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L'éducation écologique

Dans :  la Société › 
Juillet 1975

L'éducation écologique

L'écologie se trouve placée au centre des préoccupations des hommes, depuis que la pollution et la crise de l'énergie leur ont fait prendre conscience que notre terre n'était pas susceptible d'être exploitée et maltraitée à merci.

Par voie de conséquence, on commence à entendre parler d'éducation écologique, et on voit apparaître la panoplie habituelle qui accompagne toute nouveauté scolaire
- Circulaires officielles ;
- Ouvrages divers;
- Catalogues de fabricants de matériel.
Mais rien ne change pour autant dans la plupart des classes, on y continue la monoculture, celle de l'intellect. Je n'aurai pas ici la prétention de donner des solutions, j'essaierai simplement en partant de ma pratique quotidienne et de mes options personnelles politiques et sociales, d'émettre quelques réflexions, de dégager un certain nombre de problèmes et d'établir un bilan non exhaustif des obstacles auxquels je me heurte, mon but, que j'ai défini dans «Vers l'autogestion» étant la mise en place d'un milieu scolaire qui permette à l'enfant:
D'être heureux, car c'est dans le présent que chacun doit pouvoir vivre sa joie et non dans un avenir hypothétique
De s'exprimer librement au sein d'un groupe qui l'écoute et lui répond;
De vivre sa liberté et ses responsabilités face à lui-même et face aux autres ;
De créer un milieu où il puisse par son expérience organiser sa propre connaissance des êtres et des choses ;
De se forger une technique de vie, fondée sur une connaissance profonde de lui-même dans ses relations avec les autres.
Avec des mots il est toujours facile de changer l'école et le monde, mais hélas la réalité ne s'ajuste pas toujours à nos idées et à nos théories.
Le conseil de coopérative étant l'institution au sein de laquelle nous programmons nos activités et nous tentons de cerner notre réalité, je vais y puiser quelques éléments concernant plus particulièrement notre environnement.
Il s'agit d'un conseil ayant eu lieu en avril 1974

DENIS PROPOSE DE CONSTRUIRE DES NICHOIRS

Il nous explique son projet. Nous sommes d'accord mais deux questions
bloquent immédiatement les bonnes
volontés:

- Comment allons-nous nous procurer le contreplaqué nécessaire, notre caisse de coopérative étant vide ?
- Où allons-nous placer les nichoirs ?
Notre école est proche des champs et des bois et il y a encore quatre ans, nous pouvions aller dans deux bois. Nous y observions les transformations de la nature au fil des saisons, nous y grimpions aux arbres, nous y organisions des parties de cache-cache, de chasse au trésor, des grands jeux, nous y cueillions des noisettes et y ramassions des champignons et des châtaignes, nous y apprenions à écouter et à aimer les êtres et les choses.
Aujourd'hui l'un des bois est devenu un cimetière de carcasses de voitures et le petit ruisseau est pollué, quant à l'autre, une pancarte et un gardien en interdisent l'entrée : un comte l'a acheté.

 

