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Texte de la conférence donnée par Jean-Luc Mahé lors du 18ème salon Freinet, le jeudi 27 mars 2008. Jean-Luc Mahé est psychologue scolaire et psychanalyste, responsable du laboratoire du Centre Interdisciplinaire sur l'ENfant (CIEN) La Passerelle à Saint-Nazaire.

Insécurité langagière et point d’où
Freud et l’école

Jean-Luc Mahé
J’introduirai mon propos avec Freud. Dans sa préface au livre d’August Aichhorn, instituteur et éducateur spécialisé qui dirigea plusieurs institutions accueillant de jeunes délinquants, Jeunes en souffrance Psychanalyse et éducation spécialisée, Freud rappelle les trois métiers qu’il considère comme impossibles : éduquer, soigner, gouverner. Sollicité par la deuxième de ces tâches, il reconnaît n’avoir pris qu’une part modeste à l’application de la psychanalyse au champ de l’éducation. On peut cependant prélever sur le corpus de son oeuvre, deux petits textes à propos de l’école.

Le premier date de 1910 et s’intitule Pour introduire la discussion sur le suicide. Le second, quatre ans plus tard a pour titre Sur la psychologie du lycéen. Que nous dit Freud dans ces deux textes et qu’est-ce que cela nous apprend sur l’école ?

Dans le premier de ces textes qui a trait à la question du suicide, Freud écrit que le lycée doit apporter aux jeunes gens l’envie de vivre. Il doit leur offrir soutien et point d’appui à une époque de leur vie où ils sont contraints, par les conditions de leur développement, de distendre leur relation à la maison parentale et à leur famille. Il constate qu’à cet endroit le lycée reste en deçà de sa tâche : offrir un substitut à la famille et éveiller l’intérêt pour la vie à l’extérieur, dans le monde. Il conclut son article en affirmant que « l’école ne doit jamais oublier qu’elle a affaire à des individus encore immatures, auxquels ne peut être dénier le droit de s’attarder dans certains stades, même fâcheux du développement. Elle ne doit pas revendiquer pour son compte l’inexorabilité de la vie, elle ne doit pas vouloir être plus qu’un jeu de vie. »

Le second texte concerne la relation des élèves à leurs professeurs. Il dégage, à partir de ses propres souvenirs de lycéen, un premier point qui concerne l’éveil d’une tâche qui de l’état de pressentiment ne s’ébauchant d’abord qu’à voix basse, émergea à la fin de ses études et qu’il parvint à « vêtir de paroles sonores » : « je voulais apporter dans ma vie une contribution à notre savoir humain. »

Le second point concerne donc l’orientation vers le savoir. Le chemin vers celui-ci, nous dit Freud, passait uniquement par les personnes des maîtres. Un courant souterrain jamais interrompu se portait vers ces derniers. Freud nous explique ensuite comment se fraie ce chemin vers les maîtres, à partir de la chambre d’enfant. Après avoir surestimé sa relation au père, dans la première moitié de son enfance, l’enfant commence à regarder au-dehors dans le monde réel et fait des découvertes qui ruinent cette haute estime originaire du père et favorisent son détachement d’avec ce premier idéal. L’enfant a donc à faire la dure expérience que son père n’est pas le plus puissant, le plus sage, le plus riche. Il cesse d’être satisfait à cet endroit et apprend à le critiquer et à le classer socialement. Il s’ensuit une déception que l’enfant fait payer à son père. Il est amené à opérer alors un détachement d’avec le père. C’est là l’effort imposé à la nouvelle génération d’avoir à se détacher de cette autorité. C’est dans cette phase de développement que se situe sa rencontre avec les maîtres. Et Freud conclut alors par cette explication : « Ces hommes qui n’étaient même pas tous pères eux-mêmes, devenaient pour nous un substitut paternel. (…) Nous transférions sur eux le respect et les attentes tournés vers le père omniscient de nos années d’enfance, et nous commencions à les traiter comme nos pères à la maison. Nous leur adressions l’ambivalence que nous avions acquise dans la famille, et à partir de cette position nous luttions avec eux, comme nous avions l’habitude de lutter avec nos pères charnels. Sans référence à la chambre d’enfant et à la maison familiale notre comportement à l’égard de nos maîtres ne saurait être compris, mais pas davantage excusé. »

Les deux textes de Freud sont minces, à peine quelques pages pour l’un et l’autre. Mais ils disent l’essentiel sur deux points.

D’une part, Freud nous apprend que l’école est le lieu d’une expérience d’un transfert particulier. Dans la cure analytique, expérience qui relève de l’ordre du privé, le psychanalyste est mis en position de « sujet supposé savoir » inclus dans la demande qui lui est adressée. C’est là la définition du transfert au sens analytique du terme. Mais hors de la psychanalyse, à l’école en particulier, un transfert surgit également qui prend appui sur la personne des maîtres. Pour peu que cette rencontre soit réussie, et ce fut le cas pour Freud, ce courant souterrain éveille l’amour de l’élève pour le savoir.

D’autre part, l’école ne doit pas être impitoyable ou implacable à l’égard des élèves. Elle a à tenir compte de ce que Freud nomme le « fâcheux ». C’est, pour reprendre l’expression de Philippe Lacadée, « la version freudienne de l’échec scolaire ». Devant ce « fâcheux », Freud nous invite, non pas à reculer ou démissionner, mais à nous situer et à nous faire responsable.

Jeu de vie ou jeu de mort ?

