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Intervention sur la recherche-action dans une rencontre sur la recherche en éducation en 1985

Dans :  Formation et recherche › 

Jean Le Gal est intervenu en représentant les mouvements pédagogiques dans une rencontre sur la recherche en 1985 pour soutenir la recherche-action.

Education, Formation et Société

Recherches pour Demain
Paris, les 23 et 24 septembre 1985
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Les rencontres organisées les 23 et 24 septembre 1985 dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne à Paris, ont réuni, à l’initiative de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Education Nationale, plus de 2000 participants, français et étrangers, sur le thème : «  Education, Formation et Société : recherches pour demain ».
 
Ces journées ont été l’émergence publique de tout un travail d’échanges entamé entre des acteurs de la recherche en éducation et en formation, de la demande sociale, des représentants des mouvements pédagogiques, des associations, etc[1]
 
A côté des séances plénières qui ouvrent des questions larges et générales ( Besoins de la société en matière d’éducation et de formation ; Recherche en éducation et média ; Spécificité et avenir de la recherche en éducation) ont été organisées des commissions de travail sur des thèmes très ciblés :
1.      Quels contenus et quels mobiles de transmission pour l’éducation et la formation ?
2.      Quels métiers, quelles qualifications, quelle production ?
3.      Comment améliorer en qualité et en quantité le rendement du système éducatif ?
4.      Quels coûts et quelles ressources pour l’éducation et la formation de demain ?
5.      Que savons-nous des jeunes dans leur mode de vie, leurs rapports à l’éducation, à la culture, à l’emploi ?
6.      Comment diffuser, valoriser, internationaliser, la recherche en éducation ?
Je suis intervenu dans cette commission pour présenter « Le rapport du praticien novateur à la recherche ».
 
Les Mouvements pédagogiques et d’Education  ( CEMEA, CRAP, FFC, FOEVEN, GEDREM, GFEN, ICEM, Ligue de l’enseignement, OCCE), acteurs en première ligne dans les changements en cours, n’entendent pas se laisser déposséder de l’analyse de leur travail par les chercheurs professionnels, être considérés comme des exécutants, c’est pourquoi j’ai été chargé, en leur nom, d’intervenir à la Table Ronde sur « la spécificité et l’avenir de la recherche en éducation».
 
Cette Table Ronde a ouvert le dialogue en chercheurs en éducation et chercheurs d’autres secteurs, décideurs et enseignants de tous les niveaux, formateurs et responsables du monde de la production.
 
 
 
 
 
Table ronde Spécificité et avenir de la recherche en éducation
 
                                                                                            Jean Le Gal
 
Instituteur,
responsable national recherche du mouvement Freinet,   
chargé de cours en sciences de l’éducation à Paris X : innovation en éducation
 
Instituteur du Mouvement Freinet, je parlerai ici au nom des neuf Mouvements pédagogiques et d’Education, qui ont signé un protocole d’accord avec l’INRP et organisé, avec lui, des Assises régionales de l’Innovation et de la Recherche, l’année passée, et préparent, pour janvier, des Assises nationales.
 
C’est dire qu’aujourd’hui, comme hier, car les Mouvements ont une longue histoire qu’on leur reproche parfois, et une continuité, liées étroitement à l’action des pionniers de l’Education nouvelle et à l’école publique, nous nous voulons résolument des lieux d’interaction entre la pratique, l’innovation, la recherche, la formation et la demande sociale.
 
La transformation du système éducatif n’aura pas lieu sans un important effort d’innovation qui mobilise pleinement ceux qui, sur le terrain, en seront les acteurs.
 
Il faut donc libérer l’innovation.
 
Et si la recherche, associée à l’innovation, a un rôle fondamental à jouer, il faut aussi libérer la recherche et considérer que la recherche action par le praticien lui-même, sur son propre terrain, est une nécessité vitale et incontournable.
 
Le praticien ne peut jamais être un simple exécutant, car il est le seul à connaître et à pouvoir tenir compte des paramètres spécifiques à la situation d’enseignement/apprentissage qu’il est chargé de gérer.
 
Pourquoi cette recherche par le praticien serait-elle impossible, comme le prétendent encore certains chercheurs, puisqu’elle existe déjà et que cette recherche inclut activement toutes les personnes concernées et, en particulier, les enfants et les jeunes : il y va de leur droit et de leur dignité.
 
La Recherche est un bien commun. Il ne peut y avoir de monopole de la recherche et nul ne doit déléguer la responsabilité de la recherche à d’autres, quand il s’agit des problèmes qui concernent sa propre vie sociale ou professionnelle.
 
