommes de ceux qui honorent prodi­gieusement le travail. Nous ne condamnons pas l'Ecole ; ce que nous condamnons, ce sont les valeurs qu'elle met en relief. Savoir écrire est peu de chose. Savoir écrire les choses vraies, profondes qui tiennent inten­sément au cœur de l'homme et le touche, c'est tout.

Si nous faisons cette digression, en appa­rence étrangère au dessin d'enfant, c'est que justement l'artiste a toujours été présenté comme un personnage lunaire destiné à la misère et au cabanon. Si l'Art, en effet, compte en nombre impressionnant ses mar­tyrs et ses héros, ce n'est pas à vrai dire la faute de l'Art lui-même pour lequel nous réclamons droit de cité, c'est la faute d'un régime d'exploitation forcené, acharné au profit de la plus-value commerciale, d'un régime qui réclame de plus en plus le spé­cialiste, relégué dans l'étroitesse du profit immédiat, fermé à la vaste compréhension du monde. Il n'aura pas sa place ici. Mais un jour viendra où, dans ce système qui croule, le technicien non plus n'aura plus sa place, car la science illogique se détruit d'elle-même en creusant son propre tombeau.

Nous n'avons pas la prétention de créer des générations d'artistes spécialistes de l'art. Nous disons qu'au milieu des contingences parfois cruelles du travail et de la vie, l'hom­me n'a jamais assez de joies vivifiantes et saines et c'est pourquoi dès l'aube de l'enfance, nous réclamons pour lui les émotions dé­sintéressées de l'art.

- Bien sûr, dira-t-on, mais si l'enfant dessine un chat comme une tortue cela n'est pas de l'art, Cela gêne, au contraire, cela choque et pour tout dire indispose.

 Nous n'avons jamais eu la prétention de faire tenir l'Art dans un profil de chat. Voir le chat, le chien, l'âne, l'arbre, le na­vire en eux-mêmes, c'est un peu comme, si pour lire, il fallait reprendre une à une toutes les lettres qui composent le texte. C’est reprendre le système des cases du pédagogue, en les réduisant à un rôle autrement pri­maire et péjoratif. Ne voyez-vous pas que l'Art est une prodigieuse aventure et que, comme un dieu fécond, le génie, inlassable­ment, appelle la vie et la dispense ?

Le chat ressemble à la tortue, soit, il sera un chat-tortue. Est-ce que notre rêve est borné ici au type chat ? Est-ce que les aven­tures du chat-tortue ne seront pas aussi pas­sionnantes que celle du chat classique ? Est ce parce qu'il était un chat classique que le chat botté a conquis et conquerra tant de suffrages ? Mais non, voyons, c'est parce qu'il était un chat botté. Or, les chats n'ont pas de bottes, pas plus qu'ils ne ressemblent à des tortues... Le génie de l'homme est passé par là. Un point, c'est tout...

Nous ne voudrions pas qu'on nous fasse dire que mal dessiner est un privilège et une supériorité. Vinci, Ingres, Goya ne sont pas passés en vain. La ligne n'a rien perdu de son prestige. L'Art moderne ne l'a point démolie au contraire.

Nous voulons parler ici des moyens les plus propices à initier l'enfant à l'émotion artistique et des obstacles à cette initiation, L'un des obstacles nous apparaît justement d’apprendre à l'enfant le dessin correct par la copie du modèle ou par le dessin à vue. En cela, nous rejoindrons la conception de Richard Rothe, le si compréhensif pédagogue de l'ancienne Vienne.

“ Le but à atteindre, dit-il, n'est pas l'image correcte, mais la concrétisation claire et cohérente d'une idée ou représentation en­fantine. Pour juger un dessin d'enfant, il faut voir ce que l'élève dit et non dans quelle mesure il est arrivé à exprimer son idée correctement d'après notre mentalité d'adulte.

…Par la création libre se révèle à l'enfant son monde à lui, son intérêt se concentre sur l'épanouissement de ses propres forces et il se dirige vers une compréhension person­nelle de la Nature bien mieux que si on la lui présentait comme un modèle à copier... Créer, ce n'est pas se détourner de la Nature, et de la vie, mais, au fond, mieux la comprendre, se libérer de notions isolées et ac­cessoires pour ne faire ressortir qu'une idée claire et cohérente correspondant à un cer­tain stade du développement. C'est se con­former à la loi suprême de toute vie orga­nisée : le rythme et l'évolution. »

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Doit-on absolument respecter le dessin d’enfant ?

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Il est très facile de critiquer un dessin d'enfant du point de vue adulte. Les che­vaux y ont des oreilles d'âne, les chiens ont des allures de cochons, les maisons menacent ruine et les personnages y ont un canon fort inquiétant : Praxitèle est loin !

Mais quelle vie dans tout ce monde amphi­bie!  Des êtres inquiets et silencieux, gais et fantastiques parcourent les chemins, grim­pent aux arbres, dansent des sarabandes ef­frénées. Et quel bleu dans le ciel, et quelle fantaisie dans : l'arbre, quel lyrisme dans les herbes de la prairie! L'âme simple y ins­crit magnifique, léger, aérien part à l'aventure. Pourquoi chercher ici le détail juste et le sens précis ? Pense-t-on à demander à l'enfant qui balbutie, le contenu de ses gazouillis ? Quelle autorité serait assez sacri­lège pour arrêter ce chant de jeune oiseau sous le prétexte qu'il est inconséquent et sans à propos ?

L'Art moderne marqué des outrances du surréalisme mais qui en évita les dangers, libéra dans une certaine mesure les appré­hensions du conformisme intellectuel. Il se trouva bien çà et là des Camille Mauclair pour hurler après ses chausses, mais l'Ecole de Paris, jeune et chantante et dans une certaine mersure, naïve et enthousiaste à l’image des dessins d’enfants, imposa ses audaces au monde entier.Sans prétention d’ailleurs, Chagall ne reconait-il pas qu’il puise ses inspirations prodigieuses dans les dessins de sa propre enfant, ce qui peut-être soit dit en passant, pourra donner une leçon de modestie à ceux qui se reconnaissent le devoir de corriger les œuvres de leurs propres élèves et qui se prennent pour censeurs perpétuels de la ligne.

Doit-on corriger les dessins d’enfants ?

Nous ne disons pas forcément non. Cela dépend du doigté que l'on apportera à la correction. Si l'on corrige à la manière des correcteurs du certificat d'études, pour qu'un chat soit un chat, il vaut mieux s'abstenir et nous en avons donné quelques raisons. Le type le plus excentrique doit être respecté. Laissons à la petite fille ses cheveux en soleil, son buste carré, ses mains palmées au bout de bras filiformes. Ce qui comptera pour l'enfant et pour nous, ce n'est pas la perfection du type. Nous ne sommes pas ici à un concours de beauté. Ce qui comptera, ce sera l'aventure de la petite fille qui, comme le chat de R, Kipling, s'en va toute seule dans l'allée... Nous apprendrons sur elle des détails fort touchants et les catastrophes ne l'auront pas plus évitée qu'elles ne nous aient épargnées nous-mêmes. Il faut bien qu'il y ait de " sales coups " pour qu'un jour sur­gissent les héros ! ..

La petite fille, d'ailleurs, sera sans ambi­tion. Elle a désobéi, sa maman l'a frappée et elle s'en va... Tous les jours, il y a comme cela des gens qui partent ou qui ont grande envie de partir !

Ce type de dessin à épisode réduit est le type classique des dessins d'enfants pour qui le milieu a été sans écho. L'histoire est très vite finie. On se la racontera plusieurs fois par automatisme graphique, par paresse : par sympathie. Pourtant il suffirait d'un petit mot pour donner de l'essor au rêve et faire de ce départ tragique de petite fille une passionnante aventure. Un peu de sympathie aurait fait le miracle.

Nous avons sous les yeux un dessin charmant que Jacquot vient de nous apporter.

 

Deux lapins frères, d'allure joyeuse, queue en l'air, oreilles au vent, s'avancent devant un monsieur fort élégant si l'on en juge par son invraisemblable chapeau rouge, ses sou­liers bleus, ses pantalons jaunes et sa tunique cramoisie. C'est, sans nul doute, un " Bourgeois ", car il tient à la main une canne et se tient droit comme un marquis. Heureux monde où les petits lapins de garenne rencontrent les marquis sans dom­mage pour leur peau !

Au loin un modeste petit bonhomme, large chapeau, larges épaules, larges culottes, le type de l'homme vulgaire, tient dans ses mains solides un lapin, A vrai dire, il ne tient pas encore le lapin, mais qu'est une histoire de secondes quand on est sûr d'attraper le lapin ? Et que compte la vie quand on l'a vécue !