L’école peut parfois, pour certains élèves, être le lieu d’un jeu avec la mort. Cela a été le cas à un moment donné pour Andy, dont je voudrais vous parler maintenant. Elève dans un CE2, Andy est un garçon intelligent, qui n’a pas de problème de compréhension. Mais Andy est agité. Il bouge et se déplace dans la classe. Son enseignante n’arrive pas toujours à freiner cette agitation. Depuis le début de l’année, il entre souvent en conflit avec son enseignante qu’il aime bien par ailleurs. Ce jour-là, Andy entre en classe en tirant son cartable qu’il a attaché à son pied. Il entre ainsi et l’enseignante le prévient qu’au moindre écart, il ira dans la classe d’à côté. L’écart surgit très vite ce matin-là. Pour ne pas perdre la face et conserver son autorité, l’enseignante décide de l’exclure. Andy la supplie de n’en rien faire. Elle ajoute qu’elle l’a suffisamment prévenu et qu’en conséquence il est puni. A ce mot de punition, Andy n’en peut plus. Il décide alors de passer à l’acte. Puisqu’elle l’oblige à aller dans une autre classe, il quitte la scène de la classe et s’en va. Il sort et fugue. La classe est située au premier étage. Il enjambe la rampe de l’escalier et se suspend dans le vide, menaçant de se suicider. Affolements, cris de l’enseignante. Un collègue accourt et ils ne sont pas trop de deux pour extraire Andy du vide dans lequel il menace de disparaître. Le soir, il sera hospitalisé après une autre crise au CMPP, adressée à sa mère qui à son tour, devant la psychologue, brandissait la menace de la punition. Le mot « punition » résonne ici comme un signifiant qui déclenche son passage à l’acte. C’est à l’enfer de ce mot, chargé de jouissance, que fait réponse son acte. Le passage à l’acte c’est une sortie de la scène où le sujet se trouvait arrimé à l’Autre. Dans le passage à l’acte, il y a séparation radicale entre le sujet et l’Autre. Un signifiant entendu et proféré par l’Autre, ici le signifiant « punition », agit comme persécuteur et peut provoquer chez le sujet son éjection de la scène de l’Autre. Le jeu de vie a failli se retourner en un jeu de mort. Depuis cet épisode fâcheux, Andy est retourné à l’école. Il est désormais accueilli dans la CLAD de l’école le matin et dans une autre classe l’après-midi. La pression est retombée. Il suit le programme du CE2 puisqu’il n’a pas de problème de compréhension. Simplement son nouveau maître accepte mieux ses déplacements dans la classe qui lui sont nécessaires à certains moments. Andy peut bouger sans que cela nuise à ses apprentissages. Un accueil est fait à la dimension du corps. Un autre nouage opère entre le corps et le langage davantage en adéquation avec la problématique subjective d’Andy.

Qu’est-ce que le langage ?

Le langage, je vous propose cette définition, c’est ce qui permet d’appareiller la jouissance du corps vivant. Jacques Lacan a créé un néologisme pour nous rendre intelligible cette dimension. Il dit que l’être humain est un parlêtre. Dans parlêtre, on peut entendre « parler » et « être », un « être de parole ». L’être est à situer du côté du vivant, du corps et la parole du côté du symbolique, du langage. On a l’être d’un côté et le symbolique de l’autre. La conjonction des deux fait émerger le sujet, par cette prise du symbolique sur le vivant.

L’ordre symbolique préexiste à la naissance du sujet. Il est là avant que nous advenions au monde. Le moyen le plus simple pour saisir cette antériorité du symbolique nous vient du nom. Vous n’avez pas choisi votre nom. Il vous a été donné à la naissance. Il vous précède et constitue votre identité que vous n’aurez de cesse de décliner par la suite chaque fois qu’elle sera convoquée. Nous ne sommes donc pas maître du langage, nous en subissons les effets.

Le philosophe allemand Martin Heidegger considérait pour sa part que le langage était l’habitat de l’être humain. Cette question demeure primordiale. Pour l’illustrer, j’emprunterai un exemple à l’univers des contes enfantins : les trois petits cochons, dont je proposerai ici une interprétation. Dans ce conte, trois petits cochons ont à affronter un loup qui menace de les dévorer. Chacun d’entre eux construit une maison qui, pour les deux premiers s’avère impuissante à résister aux assauts du prédateur. Seul le troisième parvient à se constituer un habitat suffisamment sécurisant pour échapper au souffle destructeur.

Eh bien je poserai ici l’hypothèse que le loup représente la figure féroce de la pulsion, de cette jouissance qui menace à tout moment de rompre les digues, du réel en jeu pour chaque sujet. La maison métaphorise précisément cet habitat langagier à l’abri duquel le sujet peut se ramparder contre les assauts du réel, qui le menace. C’est parce qu’il dispose d’un habitat sécurisant que le troisième petit cochon peut se sortir d’affaire. Ce conte nous fait saisir qu’il existe des structures langagières plus fragiles que d’autres, ce qui nous amène à poser qu’il n’y a d’insécurité que langagière.

