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Quelques réflexions d'Eric Zeder, Vallauris, 06...

Ce soir j'ai mal à mon école.

Ce soir j’ai mal à mon école. Pour de vrai. J’ai un peu honte aussi. De notre grande « maison » comme disent les restaurateurs, et de son incapacité totale à gérer la crise sanitaire et sociale que nous vivons.

Je viens d’apprendre que la maire de notre ville n’ouvrira pas les écoles maternelles et primaires le 12 mai. Dans une bafouille toute sérieuse au DASEN elle l’informe de sa décision. Une décision que je peux comprendre. Les risques sont là, réels, même pas tapis dans l’ombre. La responsabilité est énorme. Pour elle, comme pour tous les élus décisionnaires. Pour un enjeu qui n’est même pas clairement défini. Économique, pédagogique, social... un peu tout à la fois sans doute. Les diverses annonces gouvernementales de ces derniers jours, les paroles présidentielles glanées ça et là dans la presse incitent à la prudence tant la cacophonie est grande. Entre cynisme et amateurisme, il est difficile de percevoir les lignes directrices de nos dirigeant.es. Il est parfois même difficile de savoir si eux et elles-mêmes les perçoivent.

Alors cette décision de ne pas ouvrir les écoles d’une ville, je la comprends. Mais elle me blesse car je sais pertinemment qu’elle laissera sur le carreau, oh pas beaucoup, mais quelques enfants et leurs familles, pour qui ce retour dans une école en pleine crise était une bouée de sauvetage. Un horizon loin d’être dégagé, mais un horizon tout de même pour celles et ceux qui sont asphyxié.es par ces semaines d’enfermement. Celles et ceux qui ne parlent à personne ou presque depuis bientôt 2 mois. Celles et ceux qui n’ont pas vu le ciel, ni senti l’air chaud et le vent sur leur visage, même la pluie tiens, je suis sûr qu’ils s’en prendraient une bonne douche. Celles et ceux qui n’entendent plus que les cris de papa et maman, les pleurs de leur petit frère. Celles et ceux qui n’ont pas ouvert un livre depuis 46 jours tout simplement parce qu’ils n’en ont pas un seul à la maison. Celles et ceux qui ont faim, qui ont peur, qui ont besoin des autres. Qui ont besoin de nous !

Oh nous ne leur aurions pas offert une école de rêve, car la classe à la sauce COVID tient plus de la caserne que de celle de Jules Ferry, de Marcel Pagnol ou de Célestin Freinet. Mais tout de même, nous leur aurions offert une ou deux journées de classe par semaine avec des sourires derrière les masques, des yeux qui brillent (pas forcément à cause de la fièvre), des encouragements et des checks du coude. Mais même cela nous ne le pourrons pas.

Quand je lis dans la lettre que la maire adresse au DASEN que les enseignant.es ont été consulté.es je ne peux qu’y relever un mensonge. Quand j’y lis que 74 % des familles ayant répondu au sondage de la mairie se sont prononcées défavorablement à un retour à l’école, je ne peux m’empêcher d’ajouter « pour leur enfant » ! Mais les autres ? Les 26 % restants, et toutes les familles n’ayant pas répondu ? Celles qui sont trop « éloignées du numérique » (expression à la mode pour dire « dans la galère »), n’ont pas compris l’enjeu du sondage, ne l’ont pas eu ou tout simplement attendaient de connaître les conditions d’une reprise pour se prononcer ? Que leur offre-t-on à ces familles ? RIEN ! Pire : nous n’aurons même pas essayé !

On se gargarisera sans doute du Service Public, des agents « au front », des morts évités par le confinement. On taira bien sûr les masques qui n’arrivent pas, les dates lancées en conférence de presse sans rien avoir prévu. On ne parlera pas des heures passées par les enseignant.es à concevoir, sur leur matériel personnel, des séquences pédagogiques réalisables à distance, par ordinateur, smartphone ou à l’oral (heureusement que « nous étions prêt.es »). On évitera certainement d’aborder le sujet du manque de place dans nos classes, de personnel RASED ou de médecins scolaire. On ne dira pas que, comme l’hôpital, nôtre école va mal, très mal. Qu’elle se casse la gueule et que ce n’est même pas en silence puisque nous avons fait assez de bruit ces derniers mois, ces dernières années pour alerter les « décideurs ».

Notre école n’a rien d’une « école de la confiance » puisqu’on n’y fait confiance ni aux enseignant.es, ni aux élèves ni aux parents. La chaîne hiérarchique fonctionne belle et bien dans le même sens que l’ascenseur social : de haut en bas, jamais dans l’autre sens. Lorsque le ministre a annoncé qu’il laissait aux instances locales le soin de décider du plan d’attaque pour la reprise, c’était une façon bien lâche de se dédouaner, de refiler un bébé ingérable à des équipes dont il savait pertinemment qu’elles n’auraient pas la main sur l’organisation à venir. C’est dommage car nous avions des choses à dire, à proposer. Nous avions essayé tant bien que mal d’anticiper, de préparer une organisation, perfectible certes, mais personnalisée et certainement viable... Nous n’avons pas fait qu’attendre d’hypothétiques consignes : nous avions également conçu un projet pour cette école qui nous tient tant à cœur. Un projet qui part ce soir à la corbeille à papier car notre Education n’a plus grand chose de Nationale. L’école vient de devenir municipale. Envisagée comme un simple service de garderie organisé à la hussarde par des gens dans les bureaux d'une mairie. Soit. Mais cela se fera sans moi. Je ne collaborerai en aucune façon à cette chose qui se met en place, et espère de tout mon cœur qu’elle ne deviendra pas l’école de demain.