Le bois pollué

JOSETTE PROPOSE D'ALLER VISITER UN PETIT PARC PUBLIC

Le groupe préfère que nous allions dans un pré voir les fleurs et une mare. Nous rapporterions des oeufs de grenouille.
Nous serons obligés de passer par-dessus les clôtures mais jusqu'ici nous n'avons pas eu de problèmes avec les paysans, nous évitons d'écraser les cultures ou le foin et de laisser des déchets.
MONIQUE aimerait que nous observions des animaux en classe, chacun pourrait en apporter.
Nous décidons d'installer un coin «observation» mais les animaux devront être nourris pendant leur séjour et ensuite remis en liberté. Le matériel et l'espace nécessaires d'un élevage nous manquent. Nous allons essayer de nous «débrouiller», comme d'habitude.
MICHEL s'inquiète de savoir si nous aurons encore notre jardin dont il était responsable. Nous étions logés, en effet, dans un Sofaco, au milieu d'un petit jardin que nous cultivions biologiquement (1) mais une classe maternelle ayant perdu sa toiture au cours d'une tempête, la municipalité a décidé de l'emménager dans notre local et nous intégrer dans le groupe scolaire. Le décor a changé:
- Plus de cognassier pour vivre les saisons ;
- Plus d'oiseaux chantant près de nos fenêtres;
- Plus de porte ouverte sur nos fleurs et nos légumes.
Mais d'un côté, vue sur un mur, et de l'autre sur le bitume de la cour.
Nous voici logés à la même enseigne que la plupart des écoliers de France.
Au début de l'année, j'avais proposé au conseil des maîtres de changer cet univers en partageant la cour en deux, afin de créer un jardin avec pelouse, parterres, tables, bancs, qui serait réservé aux activités calmes et aux essais de culture des
enfants. Ma proposition n'a pas été retenue mais un petit coin de verdure décorative a cependant été aménagé par des jardiniers professionnels: c'est mieux que rien, et c'est un premier pas pour faire entrer la nature à l'école. Tout est possible quand on a le désir et la ferme volonté de s'approprier son environnement.
C'est ainsi qu'à un conseil de coopérative, nous avons décidé de repeindre nous-mêmes notre nouveau local et nous en avons avisé la mairie. Après un instant de surprise, elle nous a accordé feu vert et crédits.
La classe doit être la maison des enfants, ils doivent pouvoir l'organiser, la décorer, et l'entretenir car la liberté suppose aussi la responsabilité, qui me paraît être un des facteurs essentiels d'une éducation écologique.
Au début de l'année, j'avais organisé plusieurs ateliers: journal, peinture, club lecture, coin calcul, coin musique où les enfants allaient librement. Je répondais à la demande et je ne rangeais que ce que j'avais moi-même dérangé.
Au bout de quinze jours, une ancienne a protesté : «On ne trouve plus rien ! On devrait avoir un responsable par atelier. »

 

Nous en avons alors discuté ensemble et chacun a choisi un atelier, mais ce n'est pas pour autant que les problèmes ont disparu: la plupart laissaient au responsable tout le rangement et le nettoyage de l'atelier qu'ils venaient d'utiliser.
Le conseil a alors décidé d'une nouvelle loi: «Chacun laisse l'atelier comme il l'a trouvé et ramasse ses déchets. »
La discussion n'a pas suffi et alors les enfants ont utilisé la répression, à plusieurs reprises, tant chez certains, laisser leurs déchets à ramasser aux autres, était devenu une technique de vie. La répression consistait à exiger du «pollueur» qu'il répare : celui qui salit, nettoie.
Nous avons pris conscience à ce propos, de nos relations avec la femme de ménage, qui est venue nous parler de son travail.
Une société écologique ne peut être qu'une société où règne le respect de l'autre. Pourra-t-on y éviter la répression, tant que ce respect fondamental, ainsi que le respect du matériel et des matériaux collectifs, ne seront pas devenus des techniques de vie?

Or s'il est difficile d'acquérir une technique de vie, il est encore plus difficile de la détruire pour la remplacer par une autre, surtout si cette dernière va à contre-courant de la pression sociale et familiale, qui aujourd'hui mène plus souvent vers l'individualisme égoïste que vers LA SOLIDARITE COOPERATIVE qui est un autre facteur d'une éducation écologique.
Solidarité coopérative qui apparaît dans la décision du groupe d'aider un camarade à apprendre à lire: Il a douze ans, il habite dans une roulotte, sa maman est analphabète et son père mort, et il veut savoir lire.
Solidarité coopérative encore que la proposition d'un ami  agrobiologiste qui nous offre ses vergers pour une sortie pique-nique.
Solidarité coopérative que nos échanges avec la communauté d'Emmaüs à qui Evelyne propose d'écrire une lettre, échanges fondés sur le don mutuel : ils nous offrent tout ce qui peut nous servir: papier, crayons, étoffes, verre, machines, qu'ils ont trié dans les déchets de notre société de consommation et nous leur apportons nos journaux, nos visites, nos dessins, notre amitié :
"J'espère que vous allez bien. J'ai été contente d'aller vous voir cette année, ça m'a beaucoup plu. Le cacao était très bon et aussi les bonbons.
Nous avons changé de local, des ouvriers ont démoli une classe maternelle.
Nous avons peint notre classe, comme ça, ça fait pLus joLi. Les murs
sont bleus. La classe est plus petite, Les Livres ne sont pas rangés de
La même façon.
Nous avons fait une fête pour Le départ de Patricia. elle a
déménagé.
Un monsieur nous a proposé d'aller pique-niquer dans son verger.
Nous irons au mois de mai, s'il fait beau.
Nous allons dessiner sur du tissu. Est-ce que vous en avez pour nous ?
Nous allons continuer à trier les vieux papiers. Des enfants de L'école nous en apportent beaucoup."