L’insécurité langagière

Ce terme d’insécurité langagière, je l’emprunte à Joseph Rossetto, principal du collège Pierre Sémard à Bobigny, qui accueille des élèves de plusieurs dizaines de communautés linguistiques différentes. Il a imaginé une école de l’expérience où les apprentissages sont conçus dans un dialogue interdisciplinaire et où la langue prend corps dans des projets culturels et artistiques. Une école également où le corps a droit d’expression et de cité dans les apprentissages. Au cloisonnement traditionnel des disciplines et des apprentissages, Rossetto oppose une école qui est un pont entre le dedans et le dehors. La dimension du voyage y est essentiel : voyage à l’intérieur des mots et de la langue, mais aussi voyage géographique vers un ailleurs qui représente la mémoire de l’humanité et s’inscrit dans la culture et la civilisation, en Italie ou en Grèce par exemple. Chacun de ces voyages est une invitation à sortir de son espace intime et à s’ouvrir à la dimension de l’Autre et de l’étranger à soi. Chaque projet est conçu comme une traversée qui conduit l’élève, selon la belle expression de Rossetto, « jusqu’aux rives du monde ».
Cette école de l’expérience a été pensée à partir d’un constat : la perte de la culture. Les jeunes des cités ont, comme les autres, à se détacher de leurs origines, à s’éloigner de leurs parents. Pourtant, ce que constate Rossetto, c’est qu’ils perdent leur culture sans s’inscrire pour autant dans une autre. Ils rompent avec la tradition en cherchant de nouvelles formes de vie et ils trouvent le plus souvent des modèles et des modes véhiculés par la télévision et les médias. La rupture avec l’histoire s’accompagne de la perte de la langue maternelle qui pousse ces adolescents à trouver d’autres références. Cette difficulté à s’inscrire dans un ordre symbolique participe à leur intolérance à la frustration et au sentiment de toute puissance dans des familles confrontées à la modernité qui n’ont plus les moyens de poser des limites. Le divorce avec l’école est consommé car les savoirs de l’école sont davantage proposés comme des objets d’érudition déconnectés de la vie. Ils ne répondent plus aux motivations de ces adolescents. A cette insécurité culturelle répond une insécurité langagière. Voici ce qu’écrit Rossetto à ce sujet : « On leur a pris leur langage et leur mémoire, c’est-à-dire la passion des autres et du monde. D’un coup, c’est comme par une voie d’eau, la vie est sans adjectif, le corps devient le dernier recours pour obtenir un peu de pouvoir dans la vie quotidienne. La parole est ramenée au cri. Les mots n’ont plus de terre. C’est ainsi que beaucoup d’enfants échouent, car le langage écrit prédominant à l’école implique que l’enfant mette à distance ses pulsions au profit du travail à faire avec les autres. »

A cette insécurité langagière repérée par Rossetto et corrélée à une précarité du symbolique, souvent articulée à une précarité sociale, Philippe Lacadée, psychanalyste, ajoute un complément tout à fait important.

Au moment de l’adolescence, le sujet a à faire face à un nouveau réel du fait de l’irruption de la sexualité et de nouvelles exigences de la pulsion. Le langage, qui dans le temps de l’enfance tenait amarré à des fictions enfantines, ne tient plus le coup devant les assauts de la pulsion. Les métamorphoses du corps s’accompagnent parfois d’une désarticulation du langage. Le sujet adolescent a donc à calculer autrement sa position dans l’Autre. Le véritable lieu de son insécurité langagière se trouve là où les mots lui font défaut pour dire ce réel qui surgit. C’est à un exil qu’est confronté l’adolescent, l’exil de sa propre jouissance qui au lieu de faire rapport à l’Autre, l’exile dans une solitude qu’il ne peut dire à l’Autre. C’est là le véritable lieu de son insécurité langagière. La rencontre avec la sexualité révèle toujours un trou dans le savoir. Ce troumatisme de la sexualité fait trou dans le réel.

J’ouvre ici une parenthèse pour différencier cette insécurité langagière de l’insécurité linguistique dont parle Alain Bentolila. « La différence est ici importante, écrit Lacadée, car il ne s’agit nullement de forcer les jeunes à acquérir un capital linguistique en les incitant à rejeter leur langue d’origine ou celle qu’ils s’inventent. Au contraire il s’agit de prendre appui sur leur langue à eux, celle qu’ils ont su rendre vivante, afin qu’ils puissent en faire un usage différent les conduisant à savoir mieux user de la langue du sens commun. C’est pour cela qu’il est important de créer avec eux, et pour eux, des lieux de conversation, des lieux de parole, des lieux où, de prendre la parole, ils ne soient plus confrontés à l’insécurité langagière qui n’est pas une insécurité linguistique, mais une insécurité face à une prise d’énonciation avec les mots de la langue de l’Autre. »

Cette insécurité langagière apparaît dans le très beau film d’Abdellatif Kechiche, L’esquive, que nous avons eu le plaisir de voir hier soir. On la voit à l’oeuvre chez Krimo dans l’impasse où il reste, muré dans sa langue privée, privée de toute possibilité de symboliser un manque en s’articulant dans la langue de l’Autre et à l’autre. La position de Krimo illustre ce que peut être une insécurité langagière lorsqu’on refuse les mots de l’autre. Il y a du trop en lui. Il est trop effacé, trop taiseux. Il n’arrive pas à se séparer de cela et c’est ce qui amène sa professeur à lui hurler « de sortir de lui-même ». Au fond, ce que nous apprend Krimo, c’est qu’il n’y a qu’un seul langage : celui qui permet de faire passer l’intérieur à l’extérieur, pour dire à l’autre ce qu’on pense, pour répondre au professeur ou pour draguer et séduire Lydia. (Lacadée)

