Raccourci vers le contenu principal de la page

logo ressource btn Qu'est-ce que la Pédagogie Freinet ?

Niveau de lecture 4
Juin 1996

Qu'est-ce que la " Pédagogie Freinet " ?
Comment enseigner ? Quelles sont donc les grandes idées de la « Pédagogie Freinet » ? Pourquoi et comment se sont-elles peu à peu construites ? Qui utilise aujourd’hui ces méthodes, en France et dans le monde ?

Quelles sont donc les grandes idées de la «Pédagogie Freinet» ? Pourquoi et comment se sont-elles peu à peu construites ? Qui utilise aujourd’hui ces méthodes, en France et dans le monde ?

L'expression libre des jeunes, la correspondance entre classes, le journal scolaire, le plan de travail individuel, les fichiers et livrets auto-correctifs, les conférences d'élèves (ou exposés), les décisions coopératives concernant la vie de la classe: toutes ces pratiques éducatives suivantes ont toutes été introduites par un instituteur nommé Célestin Freinet (1896-1966)*, au fil de son travail avec ses élèves..

* Sur la vie de Freinet, voir la page       «Quelques dates dans la vie d'un pédagogue», ou l’article «Célestin Freinet, les combats d'un pédagogue».


Les grandes idées de la Pédagogie de Célestin Freinet
 

 À la recherche de méthodes naturelles d'apprentissage

Depuis le début, Freinet a cherché à relier les apprentissages scolaires aux besoins réels des enfants.

En 1934, à l'époque de la construction de son école de Vence, sa propre fille Madeleine est en âge d’apprendre à lire et à écrire. Au lieu de lui donner des leçons traditionnelles, il laisse l'enfant passer insensiblement de ses dessins commentés et de l'écriture des noms qu'elle connaît à l'invention de petites histoires.
Elle aborde sans difficulté la lecture des textes imprimés et prend possession de l'orthographe.

Freinet conserve tous ses essais, puis il rédige après la guerre une brochure qu'il intitule Méthode naturelle de lecture.

Il montre ensuite que le même type d’évolution existe pour le dessin des enfants, depuis leurs premiers gribouillis jusqu'à des croquis très élaborés. La condition essentielle est de ne pas leur imposer de modèle, de les inciter à s'exprimer souvent en échangeant avec les autres.

Freinet généralise alors la démarche en montrant que le tâtonnement expérimental est à la base de tous les apprentissages.
Il préconise de favoriser la libre découverte, par les enfants, des grandes lois du langage et de la grammaire, des mathématiques, des sciences. Pour cela, il faut inciter à beaucoup expérimenter, observer, comparer, imaginer des théories, vérifier.

Cette démarche paraît moins rapide que les apprentissages systématiques, mais ce n'est qu'une apparence.
En se passionnant, les jeunes travaillent davantage et gardent un souvenir durable de leurs découvertes, alors que tant d'apprentissages mécaniques s’oublient rapidement. Surtout, une telle démarche développe la capacité de chercher, d'inventer, plutôt que de se contenter de reproduire. Et c'est cette capacité qui devient de plus en plus nécessaire dans le monde moderne.
La notion de tâtonnement expérimental est maintenant admise non seulement avec les jeunes enfants, mais aussi avec les adolescents au cours des études secondaires et pour la formation des adultes.

 Quelques « gros mots » de la Pédagogie Freinet
• méthodes naturelles d'apprentissage
• tâtonnement expérimental
• texte libre, dessin libre
• conférence d’enfant
• correspondance, journal scolaire
• documentation
• Travail Individualisé et fichiers autocorrectifs
• Organisation coopérative
• responsabilité personnelle
• plan de travail
• Techniques de vie

 

 

 

 

 

 

.méthode naturelle

.tâtonnement expérimental

 Du dessin libre à l'art enfantin
 
Le projet éducatif de Freinet n'est pas de transformer les enfants en écrivains ou en artistes, mais de leur donner la maîtrise de tous les moyens d'expression.


Portrait de Freinet réalisé par les enfants de l’école Girasol
des environ de Curitiba dans l’Etat du Parana au Brésil


Comme sa femme Élise a une formation de graveur sur bois, il lui confie le soin de développer le sens artistique des enfants de son école.
 
Après la guerre, c'est elle qui initie les instituteurs du mouvement à une autre façon de faire peindre les élèves, sans les habituer à reproduire des modèles.

