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De la nécessité d’une pratique de recherche-action par les praticiens eux-mêmes

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LE CONSEILLER D'EDUCATION , n° 70, septembre 1982
 
De la nécessité d’une pratique de recherche-action
par les praticiens eux-mêmes
 
 
Jean LE GAL, Chargé de cours en D.U.E.P.S. (1) à  l'Université de Tours.
 
Dans une société en mouvement où la plupart des valeurs sont remises en cause, l'action éducative ne peut plus s'appuyer sur une éthique immuable pour former les hommes de demain. l'Ecole doit donc changer : les finalités, les objectifs fondamentaux, les contenus et les pratiques sont à réétudier.
 
Ce changement impératif passe par un effort im­portant d'innovation qui doit mobiliser pleinement ceux qui sur le terrain seront les acteurs, car sans eux toutes les recherches et toutes les recommandations officielles ne serviront à rien.
 
Le changement de l'école passe par la recherche pédagogique, mais quelle recherche et quelle formation nouvelle des praticiens ?
 
I. -LA RECHERCHE EN EDUCATION
 
La recherche pédagogique, recherche appliquée ou fondamentale, est coupée de l'activité du système éducatif. (Rapport SCHWARTZ).
Il y aune crise de l'Ecole; elle secrète des échecs et elle ne répond plus à ce que les jeunes attendent d'elle. Par ailleurs, les nouvelles finalités de l'action éducative impliquent un changement profond S'il s'agit de former un homme autonome, libre et responsable, apte à prendre sa vie en main et à coopérer avec les autres, pour une société de justice, de solidarité, d'en­traide, il est nécessaire de se demander comment inté­grer la recherche dans l'effort d'innovation.
 
Pour Louis LEGRAND (Pour une politique démocra­tique de l'Education. Paris, PUF, 1977) « la recherche pédagogique peut remplir plusieurs fonctions dans l'évo­lution du système éducatif:
-faire progresser la connaissance de l’acte d'appren­tissage et des conditions de son amélioration. C'est la fonction la plus connue. Une diffusion de ses résultats au corps enseignant et aux stagiaires en formation serait nécessaire pour alimenter leurs connaissances et leurs pratiques ;
-provoquer des transpositions de recherches validées dans des situations comparables aux conditions de l'expérimentation, avec toutes les précautions requises et, éventuellement, le concours de conseil­lers et de chercheurs :
-répandre à travers le monde scolaire la démarche scientifique. Celui-ci pourrait renforcer une stratégie d'enseignement reposant sur une pédagogie ration­nelle... »
 
La recherche pédagogique est donc liée à la pratique sur le terrain, à ses difficultés, à ses problèmes et elle ne peut se contenter d'être un constat de ce qui existe, mais elle doit être dynamique, participer pleine­ment au changement.
Par ailleurs la formation des maîtres doit intégrer la recherche, la relation théorie/pratique, la théorisation des pratiques par les enseignants eux-mêmes.
La recherche en éducation n'est pas nouvelle en France, alors on peut se demander
POUROUOI ELLE PARTICIPE SI PEU A LA TRANSFORMATION DES PRATlQUES  EDUCATIVES :
-le conservatisme des enseignants, leur manque d'in­térêt pour les travaux des chercheurs, leur crainte pour une remise en cause de leurs pratiques sont souvent évoqués pour expliquer les avatars des ten­tatives de rénovation de l'école ;
      -mais par ailleurs les praticiens ne manquent pas de       faire remarquer combien les recherches entreprises sont éloignées de leurs préoccupations quotidiennes, tout se passe en dehors d'eux, il y a d'un côté ceux qui cherchent, réfléchissent, conseillent, et de l'autre les exécutants.
Il s'agit, d'ailleurs, la plupart du temps, dans notre pays, d'un dialogue à distance, les rencontres entre chercheurs et praticiens étant chose rare. Nous pou­vons espérer que le Ministère de l'Education Nationale engagera très vite une grande confrontation entre cher­cheurs et hommes de terrain, afin d'établir les bases d'une coopération nécessaire.
Il semble qu'un point d'accord peut être trouvé autour de la nécessité d'expérimenter sur le terrain même les innovations proposées, dans les conditions réelles d'une généralisation éventuelle Or, pour mener les observations qui permettront une analyse des résul­tats, il est indispensable que les enseignants et les cher­cheurs travaillent en étroite collaboration tout au long du processus de recherche-action mis en oeuvre :
-choix des problèmes à étudier ;
-élaboration des hypothèses ;
-méthodologie de recueil des données ;
-analyse des données;
-conclusions pédagogiques.
Mais pour cela il est nécessaire que les enseignants reçoivent une « initiation active à la recherche »  comme le souligne G. DE LANDSHEERE dans son ouvrage destiné précisément aux éducateurs (Introduction à la recher­che en éducation, Paris, Colin-Bourrelier, 1975).
Par ailleurs, au-delà de cette coopération, dans une Ecole en constante évolution, les enseignants doivent être capables de mener, sur leur propre terrain d'action, des recherches centrées sur les problèmes qui se posent à eux, et d'intégrer les travaux d'autres chercheurs en adaptant les conclusions aux conditions particulières de leurs classes et écoles.
 