C’est aussi à une impasse qu’était confrontée Lucas, un jeune lycéen que j’ai rencontré à mon cabinet. Il se trouvait en première à ce moment-là. C’était plutôt un bon élève. Subitement, ses notes se sont mises à chuter. Au cours du troisième entretien, Lucas me dira ce qui causait cette baisse. Pendant les cours, des pensées qu’il ne pouvait pas contrôler surgissaient. C’étaient des pensées érotiques, des fantasmes où il se voyait faire l’amour avec des filles. Il se demandait s’il n’était pas fou, si tout cela était bien normal. Vous voyez « la souffrance bizarre » comme disait Rimbaud, dans laquelle il était pris. Le professeur est au tableau, fait son cours, écrit des formules mathématiques et la pensée de Lucas n’arrive plus à se concentrer dessus. Elle vagabonde au gré de ses fantaisies érotiques qui le parasitent et l’amènent à se sentir étranger à lui-même : « Suis-je normal ? » me demande-t-il. Il convient donc de pouvoir offrir à ces jeunes un lieu où ils vont pouvoir venir déposer ce qui fait souffrance dans leur corps ou leur pensée. Leur offrir un point d’appui pour pouvoir dire au plus près de leur être ce qui leur arrive.

Le point d’où

Ce point d’appui c’est ce que Lacadée propose de nommer « le point d’où ». C’est la fonction dévolue à ce que Lacan a conceptualisé sous le terme de Nom du Père. « Le Nom du Père introduit à la sortie de l’OEdipe à la constitution d’idéaux à partir du processus d’identification et ouvre à la construction par le sujet de sa réponse singulière. L’idéal du moi, comme trait calculé sur cette fonction paternelle, équivaut au point de capiton qui stabilise le sentiment de la vie, et donne au sujet son lieu dans l’Autre et sa formule. Là est le point d’appui, le « point d’où » l’adolescent peut se voir digne d’être aimé voir aimable pour un Autre qui sache dire que oui au nouveau, au réel de la libido qui surgit en lui. C’est à partir de ses points d’appui qu’il convient de déchiffrer d’une autre façon les moments de fugues et d’errances de l’adolescence. »

C’est ce que tente de faire Romain qui s’est absenté du collège depuis un an. Il était en quatrième l’an passé quand il s’est trouvé à un moment dans l’incapacité de s’y rendre quotidiennement. Il n’y va plus du tout aujourd’hui. Il vient de temps en temps à mon cabinet, mais là encore c’est précaire. Je peux ne pas avoir de ses nouvelles pendant deux mois et puis, il m’appelle pour venir me parler. La dernière fois que je l’ai vu, il me faisait part précisément de ce point d’où : « J’ai trop de choses dans la tête. Il n’y a pas de point fixe. C’est confus. » C’est ce défaut de « point fixe » qui l’empêche pour le moment de retourner au collège. Ce n’est pas un jeune indiscipliné, fauteur de troubles. Il apprécie plutôt ses professeurs, bien qu’il reconnaisse « qu’on nous bourre le mou aujourd’hui avec les diplômes qui ne sont plus suffisants pour trouver un emploi. » C’est également un jeune cultivé et très curieux. Le savoir il va le chercher sur internet. C’est un accroc d’internet. Il y passait ses nuits, à converser avec d’autres en France et à l’étranger ou à participer à des jeux en réseau. Je dis « passait » parce que sa mère a décidé de le lui retirer, sans que ça modifie pour autant à ce jour sa position vis-à-vis de l’école et du savoir. Romain nous ouvre à ces nouvelles formes d’addiction que l’on voit surgir aujourd’hui, et auxquelles les jeunes sont particulièrement voués. Ce que dévoile l’addiction, c’est comment le sujet vient corrélé son être à un objet de jouissance. Le sujet, qui est manque-à-être, trouve à combler ce manque au moyen d’un objet. C’est ce qui a amené Jacques-Alain Miller à proposer le mathème de la modernité : a > I. a représente l’objet et I l’idéal du moi qui se déduit de la fonction paternelle. Notre modernité, nommée par certains philosophes aujourd’hui postmodernité ou encore hypermodernité, se déduit de ce déclin du père. Nous sommes entrés dans un temps et nous vivons dans des sociétés que je qualifierai de « sociétés au-delà du père ». La fonction de régulation qu’assurait la fonction paternelle n’opère plus de la même façon. Les signifiants de la tradition que véhiculait cette fonction, qui assignait une place et un rôle bien définis dans la famille, à l’école, au travail ont subi une forme de dérégulation qui semble aller s’accentuant chaque jour. Face à cette fuite du sens, le sujet contemporain est conduit à chercher refuge dans une joui-sens, un sens joui et on peut dire que le nouvel impératif des temps modernes est : « Jouis ! ». De là, ce commandement à la consommation qui amène le sujet à s’aliéner à quantités d’objets supposés lui apporter le bonheur. C’est à ce nouveau défi qu’a à faire face l’école d’aujourd’hui. Ou bien laisser le sujet se rassasier de ces petits objets qui le coupent toujours davantage de l’Autre dans un court-circuit de jouissance. Ou bien proposer des voies nouvelles, plus longues, pour que le sujet en passe par le circuit de l’Autre comme porteur d’un savoir.

Une école à inventer

Je proposerai six points pour une autre école, une école que je qualifierai de pas toute totalisante, c’est-à-dire qui s’oriente de l’incomplétude plutôt que de l’idéalisation, qui accorde de l’importance au point de non savoir plutôt qu’au savoir absolu.

