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LA COMMISSION MUSIQUE :
NOTRE DECOUVERTE DE LA « MUSIQUE LIBRE » :   
   
       Je limiterai mon propos au bout de chemin que j’ai pu faire avec la « Commission Musique », laquelle avait forcément des liens étroits avec le Secteur Audiovisuel, pourvoyeur des magnétophones construits ou améliorés par G.Paris et vendus par la CEL, de micros, de bandes magnétiques, d’outils de montage et dispensatrice du savoir-faire avec ces machines.
       Evoquer cette histoire et rappeler les avancées de cette expérience sera l’objet d’un dossier complet, par des personnes bien plus pertinentes et autorisées que moi. (Personnellement, j’aimerais bien voir se réaliser le livre qu’il y aurait là matière à écrire).
       Ce qu’ils ont réalisé est unique au monde : nulle part ailleurs pareille démarche n’a été menée à bien pendant trois décennies. Actuellement, nous ne nous rendons pas compte, avec nos yeux pleins d’écrans qui scintillent, qu’ils surent nous mettre plein les oreilles d’un trésor et d’un savoir faire dont nous oublions de profiter malgré sa modernité.
 
EN PREAMBULE :
 
Dans le livre de Michel Barré, « Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps », on peut lire les efforts accomplis dans les années trente pour l’emploi du disque à l’école et la vente par la CEL d’un phonographe de qualité. Puis dans les années suivantes, les recherches sur le pipeau de bambou fabriqué par les enfants, démarche soutenue par une musicienne et par le livre « Tous musiciens » (Lina Roth, ed. Nathan).
 
      A la même époque, Roger Lallemand, s’inspirant du livre « Créative Music for Children », essaie des instruments à percussion réalisés par les enfants. La CEL commence l’édition de disques (Chants, danses populaires de diverses régions). Freinet s’intéresse à « l’Anthologie du Chant Scolaire », exprime son approbation pour des instruments fabriqués par les enfants.
 
      A propos de l’usage du cinéma à l’école, il exprime son espoir de voir « pour un jour prochain », la possibilité de saisir les sons d’une manière comparable à la façon dont les images et les mouvements sont captés dans un appareil de prise de vue. Et quand à l’approche de la musique, il précise son point de vue en 1939 : « Là comme ailleurs, expression libre et synthétique, la base de toute activité... ». Il redit l’importance du tâtonnement des enfants, tant avec des objets divers et des instruments fabriqués par eux-mêmes, qu’avec la voix et le chant. Il insiste sur le rôle du maître qui n’est pas de se contenter de laisser-faire, mais de donner les moyens d’une véritable dynamique d’apprentissage permettant de construire ensemble de véritables acquisitions. Saisissant une fois de plus l’occasion de protester contre les accusations de laisser-aller et laisser faire n’importe quoi, il rappelle qu’en musique aussi, le propos de la Pédagogie Freinet est de remettre les choses à l’endroit quand à la construction de soi et à la construction des apprentissages.
     
Ces questions fondamentales posées avant la guerre, animeront dans les années 50, les efforts des camarades. Comment s’y prendre ? Le manque de connaissances musicales est-il rédhibitoire ? En musique, comment mettre en pratique tâtonnement expérimental et méthode naturelle ?
 
Il me paraît intéressant, pour donner une idée du foisonnement et de la place qui était faite à l’expression multiforme des enfants dans les travaux du Mouvement Freinet, de rappeler que ce fut aussi l’époque où Elise développa d’une façon fabuleuse la pratique de la peinture libre sur grandes feuilles, la notion d’atelier peinture installé de façon permanente, la valorisation de l’expression plastique des enfants. Elle réussissait à intéresser la marque « La Pébéo » à proposer des couleurs en poudre à des prix permettant d’envisager cette autre façon de peindre à l’école malgré les crédits scolaires d’alors. Elle animait des circuits de communication de dessins et peintures « boule de neige », les expos des congrès et aboutissait au lancement de la revue « Art Enfantin »(1959).
 
