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La loi du ghetto

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En rentrant en voiture, un samedi matin, Luc Bronner dans le poste à l'occasion de la sortie de son livre : "la loi du ghetto".

A peine arrivé, je l'achète et je vous livre alors mes notes de lectures, si ce n'est pour vous donner envie de le lire, pour vous informer de l'état d'urgence...  

Notes de lecture :

« La loi du Ghetto ; Enquête dans les Banlieues Françaises » Luc Bronner ; Calmann-Lévy édition.
 

Introduction :

Une plongée au cœur des quartiers et du travail d’investigation journalistique de Luc Bronner. On se retrouve avec le sentiment du petit prince en présence de son renard. Il a fallut apprivoiser ce monde, sauvage et inconnu, pour apprendre à le connaître.

Automutilation et hormones : Chapitres 1 et 2.

Il se dégage de ces deux chapitres une vision assez pessimiste de la vie en banlieue.
D’un coté des jeunes qui se sentent exclus de tout avenir « légal », soumis à la dictature de l’apparence et de la réputation.
Le statut social, la réputation, pour les filles comme pour les garçons, s’acquièrent à travers le regard des « pairs ». Pour ces derniers aussi, l’oppression de l’apparence est considérable. Comme dans d’autres milieux. Mais avec probablement moins d’échappatoires possibles pour ceux qui voudraient faire bande à part, au sens propre comme au figuré. [1]
De l’autre des acteurs sociaux, mairie, police, éducation, débordant de bonne volonté mais sans moyen ni formation.
A certains moments, éclate une violence gratuite, issue d’un « effet de meute » ou encore d’un remake de film ou de jeu vidéo. Les jeunes sont dans une virtualité qui n’a de réel que l’incarcération, trop vite virtualisée car le taulard est très respecté à sa sortie, ou qui ne prend fin que par l’affirmation enfin possible de « l’amour » vers l’âge de 20 ans, grâce à la mise en couple qui signe parfois l’arrêt des « conneries ».

Le « bizness » : Chapitre 3

Chapitre très instructif car il met à mal toutes les idées préconçues du « bizness » dans les quartiers difficiles. Si la notion de « supermarché de la drogue » est toujours valable, Luc Bronner en développe également son organisation. Un réseau finement tissé, oscillant entre la peur et l’envie, entraine une grosse partie de la population à être complice. L’auteur met en exergue le faible impact des procédures actuelles de luttes contre la criminalité dans les banlieues, précisant qu’elles relèvent plus de la démagogie que d’une réelle envie de régler le problème.
Nicolas Sarkosy a fait du « taux d’élucidation » des crimes et délits un des points clés en matière d’évaluation de sa politique. Or par définition, l’interpellation d’un toxicomane permet de constater un délit et de l’élucider immédiatement.[2]
Le trafic de stupéfiant est une des sources de violences extrêmes. Les sommes en jeu sont tellement importantes et de plus en plus, on constate une radicalisation des règlements de compte pour garder les monopoles. Cependant ceux qui trinquent restent les derniers maillons de la chaîne, les petits revendeurs, les livreurs, les coupeurs, ceux qui surveillent les stocks.
Survivre, donc, ou vivre un peu moins mal. Un système de rémunération qui permet aux trafiquants d’acheter la complicité d’une partie des habitants.[3]
Au delà du problème évident du trafic de stupéfiant, le « bizness » regroupe la multitude de petits trafics, constituants un vaste réseau de « débrouille ».
Ces marchés parallèles, il suffit d’ouvrir les yeux et de tendre l’oreille pour les deviner. Et comprendre leur triple fonction : économique, sociale, relationnelle.[4]
Ainsi ces marchés parallèles permettent à chacun d’exister dans un monde parallèle à celui qui les rejettent ou qui ne sait les accepter où ils ne savent pas non plus s’insérer.

Les frontières et les hiérarchies invisibles : chapitre 4 et chapitre 5.