Premier point : une école qui fasse accueil

La classe peut être un lieu d’ouverture ou un lieu de fermeture selon qu’on parie sur l’Autre ou qu’on le rejette. C’est le lieu où se rejoue pour chacun ce qui fait la base du lien social, soit la fonction d’appel à l’Autre qui comporte le fait d’être accueilli dans une classe.

Classe vient du latin classis – appel – qui se rattache à calare – appeler -. Or, le langage se structure essentiellement sur sa fonction d’appel et d’articulation à un autre. On doit articuler un mot à un autre pour dire au plus juste ce que l’on veut dire mais aussi on s’adresse à un autre qui offre la présence de son être, pour soutenir cette fonction d’appel de la parole. C’est la fonction qu’entrevoyait Freud quand il parlait d’un jeu de vie, un jeu de vie qui ouvre à la vie de l’esprit (Lacadée).

Deuxième point : une éthique du sujet et de la parole contre une politique des choses, du chiffre et de l’évaluation

Depuis vingt ans, l’école est colonisée par l’évaluation. Les enseignants sont aujourd’hui condamnés à une culture du chiffre. Remarquons que désormais plus personne n’y échappe. L’évaluation a infiltré tous les discours et toutes les sphères de l’activité humaine.

Jacques-Alain Miller soulignait récemment que le chiffre est la garantie de l’être. Si le trou dans le savoir est de structure, l’évaluation, comme nouvelle religion, vise à produire un comblement de ce trou. C’est en effet à une fétichisation du chiffre à laquelle on assiste.

Or, le chiffre s’oppose à la nomination. Là où l’action de nommer nécessite un long détour par l’articulation, le chiffre offre cet avantage d’une économie de moyens. C’est d’ailleurs souvent un objectif de diminution des moyens qui prévaut aux instances des statistiques. On enregistre des résultats chiffrés, on fait des statistiques et on redéploie ou on supprime des moyens. Tout cela conduit naturellement à un certain anonymat où l’individu compte comme Un quelconque pris dans une liste ou une population. L’être de l’humain se trouve ainsi réduit à être une chose. Les jeunes reprennent d’ailleurs ce signifiant. Ils disent : « il ou elle me calcule ou me calcule pas. »

Eh bien, il va nous falloir résister pour faire reculer cette idéologie de la quantification.

A l’opposé, il nous faut promouvoir une école du sujet. Le sujet n’est pas calculable. Il y a en chacun une part d’incalculable, d’imprévisible. L’évaluation a une valeur de prédiction. Elle assigne le sujet à résidence en le fixant à une place qui entend prédire de son avenir. On a même voulu il y a quelque temps évaluer tous les enfants de trois ans pour déceler chez certains le futur délinquant à l’adolescence. C’est la forte mobilisation de « Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans » qui a fait reculer les experts qui nous avaient concocté cette monstruosité digne du Meilleur des mondes d’Huxley ou de 1984 d’Orwell. Le sujet résiste à toute tentative d’éradication de son être. Il me semble qu’il nous faut donc faire émerger une école du manque-à-être, qui laisse une chance au sujet et à son désir de se constituer, contre toute politique de réduction qui calculerait son être sur une valeur, qui n’aurait pour horizon que la valeur marchande.

Troisième point : une école de l’expérience et du projet

J’ai évoqué précédemment l’expérimentation pédagogique que mène Joseph Rossetto dans son collège à Bobigny. Ce n’est qu’un exemple d’une école parmi d’autres qui cherche à inventer aujourd’hui un autre mode de rapport au savoir avec les élèves.

Je dégagerai toutefois quelques pistes à partir de cette expérience.

A l’école traditionnelle, le savoir est constitué comme absolu. Il se transmet du maître à l’élève selon un schéma descendant, de celui qui sait à l’ignorant qu’il s’agit d’enseigner.

A l’école de l’expérience et du projet, le savoir n’est pas seulement considéré comme un objet d’érudition à acquérir, mais aussi comme se constituant et se construisant dans des expérimentations et des recherches autour de la notion de projet : que ce projet soit à dimension artistique ou scientifique. Une alliance se tisse entre l’enseignant et les élèves. La classe devient alors, selon la belle expression de Rossetto, une « communauté de chercheurs » où chacun a sa place. La place de l’expérimentation reste essentielle. Elle engage l’élève dans sa globalité. Le corps et la pensée sont mobilisés. L’élève est autorisé à se tromper, à chercher, à faire trouvaille. C’est pour cela que des projets qui laissent place à la création et à une production sont intéressants. Outre qu’il s’agit de s’investir dans un temps long et donc de re-découvrir les valeurs de la patience, de travail, de la rigueur, ces projets offrent un gain de re-connaissance aux élèves qui voient ainsi leurs efforts récompensés dans le spectacle ou l’exposition. La connaissance et le savoir prennent alors sens puisqu’il s’agit d’adresser à l’Autre les résultats de l’expérience. Le travail ne reste pas clos sur lui-même, il est donné à voir et à entendre. Et cela ne nuit pas aux résultats. Au collège Pierre Sémard, les résultats comparés aux évaluations à l’entrée en sixième et au brevet des collèges montrent que les élèves ont progressé. Classé en 80e position en 2003 aux résultats d’entrée en sixième au niveau départemental, le collège se hisse au 20e rang quatre ans plus tard à la sortie de la troisième. C’est donc que cette école de l’expérience produit des effets structurants en termes d’apprentissages et de savoir.