Les premières réalisations qui m’ont marqué, venaient des classes de Delbasty, de Le Bohec, d’Hortense Robic :
la BT 383 « La musique naturelle » et surtout les disques de chants et musiques libres vendus par la CEL (Disques 1004-2003-2004-2005 et les suivants) et en Supplément Sonore à « Art Enfantin », puis « Art Enfantin et Créations ». J’ai encore toute vive en moi l’émotion que nous avons éprouvée, Eliane et moi, quand nous découvrîmes « Le vent », chanté par Monique, la petite élève de Paul Delbasty l’accompagnant au piano, et les chants de Gérard L’Héron, l’élève de Paul Le Bohec. Il y eut aussi « L’opéra Coucou », des élèves de maternelle d’Hortense Robic, « L’étude à la burette » sur les cordes d’un dos de piano démonté de sa caisse, « Hiroshima », au synthétiseur et magnétophone...Créations d’enfants et d’adolescents qui furent regroupées vers 1980 sur la cassette audio « Anthologie de créations musicales de 1954 à 1974 ». Expériences d’écoute décisives, qui pour moi, déchirèrent un voile, créèrent un choc initiatique. Cela eut forcément un effet auprès des élèves, à la fois par l’écoute des productions de leurs camarades lointains et par l’évolution du maître. A partir de là, me sembla évidente la possibilité matérielle de ce qu’envisageait Freinet dans son article de 1939 : Tout est une question d’écoute et de prise en considération, comme pour le texte libre ou la peinture, ou les maths, ou ... Et je pouvais bénéficier d’un merveilleux outil, capable de donner à l’écoute la pérennité d’une trace : le magnétophone à ruban, parvenu à sa pleine maturité.
 
      Le hasard me permit d’acheter d’occasion, pour un prix très avantageux, une machine sérieuse et solide, mettable entre les mains des enfants, et je pus constater que la rotation stable et régulière des bobines, comme si cela suggérait que la qualité de l’écoute et de l’attention ne faibliraient pas en cours de route, apportait à la fois encouragement et valorisation à celui ou celle qui se servait du micro.
 
      De plus, j’avais une classe unique de faible effectif, jouxtée d’une salle municipale plus vaste où j’avais pu installer les ateliers permanents, l’atelier son occupant une place importante. Ces conditions matérielles que l’on pourrait qualifier de luxueuses, minimisent d’autant la possibilité de transposer notre expérience. A contrario, cela met en valeur le rôle des bâtiments scolaires et je me permettrai de citer Jacques Jourdanet qui, du temps où il était IEN, avait retiré de ses inspections d’écoles, l’impression que les collègues tentaient la quadrature du cercle pour mettre en œuvre dans des locaux fonctionnant sur le principe 1 classe=1salle la pédagogie de projets recommandée par les instructions officielles-ou bien se décourageaient. Il serait peut-être utile de regrouper quelques exemples de ce qu’on peut tout de même donner les moyens de faire aux enfants quand la chasse à la salle inoccupée ou au coin de couloir exploitable, n’est même pas possible.
     
Je crois pouvoir dire que je n’ai ajouté à nos bonnes conditions, pour que mes élèves de classe unique démarrent des « tâtonnements sonores », rien d’autre que d’être totalement persuadé qu’ils en feraient, de leur faire écouter quelques passages de ces merveilleux disques dont je parlais plus haut, et d’apporter un bon magnétophone et son micro. Avec le recul des années, je réalise à quel point la mise en place et la découverte de cette machine fut un geste fondateur pour nous.
     
C’est ainsi que j’eus le bonheur, un jour où Dédé était déjà revenu avant la classe de l’après-midi, de le trouver en train de tapoter avec des crayons, sur la pelle métallique de la poubelle, après l’avoir installée en équilibre pour qu’elle sonne mieux. Il cherchait des rythmes et variait la force de ses frappes afin de produire des moments plus intenses et d’autres plus doux, plus rêveurs. Comme le magnétophone était installé sur un support bricolé sur mesure, micro branché, bande en place, le tout constituant un « poste permanent », je n’eus qu’à approcher machine et micro du « musicien » pour enregistrer. Les autres élèves arrivèrent, nous trouvant « en action ». Bien sûr, je mis mon doigt sur la bouche pour leur intimer le silence-ce qui leur sembla évident, comme il leur sembla indispensable de réécouter tout de suite le résultat de l’enregistrement... Il faisait soleil ; quelque chose venait de se produire dont nous ne nous sommes jamais « remis ».
 
      Si je dis « nous », c’est que nous étions en classe unique, et donc les activités et les savoirs faire des plus anciens se transmettaient aux plus jeunes, année après année. Cela nous permit d’avoir une véritable évolution, d’effectuer en plusieurs années un certain parcours à la découverte de l’aspect sonore des choses et de la musique qui peut s’ensuivre. D’autres, mieux formés musicalement ou mieux organisés pédagogiquement, en auraient certainement mieux profité. Malgré mes limites, j’ai pu faire quelque chose. Cela souligne à quel point nous aurions besoin de montrer en quelques endroits, ce dont est capable la Pédagogie Freinet quand on peut la pratiquer dans des conditions qui la permettent vraiment.
 