Comme pour les textes libres, il ne faut plus imposer de sujet, mais aussi, introduire d'autres techniques de travail. Pour amplifier le geste, on fait peindre sur de grandes surfaces, et comme les  classes ne sont pas riches, elles utilisent de la gouache en pot sur des papiers d'emballage.
Les résultats surprennent les enseignants qui, jusque là, ne connaissaient que les petits cahiers de dessin.

L'important est d'afficher les créations et d'en discuter, de les échanger avec d'autres classes.
Élise Freinet propose de se faire envoyer des dessins qu'elle critique en conseillant la manière de faire encore mieux ressortir l'originalité de chacun. C'est ce qu'elle appelle " la part du maître ".
Elle organise des concours (dont les prix sont des colis de gouache), des expositions de peintures d'enfants dans les stages pédagogiques, les congrès. En quelques années, les réussites se multiplient.

En 1955 est organisée une exposition de dessins libres d'enfants camerounais dont le directeur avait enseigné à l'école de Vence.
Picasso, ému par l'exubérance et la qualité de ces créations, signe ses félicitations sur certaines œuvres.

En 1959, quand Élise Freinet crée la revue L'Art enfantin*, elle reçoit les encouragements d'artistes comme Cocteau, Lurçat, et Dubuffet.
En 1963, dans le livre L'Enfant artiste, elle rassemble ses idées sur l'expression artistique qui ne se limite pas au dessin, mais concerne aussi le modelage, la céramique, la tapisserie de broderies de laine ou de tissus cousus.

" Le Petit Prince et le Géographe ". Préparation d'un plan
lors d'un tournage vidéo par des élèves de 5e.


 

expression libre :
texte libre, dessin libre

 

À l'école de Freinet à Vence, les gradins du théâtre de plein air sous le regard des grandes statues.

 

 

 

 * La revue L'Art enfantin est devenue ensuite : Art enfantin et Créations, puis Créations.

 De la documentation pour les enfants

Quand la CEL édite les premières fiches, puis les premières brochures documentaires BT, il n'existe pratiquement rien d'autre pour les enfants en dehors des manuels scolaires. L'originalité de ces nouvelles productions vient de la participation des élèves.
Parfois, ils sont auteurs d'enquêtes ou de recherches, publiées dans leurs journaux scolaires ou dans La Gerbe (c'est notamment le cas pour les reportages courts).
Plus systématiquement, ils sont expérimentateurs des nouveaux projets (ces projets sont lus avant publication dans plusieurs classes qui donnent leur avis sur les difficultés à comprendre le sujet, demandent des explications complémentaires, etc.). Cette pratique existe toujours.

Après la guerre, on publie jusqu'à trente BT par an, sur les sujets les plus divers (sciences et techniques, histoire, géographie, problèmes sociaux et économiques).
À partir de 1957, des suppléments SBT proposent aussi des textes littéraires, des expériences, des maquettes qui prolongent les sujets traités par les BT.

Les enfants de 7 à 10 ans éprouvent des difficultés à travailler avec les BT, malgré certains numéros destinés plutôt aux petits. C'est seulement en 1965 qu'ils obtiennent une revue qui leur est réservée, la BT Junior (BTJ). Les adolescents des lycées attendront 1968 pour trouver avec BT2 une collection qui convienne à leurs besoins et à leurs intérêts.
 La collaboration entre enfants et adultes se révèle particulièrement féconde avec la naissance de BT Son en 1960. En effet, depuis plusieurs années, les classes ont pris l'habitude de réaliser des enquêtes sonores avec le robuste magnétophone CEL.
Grâce aux conseils de professionnels de la radio, comme Jean Thévenot (animateur des concours Chasseurs de sons), les enseignants apprennent à faire des montages qui, en coupant les passages inutiles, mettent en valeur l'essentiel des interviews.
Les enfants commencent à questionner des personnes âgées parlant de la vie autrefois, des gens de métier (forgeron, marinier, garde-chasse), puis des spécialistes de la biologie (Jean Rostand), des volcans (Haroun Tazieff), des régions polaires (Paul-Émile Victor), etc.
Cette richesse incroyable de témoignages est éditée sous forme de disques (puis de cassettes), accompagnés de diapositives (puis d'un livret illustré).