Deux détails vont nous frapper tout de suite par leur incorrection.

Le monsieur a un tout petit bras d'infirme qui ne dépasse pas son buste.

Le jardinier n'a ni yeux ni oreilles.

De plus, il n'y a pas de décor à cette pas­sionnante histoire et les personnages ont l’air de flotter dans le vide au gré de la fantaisie de chacun.

Nous ne disons rien. Nous laissons parler Jacquot.

Les commentaires ne manquent pas d'esprit gavroche (Jacquot n'est-il pas un môme de Paris ?)

" Les premiers lapins, eux, ils s'en moquent...

Le monsieur c'est le patron. Lui aussi, il s'en f... Il se promène le beau monsieur riche. C'est le lapin qu'on va faire cuire qui s'en fait...

Le cuisinier, lui, il ne s'en fait pas... C'est son métier de tuer les lapins et sa femme les fait cuire.

-Moi, dit Pépette, je ne m'en f... Pas, parce que je ne veux pas qu'on tue les lapins.

Et Baloulette dit :

-Si l'on faisait une histoire sur les lapins qu'on tue, ceux qui la liraient n'ose­raient plus manger des lapins ! "

 

Qu'est-ce qui va compter le plus dans cette histoire ?

Allons-nous nous placer au point de vue strict du graphisme, et ne voir que l'incor­rection du dessin ?

Allons-nous prêter attention surtout aux commentaires qui l'accompagnent ?

Si nous nous plaçons au point de vue de la correction du dessin, nous serons obligés de dire à Jacquot :

- Pour un monsieur riche, ton bonhomme n'a pas le bras très long, regarde ; le bras s'attache à l'épaule. Quand on plie le bras, le coude tombe à la taille. Si l'on relève le bras en avant, le coude est plus haut que la taille et dépasse le devant du buste : Tu dois lui rajouter encore tout l'avant-bras et la main...

Nous n'irons pas plus loin, car déjà Jac­ques aura fondu en larmes de désespoir.

-Ça m'énerve, na, j' dessine plus, j' fais plus rien, je ne prêterai plus rien de mes affaires...

Le dessin n'y gagnera rien, au contraire. Jacquot non plus. Il n'a point liquidé encore le lourd héritage d'une hérédité alcoolique et il a besoin du succès pour contrebalancer ses profonds découragements. Justement, chez nous, nous avons fait de lui le petit artiste responsable du matériel de dessin. Ses peintures sont des poèmes de la couleur et celle-ci qui n’est pas un chef-d’œuvre pourtant, nous retient par la grâce de ses touches si agréablement balancées.

Nous ne parlerons donc pas du bras trop court du bourgeois en promenade, ni du jar­dinier sans yeux ni oreilles. Au fait, est-ce qu'un jardinier en corvée commandée a telle­ment besoin d'yeux et d'oreilles ! La philo­sophie est bien un argument dont nous puissions user !

Qu'est-ce qui va compter le plus ?

Eh ! bien, nous nous laisserons conduire par l'enfant.

C'est Pépette qui a situé le nœud du drame.

- Oh ! moi, je m'en f.... pas !

Elle revient de loin, Pépette ! Et tant de souvenirs tristes chargent sa petite mémoire qu'elle se refuse à en accueillir de nouveaux.

- Qu'est-ce que ça fait que tu t'en fasses, dit Jacquot, ça n'empêche pas les lapins de mourir ! Ils sont faits pour ça, les lapins.

- Oh ! non, dit Baloulette, ils ne sont pas faits pour être mangés. Si on est végétarien, on ne tue pas les lapins.

Nous voilà loin du dessin. Peut-être est-il bon d'y revenir.

-Est-ce dans la maison, disons-nous, qu'on va tuer le lapin ? S'il saigne du nez, ça va tacher le carreau et la cuisinière ne sera pas contente.

-Non, dit Jacquot, c'est dans le jardin qu'on tue le lapin. Oh ! j'ai oublié de faire le jardin.

Et, prestement, il dessine un arbre, un parterre fleuri, de l'herbe pour les lapins, la maison et, en profil, la ligne sinueuse de la  montagne. Un peu de couleur là-dessus et le résultat est une réussite. Les bleus de Raphaël sont certainement puisés aux mêmes sources candides…

- Ça c'est beau, dit Jacquot, et c'est une histoire très vraie.

- Moi, dis-je, j'aimerais savoir si les deux petits lapins contents rencontrent le monsieur.

- Mais, oui, ils le rencontrent. Ils lui disent :

- Bonjour, Monsieur le Patron, et ils lui font des révérences.

-Bonjour, dit le Patron, et où allez-vous ?

Les petits lapins sont très malins. Ils disent :

-Nous allons nous promener !

Mais, vite, ils vont dire à toute la famille

-Oh ! lala ! le cuisinier qui a pris le petit lapin !

Et si nous faisions cette belle histoire ?

Enthousiasme général : oui ! oui !

Voilà :

Monsieur le Patron se promène, la can­ne à la main, le nez en trompette, le bras trop court, la canne trop longue… Il rencontre les petits lapins. Les petits lapins s'assoient sur leur petit derrière pour faire les petits messieurs.

- Bonjour ! Monsieur le Patron !

-Bonjour ! mes petits Iapins

C'est drôle que les lapins parlent au Patron. Le canard vient voir ça et les feuilles de l'arbre se disent

des choses du patron ! ..

Voilà le texte imprimé. Il va falloir l'illus­trer. Chacun a sa feuille et laisse courir sa fantaisie... De cette fantaisie sort la suite du conte, à nouveau imprimée, à nouveau illustrée... Les commentaires vont s'enrichis­sant sans fin, l'histoire s'allonge... Au milieu de ce débordement littéraire, le dessin garde ses prérogatives. Nous voulons dire qu'il les enrichit et cela n'en finit plus de nouveautés. Chaque enfant range ses feuilles illustrées dans une chemise et, à la fin de l'aventure, les feuilles sont classées, rassemblées, reliées en livres magnifiques qui seront vendus par nos rayons et conservés dans nos archives.

Là n'est point finie l'aventure des petits lapins, car au soir, sur la terrasse, dans la douceur du crépuscule, des petits lapins se promènent à quatre pattes. Ils rencontrent le Patron :

- Bonjour, Monsieur le Patron !

-Bonjour, les petits lapins !

Ce n'est plus de dessin qu'il s'agit. C'est du théâtre et mieux que du théâtre. C'est la création déchaînée dans toute sa fougue et sa spontanéité.

C'est maman qui est la cuisinière.

-Dites, Madame la cuisinière, ne tuez pas notre petit frère lapin.

-Je ne suis pas une Madame, je m'ap­pelle Marie. Moi, je veux bien ne pas tuer votre petit frère, mais c'est Monsieur qui veut le manger... Il a faim, Monsieur, voyons. Mettez-vous à sa place !

Si nous avions du temps ! et aussi de l'argent, ! que ne tirerions-nous pas de cette étrange histoire !

Il y aurait ici ; un théâtre d'enfants véritable “ où le petit lapin sauvé par ses frères" remporterait un très grand succès. A l'envers de carton gondolé, nous ferions nos décors à la peinture à la colle. On y verrait d'énormes lapins broutant carottes et navets, les canards et les poules mêlés à l'aventure, le bourgeois, le cuisinier, les arbres du jardin et les fleurs. Comme il y aurait les spécialistes des décors, il y aurait les spécialistes du costume. Nous conserverions au patron ses beaux souliers bleus, ses pantalons jau­nes, sa veste cramoisie. Les petits lapins aux longues oreilles auraient de beaux visages de petits enfants, ravis de l'aventure.

Pour commencer, ils entreraient en scène à la queue leu leu, non pas à deux mais à quatre, à huit, à dix, et tout exprès pour eux on créerait une musique de petits Iapins ; quelque chose dans ce goût-là, de sautillant et de léger, juste à la taille des Jeannot-­lapins.

Et dans la coulisse, l'écho de tous les petits lapins du monde répondrait à la ronde.

...Alors les adultes viendraient s'asseoir aux fauteuils et applaudir à se rompre les mains.

Et ce serait la gloire du dessin d'enfant !

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Le dessin d’illustration libre

est un excellent moyen d’initiation artistique

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-Voilà, dira-t-on, qui semble prodi­gieux de promesses, mais enfin, tout le monde n'a pas la liberté et le temps de s'asseoir comme une maman au milieu de ses poulets pour raconter des histoi­res. Et d'ailleurs, il y a du dessin au certificat d'études.