Evelyne

TRIER DES VIEUX PAPIERS:

Cela entre dans une hypothèse de lutte contre le gaspillage, autre facteur d'une
éducation écologique.
J'ai proposé aux enfants, après leur avoir expliqué comment se fabriquait le papier, une double action: économiser le papier neuf dans nos ateliers et récupérer les vieux papiers afin de préserver au maximum les arbres.
Mais mon but n'étant pas de faire le jeu des industries papetières qui n'ont pour objectif qu'une production toujours plus grande, nous avons discuté du gaspillage du papier pour des usages publicitaires ou mercantiles.
J'ai fait diffuser sur tout le quartier un tract appelant à donner les vieux papiers à l'école, «qui les échangera contre du papier neuf».
Toutes les classes ont participé à notre campagne et nous avons récupéré près de deux tonnes de carton, revues et papiers divers.

 

 

Voilà un survol rapide de nos activités, survol au cours duquel j'ai oublié de parler des directives officielles, il n'est cependant pas inutile d'examiner les propos de nos dirigeants, avant qu'ils ne nous rendent responsables de la pollution généralisée, n'ont-ils pas eux, fait leur devoir de dirigeants !

Ils ont créé un ministère ;
Ils ont lancé les «cent mesures»
Ils ont envoyé des instructions ;
Ils vont sortir une bible: «L'enfant et l'environnement », fort intéressante d'ailleurs.
J'extrais quelques passages du discours de présentation de cette brochure (1), prononcé par J. Fontanet, Ministre de l'Education Nationale:
" ... Nous sommes entrés dans une ère marquée par les menaces que fait peser. sur les ressources énergétiques comme sur les biens naturels les plus élémentaires et les plus immédiats, une consommation effrénée et dont le rythme croit à une vitesse inquiétante ...
Il n 'est plus question d 'accepter aveuglément une croissance désordonnée dont les bénéfices s'achètent au prix de gaspillages, de pollutions et d'insupportables nuisances."
L'indüférence et le laisser-vivre ne sont plus de mise ...
En février 1970, le Président de la République définissait ... les nouveaux devoirs ...
"II faut créer et répandre une morale de l'environnement, imposant àL'Etat, aux collectivités et aux individus, le respect de quelques règles élémentaires faute desquelles le monde deviendrait irrespirable. Dans un domaine dont dépend directement la vie quotidienne des hommes, s'imposent plus qu'ailleurs le contrôle des citoyens et leur participation effective à l'aménagement de leur existence. "
Je ne peux que suivre le président Pompidou dans ce désir de nous voir prendre fermement en main notre existence.
Bien sûr l'Education Nationale depuis longtemps a mis en place les moyens de faire des enfants de futurs autogestionnaires !
"Depuis longtemps déjà l'Education Nationale s'est attachée à définir les moyens d'assurer la préparation des citoyens à l'accomplissement de telles exigences ... " assure Monsieur Fontanet.
Qu'a donc fait l'Education Nationale?
"Au niveau de l'enseignement élémentaire, le développement des classes de nature, classes de mer et classes vertes dont bénéficie un nombre croissant de nos jeunes écoliers a permis depuis de nombreuses années déjà d'accentuer cette nécessaire ouverture de l'école sur la prise en considération des exigences du milieu naturel et du cadre de vie."
Oui ces classes existent, mais en très petit nombre, et ce n'est pas au ministère que nous les devons pour la plupart, ce sont les familles, les collectivités locales, les coopératives scolaires qui doivent assumer les frais de voyage et de séjour.
Et puis, aller passer une semaine ou trois semaines par an, dans une classe de nature ou de mer, ce n'est qu'un pis-aller, une cure d'oxygène, avant de retrouver l'air pollué, le bruit et l'entassement de la ville. Les écoles de campagne ferment faute d'élèves et si on transportait les écoles de la ville à la campagne ? On pourrait aussi bâtir des écoles vertes dans une ville conçue pour la vie des hommes, les rencontres, les échanges, car :