Une longue et belle aventure documentaire
 

 Documentation

Recherche documentaire

 Du travail individualisé à la programmation

Pour Freinet, la démarche naturelle par tâtonnement expérimental doit être renforcée par des exercices plus systématiques qui assureront la pleine maîtrise.
On le voit avec les jeunes enfants qui s'exercent inlassablement en l'absence de toute contrainte. L'important est de ne pas commencer par ces exercices qui ne sont efficaces que pour consolider les découvertes.
Surtout, il faut permettre aux enfants de maîtriser leur progression sans être assujettis à un parcours unique et à un rythme imposé. C'est pour cette raison que Freinet est le premier à utiliser en France des fichiers auto correctifs permettant aux enfants de travailler à leur rythme en se corrigeant eux-mêmes.

Après la guerre, la CEL publie, pour tous les niveaux de l'école primaire, des fichiers d'opérations, de problèmes, de géométrie, d'orthographe et de conjugaison. Des fiches-guides sont éditées pour faciliter les recherches en sciences, géographie, histoire: pour répondre aux besoins des classes nombreuses où l'on voudrait éviter les déplacements fréquents pour changer de fiche de travail, sont créés des cahiers auto-correctifs personnels.
En 1962, les Américains parlent des premières machines à enseigner, dont certains annoncent qu'elles remplaceront les enseignants. Freinet ne croit pas à cette prétention, mais il pense qu'il faudrait approfondir la notion de programmation de certains apprentissages.

 Fichiers auto-correctifs
 Conscient de la pauvreté des écoles, il recherche un matériel simple et met au point une boîte enseignante où l'on déroule, séquence après séquence, une bande programmée imprimée. Il estime que, grâce à cet outil, les enseignants, libérés de l'obsession des apprentissages, feront davantage confiance à l'expression libre et aux tâtonnements des enfants. Mais l'important est de concevoir des programmes intelligents et, pour cela, il réunit chaque été des enseignants bénévoles qui prépareront de nouvelles bandes programmées.

Par la suite, la boîte enseignante se révèle moins pratique que des livrets programmés, peu encombrants et moins coûteux.


Actuellement, le développement des micro-ordinateurs, qui a réduit l'encombrement des machines et leur prix, pose autrement le problème de la programmation des apprentissages. La position de Freinet reste pourtant valable : l'informatique est une technique utile en pédagogie, mais il serait illusoire de croire qu'elle permettra de se passer des éducateurs.
 
 Organisation coopérative de la classe...
… et responsabilité personnelle

Freinet veut remettre en question l'autorité absolue de l'enseignant, telle qu'il l'a connue dans sa jeunesse. Du haut de l'estrade sur laquelle trône son bureau, celui-ci est seul détenteur de la parole, sauf quand il demande une réponse aux questions qu'il pose. Tous les élèves doivent en même temps accomplir les rites scolaires : écouter le cours, lire le même texte, faire au même moment l’exercice imposé. En dehors des récréations, toute communication entre enfants est considérée comme bavardage ou copiage, donc interdite. La seule relation entre élèves est la compétition, matérialisée par le classement (et parfois symbolisée par la médaille d'honneur ou le bonnet d'âne).

Freinet ne veut pas renoncer à son rôle d'adulte qui aide les plus jeunes de son expérience mais, abandonnant l'estrade, il s'installe au niveau des enfants, comme cela se passe dans la vie courante.

Des moments d’échanges sont institués (entretien du matin, présentation et choix du texte à imprimer, mise au point collective, comptes-rendus d'enquêtes ou de recherches personnelles).

 .vie coopérative

.Entretien du matin

. Quoi de neuf ?

 Individuellement, chaque élève prépare en début de semaine son plan de travail et on fera collectivement le bilan de ce qui aura été réalisé.
Des plannings permettent de vérifier si certains points du programme n'ont pas été trop négligés. Une plus grande souplesse encourage finalement à travailler davantage, en n'hésitant pas à consacrer du temps pour un travail passionnant, quitte à mettre les bouchées doubles pour les autres travaux nécessaires.

Reste le problème de l'évaluation finale, généralement caractérisée par un examen global où les candidats jouent leur année à quitte ou double. Freinet conteste la validité des examens qui finissent par devenir l'objectif unique de l'enseignement. Sous le nom de brevets de spécialité, il propose des évaluations partielles mais rigoureuses que les élèves passent tout au long de leurs années de scolarité.

Le refus de toucher au caractère tabou des examens a empêché d'approfondir et de généraliser une logique nouvelle de l'évaluation qui définirait les multiples capacités réelles de chaque jeune. Devant l'impasse actuelle de diplômes ne débouchant sur rien, il faudra bien un jour accepter la démarche proposée par Freinet.

