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Enseigner en milieu sensible, le défi de l’éducation prioritaire

Dans :  la difficulté scolaire › l'Education Nationale › 
Juin 2006

Éditorial Enseigner en milieu sensible,

Pourquoi s’arrêter dans ce numéro du Nouvel Éducateur sur cette question des zones sensibles ?
Travailler en ZEP est le lot de beaucoup d’enseignants qui débutent car la majorité des enseignants chevronnés refuse ces écoles. Ceux qui en font le choix font celui d’une éducation populaire pour tous.
Dans certaines écoles, les enseignants tentent des innovations, l’Institution appuie telle ou telle initiative et puis change de projet, sans se donner le temps, la durée et les moyens d’une évaluation efficace des dispositifs mis en place. De Zones d’expériences, les ZEP sont devenues des Zones d’abandon. On passe de l’occupationnel au didactique, on essaie, on médiatise puis on oublie pour mieux signifier ensuite l’échec des ZEP. Toutes ces politiques diverses menées depuis leur création n’ont pu faire leurs preuves car, en dehors des effets d’annonce et de moyens saupoudrés, une véritable volonté de transformer ces quartiers n’a jamais vu le jour, bien au contraire.
Enseigner en milieu « sensible », c’est vivre l’hétérogénéité, dit-on. Mais n’est-ce pas plutôt être plongé dans l’homogénéité du nivellement par le bas. L’Institution fait tout pour que les familles qui le peuvent quittent ces écoles. Ne va-t-on pas jusqu’à, maintenant, enlever les bons élèves pour les conduire vers des établissements dans des quartiers plus faciles, sous couvert d’égalité des chances !
Les enfants des quartiers « sensibles » ont en commun un vécu difficile, douloureux, qu’ils ne peuvent laisser à la porte de l’école. Ils ont leur propre culture, riche, variée, mais si éloignée de celle de « l’École » qu’ils ne peuvent accéder au langage référent. Ils sont donc, de fait, exclus de l’école républicaine qui se garde bien de changer de discours, de méthode.
Et si enseigner en milieu sensible, c’était devenir moins sensible, c’était s’armer :
- pour ne pas se sentir agressé par la violence des gestes et des paroles de ces enfants meurtris qui n’ont que ce langage pour exister, pour communiquer, du moins le pensent-ils.
- pour ne pas sombrer dans un discours misérabiliste ou négatif,  « ces pauvres enfants, vu leur histoire, on ne peut leur demander plus »… ou bien « de toute façon, vu ce qu’ils vivent, on ne peut rien faire »…
- pour ne pas se laisser déprimer par le vécu de ces enfants qui apportent au « quoi de neuf » leurs angoisses de mort, la violence du quartier, de la famille, et la honte de leur vécu (prison, alcool, chômage, expulsion…), tout ce qui détruit et ne peut aider à la construction de l’individu.
Si les pratiques Freinet, outils, techniques de vie, sont les mêmes, quelle que soit la classe, choisir de travailler en ZEP demande une force et une capacité à écouter, accueillir, sécuriser. C’est un choix parfois difficile à tenir. Cet engagement ne peut se réaliser que dans certaines conditions : un travail d’équipe, une cohérence,
une volonté de conduire tous les enfants même les plus blessés à la réussite scolaire, à la réussite de leur vie.
- C’est donner à ces enfants les moyens de se dire,de s’exprimer,de devenir auteurs de leurs apprentissages et de leur vie présente et à venir.
- C’est refuser la fatalité, l’à-peu-près, l’occupationnel.
- C’est résister à la violence et conduire les enfants à s’accepter, c’est aller contre le discours de la société qui les exclut.
Cette réussite existe, elle se vit avec ses difficultés quotidiennes dans les écoles Freinet qui accueillent l’enfant dans sa globalité, dans sa complexité et avec ses réalités.