Après Roger Lallemand, Maurice Beaugrand avait repris le travail sur la construction d’instruments à percussion et animait des week-ends pour les camarades. Paul Le Bohec avait animé le groupe chargé de préparer l’édition des premiers disques de créations musicales de la CEL et Paul Delbasty décrivait diverses possibilités d’utilisation de l’instrument à cordes adapté au tâtonnement, qu’il avait mis au point : l’Ariel (Dossier « Créations-Expression » n°6, Juin 1973).
 
      Une « Commission Musique » fonctionnait désormais, animée jusqu’en 1978 par Jean-Louis Maudrin, avec la collaboration de Jean-Pierre Lignon, Jean Jacques Charbonnier, Paul Le Bohec et quelques autres, à l’occasion de chantiers divers. Par exemple, en 1973 : Circuits de communication d’enregistrements sur bande magnétique ; articles « musique » pour le bulletin Expression-Créations ; Cahier de roulement sur les aspects libérateurs de la musique libre ; cahier de roulement sur les démarrages en musique libre ; fiches technologiques pour l’Educateur ; boîtes musiques ; expérimentation des orgues électroniques mis en vente par la CEL ; production de disques 33 tours/17 cm, en « Supplément Sonore à Art Enfantin ».
 
Ce dernier chantier était alimenté par les envois de bandes magnétiques et cassettes audio enregistrées dans diverses classes. Ces envois étaient suscités par toute l’activité de la Commission Musique : rencontres de formation, présence lors des stages, aux Journées d’Etudes, aux Congrès. Cela permettait de se mettre au courant des réalisations dans les classes de plusieurs camarades.
 
      Bien sûr, il n’est jamais possible de découvrir tout ce qui se fait d’intéressant. Il y a toujours des camarades qui préfèrent concevoir leur activité localement, dans leur milieu proche. C’est leur droit le plus respectable, et cela se défend : n’est-il pas important d’être, chacun(e) à sa mesure, « révolutionnaire » là où on se trouve ? Cependant, les échos de ce que font les autres, dans d’autres régions, d’autres conditions, la démarche de communication, essentielle à la Pédagogie Freinet, quoi de plus porteur d’énergie et générateur d’enthousiasme ? Quoi de plus aidant pour situer ce qu’on fait ?
 
      Jusqu’en 1981, vingt-trois disques purent paraître. Voici quelques étiquettes :
 
n°7 : Recherches sur la voix ; n°11 : Les chevaux (ce1 Marseille ; CEG Douvres la Délivrande) ; n°13 : Premières créations musicales en classe de ville (cm2 Vitry sur Seine) ; n°14 : Humour ? (diverses classes, en majorité de perfectionnement) ; n°15 : Rythmes (maternelles, perfectionnement, classe unique, CEG) ; n°17 : Créations orales : langages inventés ; n°18 : construction de chansons ; n°20 : Musique au 2°degré (5° et 3°) ; n°23 : Des enfants et la musique d’aujourd’hui.
 
Il y avait eu aussi un disque consacré aux créations musicales à l’école Freinet, classes de Maurice et Clem Berteloot : La roue d’Oriane (avec une roue de vélo), chanson dans une langue inventée, l’orage (composition pour dos de piano à 2 mains et planche à clous), etc...
     
Deux dossiers pédagogiques étaient parus. Un numéro triple : La musique libre, n°91-92-93, et un numéro double : Expression sonore et musique, n°159-160, auxquels il faut ajouter les 2 dossiers-musique du Groupe de l’Hérault.
     
Vers 1980, la commission musique se restructura autour de l’équipe Patrick Laurenceau (Ecole de Blois), Gérard et Eliane Pineau (CES de Brive et E.N.de Tulle), Jean François Larrouzé (E.N. de Versailles), Michèle Tartour (Ce2 Mâcon). Lorsque je les rejoignis, j’avais un projet personnel, né de mes constatations d’alors : La communication d’enregistrements de classes avait beaucoup ralenti, comme si les camarades étaient freinés par un sentiment d’hésitation à montrer les travaux en musique de leur classe.
     
