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Expression libre libre

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CréAtions "Témoignages en liberté"

Classe ......... - École ............ (Aube) - Enseignant : Christian Rousseau

 


EXPRESSION LIBRE LIBRE

 

Expression libre : vers un langage universel

En l’an 2000, à l’occasion du congrès de Rennes, j’avais découvert un corpus de dessins libres* que Paul Le Bohec présentait dans un atelier. Dessins libres au stylo bille.
Ce qui m’avait frappé en feuilletant de nombreux porte-vues regroupant les dessins de chaque enfant d’une façon chronologique, c’était la singulière parenté entre ces dessins et ceux qu’on peut voir dans les collections d’art brut, ou d’art asilaire**. Paul abondait dans mon sens et confirmait mon sentiment.
Plus tard, quand j’ai expérimenté cette technique en cycle 3, j’ai fait le même constat. Ce qui me semblait encore plus singulier, c’est que les enfants de 9/10 ans arrivant dans ma classe étaient au départ très marqués par une esthétique apprise à l’école et/ou chez eux. La tentation du « beau dessin » était constamment présente à leur esprit et certains n’osaient pas se lancer de peur de ne pas être à la hauteur de leurs attentes ou de celles qu’ils imaginaient être du regardeur.
Mais pour peu qu’on laisse le temps aux enfants, pour peu qu’on les contraigne cependant à se frotter à cette activité d’une façon obligatoire, c'est-à-dire dans un temps inscrit clairement dans l’emploi du temps et ce, très régulièrement, « naturellement » le dessin compassé laisse place à un dessin libéré dans lequel on trouve une esthétique commune à l’ensemble des dessins « libres » de la classe. Comme si le seul fait d’agir librement, d’une façon répétée et suffisamment longtemps, nous ramenait à une espèce d’expression commune par nature à toute personne soumise à cette liberté.


Il n’est qu’à penser au processus de création que l’on peut observer dans les galeries par opposition à ce que présentent les musées. Le galeriste en général présente les recherches en cours d’un artiste et l’on peut voir dans les salles des séries d’œuvres très homogènes dans leur approche formelle. En revanche, ce que retiennent les musées en général ce sont les « chefs d’œuvres », la pièce maitresse qui va s’inscrire dans un catalogue d’œuvres sensées être exhaustives dans l'histoire de l’art. Or, si on suit le cheminement esthétique d’un artiste, on constate que les ruptures dans ses processus de création sont le résultat d’un cheminement lent qui est directement en lien avec son expérience à un moment donné, au rituel de son petit déjeuner, l’engueulade qu’il vient d’avoir avec le facteur, la promesse d’un rendez vous d’affaire ou amoureux… bref c’est l’écologie sociale et affective qui est la conséquence de ces partis pris successifs. Dans l’écologie sociale j’y inclus les relations professionnelles, dans l’écologie affective, j’y inclus les relations amicales pleines d’émulations et de rivalités. Les artistes sont certes admiratifs, parfois jaloux de leurs pairs mais il n’y a pas de « maître » qui vient les orienter d’autorité vers des choix esthétiques. Ils agissent de leur plein gré. Sous influence, mais de leur plein gré.
Quant aux recherches, elles conduisent à travailler par séries. Et nombreuses sont les œuvres semblables stylistiquement au moment des processus de recherche et de création. Il y a comme une idée fixe qui se dégage de l’œuvre en progrès. La répétition permet de vérifier les hypothèses de travail, d’approfondir la recherche pour explorer tous les champs de possibles dont l’artiste dispose à un moment donné.

Si le travail des galeries d’art c’est justement de montrer très clairement ce phénomène, en revanche le musée n’est jamais représentatif du travail de création. C’est une mémoire morte d’un temps donné pour une œuvre donnée.

Je pense que les deux postures sont valables mais pas pour la même activité :
Dans le cadre du temps contraint d’expression libre dans ma classe, je me range dans la seconde catégorie, celle du « laisser faire ». La seule chose que je stimule chez l’enfant c’est l’action : « Essaye ! » L'objectif d’un temps d’expression libre est de permettre à tous les enfants de faire l'expérience de sa capacité à agir, transformer, composer et, dans le meilleur des cas, créer avec le matériel proposé.

 

En revanche dans le cadre du temps d’activités libres, la démarche naturelle consiste à laisser l’enfant agir au sein de son environnement, c’est à dire influencé par son environnement, consciemment ou inconsciemment.
À noter que j’appartiens à l’écologie sociale et affective des enfants de ma classe. En dehors du temps obligatoire et quotidien d’expression libre, j’agis de façon informelle sur les travaux libres quotidiens des enfants. Je me permets de commenter, d’interroger tous travaux d’enfants et de les conduire vers une attention plus fine, plus élaborée, plus complexe de leur travail. Le principe de réalité nous aide à pousser l’enfant plus loin quand il nous présente une construction avec des legos par exemple, et qu’il affirme qu’il s’agit d’une maison. Pas de porte, pas de fenêtre, pas de toit pour se protéger de la pluie : « Non, il ne s’agit pas d’une maison ! » « A présent retourne à ta recherche et fais une maison ! ».
C’est un bonhomme … « Ah bon ? Mais il ne peut pas dessiner ton bonhomme, il ne peut pas entendre, il ne peut pas parler, il n’a pas de ventre etc … », je veux voir ce qu’il me dit et il doit faire ce qu’il veut en dire. Tu ne sais pas ? Essaye. Tu n’y arrives pas ? Demande de l’aide. »

On peut mettre en parallèle la nécessité de réaliser des textes libres, ou autres formes d’expressions libres très régulièrement pour constater que naturellement, chaque enfant sans intention particulière, nécessairement, améliore sa technique, et libère un peu plus ses processus d’expression en se désinhibant de ses aprioris stylistiques.
Laissez faire les enfants et, étonnamment, nous voyons dans leurs travaux beaucoup de points communs qui ne sont pas toujours dépendants d’une esthétique dominante dans la classe à un moment donné.
Dans ma classe de PS/MS/GS, je propose des temps d’expression en pâte à modeler.
Or, nous constatons à chaque séance, que les résultats de ces expressions montrent très peu de copie. Alors que l’intuition pourrait laisser penser que le voisinage conduirait à des travaux très contrefaits, étonnamment il n’en est rien à deux ou trois exceptions près.

 

*  Issues de la classe de Michèle le Guillou (édition ICEM, collection « pratiques et recherche », n° 39)

**  Si le caractère obsessionnel de l’acte créateur indique la nature pathologique de l’art brut ou asilaire, c’est qu’il a pour l’essentiel une fonction cathartique. Mais le geste et l’œuvre demeurent. Peu importe la cause. L’esthétique est bien là, et le vocabulaire esthétique de ces œuvres est commun à celui de nos enfants au geste graphique libéré.

 

      

 

 

Témoignages en liberté 




 

 

ici "Laissez faire les

ici "Laissez faire les enfants et, étonnamment, nous voyons..." j'écrirais "Laissons faire les enfants" plutôt que Laissez faire