. Plan de travail         Évaluation     Brevets


 

Comment préparer chacun son plan de travail en début de semaine

 


Pendant de nombreuses années, l'école du Pioulier, fondée par Freinet à Vence, a accueilli les stages de formation et de réflexion sur la "Pédagogie Freinet".
(Aujourd'hui, acquise par l’État, elle est devenue école publique expérimentale, et elle est inscrits au patrimoine du 20e siècle des Alpes maritimes, depuis 1995.)

 Un mouvement national et international d’enseignants
C'est grâce à la constitution d'un réseau coopératif entre enseignants que Freinet a permis aux pratiques éducatives d'évoluer.
L'isolement de l’enseignant dans sa classe, sous le poids des règlements et de la hiérarchie administrative, fait place à un échange permanent où chacun peut communiquer ses initiatives, ses réussites, sans honte à parler aussi de ses difficultés.
Des stages, des rencontres, des travaux de commissions, des réunions départementales servent à compenser les insuffisances de la formation des enseignants, souvent limitée aux connaissances à faire acquérir, en ignorant comment donner envie aux jeunes de se les approprier.
Autour de Freinet, au sein de l'ICEM (Institut coopératif de l'École moderne), des milliers d'enseignants, depuis la maternelle jusqu'à l'université, se sont unis pour mieux surmonter les problèmes qu'ils rencontraient et transformer profondément le travail scolaire. Leur principale revendication est la possibilité de mieux travailler en équipe dans leur établissement.

Cette coopération ne se limite pas à la France.
Certes, les structures de l'enseignement sont différentes dans chaque pays, mais l'échange ne peut pas avoir de frontières. Dès le début se sont constitués des groupes frères en Belgique et en Espagne républicaine. Après 1945,  c'est le cas dans presque tous les pays européens, mais aussi en Amérique latine (où se sont réfugiés des Espagnols qui fuyaient la dictature franquiste), en Afrique et plus récemment au Québec et au Japon.

C'est pour consacrer cette réalité d'un mouvement international que Freinet propose en 1957 la création de la Fédération internationale des mouvements d'École moderne (la FIMEM) qui réunit tous les mouvements nationaux autonomes travaillant dans la même perspective. On peut affirmer que Freinet est le pédagogue français le plus mondialement reconnu et l'UNESCO s'est associé en 1996 aux manifestations pour le centenaire de sa naissance.
 

 

 

 

 Stages et congrès continuent à réunir de nouvelles générations d'enseignants de tous niveaux (de la maternelle à l'IUT)

 La recherche d'un approfondissement théorique 
 
En 1959, Freinet crée une nouvelle revue, Techniques de vie, dont le sous-titre « Les fondements philosophiques des techniques Freinet » annonce l'ambition.
Il voudrait établir un lien avec des universitaires, des chercheurs, mais le dialogue ne se noue pas vraiment. En 1963, il propose à des volontaires un cours par correspondance où l'on tenterait d'approfondir l'esprit de la pédagogie, pour éviter de se limiter à une simple application des techniques.

Au début de 1966, il remet en chantier une réflexion sur le tâtonnement expérimental.

Hélas ! sa santé l'empêche de terminer. Une première attaque lui interdit de participer au congrès de l'ICEM à Perpignan, à Pâques 66. Après un rétablissement de quelques mois, Freinet s'éteint le 8 octobre. Il avait demandé à être inhumé dans son village natal. Après soixante-dix ans, la boucle est refermée.

 

 

Source : 
BT 1079 (juin 1996)
Ressources et bibliographie: 
Les principales œuvres de Freinet ont été rééditées en 1994 aux éditions du Seuil sous le titre général: Œuvres pédagogiques. •Tome I: L'Éducation du travail, Essai de psychologie sensible. •Tome II: L'École moderne française, Les Dits de Mathieu, Méthode naturelle de lecture, Méthode naturelle de dessin. •Élise Freinet a écrit en 1949 Naissance d'une pédagogie populaire qui raconte les débuts de Freinet et de son mouvement (Éd. La Découverte, « Petite collection Maspéro »,1981). •Michel Barré a publié en 1996 la première biographie complète de Freinet en deux volumes: Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps (Ed. PEMF). •On peut lire aussi la BT2 n° 193: Célestin Freinet et l'Ecole moderne.
Crédit iconographique : 
photos Sylvain Connac, Michel Mulat, Annie Dhénin. Dessin École Girasol (Brésil). Infographie Annie Dhénin