-Oui, il y a du dessin au C. d'Etudes. Il y a même aussi des dates d'histoire. On s'arrangera pour le dessin à vue ou croquis coté comme on s'arrange pour les dates. Un en­fant habitué à manier le crayon de 5 à 12 ans, sera capable en quelques séances de bourrage, de dessiner un marteau ou un tabouret aussi mal que ceux qui auront ap­pris à dessiner d'après les notions de pers­pectives. D'ailleurs, la perspective est simple et fort curieuse. L'enfant la comprend de suite. Le certificat d'études n'est pas un obstacle à l'enseignement libre du dessin.

-D'ailleurs, dira-t-on encore, nous n'aurons pas les loisirs de tirer des aven­tures scéniques des dessins d'enfants, car le progranmnme est fort chargé.

-Evidemment, le programme est chargé, mais pourquoi ne pas empiéter sur les heu­res destinées à l’acquisition de la langue française ? Ne pensez-vous pas qu'un sujet choisi librement par les enfants, enrichi pro­gressivement à leur enthousiasme et à leur imagination, ne sera pas préférable à un sujet de rédaction imposé ?

Et au-delà des heures de classe ne prépare­t-on pas partout des fêtes scolaires qui font la joie des enfants et des parents et qui, par surcroît, apportent quelques deniers à la caisse des écoles ? M.

l'Inspecteur n'est pas contre les fêtes scolaires. Au contraire. Et pour peu qu'il soit compréhensif, il sera ravi de saynètes librement écrites et orchestrées par les élèves de la classe. Et croyez notre expérience, une comédie composée par les en­fants donne infiniment moins de peine à jouer qu'une comédie plus ou moins spiri­tuelle vendue par des spécialistes du théâtre à l'Ecole.

- Dans ma classe, jamais les enfants ne font de dessins aussi curieux et originaux. Ils n'aiment pas le dessin. A tout instant, ils disent :

- M'dame, j'sais pas faire !

A qui la faute ? Vous avez dans l'esprit une caricature du dessin, sans émotion, sans chaleur, vous dites :

-Allez, les enfants, dessinez, pendant que je m'occupe des grands !

Et vous espérez des miracles !

L'enfant ne s'intéresse pas au dessin, soit. Il s'intéressera certainement à l'histoire que représente le dessin. Nous n'en voulons pour preuve que le succès fou remporté par les journaux illustrés d'enfants. Qui décide de l'adhésion, le conte ou le dessin ? Les deux à la fois. C'est l'émotion qu'ils condensent l'un et l'autre qui attire les suffrages et les retient et toujours il est facile de passer de l'un à l'autre sans que le charme soit rompu. Le dessin d'illustration nous permettra cela. Nous venons d'écrire au tableau :

 

“ Estevan a planté des fleurs dans son petit jardin. Il les arrose tous les jours. Il dit à sa maman :

-Pas vrai que je suis un peu le petit papa des fleurs ? 

Succès ! Commentaires !

- Vive le petit papa des fleurs ! Dessinons-le ce petit papa gentil qui donne à boire aux bébés-fleurs... Les fleurs disent :

-Merci, merci, petit papa gentil ! Et l'eau coule de l'arrosoir. V'lan sur la tête des fleurs ! Oh ! La la, ça fait du bien !..

Et voici quelques résultats : 4 dessins re­présentent Estevan, 8 autres ont un sujet tout à fait étranger à. l'aventure.

Rosario dit : "" C'est Fifi qui cueille les fleurs du jardin de Estevan pour les mettre sur la table...

Marianne dit :

- Estevan, il n'est pas là parce que j'ai fait son jardin quand il est déjà couché.

Eveline raconte :

- C'est des petites filles qui se promènent dans le bois...

Est-ce cela du dessin d'illustration ?

Non et oui. - Non, par le contenu du graphisme lui-même qui ne contient pas l'élé­ment essentiel au sujet : Estevan. Oui, par l'impulsion affective qui, à l'écart du texte lui-même, a poussé l'enfant à dessiner et enrichi son graphisme d'un peu plus de vie et d'élan.

 

Eveline (5 ans) n'a jamais dessiné que des petites filles, elle ne sait pas se dégager du type petite-fille pour raconter l'histoire, mais entraînée ; elle fera quatre petites filles avec des fleurs à la main. L'élément fleurs est la chaîne qui unira le type automatique à l'émo­tion de l'enfant peu à peu, au fur et à mesure que l’enfant enrichira son réper­toire graphique il arrivera à donner à son dessin d'illustration un contenu plus con­forme au texte.

D'ailleurs, là encore, la fidélité n'est pas ce qui compte. Ce qui compte, c'est la joie et 1’enthousiasme de l'enfant qui, peu à peu, prend corps et s'exprime.

On allèguera que si les tout petits font d'heureuses réussites, les grands de 10 à 14 ans risquent de ne rien donner.

Non, ils ne donneront rien s'ils n'ont ja­mais dessiné dans un sens de parfaite liberté. Devant la difficulté technique, leur émotion s'évanouira comme par enchantement ou dé­senchantement. Ils essayeront de dessiner Estevan. Ils lui feront une tête énorme, des pieds minuscules chaussés de bottines à ta­lons, ils effaceront, recommenceront et pour finir, ils abandonneront la partie.

Le chemin sera long à refaire ! Il faudra peut-être tout un art de comédien pour créer l’atmosphère lyrique qui aura raison des hé­sitations. Parfois même  le sauvetage s'avèrera impossible... tant pis ! Nous sauverons. du moins, les tout petits. Par des méthodes de dessin libre, ils auront, à 12 ans, une technique d’expression plus sûre même que l'écriture et la syntaxe, car elle ne relèvera d'aucune censure étrangère à l'enfant. Par l'entraînement, la pratique, l'enfant condense en lui des types tout à fait personnels et sur lesquels autrui ne s'arroge aucun contrôle et ainsi naît le style de l'artiste qui carac­térise les plus grands. Un Ghiotto a été victime d'erreurs graphiques mais l'arabesque qui surgit de ses toiles est d'une vigueur, d'une sûreté invincibles et son génie domine les temps.

 

*****

 

Nous voudrions parler comme parle le pe­tit enfant pour plaider la cause du dessin libre. Si nous ne vous avons point convain­cus, nous voulons au moins vous démontrer par quelques détails pratiques, que laisser dessiner l'enfant est chose excessivement fa­cile.

D'abord, nous voulons vous demander d'ê­tre présents en corps et en esprit aux exer­cices de dessin. D'être présents non pas tant pour donner des conseils que pour vous ré­éduquer au contact de la pensée enfantine si neuve, si ravissante de candeur ! Soyez la maman au milieu des poulets. C'est tellement apaisant d'être une âme toute simple, sans devoir prémédité, sans obligation adminis­trative !

Une maman qui pose ses mains sur ses genoux et qui regarde... Il n'est pas non plus défendu d'être un papa bon enfant à l'âme chargée d'indulgence. Ah ! Quel repos de devenir l'enfant du petit enfant !

 

****

 

Pour commencer, il faudra mettre un peu d'ordre dans le matériel, de façon à éviter le gaspillage, les pertes de temps et l'énerve­ment. Nous aurons une boîte à comparti­ments dans lesquels seront rangés soigneu­sement les crayons, les canifs, les pinceaux. Pas de gomme surtout. L'on ne doit jamais en user. Pourquoi ? parce que l'enfant a en lui un modèle interne que sa main inter­prète sans hésitation ni erreur et que le re­cours à la gomme détruit la trame affective de l'événement à exprimer.

Sur une petite étagère percée de trous dans lesquels entrent des godets, nous range­rons ces mêmes godets. Ce peut être des pots à confitures, de petits bocaux, des pots à yogourt, de petits bols. Il faut que les pin­ceaux se lavent aisément et que l'eau puisse se changer souvent. Il y aura toujours un arrosoir d'eau en réserve pour changer l'eau aussi souvent que possible.

On aura à sa disposition, dans des che­mises, du papier pour dessiner. Et quel pa­pier ? Nous avons ici un canson léger qui n'est pas très cher et fait des merveilles. On peut user du papier double fiche mater­nelle, du papier pour le beurre, vendu dans le commerce, et aussi de vieux rouleaux blancs ou crème de papier à tapisser que l'on trouve dans les vieux fonds de magasins de droguerie ou chez les tapissiers. On 1es repasse, on les découpe. On les repasse une nouvelle fois.