Il importe également de faire dialoguer les disciplines entre elles. Le savoir ne se saucissonne pas. Notre école est archaïque à cet endroit. Faire converger le français, les arts plastiques, l’EPS, les sciences, en cassant l’emploi du temps et en offrant des plages de temps suffisantes pour aider à une élaboration est possible dans de tels projets. Défaire le temps pour le recomposer autrement et permettre au processus de création d’advenir demande bien sûr un étroit travail de coopération entre enseignants.

Quatrième point : une école de la langue vivante

La langue demeure le vecteur essentiel de tels projets. On peut toujours réfléchir sur la langue, sa structure, la grammaire, le vocabulaire, la conjugaison, c’est-à-dire sur sa fonction de communication. Mais la langue ne se réduit pas à cela. Toute langue se vit d’abord dans un corps à corps avec elle. La langue est nouée au corps. En ce sens, elle est matière. Lacan a parlé de « motérialité » du signifiant, en attirant notre attention sur le fait que le mot est d’abord entendu avant le sens. La langue est aussi porteuse d’équivocité et ouverte à la polysémie. La poésie en rend compte. C’est pourquoi, il importe de redonner à la langue du jeu. Le jeu avec les mots, le goût des mots, l’amour de la langue sont très importants. Faïza Guène dans son livre « Kiffe- kiffe demain » témoigne de cette rencontre avec la poésie et les mots. Elle dit que ce qui l’a soutenue pendant des années dans son désir de vivre malgré les difficultés qu’elle rencontrait dans sa cité, ce sont deux choses : sa psychothérapeute et les poésies de Rimbaud que lui récitait Hammoudi, un grand de la cité, auxquelles elles ne comprenait rien, mais qu’elles trouvaient très belles. « Il incarnait pour elle, du fait de cette lecture à voix haute, au pied du seul arbre de la cité, le « point d’où » elle pouvait alors se voir aimable, digne d’être aimée. Ce « point d’où » est ce qui lui a permis de se voir séparée un moment d’une forme d’errance et de se sentir moins seule, au contact d’un monde de mots différents de ceux qu’elle connaissait dans sa cité. » (Lacadée)

Je participe actuellement à une expérimentation dans une école maternelle. J’ai proposé à une enseignante de grande section de venir faire la conversation avec ses élèves. Tous les lundis après-midi, on se retrouve, en petit groupe (il y a six enfants par groupe) et nous parlons ensemble.
Ces conversations ne sont pas des ateliers de communication tels qu’Alain Bentolila les définit dans le rapport qu’il a remis au ministre Xavier Darcos en décembre dernier (La maternelle : au front des inégalités linguistiques et sociales). Pour Bentolila, les enfants pâtiraient d’un manque de mots. Ils seraient les enfants du malentendu, ayant noué avec le langage un malentendu fondamental. Il leur manquerait « l’idée de ce qui légitime et justifie l’effort et le soin de la mise en mots », ainsi que « la volonté de laisser une trace d’eux-mêmes sur l’intelligence d’un autre ». Le terme de « degré de lucidité » se trouve également promu par Bentolila pour exprimer une part importante des inégalités à l’entrée en maternelle. Bentolila révèle ainsi la conception qu’il se fait de la langue, comme « prise sur le monde » et « pouvoir linguistique et intellectuel à revendiquer sur les autres ». La maîtrise de la langue aurait donc pour visée l’exercice d’un pouvoir. Il s’agit d’une conception très imaginaire où la langue est réduite à sa fonction de communication et demande à être réfléchie pour être conscientisée. Le rapport propose d’ailleurs de définir « les droits et les devoirs de la communication » pour améliorer ce degré de lucidité au travers « d’ateliers de communication » où il sera expliqué à l’élève à quoi sert le langage et ce que l’on peut en attendre pour une meilleure efficacité du message.

Ce que méconnaît en fait fondamentalement Bentolila, c’est que nous ne sommes pas maîtres du langage. C’est le signifiant qui commande et nous n’en sommes que les serviteurs. À l’enfant du malentendu, nous préférons le malentendu de l’enfant, au sens où Jacques Lacan définissait ce malentendu : « Je ne dis pas que le verbe soit créateur. Je dis tout autre chose que ma pratique le comporte : je dis que le verbe est inconscient – soit malentendu. »

Les conversations que soutient le CIEN (Centre Interdisciplinaire sur l’ENfant) ne sont pas des ateliers de communication. La langue y est accueillie dans son malentendu. Nulle volonté de rééducation, nulle visée normative ne prévaut à l’horizon. L’amour de la langue et le goût des mots l’emportent sur toute emprise à son endroit. Les dits de l’enfant se déposent comme autant de pépites qui scintillent. Les mille et une fictions de l’enfant se tissent dans les mots pour que la langue vive encore. Ce n’est pas « un mot nouveau par jour », comme le préconise Bentolila dans son rapport, mais « une journée de plus pour la langue vivante ». La langue est faite d’éclats : des éclats de dire qui se prolongent en autant d’éclats de rires devant la trouvaille, le nouveau, la surprise. La langue distingue chaque enfant qui se risque dans la parole. Un trait se dessine et saisit au plus près du dire ce qui se dit à l’insu du sujet qui parle, révélant ainsi que parler c’est avant tout être parlé.

Dans une conversation que j’ai avec ces enfants de grande section, Elina, petite fille vive et décidée, prend d’emblée la parole pour répondre à ma question.
Jean-Luc – Qu’est-ce que ça veut dire qu’on va faire la conversation ?
Elina – Ça veut dire qu’on va disputer.
Jean-Luc – Disputer ?
Elina – Oui, se disputer c’est quand on parle.

