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Histoires de la pédagogie institutionnelle. Les monographies

Champ Social, février 2019

 

 

Ce livre d’Arnaud Dubois est une patiente recherche historique à partir de ses questions : quand les monographies de la PI ont-elles été écrites? Par qui ? Comment ?... Ce qu’il a découvert l’a étonné, lui, jeune universitaire qui n’a pas rencontré les pionniers de l’école moderne, et m’a étonnée aussi alors que je suis engagée à l’ICEM depuis 1973 et en PI depuis 1981 : non, les monographies n’ont pas été inventées par la PI !

 

Persuadé du caractère innovant des monographies présentées par Fernand Oury et Aïda Vasquez dans Vers une pédagogie institutionnelle ?, A. Dubois s’intéresse aux traces de leurs premiers écrits. Dans les archives du mouvement Freinet (où F. Oury milite de 1949 à 1961), il trouve des textes décrivant la classe, entre autres ceux des commissions « classes de perfectionnement[1] » et « connaissance de l’enfant[2] ». Cette commission cherche le moyen, pour les instituteurs des villes, de mieux connaître leurs élèves. La pratique de l’expression libre leur fournit des informations précieuses et les militants Freinet ont l’habitude d’échanger outils et techniques. Ainsi, au cours d’une réunion de février 1957, F. Oury présente un récit sur l’évolution d’un élève, évolution qu’il a reconstituée à partir des productions de l’élève. La même année, Elise Freinet publie le récit de l’évolution d’un enfant de l’école de Vence. 

 

En avril 1958, le congrès de l’Ecole Moderne se tient à Paris et se termine par une soirée sur le thème : Les psychologues et l’expression libre. De nombreuses personnalités sont présentes[3] autour de C. Freinet et du groupe parisien de l’école moderne : des médecins (dont Jean Oury), des psychologues, des sociologues, des philosophes... F. Oury présente six histoires d’enfants. Il fait des propositions d’interprétation et invite son auditoire « à étudier sérieusement ces questions vitales ». Les discussions sont animées : faut-il des tests ? Des histoires d’enfants ou monographies ?...

Dans le mouvement Freinet, ces discussions[4] ne sont pas perçues comme ayant un intérêt particulier, sans doute, pense Dubois, parce que les militants étaient familiers de textes décrivant des situations de classes. 

 

Progressivement, l’écriture de monographies va se répandre. C. Freinet donne des éléments de méthode dans l’Educateur : «Nous demanderons à nos camarades de préparer des monographies… à travers leurs textes libres, les influences familiales et sociales, avec si possible, photographies et dessins, et même, examens médicaux et psychologiques. Ils noteront ensuite les changements que nos techniques suscitent dans leur comportement par : le dessin libre, le texte libre, le travail créateur coopératif, le travail individualisé, la réussite dans les divers domaines, l’habitude d’aller en profondeur dans un travail et de se passionner pour une œuvre, l’influence du milieu scolaire régénéré, le profil vital[5]. » Il ajoute : « Conservez dessins libres, textes libres, photographies si possible. Faites parler au magnétophone, intéressez les psychologues, les médecins et les psychiatres aux cas étudiés. » Freinet invite même à écrire des monographies à propos de la santé mentale des éducateurs pour montrer comment les techniques de l’école moderne leur permettent de travailler « dans des conditions d’intérêt et d’humanité apaisants et équilibrants »,  recommandant toutefois de les rendre anonymes. 