Chaque matin, on a entre des buvards, les textes imprimés à illustrer. On ne les illus­tre que tous les deux jours avant de les redonner à l'enfant pour son livre de vie ou pour sa chemise de contes (car nous avons dit que l'on peut imprimer, illustrer. relier, des histoires de plus longue haleine).

Il faut avoir de même à sa portée, de petits carrés de papier journal destinés à être placés sous les pots d'eau. Ils évitent que l'eau ne mouille la table et permettent d'essuyer les pinceaux quand ils sont trop chargés d'eau ou de couleur.

Quelques brins d'ouate dans une petite boîte pourront être de quelque secours. On donne à chaque enfant une pincée d'ouate pour essuyer ses pinceaux et éviter le trop grand mélange de couleurs. 

Et maintenant,
quelles couleurs choisir ?

 

Les petites palettes Paillard sont les moins chères et susceptibles de donner d'heureux effets. Les couleurs Bourjois ou Lefranc sont plus chères et plus transparentes. Mais sans nul doute les meilleures couleurs pour l'éclat et la transparence sont les couleurs Kaspar vendues par notre C.E.L. Elles ont le tort d'être plus chères, mais elles sont plus éco­nomiques. Il faut recommander aux enfants de travailler avec peu d'eau, très peu d'eau et de mélanger les couleurs sur de petits godets à part. Mais même si les couleurs se barbouillent l'une l'autre, ne soyons pas ef­frayés. Peut-être y gagnerons-nous en inédit. Au moment du dessin, les élèves de service ordonnent le matériel. Il faut un pot d'eau et une palette pour deux. Une feuille, un crayon, un pinceau, un bout de coton à chacun.

Quand on est ainsi commodément installés, on commence à travailler, on bavarde, on commente, on tâche de sortir des quatre murs qui nous étreignent pour gagner le large et le ciel.

 

Doit-on user des crayons de couleurs, des pastels durs qu'on vend dans le commerce ? A notre avis, non. La matière en est terne et sans subtilité. L'enfant en usant, ne fait vraiment que du coloriage. Seule la palette de l'aquarelle se prête à toutes les douceurs, à. toutes les finesses de la couleur. Elle est à l'image de la Nature où les teintes se cou­doient, se pénètrent, s'associent en teintes fondues, s'exaltent en contrastes violents. L'aquarelle joue avec l'âme de l'enfant et le petit nuage du ciel si pur et si léger lui sera redevable de ses plus belles aventures. Il y a aussi les arbres qui chantent avec des verts “ aux tons voisins ", des rivières qui rivali­sent avec la profondeur des cieux. Il y a l'air qui circule du bosquet à la prairie et qui n'est fait d'aucune couleur mais qui naît de toutes les couleurs à la fois.

C'est parce qu'elle est aérienne et prodi­gieuse de réussites insoupçonnées que l'aqua­relle est par excellence l'initiatrice de l'en­fant vers la couleur. Dès les premières an­nées, l'enfant fait sa palette comme il fait son style graphique, et cela est déjà le signe d'un tempérament.

 

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Faut-il faire faire à l’enfant
de grands dessins ?

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L'enfant de 5 à 8 ans ne doit guère dessiner sur de grandes surfaces. A cet âge, les éléments graphiques sont isolés, schémati­ques. L'enfant a comme une frayeur de vide. Il fait une fleur à droite, un petit arbre à gauche, une maisonnette au milieu, une mon­tagne par en haut, un petit garçon par en bas et comme il a presque épuisé son réper­toire graphique, il s'inquiète de tant de vides et de tant de blancs. Il n'a pas réalisé encore que derrière le détail pittoresque qui doit avoir le premier plan, existent des va­leurs de fonds qui lient les éléments sans détruine leur valeur, et toujours son dessin lui donne 1'impression de l'inachevé.

Les enfants de 9 à 12 ans doivent être entraînés à dessiner de plus grands espaces, sur la demi-feuille canson par exemple ou même sur la feuille entière. Cela leur donne l'occasion de former leur initiative et leur audace. Ils apprennent de même à construire un dessin, car déjà à cet âge, ils ont réalisé que la Nature n'a pas de vide et qu'une forme fatalement en coudoie une autre comme la couleur coudoie une autre couleur.

Ne laissez jamais un dessin inachevé. Mettez l'enfant en face de ses responsabilités de peintre et exigez de lui toute la conscience que nécessite le beau métier d'artiste. Si l'enfant n'a plus rien à dire et qu'il affirme sans hésitation :

-Voilà, c'est fini !

N'exigez pas un effort qui irait au-delà de l'intérêt du moment. Mais si vous avez la preuve manifeste que le dessin " reste en carafe" par insuffisance de plaisir, venez au secours de l'enfant.

-Tiens, c’est ce beau jaune qui te man­quait, nous allons en barbouiller la maison. La voilà toute jaune comme un soleil. Et quel toit lui mettrons-nous ?

Et la belle histoire reprendra son cours.

La méthode est celle de toute l'éducation : ne laissons jamais l'enfant sur l'impression d'un naufrage mais toujours donnons-lui l'il­lusion de la parfaite réussite. Peut-être ne sommes-nous des ratés que parce qu'on a laissé en route nos désirs déçus sans leur prêter une main secourable.

N'est-ce pas, parfois, il aurait fallu si peu pour que nous fussions mieux que ce que nous avons été.

Et tout autour de nous, sur les murs, sur les portes, accrochons des dessins d'enfants. Faisons courir la fresque naïve des héros fantastiques aux cent aventures. Un dessin en lui-même ne dit presque rien, on en sent l'imperfection, la maladresse, l'illogisme. Mais que des dessins en nombre se cou­doient, ils se prêteront main secourable, s'exalteront mutuellement et peu à peu nous achemineront vers leur propre compréhen­sion. Le petit arbre-ballon tout naïf et d'un vert si neuf, nous semble bien nigaud, tout seul au milieu du grand pré. Mais que par­tout à la ronde surgissent des multitudes d'arbres- ballons de tous les verts et de tou­tes les tailles et nous aurons le spectacle de la plus merveilleuse forêt dans les clairières desquelles les maisonnettes ont fait leur nid. Un bonhomme solitaire, grotesque d'allure, ne fait pas une humanité. Mais que tous les personnages sortis de l'imagination enfan­tine se rassemblent, se coudoient, et nous n'aurons plus besoin de chercher ailleurs le merveilleux auquel si volontiers nous nous sommes abreuvés.

Alors, seulement, nous comprendrons tout ce que peut la couleur quand elle souligne l'audace et l'ingénuité et de quelles profondeurs psychologiques et humaines naissent ces formes incohérentes et anormales chargées de toute l'émotion enfantine.

Ce qui compte, ce n'est point le dessin, c'est l'âme de l'enfant qui l'inspire.

Et pour finir, l'Art vise-t-il à d'autres buts que celui de nous faire pressentir l'âme qui le créa ?

Comprendre le sens des expressions de l'enfant, c'est nous initier à la compréhen­sion de l'Art et nous faire pressentir quelles valeurs nous devrons trouver en lui.

L'Art n'est pas une devinette ni un ca­lembour.

S'il est devenu un langage hermétique réservé à quelques-uns, c'est que le régime ca­pitaliste avait intérêt à créer des superstructures de plus en plus aristocratiques et inaccessibles dans le but d'en monopoliser les valeurs et de les commercialiser. L'Art est une manière de trust.

Ce faisant, nous ne disons point que la valeur intrinsèque de l'œuvre d'art y ait forcément perdu : La danse macabre d'un Matisse est destinée à une élite et son lan­gage en est prodigieux d'intensité. Mais ce langage qui a gagné en profondeur, a perdu en universalité. L'Eglise, qui, elle aussi, monopolisa le génie, permit aux œuvres d'un Ghiotto ou d'un Michel-Ange d'accéder à une émotion de valeur universelle parce que son dogme était universel et socialiste comme le fut le temple d'Athènes. Reste à créer l'art socialiste.

 

Dans les rues, les foules déferlent ; dans les meetings l'idéologie et la logique s'affirment. Sur les fronts, les combattants rejettent les barrières des divisions nationales. De ces réalités surgira l'art de demain.

Dans quelles voies ?

Peut-être ici l'enfant nous donnera les plus éloquentes leçons. L'âme du peuple parlera comme parle l'âme de l'enfant ; avec la même loyauté, la même candeur et les mêmes audaces. L'une et l'autre n'atteindront pas d'emblée une forme classique. Et que pourrait être une forme classique dans ce mouvement progressif qui les amène vers une maturité ?