Le mot a jailli. Parler, c’est disputer. Et Elina a raison puisque disputer est emprunté au latin disputare qui signifie « discuter ». La disputatio, «discussion », a servi à désigner un débat très animé, spécialement une discussion publique sur un sujet de théologie. Mais surtout, ce mot qui s’est échappé de la bouche d’Elina, en dit plus que « discuter ». Car Elina est une petite fille qui se dispute souvent avec ses camarades. Elle s’en plaint par ailleurs dans nos conversations, commençant ainsi à nommer une partie de son symptôme. Elle se trouve prise, comme tout sujet parlant, dans les rets du signifiant. À la place de « discuter », c’est « disputer » qui fait effraction et ce lapsus vient révéler quelque chose de son être de jouissance.

Je pourrais multiplier les exemples de ce type où c’est le malentendu qui prévaut comme dans cet énoncé de Swann : « J’ai un bébé quand j’avais cinq ans. » (cf. la conversation ci-dessous). L’énoncé de Swann (« J’ai eu cinq ans avant que mon bébé sort. ») déclenche la dispute entre lui et Tristan. Pour Tristan, c’est impossible. On ne peut pas avoir de bébé quand on est au CP. Il faut attendre d’être adulte. Mais Swann insiste. Il s’explique et « c’est pas si dur » à comprendre. S’il y a une maman et deux papas dans la même famille, « ça se peut ». Il suffit qu’il y ait maman, papa et… Swann comme deuxième papa. Alors là, tout devient possible et « j’ai un bébé quand j’avais cinq ans ».

Dans ces conversations, les enfants parlent des sujets qu’ils veulent. Il n’y a aucune visée pédagogique dans mon intention, simplement être là avec eux, et ensemble se risquer au jeu de la parole et du langage dans une interaction et une écoute à la fois. Dire dans une adresse à l’Autre et entendre dire ce qui vient de l’Autre. Eh bien, je vous assure que le résultat est surprenant. Une petite fille qui ne parlait pas en classe se met tout à coup à articuler les mots pour dire au plus près ce qu’elle pense. D’autres argumentent et s’opposent dans un jeu dialectique quant à savoir si on peut faire des enfants à six ans. D’autres encore parlent de l’amour, de ce qu’ils ressentent de la rivalité amoureuse à l’autre et des souffrances que génèrent déjà dès cinq ans le fait d’être éconduit ou délaissé. Tous les thèmes sont abordés au gré de leurs désirs, de ce que l’un ou l’autre amène. Mon rôle consiste à faire rebondir le dialogue, la conversation, à ce qu’ils articulent un mot à un autre pour se représenter dans le langage. Et les effets sont visibles ailleurs puisque les parents sont surpris de ce que leurs enfants poursuivent le soir à la maison des discussions avec eux. Ces conversations permettent de donner un petit coup de pouce à la langue pour que celle-ci soit vivante et s’incarne dans le corps. L’enseignante a constaté que ces conversations ont « déplacé le groupe ». J’interprète cela en disant qu’en fait ils se sont déplacés dans la langue. Les conversations ont créé de l’entre eux, c’est-à-dire qu’elles ont créé un espace entre eux. Là où auparavant, le corps et l’imaginaire dominaient, la conversation a permis de créer un trou, un vide entre eux d’une part, et entre eux et l’enseignante d’autre part. L’enseignante note que désormais quand elle s’adresse à eux, il y davantage d’humour et de distance dans leur prise d’énonciation. C’est aussi ce que constate le père d’un de ces enfants, qui assure que désormais son fils prend position. Prendre position dans la langue, c’est également ce que dit Lydia dans le film L’esquive. Elle parle pour prendre position.

Cinquième point : une école de la coopération plutôt qu’une école de la compétition

L’évaluation individuelle conduit à la compétition entre les élèves. L’école du projet génère la coopération entre les élèves. Il s’agit donc d’installer dans la classe de l’entre eux plutôt que du un tout seul. Et de développer toutes les formes d’entraide. Dans la classe dont je viens de vous parler, l’enseignante a souhaité accueillir en même temps des petits et des grands. C’est formidable de constater les effets que cela produit. Les grands aident les petits. Ils sont ainsi responsabilisés. Et ça les aide également à grandir. On se trouve là dans un co-apprentissage en même temps qu’une co-éducation. Le climat de la classe est serein. Les enfants sont en confiance. Les rythmes de chacun sont préservés. On est éloigné de toute opération de dressage à laquelle aboutit inévitablement un enseignement basé uniquement sur la domination.