" Il faut que l'école soit pour tous un cadre adapté les objets, les animaux, les activités, les harmonies de formes et de couleurs soient autant de sollicitations qui exerceront un effet favorable sur le déveLoppement intellectuel, esthétique et moral."
Ce n'est pas moi qui le dis, mais la circulaire n° 72-249 du 26 juin 1972 qui a pour objet: «Sensibilisation aux problèmes de l'environnement au niveau de l'enseignement pré-élémentaire."
Circulaires, textes, affiches, bons conseils, rien ne nous manque, sauf l'école pour nos cultures, nos animaux, nos expériences de vie, sauf un environnement où nous pourrions apprendre en les vivant «les dix règles d'or du jeune protecteur de la nature}) que toutes les écoles ont reçues
"Tu es responsable, pour ta part de la nature :
1. "N'endommage ni les arbres, ni les buissons;
2. Admire les fleurs sauvages sans les cueillir; d'autres après toi pourront en jouir ;
3. Ecoute la nature en silence ; des bêtes y vivent ... Respecte leur tranquillité ;
4. Utilise sentiers et chemins tracés ;
5. Enterre ou emporte tes détritus; la nature n 'est pas une poubelle ;
6. Attention aux feu: connais ses dangers, apprends à les combattre;
7. Respecte la vie sous toutes ses formes; la vie de la nature c'est aussi la tienne ;
8. N'empoisonne jamais la nature avec des produits chimiques dangereux, à la ville comme à la campagne ;
9. Participe, selon tes possibilités à la protection de la nature ;
10. Conduis-toi toujours et partout en -être conscient et responsable.
Donne l'exemple ... les autres t'imiteront. La nature sera demain ce que les hommes en auront fait aujourd 'hui."
J'adhère pleinement à ces conseils, mais le peuple a l'habitude de dire : «L'exemple vient d'en haut
Nous avons changé de Président de la République et de Ministre de l'Education Nationale.
Le Premier Ministre préconise la lutte contre le gaspillage, la radio demande de faire utiliser aux enfants l'envers des prospectus comme brouillon, et le Ministre de l'Education, par souci d'économie ... envoie une lettre à chaque enseignant pour lui tenir un discours qu'il connaissait déjà. Alors? Pour ma part, je continuerai, comme avant, à faire autre chose que la culture des mots, je continuerai à faire le peu qui est possible, tout en sachant que l'écologie c'est une manière de vivre qui ne peut s'apprendre qu'en vivant, dans un milieu social, économique, politique et culturel qui respecte profondément l'enfant et l'homme, les êtres et les choses.
Pour les enfants comme pour Alan Watts: «les oiseaux, les poissons, les fleurs, les fleuves, sont nos organes extérieurs, comme le poumon ou le coeur ou le rein sont nos organes intérieurs ».
Les en priver, c'est en faire des êtres mutilés.
Freinet disait, il y a déjà bien longtemps, qu'il faudrait songer très vite à créer des réserves pour enfants, réserves ils trouveraient objets, plantes, animaux qui leur sont nécessaires pour vivre et devenir des hommes.
Or pour beaucoup d'enfants, d'adolescents et d'enseignants d'aujourd'hui, il ne s'agit plus de vivre, mais de survivre, dans un univers déshumanisé où les individus sont entassés et soumis à des impératifs de rentabilité, un univers qui au lieu de permettre des relations d'amitié, crée une agressivité  qui va sans cesse croissante, un univers qui trie, sélectionne,  rejette les faibles car ce qui importe, ce n'est pas la joie et le  bien-être de chacun, mais c'est que la machine capitaliste ait  les robots dont elle a besoin.
L'école que nous voulons, ne pourra naître que de notre  lutte, une lutte quotidienne pour une société de  non-exploitation de l'homme, respectueuse des êtres et des  choses qui constituent notre environnement.
(1) Voir B.T. nO 765 : La culture biologique.
(2) L'Enfant et l'environnement, I.N.R.D.P., 10 F.
 
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