N'y a-t-il vraiment d'éloquent que la forme classique et n'est-ce pas aux passions tapageuses de notre jeunesse que nous devons les plus belles émotions de notre vie ?

L'âme du peuple parlera comme parle l'âme de l'enfant.

Et voici que de Madrid nous parviennent les plus émouvantes eaux-fortes qu'il nous ait été donné de voir. Elles ont l'acuité et la soudaineté du cri ; et par leur intensité, elles vous bouleversent au point que vous ne pourriez plus être critique d'art là où la vie requiert la première place.

Mais il ne s'agit plus de perfection graphique.

Goya a déserté les musées pour les tranchées héroïques.

Et, brusquement, les hommes comprennent. Ce qui compte, ce n'est pas le crayon de Goya, c'est l'âme de Goya, cette âme passionnée, de fierté invincible, toujours libre, tou­jours vierge des compromissions humiliantes.

L'arabesque de Goya séduisit les princes, mais le peuple redira sous des formes neu­ves, fatalement gauches et primitives, toute la beauté de la dignité humaine.

Dira t-on que l'enfant ne sait pas dessiner, pour récuser les éléments les plus décisifs de son âme d'enfant ?

Il est certaines rigueurs " classiques" qui n'ont de classique que l'incompréhension et le manque de sensibilité.

Un Van Gogh ne sort d'aucune école. Son dessin est fruste, étriqué, malhabile, à l'image de son grand corps douloureux. Quand il prend son crayon, c'est sa souffrance qui dessine. Quand il peint, c'est sa sensibilité qui dirige. Sa moisson en Provence a des ers aveuglants, les tiges crépitent, flambent au soleil. Ces ors ne sont pas les jaunes exacts de la paille brûlée, ils sont la trace douloureuse des lumières ardentes du midi sur le système nerveux fragile de ce hollan­dais nostalgique habitué aux brumes du Nord.

Van Gogh fera comprendre les eaux-fortes des combattants de Madrid.

Le douanier Rousseau fera comprendre le dessin d'enfant. Voilà un bonhomme de douanier sans culture et prétention qui s'ennuie dans sa boutique parisienne. Il prend des couleurs, un pinceau ; il fait des toiles. Il ferme les yeux et, intérieurement, il voit des paysages fantastiques, aux arborescences prodigieuses que la botanique se refuse à cataloguer. Le lion y rôde près des fiancées, le tigre y cache sa perfidie et le soldat s'y promène sans appréhension.

Ce n'est pas l'arbre qui compte, ni le lion, ni la fiancée : c'est le rêve puéril et immaculé du petit

fonctionnaire consciencieux.

Toute émotion vraie est à sa place. La recréer et la communiquer aux autres c'est faire œeuvre d'art.

L'enfant nous parait capable de ce prodige. Laissons-le aller.

 

E.Freinet

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Dessin libre

sur objets divers

 

Pourvu que les principes essentiels soient sauvegardés, on peut naturelle­ment enrichir et diversifier la matière sur laquelle l’enfant est appelé à dessiner.

Nous signalons tout spécialement :

La décoration des poteries, qui est comme un épanouissement du dessin li­bre et où l'enfant réussit si merveilleu­sement. Il suffit de se procurer les poteries brutes qui, une fois peintes, devien­nent des pièces très appréciées dans les expositions, tombolas, vente de la Coopé­rative.

La C.E.L pourra organiser, pour ceux qui le désireraient, la vente des poteries brutes de diverses formes à des prix in­téressants.

Dessins Sur panneaux de contrepla­qué. D'un très bel effet. On peut découper des feuilles de contreplaqué de divers formats qui, parfaitement équarries et poncées, deviennent une excellente matière pour les dessins. Les panneaux ob­tenus sont également très appréciés et très recherchés.

3. On peut dessiner de même sur de

vulgaires carreaux en céramiques ( voir chez les marchands de matériaux pour construction).

4. Décoration des moulages en plâtre.

5. Décoration du contreplaqué découpé.

 

Ce sont là des activités qui relient mer­veilleusement le dessin libre à l'activité manuelle et dont les réussites n'en sont que plus appréciées.

On peut peindre au ripolin ce qui serait l'idéal. Mais le ripolin est très cher. Aussi, voici comment nous procé­dons :

Acheter chez un peintre des couleur en poudre comme pour la peinture à la colle (voir à la fin de la brochure). Acheter du blanc de zinc, de l'huile de lin et de l'essence térébenthine.

Le blanc de zinc est délayé dans l'huile de lin en quantité suffisante pour obte­nir un liquide bien lié, de la consistance du ripolin. Ajoutez 5 à 10 % de térébenthine, comme siccatifs Teinter avec les couleurs désirées et mélanger très soi­gneusement.

Mais ces couleurs sont mates. Quand elles sont sèches, vernir avec un vernis  "extérieur " gras.

Ces diverses activités sont tout parti­culièrement recommandées à cause du succès exceptionnel qu'elles ont auprès des parents et du public.

Un beau dessin est, pour nous, pré­cieux. Les adultes non initiés y voient volontiers un amusement sans portée. Une poterie décorée, au contraire, un panneau de contreplaqué solide et mobile sont déjà des choses tangibles et pratiques qui habituent les amis de l'école à nos techniques d'activité libre.

Et elles mettent effectivement dans les classes une atmosphère nouvelle de création et de vie.

 

La peinture à la colle

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Différentes expositions de nos dessins (Tours. Dreux, Nice, Perpignan, etc...) ont montré que la peinture à la colle peut être à la portée des tout-petits de la Maternelle aussi bien que des enfants de 13-14 ans. Je connais même une Ecole Normale où le pro­fesseur de dessin, séduit par l'originalité du procédé et la beauté des peintures obtenues, n'a pas hésité à l'introduire dans son cours.

De nombreux camarades qui, pour une trentaine de francs, ont acheté la colle et la couleur suffisante pour une année, et les pinceaux qui dureront longtemps si l'on en a soin, ont vu leurs élèves réussir pleinement et n'ont eu aucune désillusion. J'ai eu l'oc­casion de m'en rendre compte moi-même, tant dans mon voisinage que dans des écoles correspondantes que j'ai pu visiter. Je citerai même un collègue tourangeau qui n'adopta cette technique qu'en avril et put néanmoins présenter en juillet, dans sa petite com­mune rurale, une exposition qui enthousias­ma la population et dont le succès déborda du cadre local. C'est dire si les enfants non entraînés peuvent se mettre rapidement à dessiner et à peindre par cette méthode.

Je dois signaler pourtant que quelques ca­marades m'ont écrit qu'ils n'avaient pas ob­tenu des résultats correspondants aux spécimens de travaux que je leur avais envoyés Cela tient sans doute à peu de choses ; à moins d'être tombé sur de la peinture de qualité tout à fait inférieure, le résultat peut être garanti si l'on suit bien nos recomman­dations. Surtout, qu'on ne dise pas : “ Là seulement où le maître est bon en dessin, les enfants réussiront ”. Je pourrais citer telle et telle école où l'instituteur n'a pour le dessin aucune aptitude particulière et dont les élèves produisent maintenant de fort jolies peintures à la colle.

L'enfant aime naturellement le dessin. Quand on ne le voit pas dessiner à l'école, ou quand il ne dessine que sur commande, c'est qu'il a été rebuté. Rebuté par les sujets de dessins qu'on a voulu lui imposer et qui ne l'intéressent pas (exactement comme pour la composition française). Rebuté par une technique incommode, par des outils qui ne conviennent pas à ses mains mal assouplies ; un crayon noir, souvent dur, et généralement bien aiguisé pour la circonstance ; une petite feuille de papier blanc, qu'il est défendu de salir ; une gomme qui, si bonne soit-elle ne permet point d'effacer rapidement et complètement les lignes maladroites (tellement l'en­fant a appuyé sur son crayon pointu). Rebuté parfois aussi par le sourire narquois d'un voisin ou ce qui est pire, l'appréciation déso­bligeante du maître. Rebuté encore par le sentiment très net de son impuissance à rendre ce qu'il voit, par la déception éprouvée devant son dessin raté... 