Trois types de frontières se dégagent dans les cités : Temporelle, Symbolique et Physique.
Une frontière temporelle, le jour, la nuit. Le jour, c’est la sécurité, la nuit c’est un autre monde, réservé aux trafics en tout genre. La population n’est pas la même, chacun a ses heures de sorties.
Des frontières symboliques. Le revenu imposable moyen des quartiers est déjà une séparation, une des frontières avec les autres quartiers. Mais plus important, le type de population habitant les quartiers, souvent les immigrés, souffre de plus en plus de la discrimination à l’embauche, du taux de chômage plus important, du racisme croissant.
Des frontières physiques. L’isolation ou la séparation de certains quartiers par rapport au centre ville créent des limites aux déplacements. Les territoires sont partagés et gardés, source d’affrontements extrêmement violents entre résidents. On assiste alors à l’instauration d’un certain fatalisme
Ça a toujours été comme ça.[5]
Le silence, l’omerta, une oppression constante pour imposer la loi des plus forts au détriment de la loi de la République.
Aucun son. Je vois deux des prévenus lui adresser un léger signe de tête, comme pour lui signifier qu’ils n’oublieront jamais. Un détail, sans doute, dans le procès : les magistrats ne verront pas la scène. Mais le résumé de ce que peut être l’oppression du silence : jusqu’à l’intérieur du tribunal.[6]
C’est l’affaiblissement des pouvoirs traditionnels, justice, police et même générationnels, les relations père – fils sont transformées.
…les quartiers sont fortement hiérarchisés. Non pas zones de non-droit, comme l’affirment souvent les visiteurs extérieurs, mais territoires de contrôle social et de hiérarchie : schématiquement, les mères de famille, toujours très respectée, figurent en haut de la hiérarchie symbolique ; devant les « darons » dès lors qu’ils ont atteint un certain âge ; devant les filles ; devant les autres garçons. En bas, tout en bas de l’échelle sociale et morale, figurent les « cas socs » (cas sociaux), durement rejetés par le quartier.[7]
Les filles étant généralement mieux intégrées, mieux acceptées, le machisme prend tout son sens dans les quartiers, un fort besoin d’être protecteur de sa sœur et garant de sa « réputation ».
En même temps, de nombreux invisibles réussissent à passer entre les mailles et à sortir du système à force de travail, ce qui en soit constitue une véritable frontière entre deux mondes, entre deux jeunesses. Ceux qui n’ont pas besoin de travailler pour se payer des études et les autres qui empruntent des voies détournées pour y arriver.
Enfin, les travailleurs des quartiers sont eux aussi soumis à une hiérarchie. Tout le monde a entendu parler des difficultés des enseignants ou des policiers. Mais qui se soucie des gardiens d’immeubles en proie à des violences de plus en plus nombreuses ? Qui se soucie des travailleurs sociaux ou des éducateurs présents dans les Maisons de la Jeunesse et de la Culture, qui essaient avec des moyens de plus en plus limités de faire des … miracles ?

Les tabous de l’immigration : chapitre 6

Depuis quinze ans, la société ne cesse de se crisper vis à vis de l’islam, perçu comme le principal facteur de communautarisation, jamais comme la conséquence de la ghettoïsation.[8]
Pourquoi l’immigration présente-t-elle des sujets tabous ? La peur de la montée de l’extrême droite et de son discours xénophobe, le politiquement correct, mais surtout l’absence de solutions aux problèmes posés.
La proportion des jeunes d’origine étrangère a augmenté de près de 10% en l’espace de 40 ans (environ). Dans les vingt villes les plus sensibles aujourd’hui cette proportion dépasse les 60%, c’est ici que se pose le problème de la ghettoïsation.
Regroupement de famille très nombreuses quatorze voire quinze personnes, parfois polygames, avec une offre de logements sociaux qui se limite à quelques F4 et de rares F5 ou plus. Une éducation décalée entre celle du pays d’origine et celle demandée en France, des parents plus souvent débordés par leur propre adaptation et des enfants délaissés dans la rue.
Une ségrégation liée directement à l’urbanisme et à la composition sociale et ethnique des quartiers.[9]
Malgré les milliards d’euros investis, la mixité sociale ne reste qu’un doux idéal.[10]
Le problème est donc maintenant posé, ce n’est pas de l’immigration dont il faut avoir peur mais de la ghettoïsation croissante de certaines villes, qui ne pourront pas faire face dans un avenir proche à la violence engendrée par ces regroupements.