LE PRATICIEN DOIT DEVENIR UN PRATICIEN-CHERCHEUR
 
Ainsi, il n'yaurait plus ceux qui cherchent et ceux qui exécutent. Chacun pourrait faire preuve de dyna­misme créateur et devenir un acteur pleinement res­ponsable du changement.
Les observations menées par les praticiens en situa­tion de recherche les aideront à mieux dominer leurs pratiques, à contrôler leurs démarches, à apprécier plus objectivement les résultats obtenus.
 
Le praticien-chercheur sera obligatoirement un édu­cateur engagé, mobilisant ses capacités d'innovation pour tenter de résoudre les difficultés de mise en place d'une pédagogie au service d'une éducation, que, pour ma part, je ne peux concevoir autre que démocratique, coopérative et autogestionnaire, une pédagogie qui per­mettra à tous les enfants de développer au maximum toutes leurs potentialités.
 
Il est évident qu'une telle conception de la recher­che se doit aussi d’intégrer à l'action les premiers intéressés, les enfants et les adolescents eux-mêmes.
 
Tout cela implique, comme le montrent les recherches déjà entreprises dans ce sens, la création de nouvelles méthodologies, techniques et outils et des lieux de confrontation.
 
II. -L'INNOVATION PAR LES MOUVEMENTS PEDAGOGlQUES : LES PRATICIENS-CHERCHEURS
 
Il suffit de relire les Instructions officielles de ces dernières années pour constater qu'elles ont fait une large part aux innovations mises en oeuvre par les mou­vements pédagogiques, en particulier par le Mouvement FREINET. Il faut d'ailleurs remarquer que les militants qui ont mis au point, dans leurs classes, des structures, des techniques, des outils différents, l'ont fait souvent malgré et contre les pouvoirs dominants de l'époque.
 
La récupération de leurs travaux, au service de finalités et d’objectifs qui n'étaient pas les leurs, témoignent cependant de l'efficacité de leurs recherches. Ils ont été les lieux principaux de l'innovation.
 
Un mouvement, comme le Mouvement Freinet (Institut Coopératif de l'Ecole Moderne et Coopérative de l’Enseignement Laïc) a mené une action cohérente autour de finalités éducatives précises: il a expérimenté des structures de classe et d’école, il a créé des techni­ques et des outils, il a mis en place son propre réseau d'information, de nombreuses revues nationales et dépar­tementales) et de formation (stages, journées de travail, séminaires et congrès) ; il a monté une coopérative de production et de diffusion (la C.E.L.) Au sein de ce mouvement, les praticiens innovateurs peuvent confron­ter en permanence leurs travaux, dans des groupes occasionnels ou permanents, dans des commissions départementales, nationales et internationales. C'est cette confrontation liée à une théorisation des pratiques qui a permis cette grande entreprise coopérative de recherche pédagogique.
 
Malgré l'action des mouvements pédagogiques, brimée très souvent par les pouvoirs successifs, les pratiques n’ont pas beaucoup évolué dans leur sens.
 