Pourtant, ce même enfant dessinera sans honte et avec un plaisir évident s'il sait que ses dessins resteront anonymes ou qu'en tout cas ils ne seront soumis à aucun contrôle ; ici avec un bout de bois dans la poussière de la cour ou le sable de la plage, là avec un bout de craie sur le goudron de la route ou le portail d'une grange, sur l'écorce d'un arbre encore avec la pointe de son couteau. Et chacun sait que ces dessins rapides, où se côtoient le réel et l'imaginaire, ne manquent souvent ni d'art ni de saveur... C'est d'abord que le sujet choisi par l'enfant n'est jamais un litre en fer-blanc ou un poids en laiton. C'est aussi et surtout que les matériaux em­ployés conviennent mieux au jeune dessina­teur que ceux qu'on veut généralement lui imposer. Un bout de bois, un morceau de craie, cela se manie facilement ; le sol de la cour, le bois d'une porte, c'est grand ; et puis, avec la paume de la main, la semelle de la galoche ou le pan du sarrau, on peut effacer.

Ces quelques considérations citées, il est facile de voir pourquoi les enfants aiment la " peinture à la colle ", que caractérisent précisément sa liberté d'exécution, sa com­modité et sa rapidité.

Du papier ? N'importe lequel, pourvu qu'il soit propre et non froissé ; le plus épais, le plus grossier sera le meilleur. Et qu'on le coupe largement : ce n'est pas une minia­ture qu'on veut faire et le papier d'emballage ne coûte pas cher... Quatre punaises, et voici la feuille fixée verticalement au mur ou en plan incliné sur le tableau noir du chevalet. Un bâton de craie, et le tracé commence. Les traits, amples et épais, se font facile­ment ; ils sont plus sûrs aussi qu'avec la pointe d'un crayon. Ça ne va pas ? Un coup de chiffon et on recommence... Mais déjà l'esquisse est tracée ; cela n'a pas été long, car on ne trace à la craie que les contours et les lignes principales ; le reste se fera avec la couleur.

Choisissons les teintes. Préparons la pein­ture. Délayons. Malaxons...

-Oh ! La jolie bouillie au chocolat.

- Moi, c'est une crème à la framboise.

-Moi, ma moutarde elle fait trop citron, j'y mets un peu d'ocre...

Comme elles sont amusantes, ces manipu­lations suivies aussitôt d'un essai sur le dessin. Peignons le fond : ce n'est pas diffi­cile ; il suffit de suivre extérieurement les contours, de passer et repasser le pinceau plat, en appuyant bien, en aplatissant la cou­leur, tout comme font les peintres en bâtiments. Qu'elle est jolie et fraîche, et vive, cette peinture. Pendant qu'elle sèche, prépa­rons toutes les teintes qui seront nécessaires pour le dessin lui-même. Puis, au travail, au vrai travail. De l'application, car c'est là que réside la seule difficulté : il faut évi­ter de " baver " sur le fond ; les contours doivent rester bien nets ; et si l'on veut que les diverses teintes se marient bien à l'inté­rieur, il faut aller assez vite. Une mala­dresse ? Oh ! Ne nous désolons pas : il reste de la couleur dans les godets et de la cou­leur. parfaitement couvrante ; un peu de celle-ci, un peu de celle-là, jusqu'à satis­faction.

Et l'enfant trouve son œuvre déjà bien belle. Mais il sait qu'elle sera plus parfaite encore dans un instant, lorsqu'il aura rendu un peu de relief. Pour cela, un tantinet de peinture un peu plus sombre, voire de noir, accentuera heureusement l'un des côtés du dessin. Quelques touches de couleur claire, voire du blanc, marqueront au contraire les taches de lumière. N'oublions pas les om­bres portées. Et notre artiste reculera à dix pas pour jouir de l'effet (les peintures à la colle gagnent à être vues de loin). Et c'est avec un sourire de satisfaction qu'il revien­dra signer son œuvre (toujours du bout de son pinceau), car le dessin est net et grand ; les tons sont chauds et harmonieux, et il y a de quoi être heureux.

Cette relation rapide des actions enthou­siastes par lesquelles l'élève mène à bien son dessin peint à la colle concerne évidem­ment le travail d'un "grand ". Les "petits" se contentent de teintes plates et même de traits de peinture. Mais ici comme là le résultat est ravissant.

Plusieurs camarades m'ont demandé d'in­diquer ce que les enfants peuvent dessiner et peindre tout au long de leur scolarité. Voici donc un aperçu du travail exécuté dans chacune des trois classes de l'école de la Noiraie.

CLASSE ENFANTINE.- Aucune difficulté. A quatre ans, - et même encore à six et à sept - l'enfant n'est jamais embarrassé ; les scènes les plus compliquées, les paysages les plus touffus ne lui font pas peur. Il re­présente tout cela avec sûreté, à sa manière bien entendu, mais c'est assez vite fait. D'ailleurs, il se moque totalement de ce qu'un adulte pense de son dessin, pourvu que lui soit satisfait. Il importe donc de le laisser s'épancher librement, de ne freiner d'aucune manière sa production.

   On a dit que les tout-petits dessinaient toujours la même chose, celui-ci un camion celui-là une maison, cet autre un cheval. : Oui, peut-être, si la maîtresse se contentait de dire : “ C'est l'heure de faire du dessin libre ; prenez vos crayons, dessinez et don­nez-moi la paix ”. Mais certainement non si le dessin est lié à la vie de l'enfant, à la vie de la classe, à la vie locale. Je prends un exemple : le passage du Cirque Amar. Quel émoi quand ce grand village roulant arrive dans la petite ville et s'y installe ! Toute la population est dehors, et les enfants au premier plan. Beaucoup vont visiter tout au moins la ménagerie ; quelques-uns auront la bonne fortune d'assister aussi à la représentation du soir ; mais tous auront quel­que chose à dire le lendemain en classe. A dire... et à dessiner. Vite, les ardoises et la craie. Et que chacun réalise librement par le dessin ce qui l'a séduit. Il n'y en a pas pour longtemps. De même, la maîtresse a tôt fait de sélectionner les travaux les plus in­téressants : Claude a un dromadaire et une girafe qui ont de l'allure ; Marcel un singe bien accroché sur son trapèze ; quant à Pierre c'est le tam-tam des nègres qui a retenu son attention. A la soirée, Jacques a admiré l'énorme éléphant en équilibre sur une boule. Lucien, les grands ours blancs qui jouaient au manège ; Mauricette, les gracieu­ses écuyères debout sur la croupe des che­vaux au trot. Il y a là de quoi peindre deux grandes frises de 1 mètre sur 32 cm. , l'une ayant pour sujet la ménagerie, l'autre le cir­que proprement dit. Les auteurs des dessins choisis, trois devant chaque papier et tou­jours la craie à la main, vont maintenant s'occuper à rééditer en même temps leur production. Pas exactement semblable, géné­ralement, mais qu'importe... Et il n'y a plus qu'à peindre. Comme Claude a choisi deux couleurs (rouge et noir), ses camarades uti­lisent les mêmes ; puisqu'il s'agit d'un tra­vail de groupe, l'effet d'ensemble sera plus harmonieux. Naturellement, si chaque élève peignait son dessin sur une feuille individuelle, il emploierait la ou les couleurs de son choix.

Tout au long de l'année, au fil des sai­sons et des jours, les sujets abondent. Ce sont les vendanges, la cueillette des cham­pignons, le 11 novembre, la grande foire locale, le Père Noël, le Carnaval, les chasses à courre, la pêche en Loire, une fête d'avia­tion, le défilé des musiciens et des pompiers, un mariage, un campement de nomades, le travail aux champs ou à l'atelier, un acci­dent...  et souvent un fait insignifiant pour nous, mais combien suggestif pour l'enfant. Selon la méthode qu'on emploie, le dessin peut être le point de départ ou le complé­ment des exercices de langage.

Et quand se font ces séances de peinture ?

Eh ! bien, dans le cas qui nous occupe, le dessin sur l'ardoise a eu lieu normalement c'est-à-dire en respectant l'emploi du temps. Pour l'exécution au pinceau, quand vous vou­drez ; mais le plus tôt sera le mieux. Les quelques enfants qui en sont chargés aujour­d'hui sont plutôt impatients d'en terminer ; ils seront fiers de peindre pendant que leurs camarades feront des évolutions ou du tra­vail manuel. La prochaine fois, ce sera le tour d'un autre groupe, car il faut évidem­ment que tous manient le pinceau alterna­tivement.

