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S’émanciper pour émanciper

 

Invariant n° 27 On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'Ecole. Un régime autoritaire à l'Ecole ne saurait être formateur de citoyens démocrates. (Célestin Freinet)

A la lecture de cet invariant on pourrait penser qu’il suffirait de s’arrêter là pour avoir à dire ce que le mot émancipation veut dire. Il y a dans cet invariant beaucoup de choses qui disent ce que porte le projet de la pédagogie Freinet. Ce projet dépasse le cadre de l’école. Il envisage la société toute entière.

La pédagogie Freinet a pour ambition de bousculer l'ordre établie, de conduire les enfants à questionner sans cesse les représentations constitutives des savoirs, des pouvoirs, à remettre en question toute forme d'autorité.

Faire l'expérience de la liberté, tel est l'horizon que la pédagogie Freinet se fixe quand elle propose, quand elle promeut l’expression libre (plastique, langagière qu'elle soit écrite ou orale, mathématique, musicale, théâtrale etc ...), quand elle vise à organiser démocratiquement la vie de la classe.

Emancipation Étymologie et Histoire : 1312, « affranchissement de la tutelle paternelle » (emprunté au latin juridique)

Tiens, me dis-je, je serai émancipé quand je ne ferai plus référence de près ou de loin à la pédagogie Freinet. Adieu papa Freinet, je suis libre à présent.

Mais être émancipé, est-ce être libre ?

Peut-on conduire des individus à s’émanciper quand on n’est pas libre soi-même ?

Il est intéressant de constater que l’histoire du mouvement Freinet s’inscrit dans une institution qui se substitue à la famille par délégation pour enseigner et éduquer ses enfants. Autrement dit, les parents aliènent l’éducation de leur progéniture à un lieu sensé produire des individus, sinon émancipés quand ils seront adultes, à tout le moins éclairés sur le monde qui les entoure. Or, à bien y regarder, le modèle politique qui se rapproche le plus de l’école française, c’est le modèle totalitaire. L’école a été créée pour conformer les individus à la société, à des représentations communes pour les assujettir. L’école a pour vocation de dire ce qui « est », ce qui « pensable » pour que chaque sujet social qui n’a à priori aucun projet en commun avec la plupart de ses pairs, puisse interagir en toute sécurité physique et affective.  Le projet de création d’une école républicaine fut de construire d’une façon autoritaire une culture commune, loin des expériences partagées, pour répondre aux besoins d’asservissement du plus grand nombre au profit de quelques uns. Comment y parvenir sinon en imposant des représentations stéréotypées, affranchies de toutes pensées critiques.

Il y a quelque temps, je suis tombé sur un badge issu d’un syndicat enseignant qui affirmait : « changer l’école pour changer la société ». C’est là un contresens total que de proclamer cela. L’école est une excroissance de la société, elle en est sa chose. C’est quand la société changera que l’école changera. Pour autant, cette affirmation se retrouve dans d’autres lieux : "C’est à l’école de changer la société." Vincent Peillon 2012) « Changer l’école pour changer la société » (titre de l’Humanité pour la présentation d’un livre sur la Pédagogie Freinet en 2015), c’est la formule qui accompagne les Cahiers Pédagogiques (Centre de Recherche et d’Action Pédagogiques) : « changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société ».

A bien y regarder, pour changer la société, ne faudrait-il pas supprimer l’école ? Posons les questions du sens de sa nature, sa fonction et de sa nécessité. La nature et la fonction sont des postulats puisqu’on les discute dans une permanence. In fine, tentons de répondre à la question :

L’école, et si ça n’existait pas ?

Emancipation Antonymes : asservissement, servitude, tutelle etc…

 

Injonction contradictoire : « Eduque à la liberté dans le pays des droits de l’homme !»

Il y a un paradoxe dans notre métier où il est demandé à des enseignants de conduire l’éducation de futurs citoyens, et à qui on impose une forme d’aliénation à l’autorité dans un système hyper hiérarchisé.

Au fond, pour forcer le trait, c’est comme si on demandait à des esclaves d’apprendre à des enfants ce qu’est la liberté. Or, dans tout enseignement, il y a une dimension d’exemplarité non pour en affirmer nécessairement le modèle mais pour dire, pour en démontrer la cohérence. Comment alors montrer de la cohérence par ce qu’on est ou ce qu’on fait quand on est soumis à un modèle d’asservissement que l’institution nomme « loyauté » ?

C’est pourquoi, il est si difficile d’envisager une pratique pédagogique qui se pense bien au-delà des seuls enseignements inscrits dans les programmes. Il faut une certaine force de caractère pour s’affranchir de l’autorité de tutelle, non pour la renverser d’emblée, mais, dans un premier temps, la critiquer.

Invariant n° 5 Nul n'aime s'aligner, parce que s'aligner, c'est obéir passivement à un ordre extérieur.



 

Et en pédagogie Freinet, comment cela se traduit-il ?

Par le « laisser faire » ! Pour tout enseignant tentant cette expérience, c‘est le début de sa propre émancipation : Être capable de se mettre à distance, être capable de faire confiance, être capable de supporter la part d’incertitude que produit la pédagogie Freinet quand on laisse faire … bien entendu sans qu’il y ait « du laisser faire » ! N’oublions pas que l’anarchie, c’est l’ordre sans la hiérarchie.

Invariant n° 22 L'ordre et la discipline sont nécessaires en classe.

 

Et en maternelle, qu’est-ce que cela signifie « émanciper » ?

Pour de jeunes enfants, le monde n’est que représentations et pensées magiques. L’enfant fait « comme » maman, papa, le voisin, le copain, etc… pour s’assurer de la conformité de ce qu’il perçoit. C’est pourquoi, nous allons tenter de libérer la parole au sein de la classe en confrontant les points de vue, c’est pourquoi l’expérience de la pensée critique va se faire par l’expression du désir ou du rejet : J’ai aimé/ j’ai pas aimé,  j’aime/j’aime pas.

Construire une expérience sensible de la liberté, c’est s’inscrire dans une volonté de ne pas se soumettre à la loi du plus fort. Autrement dit, un jeune enfant doit avant tout faire l’expérience de la justice au sein de sa communauté de classe. L’adulte exercera une autorité garantissant la sécurité physique et affective de chaque enfant et il permettra à chacun de pouvoir demander des comptes à n’importe lequel de ses pairs s’il se sent injustement traité. Cela suppose que nos comportements d’éducateur s’inscrivent dans une routine pour faire en sorte que petit à petit ceux-ci deviennent « naturels », c'est-à-dire qu’ils conduisent à une acculturation des relations au-delà des représentations éducatives issues des familles et de certains stéréotypes issus de la société.

Le lamarckisme comme modèle social.

 

Invariant n° 28 On ne peut éduquer que dans la dignité. Respecter les enfants, ceux-ci devant respecter leurs maîtres est une des premières conditions de la rénovation de l'Ecole. 



Pour conclure après ces considérations très éclatées sur l’émancipation, il s’agira pour moi d’affirmer qu’une pédagogie Freinet réussie c’est celle qui transforme, qui modifie nos propres représentations du monde, c’est celle qui nous affranchit d’un certain état de soumission à la pensée dominante. Pour qu’il en soit ainsi, il s’agira de permettre à chaque enfant, chaque individu d’une classe, d’une école, d’une communauté de faire l’expérience des libertés fondamentales, pour qu’à l’avenir le choix de la liberté et de l’insoumission soit disponible.

Demain il fera beau.

 

mai 2017