Notre hypothèse est, en prenant exemple sur le dynamisme créateur des militants qui ont choisi eux-­mêmes leur action éducative, que rien ne changera de façon irréversible par des circulaires officielles et qu'il est donc nécessaire de mobiliser les praticiens, de les engager dans une dynamique créative qui les rendra responsables, de leur donner les moyens d'une formation continuée à la recherche-action sur leurs pratiques et d'un échange coopératif.
 
« L'aptitude à la recherche dort, sommeille ou se trouve en état de veille chez la plupart des êtres humains. De même que chacun peut s'élever dans et par l’enseignement, de même chacun peut et doit s'approfondir dans une recherche. » (Henri Desroche, Apprentissage en sciences sociales et Education permanente, Paris, Edi­tions ouvrières, 1971).
 
Il n'est pas possible d'envisager de demander à tous les enseignants en exercice de s'engager dans une formation par la recherche, mais il est nécessaire d'en­courager ceux qui actuellement ont déjà commencé, et, par ailleurs, d’intégrer cette formation dans le cursus des normaliens et des stagiaires.
 
Pour les praticiens en formation par la recherche, une organisation méthodique du temps d'activité doit permettre d'alterner l'activité professionnelle et l'activité d'étude, de réflexion. Cette activité d'étude permet une distanciation de la pratique, une classification des données recueillies, une première analyse qui peut déboucher sur des enquêtes, des entretiens, des recherches bibliographiques, des lectures, et aussi une réadaptation des pratiques du terrain, car action et recherche sont contemporaines et en relation dialectique. Faute de ce temps d'arrêt, on assiste à une surcharge de travail, une lassitude, un découragement qui entraîne des abandons.
 
Cette formation implique aussi des temps de travail à l’université, avec des enseignants-chercheurs qui soutiennent les efforts et apportent les connaissances méthodologiques nécessaires.
 
Une formation continuée de ce type pourrait être envisagée sur la base d'un contrat liant le Ministère de l'Education Nationale, les enseignants et l'Université.
 
Par exemple, le D.U.E.P.S. (1), à l’Université de Tours, offre un prototype de ce qui est possible, avec ses trois temps :
.-activité professionnelle,
 -activité personnelle de recherche et entraide entre les « formés »,
-activité collective, activité en groupe et consultations personnalisées à l'Université.
 
Cette pratique de formation, nouvelle en France, du moins pour les instituteurs et professeurs de collège, puisqu'elle existe déjà pour les travailleurs du secteur coopératif, associatif et mutualiste dans le cadre du Collège Coopératif (Henri DESROCHE) et de ses filiales régionales; nous parait être un des moyens d'un chan­gement décisif de l'Ecole.
 
Elle permet de faire acquérir aux praticiens un cadre théorique minimum :
 
- formulation du problème (problématique),
- formulation des hypothèses et collecte d'une première série d'informations,
-élaboration du plan de recherche,
-choix ou construction des instruments,
-observations sur le terrain et mise en oeuvre éven­tuelle d'un plan expérimental.
-collecte des données.
-dépouillement et traitement, interprétation de données,
-rédaction des conclusions
 
Elle leur permet aussi d’apprendre à produire un écrit de qualité susceptible d’être diffusé auprès des autres enseignants et de participer ainsi à l'action générale d’innovation. .
 
En fonction des données de ce court rapport, je propose :
 
1) que les enseignants et éducateurs en formation continuée par la recherche puissent bénéficier de leur temps prévu par la loi, pour se consacrer à ce travail, dans une formule d'apprentissage par alternance, dans le cadre d'un contrat ;
2) que tous ceux qui entrent en 3ème cycle pour la préparation d’un doctorat aient un statut d’enseignant­-chercheur qui leur permette de préparer leur thèse, tout en restant sur leur terrain, par des formules de décharge à étudier :
3) quant aux enseignants titulaires d'un doctorat, il serait du plus grand intérêt qu’ïls demeurent centrés sur le niveau scolaire dont ils sont issus, comme chargés de recherche appliquée par exemple; leur expérience de praticien, leur connaissance des difficultés leur per­mettraient de mettre en place une coopération véritable entre praticiens et chercheurs.
 
(1) Diplôme Universitaire d’Etude de la Pratique Sociale