Cette méthode d’écriture est en grande partie reprise par F. Oury et les instituteurs qui l’entourent. Mais, si pour C. Freinet, il faut accumuler un grand nombre de monographies afin de montrer la supériorité de sa pédagogie[6], pour le psychiatre Jean Oury, chaque « cas » est singulier et « complexe » et mérite qu’on s’y attarde, ainsi qu’il l’écrit à Freinet en 1960. Une première divergence…

 

Dubois s’intéresse ensuite à l’évolution de la pratique de l’écriture de monographies dans les groupes issus de la rupture de 1961[7] et souligne l’influence de Aïda Vasquez. Il présente longuement onze monographies qui font partie du matériel qu’elle a exploité pour la thèse de doctorat en psychologie qu’elle soutient en 1966 à la Sorbonne. Les observations d’enfants sont commentées avec des apports de la psychanalyse et le texte final est le fruit d’un travail de groupe[8]. Dans sa thèse, A. Vasquez propose cette méthode d’écriture monographique comme outil de formation pour les enseignants et met déjà en garde : un tel travail de groupe nécessite, selon elle, un « meneur de jeu » vigilant pour assurer la sécurité de chacun, une vigilance qui doit être partagée avec le groupe. 

 

La recherche d’A. Dubois va de 1949, date où F. Oury a rencontré C. Freinet, à 1967, date de la parution de Vers une pédagogie institutionnelle ? Il fait néanmoins une incursion au XIXe siècle pour montrer que l’écriture monographique est une pratique sociale ancienne et connue dans les métiers de l’humain au contact desquels est née la pédagogie institutionnelle.

 

Dans ce compte-rendu très partiel, j’ai voulu souligner combien C. Freinet et F. Oury étaient d’accord sur l’intérêt d’observer les enfants, de prendre des notes et de rédiger des monographies qui tiennent compte des apports de la psychanalyse. Ils étaient d’accord aussi sur l’intérêt, pour la science, de considérer la classe et ce qui s’y passe comme un véritable laboratoire. Comment tout cela a-t-il pu être oublié ? Etait-ce tellement évident, pour les témoins que je côtoyais autrefois, pour qu’ils ne ressentent pas le besoin de parler de ces similitudes ? Ou bien la rupture a-t-elle été si douloureuse qu’il n’était plus possible de reconnaître des points communs ? Ou alors, trop jeune, enthousiasmée par la découverte de ces pédagogies, n’ai-je tout simplement pas entendu l’histoire ou les histoires de ces hommes et femmes « de chair et de sang », comme le dit Jeanne Moll dans sa belle préface ?

 

Il me semble que la position décalée d’Arnaud Dubois par rapport au mouvement Freinet et aux groupes de pédagogie institutionnelle lui a permis de voir, dans les archives qu’il a consultées, des convergences que les membres du mouvement Freinet et/ou de la PI ne voient pas, ou ne voient plus. D’où l’intérêt, me semble-t-il, de ce travail d’historien.

 

Marg Bialas, janvier 2020



[1] Admis au Certificat d’aptitude à l’enseignement des enfants arriérés (CAEA) en janvier 1955, F. Oury travaille, à partir d’octobre, dans une classe de perfectionnement de Nanterre 

[2] Sur l’insistance de C. Freinet, des enseignants des classes de perfectionnement, dont F. Oury, intègrent cette commission pilotée par Raymond Fonvieille, où l’intérêt ne se limite pas aux enfants en difficulté

[3] On trouve leurs noms page 82 du livre

[4] C’est aussi ce soir-là que la pédagogie Freinet est qualifiée d’ « institutionnelle » par Jean Oury !

[5] Freinet C. (1959, 1er juin) L’Éducateur, 17, 1-3

[6] En 1960, Freinet édite la BEM N° 6 La santé mentale des enfants qui présente l’évolution d’une quinzaine d’enfants de différentes classes mais elle ne figure pas dans les sources d’A. Dubois.

[7] Après l’exclusion de R. Fonvieille du mouvement Freinet, une partie des instituteurs, dont F. Oury, décident de le suivre et ils fondent les G.E.T., nouveau groupe pédagogique.

 

Dans ce compte-rendu très

Dans ce compte-rendu très partiel, j’ai voulu souligner combien C. Freinet et F. Oury étaient d’accord sur l’intérêt d’observer les enfants, de prendre des notes et de rédiger des monographies qui tiennent compte des apports de la psychanalyse. Ils étaient d’accord aussi sur l’intérêt, pour la science, de considérer la classe et ce qui s’y passe comme un véritable laboratoire. MB