Il faut dire qu’en ce domaine, il est facile de se faire rejeter dès qu’on choque les habitudes. Même dans le Mouvement Freinet, j’en ai eu la cuisante expérience ! Depuis quelques années, les ados et les jeunes adultes sont devenus de gros consommateurs de productions musicales de toutes sortes, leur pratique musicale a augmenté. Il y a le pire et le meilleur, mais au bout du compte l’éventail des capacités d’écoute s’est élargi : chance à saisir ...
     
Malgré cette réserve des camarades dont je parlais, j’avais constaté dans mon département et pendant les stages audiovisuels, que des enregistrements et autres travaux existaient bien. Il m’avait alors semblé utile d’essayer de les faire sortir, de les valoriser.
 
Pour cela, je me rappelle avoir quasiment cambriolé chez deux camarades et je revois encore ma main se tendant vers la valise de cassettes de productions de sa classe (ce1, école de Blagnac) dont Claude Curbale me montrait le contenu ...
 
      Je voulais aussi renforcer le lien avec le Secteur Audiovisuel, qui pouvait beaucoup nous aider pour l’édition, laquelle était passée à la cassette audio.
 
      La première cassette proposée par la CEL, fut « Musique et poésie » : productions de 9 classes, d’un CES, de l’E.N. de Tulle, d’un adulte, et interview d’un poète par des CM2.
 
Avec les camarades de la Commission Musique, nous avons alors mis en place des circuits de communication de cassettes, dans le but d’avoir les réactions d’écoute de plusieurs classes, mais aussi de provoquer un brassage enrichissant des enregistrements des enfants. Nous avions préparé des appels à paraître dans l’Educateur, Techniques de vie et envoyés dans les Groupes départementaux. Je recevais les enregistrements, les copiais par petits groupes sur cassettes courtes qui étaient envoyées, accompagnées d’une grille « d’écoute et de réactions » à remplir, aux écoles qui s’étaient inscrites dans les circuits de cassettes. Le retour des grilles me permettait de préparer l’édition d’une cassette-musique de la façon la plus coopérative possible, la Commission Musique écoutant la maquette lors des Journées d’Etudes et faisant ses observations avant le « Bon à tirer » pour la mise en vente par la CEL, puis par PEMF.
C’est ainsi que fut produite la cassette « Musicassons ». Elle regroupait de enregistrements provenant de 7 classes, d’un CES, d’une Ecole Normale. En dernière partie de cassette, certaines productions étaient reprises et commentées par quelques uns de nous.
 
      Parallèlement, les autres membres de la Commission Musique travaillaient à l’enregistrement d’une cassette d’initiation au Blues, niveau ados-adultes, et d’une cassette faisant entendre diverses façons d’accorder l’Ariel. Il y avait aussi la diffusion d’un kit pour construire un Ariel avec de la vraie corde de clavecin et l’organisation des stages d’été.
 
      Enfin, il y avait la réalisation du « Fichier musique ». Il s’agit d’un gros pavé de plusieurs centaines de fiches façon FTC, que la Commission Outils essaya de promouvoir, mais dont PEMF ne trouva jamais le conditionnement qui aurait permis sa mise en vente.
 
A peu près à la même époque, la vente des cassettes musique fut abandonnée par PEMF : il fallait se recentrer sur les productions les plus vendues ...
 
      J’avais déménagé pour la ville. Je ne disposais plus du studio d’enregistrement de mon école de village ... Les camarades de la Commission Musique, à leur tour, cessèrent les activités de celle-ci ...
 
ET MAINTENANT ?    
     
Pourtant des classes continuent à chercher dans le domaine du son et de la musique. L’ordinateur s’en mêle pour permettre, malgré la disparition des magnétophones, d’intervenir sur le son. Je fais de temps en temps l’intervenant musique et enregistrement dans des classes de camarades du GD 06...
 
      Peut-être réussirons nous, j’entends le Mouvement Freinet, à donner de nouveau l’importance Majeure à l’expression des enfants sous toutes ses formes. La place de la musique fera partie de ce mouvement d’ensemble. 
 
«  Si nous admettons que la musique est l’arrangement des sons, écrivait Jean Pierre Lignon, que les phénomènes sonores de toute nature sont « arrangeables » en vue de création, la musique est partout ! Sans entrer dans les excès, il nous semble indispensable de ne pas négliger cet aspect qui est à la base de tout esprit de recherche ... » J’ajouterai : l’élément de la construction pour chacun de sa culture musicale.
                                                     Georges Hérinx, GD 06, Frem Paca.


 

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