Sixième point : une école où les professeurs se font responsables de leurs actes

Pour conclure, je voudrais souligner l’importance des professeurs. On pourra toujours avoir l’illusion que le savoir ou les apprentissages peuvent s’effectuer sans la présence des professeurs. Je dis illusion parce qu’à l’heure d’internet et de l’extension des moyens de diffusion du savoir, la tentation pourrait en saisir certains d’un apprentissage qui s’effectuerait directement de la machine à l’élève. C’est ce que me dit Romain qui va chercher le savoir sur Wikipedia et qui me fait ainsi savoir qu’on peut se passer de l’Autre pour apprendre. Je crois que c’est une solution en impasse. Le désir de savoir s’articule au savoir de l’Autre. Ou encore pour reprendre le Lacan hégélien, le désir est le désir de l’autre. Il convient que les enseignants soient des êtres désirants pour que les élèves puissent accrocher leur désir au leur. La difficulté avec certains jeunes aujourd’hui vient précisément de qu’ils mettent entre parenthèses ce savoir qui vient de l’Autre. Il faut bien saisir l’impasse logique dans laquelle ils se trouvent et donc leur offrir la garantie de notre être d’enseignant. Pour cela, il faut savoir accueillir de la bonne manière les impasses du sujet, le « fâcheux » qui menace toujours. C’est ce que nous essayons de mettre en place au CIEN dans les laboratoires inter-disciplinaires avec des enseignants. Là, des professeurs tentent d’élaborer des réponses et de ré-inventer leur métier à partir de ces points d’impasse qu’ils rencontrent dans leurs pratiques quotidiennes avec des élèves en s’orientant d’une position de non savoir, la seule qui vaille pour que du nouveau demeure possible dans la classe. Supporter sa propre faille et celle de l’Autre pour se faire responsable de ses actes.

Jean-Luc Mahé

Bibliographie
Aichhorn, A., Jeunes en souffrance – Psychanalyse et éducation spécialisée, Champ social, Nîmes, 2005.
Freud, S., « Pour introduire la discussion sur le suicide », Résultats, idées, problèmes I 1890 - 1920, PUF, Paris, 1984.
Freud, S., « Sur la psychologie du lycéen », Résultats, idées, problèmes I 1890 – 1920, PUF, Paris, 1984.
Heidegger, M., «…L’homme habite en poète… », Essais et conférences, tel Gallimard, Paris, 1980.
Lacadée, P., Le malentendu de l’enfant, Payot, Lausanne, 2004.
Lacadée, P., L’éveil et l’exil, Cécile Defaut, Nantes, 2007.
Lacan, J., « Le Malentendu », 1980, Ornicar ? , no 22/23, Lyre, Paris, 1981.
Rossetto, J., Une école pour les enfants de Seine-Saint-Denis, L’Harmattan, Paris, 2004.
Rossetto, J., Jusqu’aux rives du monde – Une école de l’expérience, Coffret livre-DVD, Striana, Paris, 2007.

Fragment de conversation : « à quel âge on peut avoir des bébés ? »
Tristan – On peut parler un peu d’amour ?
Jean-Luc – Oui.
Marine – Moi je suis amoureux de Tristan, mais Tristan en fait il est amoureux de Perrine.
Tristan – Ben oui, n’importe quoi !
Jean-Luc – Ça fait un moment déjà.
Tristan – Ça fait déjà un an qu’on est amoureux.
Jean-Luc – Ça fait un an et ça va durer encore longtemps…
Perrine – Pour avoir des bébés…C’est quand on est grand qu’on peut avoir des bébés.
Jean-Luc – Quand on a quel âge ?
Swann – Cinq ans par exemple. Moi, j’ai un bébé quand j’avais cinq ans.
Jean-Luc – T’as eu un bébé quand t’avais cinq ans ?
Swann – Ben oui, là il est sorti.
Jean-Luc – C’est le bébé de qui ?
Swann – De ma maman.
Jean-Luc – Ah, de ta maman, pas de Swann.
Tristan – T’es bête.
Stessy – Parce que ça peut pas.
Swann – Ben oui c’est pas moi la maman, alors c’est pas moi qu’a un bébé dans le ventre.
Jean-Luc – Perrine disait quand on sera grand. A quel âge on peut avoir des bébés quand on est grand ?
Swann – Cinq ans.
Tristan – Par exemple quand on a trente ans.
Nolan – Mille ans.
Tristan – Mille ans on est déjà au ciel… A trente-trois… Les mamans qu’ont trente-quatre ans des fois ils peuvent avoir des bébés… Les garçons ça peut pas attendre de bébé… Les garçons ça met la graine dans la maman.
Swann – Et on a des bébés quand on a six ans.
Jean-Luc – On peut avoir des bébés quand on a six ans ?
Tristan – Quand on a six ans, évidemment que non, on est au CP.
Swann – Ben si.
Tristan – Ben non.
Swann – Aussi quand on a cinq ans.
Tristan – Ben non.
Swann – Oui, parce que moi j’ai cinq ans et j’ai eu cinq ans avant que mon bébé sort.
Perrine (rires)
Swann – Et y’a quelqu’un d’autre qu’a eu un bébé dans ma classe. Il s’appelle Dylan.
Perrine – Il a sorti le bébé.
Swann - C’est pas moi qu’a sorti le bébé, j’habite pas avec eux.
Jean-Luc – Tristan, t’es pas d’accord avec Swann.
Tristan – Parce qu’on a des bébés quand on est adulte…évidemment qu’on a des bébés on n’est pas en CP, ou on n’est pas en CE1 ou en CE2.
Swann – N’importe quoi !…Mais tout le monde est des humains.
Jean-Luc – Tristan il dit que c’est quand on est adulte qu’on peut avoir des bébés et toi tu dis non…
Swann – Ben non, parce que si… avant que notre bébé sort s’il…si moi par exemple…si je serais…si y’a deux papas, ça se peut…si y’a une maman qu’est toute seule, et un papa, deux papas dans la même famille, alors l’autre il va voir l’autre maman qu’est toute seule. C’est pas si dur.
Tristan – Je suis pas très d’accord avec toi. Tu dis…toi tu voudrais bien avoir un bébé quand t’as cinq ans…tu vois Swann et ben ça se peut pas.
Swann – Si, si…

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