Raccourci vers le contenu principal de la page

Pas de politique à l'école ?

Décembre 2003

Bizarre. Installée dans cette classe de CE1 d’une école urbaine alsacienne où je viens rendre visite à une jeune stagiaire, je cherche ce qui détonne dans un paysage qui devrait m’être familier : tableau, maîtresse de face – frontal toujours ! – enfants sagement alignés, nuques attentives…
Nuques ? Ce n’est que lorsque s’amorce la causette du matin, à la teneur du propos – mon week-end chez grand-papa en Suisse, mon dimanche après-midi dans notre piscine… –, à la qualité de la langue allemande parfaitement maîtrisée par ces petits Alsaciens d’origine francophone, que
je prends soudain conscience que ces nuques-là sont toutes blanches, archi-blanches, et que si les cheveux tire-bouchonnent ici, c’est dans le friselis blond et pas une seule fois dans le crépu noir !
Coup d’oeil au registre d’appel : sur dix-neuf familles (dix-neuf élèves !), quinze cadres supérieurs, deux employés et deux au chômage. Me serais-je fourvoyée dans un quelconque institut Notre-Dame de la Providence pour « héritiers » ?
Que nenni, c’est bien une école publique, ouverte en principe à tous les enfants, quelles que soient leur origine sociale, leur nationalité, leur confession, ouverte à toute famille tentée par l’accession précoce au bilinguisme (français/allemand). D’ailleurs, le directeur me le confirmera,
ici on n’opère aucune sélection, on insiste pour que les enfants déjà bilingues, donc ayant des habitudes linguistiques facilitantes (Turcs, Arabes, Portugais), y soient orientés.
Et pourtant, voilà qui ressemble étonnamment à une filière ! Une filière dans ce qu’elle peut avoir de plus pervers car se générant d’elle-même, sans autre sélection que celle demandée par les parents les plus déshérités qui ont eu l’imprudence de cautionner au départ un système «démocratique » mais qui n’était de toute évidence pas conçu pour gérer des disparités encore plus importantes dans ce type de structure. Ces parents, très vite impuissants à soutenir leurs enfants, seront trop heureux de les voir rejoindre des classes plus « normales », laissant ainsi le
terrain libre à la reproduction des élites « entre elles »!
La sélection est ici « naturelle », consentie, souhaitée, approuvée, légitimée par tous !
Légitimité qui se fonde sur le désir de voir sa progéniture réussir dans une classe à son niveau et non pas, comme c’est forcément le cas en pédagogie traditionnelle, à un niveau ramené à une moyenne, donc inférieur à celui espéré.
Légitimité renforcée enfin par certains « experts» qui prétendent constater l’échec définitif à la fois du collège unique et de l’hétérogénéité à l’école. Voir avec quelle tranquille assurance Y.Laszlo, professeur à Paris VI, tord le cou à la fois « au mythe du collège unique » et à l’idée qu’on
puisse faire se côtoyer sur les mêmes bancs des élèves issues de milieux très différents,( Libération du 25-08-03.) 
Pour défendre le principe de l’hétérogénéité aujourd’hui, il faut tout d’abord être convaincu, en marge de certaines modes actuelles – mais c’est toujours la marge qui fait avancer le courant – de l’intérêt fondamental du brassage des cultures et des niveaux.
Mais cette première conviction ne suffit pas. Bien des enseignants seraient tentés aussi de voir dans ce brassage le salut de l’école s’ils n’étaient confrontés à l’extrême difficulté de sa gestion au quotidien.
Et c’est là que nous, Freinet, sommes soutenus par une seconde conviction qui fait la force de notre mouvement : celle de l’efficacité des outils conceptuels et matériels qui sont les nôtres. Il importe que nous soyons convaincants dans ce combat qui dit oui à l’hétérogénéité comme
principe éducatif puissant, en tant que seul lieu d’échange véritable pour tous les enfants, quel que soit leur milieu. Oui à la pédagogie Freinet apte à prendre en compte les différences et à les voir non pas comme un obstacle à l’éducation des enfants, mais comme une nécessité vitale, et
pour eux et pour l’école de demain.