Le rôle de la maîtresse ? Susciter au be­soin le thème du dessin, mais non l'impo­ser. Polir le tracé, je tiens à préciser en ou­tre que l'élève de la classe enfantine ne doit pas être influencé. Laissons-le faire des che­vaux qui ont la tête aussi grosse que le corps, ou des poules allongées comme des poissons. L'essentiel, à cet âge, est de dessiner ; le reste viendra plus tard ; nous serons d'ail­leurs surpris de révolution qui se fera toute seule avec l'âge. Ne faisons donc aucune re­touche : l'auteur en serait peut-être vexé. et ce serait gâcher la spontanéité, l'originalité, la fraîcheur, la naïveté même du dessin enfantin... Mais quand arrive le moment de peindre, l'enfant a souvent besoin de con­seils techniques ; mieux, la maîtresse ne doit pas hésiter à prendre le pinceau et à passer elle-même une petite partie du dessin, tout comme elle prend le porte-plume lorsqu'il s'a­git de l'apprentissage de l'écriture. Pour le ­choix des couleurs aussi, il ne faut pas crain­dre de former trop tôt le goût de l'enfant. On lui fera remarquer, par exemple, que pour les dessins monochromes, il est cer­tains tons plus agréables que d'autres. On lui montrera la beauté du ton sur ton : un vieux rose bordé de brun rouge, jaune de chrome et ocre rouge, vert feuille et vert wagon, etc. Mais qu'on le laisse se débrouiller s'il veut rendre l'aspect bariolé d'un marché ou d'un 14 juillet ; ce sont scènes où les cou­leurs disparates ne choquent pas !

DEUXIEME CLASSE : Cours Elémentaire et Cours Moyen 1ère année. - C'est d'abord la continuation du dessin libre, avec lequel nos bambins sont déjà familiarisés. Mais il faut obtenir de plus en plus la précision dans le trait, l'exactitude dans les formes. Jean (9 ans) présente ce matin un matériel ce battage en pleine activité. La maîtresse y remarque quantité de notations justes : la poignée du sifflet, les gros poids des soupa­pes, les deux boules du régulateur, les cour­roies de la batteuse, et chacun des employés à son poste ; tout semble y être. Pourtant, le haut tuyau noir de la locomobile est quel­que peu oblique... " Est-ce naturel ? Non ? Alors, Jean, redresse-le. Et la tête du chauf­feur, pourquoi n'arrive-t-elle que tout juste à la hauteur de la porte du foyer ? Est-ce un enfant ? Non ? Eh ! Bien, grandis-le, double sa taille.. ” Nombre de fautes de ce genre peuvent être ainsi corrigées et le des­sin sensiblement amélioré.

Mais dans cette classe, on commence aussi à faire du dessin d'après nature (objets sim­ples, fleurs, fruits, animaux, etc.) et du des­sin décoratif (frises simples inspirées des éléments étudiés d'après nature, ornementa­tion d'un rectangle, d'un cercle, etc...) Rien de spécial à dire sur ces deux derniers genres de dessin, si ce n'est qu'ils se prêtent par­faitement à la peinture à la colle.

Nous laissons faire aussi du dessin d'imita­tion, parce qu'il plaît aux enfants et qu'il est plus éducatif qu'on le croit généralement. Certains prétendent que les dessins copiés n'ont aucune valeur, d'autres disent même qu'ils sont nuisibles parce qu'ils tuent toute personnalité... Pourtant, c'est bien des des­sins copiés, nécessairement copiés, qui cons­tituent les illustrations de certains cahiers (histoire, sciences...) Pourtant, c'est bien ain­si qu'étudient les élèves des Ecoles des Beaux­-Arts lorsqu'ils vont poser leur chevalet de­vant une toile de maître dans un musée. Par l'attention soutenue que ce travail de re-production nécessite, par la technique qu'il révèle et dont les enfants profiteront dans leurs travaux personnels, j'en fais, au contrai­re, un bon exercice passager. Or, nos manuels scolaires modernes sont farcis de bonnes illustrations ; d'autre part les tablettes de chocolat, les paquets de pâtes et les boîtes de fromage procurent aux enfants de fort jolies images ; les bons modèles ne manquent donc pas. Il ne s'agit point d'ailleurs, de faire une copie servile. Pour obtenir une peinture à la colle en partant de ces gra­vures de petites dimensions et généralement monochromes, il faut les agrandir, il faut choisir les couleurs... Et quand je vois, par exemple, le splendide paysage polaire (trois ours blancs sur la banquise) que vient, d'ob­tenir la petite Ginette (9 ans). en observant une photo 41/2 x 6, je ne puis que penser : " Cette enfant a du talent".

La fréquence des travaux ? Elle est très variable, car on ne fait pas que de la pein­ture à la colle. L'illustration des cahiers de rédactions libres se fait au crayon de cou­leur. Et, aux séances de dessin d'après na­ture, pour la commodité de I'installation, trois ou quatre élèves seulement manient le pinceau pendant que les trente autres crayon­nent...

PREMIERE CLASSE: Cours Moyen 2 an­née et Cours Supérieur. - Les dessins les plus variés trouvent ici leur place. Dans le travail d'une année, je citerai :

Dessin d'après nature : des jouets (un che­val en carton, un avion, une trottinette), des groupes d'objets (la paire de sabots du jardinier, les bagages du voyageur, un coin de la buanderie), des végétaux, une branche de cerisier, des dahlias dans un vase, un groupe de coloquintes, une coupe de fruits, des attitudes (la ménagère qui balaie, le jeu de saute-mouton), un paysage (la pagode à l'orée de la forêt).

Dessin décoratif : des frises (chats, poissons, feuilles d'automne, champignons). Des panneaux (hortensias, roses-trémières, fuch­sias). Des papiers peints (feuilles de lierre, perce-neige, cerises). Des figures géométri­ques ornées...

Dessin historique : deux séries de très gran­des frises(l m. sur 32cm.), l'histoire du véhicule (d'après Carlier, Bibliothèque de travail C.E.L.) et l'histoire du bateau (d'a­près une collection d'images).

Dessin d'imagination : illustration des mois (12 grands tableaux 64x20).

Comme dans les autres classes, il n'est pas question de faire peindre en même temps tous les élèves. Outre les difficultés d'instal­lation que cela occasionnerait, on serait vite encombré des travaux ! Qu'on obtienne une peinture par mois et par élève, c'est déjà un beau résultat. Il faut tenir compte d'ail­leurs de toutes les autres occasions, de des­siner qu'ont les enfants de cet âge : illustra­tion des cahiers personnels (sciences, ré­dactions) illustration du. journal scolaire par la gravure sur lino, séances de croquis coté et de tracé géométrique nécessitées par la préparation au C.E.P.

Mais on s'appliquera à obtenir des travaux de bonne qualité. En ce qui concerne la jus­tesse du trait, par exemple, on ne laissera pas peindre des dessins par trop erronés. On s'efforcera de trouver la couleur exacte en étudiant le mélange des poudres. On res­pectera les dégradés des arrière-plans. Pour bien comprendre les ombres, opérer devant un modèle très éclairé ; au besoin, s'instal­ler dehors, le dessinateur à l'ombre, mais l'objet en plein soleil. Il sera alors facile de donner au dessin tout le relief nécessaire. (Essayer en plaçant contre un mur un groupe de deux ou trois outils de jardinage ; l'angle des ombres portées surprendra tou­jours l'enfant ; faire remarquer comment cet angle se modifie progressivement au fur et à mesure que l'heure avance). Pour réussir les peintures à la colle, ne négligeons pas les ombres, car il ne faut pas oublier que ces dessins rendent leur plein effet lorsqu'ils sont vus de loin.

Les enfants pourront d'ailleurs juger eux-­mêmes de la réussite ou de la non-réussite des travaux ; il n'est pas mauvais qu'i1s se déplacent discrètement d'une feuille à l'au­tre, qu'ils aillent voir ce que le voisin fait et qu'ils se donnent mutuellement leur opi­nion. Quant au maître, il est normal qu'il donne des conseils d'exécution, qu'il indique du doigt les retouches à apporter à un dessin mal parti, au besoin qu'il prenne le pinceau un instant.

***

Pour terminer, deux mots de l'Exposition de fin d'année, synthèse du travail artistique de toute l'école. Vu le format et le nombre des peintures à la colle, on conçoit quelle soit facile à réaliser. Les murs de la plus grande salle de l'école sont vite garnis. Organisée au profit de la Coopérative sco­laire, elle obtient beaucoup de succès. Les parents sont heureux de voir exposés les travaux de leurs enfants. Quant aux autres visi­teurs, intéressés, amusés et souvent étonnés, ils passent aussi un agréable moment dans la salle. Le public peut d'ailleurs avoir un rôle moins passif : il suffit de lui faire rem­plir la fonction d'un jury bénévole. Dans une commune tourangelle, la municipalité ayant voté une somme de 50 francs pour récom­penser les trois meilleurs dessins exposés, voici comment l'instituteur se tira d'embar­ras. Par un vote, les enfants sélectionnèrent d'abord une dizaine de feuilles qui furent numérotées. Puis, au cours de l'exposition, chaque visiteur était appelé à désigner par bulletin secret les trois œuvres qui, par ordre, lui semblaient mériter un prix. Au dépouillement final, les lauréats furent faci lement - et impartialement proclamés.