L’ombre médiatique et Désert politique : chapitre 7 et chapitre 8

Manipulations et mensonges, rumeurs et vérités, informateurs et journalistes de terrains, présentation des 20h et retour des petites audiences…
Tout un pan de la vie sociale – les assemblées générales d’associations, les fêtes des quartiers, les initiatives associatives – peine à trouver sa place. Ce qui réduit d’autant l’affichage public de la vie routinière, banale, et contribue à mettre en scène le spectaculaire des banlieues.[11]
Le peu de couverture des médias outre le spectaculaire entraine même une autocensure visant à ne pas faire le jeu du pouvoir en place ou à le renforcer, à ne pas tout dévoiler pour ne pas entrainer de surenchère médiatique de certaines violences de masse.
La police joue double jeu, à la fois informateurs et acteurs, les pressions sont fortes quand il y a des bavures, et la manipulation des informations en fonction de ses besoins est importante. On retrouve là encore un fichier de recensement, le STIC, peu mis à jour lors des relaxes, mais qui permet à chaque fois de donner du « connu des services de police ».
Bref tout ce travail médiatique se trouve résumé dans cette citation, à propos de la justice et de la violation du secret de l’instruction :
Ce qui peut nuire aux autorités est passible de poursuites. Ce qui sert le discours ministériel est largement diffusé. [12]
Les mairies sont en têtes de ligne dans les banlieues, d’une part par l’investissement personnel de personnalité exceptionnelle, mais également par les investissements budgétaires.
Le problème est que les budgets sont faibles, les fortes hausses démographiques et le désinvestissement de l’état entrainent des économies drastiques sur tous les postes, privant les banlieues d’un maillage associatif pourtant nécessaire.
Une autre résultante de la hausse démographique d’origine immigrée c’est le faible taux de représentativité des élus. Il n’est pas rare de voir une élection gagnée avec seulement 10% des habitants.

L’ennemi intérieur et Zones de non-droit(s) : chapitre 9 et 10

Les quartiers tiennent par miracle. Sur le fil du rasoir. Dans un équilibre instable. Un rien, et une cité peut s’enflammer. [13]
De cet équilibre instable, les autorités, bafouées et humiliées, ont décidé d’en faire un ennemi intérieur, engageant la France dans la loi du Talion. A phénomènes nouveaux, amplifications des violences et organisations des émeutiers, il a fallu inventer une nouvelle forme d’organisation policière : Les Compagnies de Sécurisation.
Le souci d’opérabilité des forces de l’ordre dans la « jungle » des quartiers se retrouve jusque dans les nouveaux plans de rénovation d’urbanisme.
Car l’Intérieur ne cache pas sa volonté de remodeler l’architecture des banlieues difficiles pour faciliter le maintien de l’ordre et réduire les risques de violences urbaines.[14]
A cette sécurisation des espaces s’ajoute toute une batterie de lois permettant, normalement, à la justice de mieux faire son travail.
Témoignages sous X, dispersion des regroupements et délit de regroupement, contrôles d’identité, garde à vue prolongée (96h lors de regroupement) condamnation sur l’intention et non plus sur l’action…
Damien Brossier, avocat à Evry depuis quinze ans, explique :
Bien sûr les services de police font l’objet de violences graves, c’est incontestable. Mais il y a aussi des comportements policiers qui ne sont pas honorables et des procédures judiciaires qui ne tiennent pas la route mais qui débouchent malgré tout sur des incarcérations ou des condamnations.[15]
Ainsi, Luc Bronner intitule son dernier chapitre zone de non-droit(s) car :
L’expression « zones de non-droit » n’a peut être jamais été autant d’actualité. Non pas pour dire que la loi ne s’appliquerait pas dans ces quartiers. Mais pour signifier que l’Etat de droit y est nettement plus menacé qu’ailleurs, […][16]

Conclusion

L’auteur clôt ce constat pessimiste et alarmant de la vie dans les banlieues, par une seule recommandation : Prendre note de l’échec des politiques sécuritaires engagées, par la gauche ou la droite, et redonner du pouvoir aux adultes.
 
 

 


[1] Chapitre 2 : Hormones, p. 59
[2] Chapitre 3 : Le « bizness » p. 74 (note de bas de page)
[3] Chapitre 3 : le « bizness » p. 79
[4] Chapitre 3 : le « bizness » p. 83
[5] Chapitre 4 : les frontières p. 103
[6] Chapitre 5 : Les hiérarchies invisibles p. 114
[7] Chapitre 5 : Les hiérarchies invisibles p. 119
[8] Chapitre 6 : Les tabous de l’immigration p.141
[9] Chapitre 6 : Les tabous de l’immigration p.151
[10] Chapitre 6 : Les tabous de l’immigration p.153
[11] Chapitre 7 : L’ombre médiatique p.166
[12] Chapitre 7 : L’ombre médiatique p.177
[13] Chapitre 8 : L’ennemi intérieur p.207
[14] Chapitre 8 : L’ennemi intérieur p.222
[15] Chapitre 9 : Zones de non-droit(s) p.240
[16] Chapitre 9 : Zones de non-droit(s) p.247