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Comprendre les maths, comprendre le monde

Novembre 2004

Très peu d'individus tirent bénéfice du travail qu'ils ont fourni à l'école en mathématiques, sinon pour répondre à la sélection dans leurs cursus scolaires*. Que ce soit dans les tâches professionnelles (hormis pour des métiers techniques) ou dans la vie quotidienne, les liens se font rarement entre une discipline qu'on dit essentielle à la réussite scolaire et son utilisation pour comprendre le monde et agir sur lui :
- qui sait qu'à niveau de salaire constant le pouvoir d'achat diminue ? que nos impôts augmentent tout en baissant ? qu'on nous manipule au sujet de la réforme des retraites et de la sécu présentée comme inéluctable au nom des mathématiques...
Face à la complexité croissante du monde nous avons besoin non d'être des tâcherons du calcul mais d'être capables d'utiliser des outils, en particulier les outils mathématiques, pour servir une pensée autonome.
Pour réaliser cet enjeu, on peut observer la réponse du système éducatif sous deux aspects : les programmes, et la réalité de leur mise en oeuvre. Les programmes sont là, les notions à acquérir bien identifiées. En contre coup de la réforme échouée des mathématiques modernes, les instructions officielles qui ont suivi ont basculé au " tout calcul ". Les programmes actuels de 2002 n'ont pas corrigé le tir, et si pour le cycle 1 de l'école primaire les mathématiques font partie du domaine "Découverte du monde", les programmes des cycles 2 et 3 reviennent au " tout calcul ". Si la résolution de problèmes à données numériques doit puiser son champ d'application « dans des situations réelles », l'ensemble du programme de l'élémentaire est basé sur une logique de savoir minimum : savoir calculer selon les quatre opérations, utiliser les unités de mesure usuelles, mais pas plus. Ces savoirs ont une visée fonctionnelle à court terme et n'incluent pas cette capacité essentielle à repérer les structures dans le complexe.
Présenter les mathématiques comme seulement utilitaires, c'est très limitatif : "Le réel est un cas particulier du possible" nous dit Bachelard. Faire des mathématiques, c'est s'aventurer dans les possibles. Seules les mathématiques peuvent nous aider à échapper à la logique du comptable, du gestionnaire, et nous permettre de dire « et si... » et de proposer une autre analyse et d'autres réponses aux problèmes. Les mathématiques comme outil d'analyse, ça marche si on fait vraiment des mathématiques.
Mais intervient le didacticien qui va choisir pour l'enfant les bonnes situations permettant d'acquérir les bonnes notions : c'est la fiche de préparation classique. Seulement, une situation n'est bonne que si l'enfant y perçoit un enjeu qui va lui permettre de se mettre en marche, de se motiver. Une émotion est nécessaire à l'émergence des connaissances et des représentations de l'enfant, à leur mobilisation. . Elle dépend donc de la personnalité de chacun.
Une fois la situation donnée, le didacticien prescrit que la séance sera construite de telle façon que les élèves atteignent à coup sûr l'objectif fixé. Mais comment former à une pensée autonome quand tout est fait pour éviter l'aventure, la pensée divergente ?
Nous réaffirmons l'importance dans la démarche d'apprentissage de vrais enjeux de départ, des apports et des représentations mentales de chacun. Laissons les cheminements individuels se confronter et parfois s'éloigner, s'aventurer dans l'univers des mathématiques. Loin du chacun pour soi, cette aventure est collective car nul n'apprend tout seul et c'est dans le rapport aux autres, au groupe, dans un échange coopératif que se construisent aussi les mathématiques, les concepts, que se développe le raisonnement, et non dans un tête à tête élève-problème.
Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons permettre à tous de se construire une culture mathématique véritable sans laquelle les savoirs inculqués ne peuvent efficacement aider à décrypter le monde.
* Pierre Stambul tient pourtant à mettre un bémol à la sélection par les math dans ce numéro en pages "recherche ".