Par conséquent, les acteurs sociaux doivent devenir des praticiens-innovateurs-chercheurs, compétents et responsables, reconnus comme tels, à qui on donne, évidemment, les moyens de le devenir.
 
C’est un vieux débat : les positions de chercheur scientifique et d’acteur social sont-elles conciliables ?
 
Un certain nombre de praticiens, confrontés aux difficultés, ou interpellés par les idées des chercheurs, ou encore par des évènements politiques ou sociaux, se sont mis, et se mettent, en route pour changer leur pratique et s’engagent dans une démarche innovante. Très vite, ils doivent prendre du recul, de la distance, observer, analyser, bref entrer dans un processus de recherche afin d’évaluer les effets de leur action d’innovation.
 
D’ailleurs, peut-on être un praticien en recherche, sans devenir un chercheur sur sa pratique, un praticien-chercheur ?  Praticien-chercheur dont il faudra bien étudier le statut, afin qu’existent la formation et les moyens nécessaires à son action et, particulièrement, à sa coopération avec les autres dans des réseaux où agissent ensemble praticiens-chercheurs, chercheurs, formateurs-chercheurs, spécialistes de diverses disciplines et tous les acteurs sociaux concernés…
 
On ne peut être chercheur dans et sur sa pratique, sans établir des relations avec ses pairs et avec la Recherche, que ce soit de façon directe, dans des réseaux de coopération entre praticiens et chercheurs, ou de façon indirecte par la connaissance des résultats de la recherche.
 
Ainsi le praticien-chercheur, à l’articulation entre la pratique et la recherche, entre la demande sociale et la pratique, a un rôle original et nécessaire à jouer.
 
Une des raisons d’être des Mouvements pédagogiques et d’Education est de constituer, dans et autour de l’école, un vaste chantier de compagnonnage.
 
Dans notre pays, ces Mouvements ont un projet éducatif lié à un projet social et politique fondé sur la liberté, la responsabilité, la justice sociale, la solidarité, la coopération, les droits de l’enfant.
 
Les militants pédagogiques sont donc des praticiens-chercheurs engagés et leur recherche est nécessairement une recherche militante.
 
Recherche et militance est-ce compatible ?
 
Tout projet éducatif véhicule une vision particulière de la société et se réfère à des valeurs, alors peut-on penser une recherche, au service de la transformation du système éducatif, comme le souhaite Jean-Pierre Chevènement, qui ne soit pas engagée ? Mais alors est-elle encore une recherche scientifique ?
 
Quoi qu’il en soit, une politique ambitieuse se doit de mobiliser toutes les forces de recherche, et donc la recherche praticienne, diverse, multiple et féconde, même si le savoir expérientiel, né de la pratique du terrain, et les dispositifs opératoires créés ( techniques, outils,, institutions, structures…) rencontrent encore parfois le scepticisme de certains chercheurs : cette recherche serait empirique, entachée de subjectivisme ; ne présenterait pas les caractères de scientificité requis ; ne respecterait pas les exigences scientifiques…
 
Afin de faire mieux, et cela est toujours possible pour tous, nous souhaitons que les chercheurs nous éclairent sur la notion d’exigence scientifique, sur le statut épistémologique de la recherche en éducation, et nous aident à créer les outils pertinents pour une recherche-action par le praticien lui-même sur son terrain.
 
Nous sommes prêts à participer au défi lancé à la Recherche par Jean-Pierre Chevènement, en entrant dans une grande entreprise coopérative de recherche et d’action.
Nous demandons que les Mouvements pédagogiques et d’Education soient reconnus comme lieux de recherche et de formation et que la recherche praticienne trouve sa juste place dans le nouvel Institut National de la Recherche en Education.
 
Et, pour conclure, dans cette noble enceinte, je citerai Freinet : «  Nous sommes des scientifiques partisans de la permanente recherche et de l’inlassable expérimentation. Nous partons sans aucun parti pris sinon celui d’essayer de voir clair et d’agir rationnellement. » ( Célestin Freinet, « Sommes-nous scientifiques ? » L’Educateur, n°3, oct 1954). 
 
 
 
 


[1] L’ICEM a organisé un débat d’une journée sur la recherche en éducation, à son Congrès de Nanterre en août 1983 (« La Recherche dans le Mouvement Freinet », L’Educateur, Documents, n° 184, juin 1985) et un Séminaire « Pédagogie Freinet et recherche », au Congrès de Villeurbanne en août 1985.
 
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