Il est intéressant aussi, pour mettre en relief l'évolution du dessin, de montrer com­ment des enfants d'âge différent interprè­tent le même sujet. Cette année, nous avions placé côte à côte toute une gamme de tra­vaux relatifs à la même scène : “ Un cam­pement de bohémiens ” ; ce ne fut pas la partie la moins regardée. Certes, on admira les tableaux obtenus par les grands de 13-14 ans, mais la joie éclatait devant les hardies esquisses des petits de 5-6 ans. Tout le chemin parcouru apparaissait là d'une façon saisissante et on devine les commentaires... Que deviennent les dessins exposés ? J'ai cru inutile de dire que tout au long de l'année, ils avaient déjà servi temporairement à l'ornementation de la classe et que, pour cet usage, ils avaient avantageusement remplacé les frises des libraires ! Après l'exposition, ils sont généralement repartis entre les écoles correspondantes qui, en échange, nous font parvenir également de leurs travaux. Ainsi les enfants ont la satisfaction d'avoir travaillé utilement.

 

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A- Matériel nécessaire

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 Quelques longs pinceaux plats et durs, largeur 8 à 10 m/m, qu'on se procurera chez un marchand de couleurs ou un bazar.

 Quelques longs pinceaux ronds, plus fins.

 

Couleurs en poudre des peintres en bâtiment (chez un peintre de la localité).

 

Achetez les quantités ci-après 200 g de blanc, 100 g de noir, rouge vermil­Ion, ocre rouge, ocre jaune, jaune de chrome, bleu outremer, vert anglais, vert foncé, terre de sienne.

 

Colle Rémy, blanche, en poudre, 1 pa­quet de 500 g

 

Dextrine en poudre, 200 g

 

Des couvercles de boîtes de cirage (ap­portés par les élèves) pour préparer la peinture,

 

Tous les papiers un peu forts peuvent être utilisés (papier d'emballage propre, quelle que soit la couleur, carton, etc.). Si on peut acheter du papier à dessin de couleur, on n'aura pas besoin de faire un fond au dessin.

 

Une boîte de punaises, pour fixer le papier pendant l'exécution.

 

Une boîte de matériel pour peinture à la colle sera prochainement mise en vente à la C.E.L.

 

De la craie blanche, pour le tracé du dessin.

 

Un petit chiffon propre, pour effacer si besoin est.

 

B. Exécution du dessin

 

Pas de feuilles trop petites : nous con­seillons 48 x 62 cnn. ou 48 x 31. Pour les frises : 100 x 32.

 

Fixer la feuille avec 4 punaises sur un tableau noir ou sur un mur de la classe, à une hauteur convenable. La position recommandée est, en effet, la verticale, ou légèrement inclinée, comme les pein tres. Mais, si on dispose d'une grande table horizontale (table de réfectoire, par exemple), on peut y installer aussi plusieurs élèves.

L’élève exécute l’esquisse à la craie (et non au crayon). C'est beaucoup plus facile (avoir un petit chiffon pour effacer). Ne dessiner à la craie que les détails indispensables.

Commencer immédiatement à peindre (fond d’abord, si on en veut un).

 

C.Préparation du mélange collant

 

 

Dans un demi verre d'eau froide, ver­ser en pluie de la colle en poudre. Re­muer avec un pinceau. Régler la quantité de colle pour que le liquide ait la consis­tance d'une bouillie légère.

 

Ajouter une ou deux pincées de dex­trine bien broyée au couteau. Bien dé­layer. (Il est recommandé de préparer le mélange collant à l'avance. On peut d'ailleurs le conserver plusieurs jours et le ramollir si nécessaire au moment de l'emploi).

 

D. Préparation de la peinture

 

Dans un couvercle de boîte à cirage, mettre environ 1 cm3 de mélange collant.

 

Ajouter une égale quantité de peinture en poudre. Et, à l'aide d'un pinceau plat, bien malaxer. On doit obtenir une pein­ture parfaitement homogène et onctueu­se. Si elle est trop épaisse, ajouter quel­ques gouttes d'eau, Employer aussitôt.

 

On peut facilement mélanger les tein­tes.

 

E. - Peinture du dessin

 

Passer le pinceau plat en appuyant sur le papier.

 

Ombrer largement avec de la peinture noire.

S’il s’agit d’un dessin devant avoir du relief, marquer les taches de lumière avec une teinte plus claire et du blanc.

 

(Le maître pourra donner ici de précieux conseils d’exécution, car il suffit souvent d’une touche bien placée pour qu’un dessin quelconque devienne un bon dessin.)

 

F.- Sujets possibles

 

Dessins d'après nature : jouets, outils, objets divers, feuillages, fleurs, légumes,

fruits,   animaux.

 

Dessins décoratifs : frises diverses, pa­piers peints, encadrements, etc...

 

Dessins de mémoire : scènes diverses, autant que possible dessins absolument libres.

 

G. - Résultats

 

Ces peintures à la colle, de grand for mat, ne donnent pas des travaux aussi fins et aussi précis que l'aquarelle. Mais elles sont d'un emploi infiniment plus commode et moins onéreux. Leurs tons chauds sont très agréables.

 

Elles ornent la classe. Elles peuvent faire l'objet d'échanges interscolaires. Enfin, elles permettront d'organiser, en fin d'année, une exposition facile (cou­vrant une grande surface) qui enrichira la Caisse de la Coopérative scolaire.

 

DAVAU (Indre-et-Loire).

 

Pour conclure

  

Nos lecteurs viennent de lire deux conceptions différentes du dessin libre :

la conception que nous appellerions volon­tiers artistique, d'Elise Freinet, conception qui s'apparente beaucoup, parce que basée sur les mêmes principes de vie, à notre con­ception aujourd'hui reconnue si féconde, du texte libre.

Il y a, certes, un nouvel entraînement à acquérir, pour les élèves et pour les maîtres. Cela est facile et rapide avec les éléments jeunes, non déformés par la vieille école ; c'est un peu plus laborieux pour les élèves et les maîtres en qui la scolastique a défor­mé et parfois tué la vie.

Ajoutons que ce dessin libre artistique s'accommode fort bien de la peinture à la colle. Nous aurions, à ce sujet, à faire bé­néficier nos lecteurs de notre expérience ré­cente à Gap et à Vence. Dans l'impossibilité où nous étions de nous procurer de l'aquarelle, nous avons, généralisé l'usage de la peinture à la colle. Bien souvent la colle elle-même nous faisant défaut, nous avons opéré avec de la colle de farine. Nous avons surtout obtenu d'excellents résultats en dé­layant les couleurs dans du lait qui fait fixa­tif. Procédé très recommandé dans les ré­gions de laitage.

Nos enfants ont donc réalisé, selon la tech­nique d'Elise Freinet, des dessins qui ont fait sensation et que les connaisseurs com­parent couramment aux Bonnard, aux Ma­tisse et aux Picasso.

La même technique avait permis à Gap la réalisation dans les classes et dans le réfectoire de grandes fresques peintes libre­ment à même les murs, et qui étaient de totales réussites artistiques.

Nous ne saurions trop recommander à nos lecteurs de s'orienter vers cette voie qui après la période d'initiation et de tâtonne­ment, leur vaudra des œuvres dégagées de la scolastique mais puissantes d'un contenu artistique et humain bien dans le cadre de nos réalisations pédagogiques.

 

Davau vous a exposé ce que nous appel­lerions la conception scolastique de la pein­ture à la colle : dessins d'après nature, copies, dessins à vues, reproductions de tableaux historiques, etc...

Cela peut être une première étape, qui vous prouvera que vos élèves sont capables de réussir quelque chose. Mais nous souhai­tons que ce ne soit qu'une étape comparable à l'étape qui a été l'initiation littéraire et le pastiche et que l'expression libre a radica­lement dépassée.

Nous avons, en partie, gagné la bataille pour ce qui concerne la rédaction libre dont on admet et apprécie aujourd'hui le proces­sus pédagogique et les résultats. Réalisons de même - que ce soit à l'aquarelle ou avec la peinture à la colle - le dessin libre véri­table, celui qui est l'épanouissement mer­veilleux d'une vie dont l'éclosion apparaîtra bientôt comme une des grandes conquêtes de la pédagogie moderne.

 

C.F.