Le clown, invariant de la pédagogie Freinet ?
Je me présente: Monsieur Schlémil, clown de mon état et investi totalement en la personne de Daniel Gostain, enseignant en pédagogie Freinet.
Si! C’est moi et non Daniel, qui vous écris aujourd’hui, c’est à la fois par courtoisie de sa part, mais aussi et surtout pour vous dévoiler un pan quelque peu singulier de sa démarche, dans lequel je me tiens aux avant-postes.
La rencontre entre Daniel et moi-même s’est dessinée en fin des années 80, lorsqu’il décida, sans trop en connaître les retentissements à venir, de partir « à la recherche de son propre clown », comme on dit, de chercher le clown qu’il sentait poindre en lui et auquel il ne donnait pas encore sa place. Il faut dire qu’à cette époque, il officiait comme cadre marketing, quelque peu coincé et corseté par ce costume qui ne lui allait guère. C’est alors, pour conjurer cette voie mal engagée, qu’il décida sans trop y réfléchir de chercher, et peut-être de trouver, un autre Daniel, et en même temps le même, plus libre et plus léger.
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Lors de ses premiers moments de formation, constituée de stages du soir et d’ateliers réguliers, moi, Monsieur Schlémil, je n’existais pas vraiment, Daniel était à la recherche d’un clown qui ne se dessinait pas encore précisément. C’est seulement grâce à un long travail sur soi aussi qu’il me fit advenir, comme celui qui allait représenter un Daniel « au nez rouge », si l’on peut dire.
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L’ESPRIT CLOWN
Le clown, symbolisé par ce masque rouge si connu, est un personnage à la fois extrêmement proche de celui qui le porte sur le nez, et en même temps en décalage.
Très proche, car je suis, Monsieur Schlémil, en connexion permanente avec Daniel. Je porte son tempérament, ses émotions, ses passions, sa voix, son corps. Je n’existe que par ce qu’il y a en lui.
En décalage, car j’ai l’autorisation de la part de Daniel de délirer et désirer davantage. Ce que Daniel m’apporte, je peux l’enrichir à ma guise, en laissant l’exagération, le décalage, l’imagination mener leur office.
Tout ce qui arrive sur scène est saisi par Daniel avec ce qu’il est et m’est transmis pour que je lui donne sa touche clownesque faite d’engagement et d’émotion, comme si je lui faisais subir une transformation géométrique, une translation, une rotation, une homothétie.
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Parallèlement à cette montée clownesque, il se trouve que Daniel s’est éloigné progressivement de ces métiers commerciaux pour sentir une vraie vocation s’imposer, celle d’instituteur. C’était vers 1993. J’étais alors, moi, Schlémil – pas encore Monsieur Schlémil – prêt à faire mon entrée dans la vie de Daniel. Je le voyais endosser avec passion son habit de pédagogue, attiré par cette façon si singulière d’envisager ce métier qu’est celle de la pédagogie Freinet.
J’aimais bien ce parcours de Daniel. Ca correspondait bien à mon état d’esprit.
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L’enseignant découvrant les richesses de la pédagogie Freinet se développait, tandis que le clown lui aussi développait sa panoplie au sein d’une compagnie « Tape l’incruste », compagnie qui cherchait à exercer son regard sur le monde qui l’entoure.
L’esprit Freinet et l’esprit clown vivaient chacun leur aventure en Daniel, déjà totalement ensemble, mais chacun dans leur domaine réservé, la classe ou la scène : |
L’ESPRIT FREINET
L’esprit Freinet est symbolisé par ces classes et élèves qui vivent une pratique qui les transforme en cherchant à les rendre auteurs de leurs apprentissages.
Ils arrivent au sein d’un groupe, d’un espace, d’un temps et d’un regard d’enseignant qui leur font vivre une transformation intérieure assez à l’opposé de ce qu’ils ont l’habitude de connaître.
En prenant appui sur leur naturel, ils s’embarquent sur des apprentissages au sens plein du terme, où le tâtonnement, la coopération, l’expression libre et diversifiée tiennent lieu de conducteurs.
Tout ce qui arrive en classe, que cela vienne des enfants, du maître ou de l’environnement est accueilli avec joie et sera porteur de projets portés par la classe.
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Moi, monsieur Schlémil, embusqué en Daniel Gostain lorsqu’il faisait classe, je sentais une familiarité entre la façon qu’il avait de travailler et ma façon d’être sur scène.
Par exemple, quand un enfant se permettait de faire une proposition qui pouvait de prime abord sembler saugrenue, faire une manifestation pour la défense des tigres par exemple, et que Daniel répondait « Pourquoi pas ! Comment allons-nous procéder ? », je me sentais comme sur scène, en compagnie de mes partenaires clowns, Mamzelle Couette, Et Paf !, Zagor et Chabotte Tripouille, qui me proposaient, soit de nous transformer en cartes bancaires, soit de voyager dans un réfrigérateur, avec le même « Pourquoi pas ! On y va ? » comme conduite de jeu.
Ou alors, quand toute sa classe se mettait à réfléchir sur la question philosophique « Pourquoi vit-on ? » et que Daniel laissait ces pensées libres se déployer sans correctifs, sans intervention d’adulte, je me sentais comme lorsque Zagor et moi, nous débutions une conférence sur le désir sans savoir ce qu’on allait dire, mais portés par notre envie.
Mais aussi, quand les élèves trouvaient des temps et des espaces de conseil pour se dire ce qu’ils pensaient, ce qu’ils ambitionnaient, ce qui les gênait, je m’identifiais à eux, car nous aussi, on n’hésite pas à prendre le public comme confidents pour exprimer nos émotions, positives (nos réussites clownesques) comme négatives (nos bides).
Je me retrouvais totalement dans ce qui se passait dans cette classe, au point d’en arriver à cette question peut-être sacrilège : « Et si j’y étais pour quelque chose ? »
Et si, me suis-je dit, Célestin Freinet avait oublié d’écrire un trente-et-unième invariant qui serait : « Un clown dans une classe, c’est comme une légèreté soudaine et vitale dans les apprentissages de la vie ».
Pour en avoir le cœur net, j’ai proposé à mes copains clowns déjà nommés, de « taper l’incruste » au Congrès Freinet d’août 2007.
Un congrès Freinet se déroule tous les deux ans et réunit des centaines de praticiens en pédagogie Freinet venus échanger sur leur passion. Nous étions quatre clowns invités à participer à ce grand moment en intervenant tous les soirs pendant trente minutes et offrir notre regard sur tout ce qui s’y passait, des salles d’ateliers aux cantines, des chambres aux salles de conférences, des mots des uns aux gestes des autres.
Voilà comment nous avons préparé notre coup, avec pour outil ce qu’on appelle la Clown-Analyse :
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LA CLOWN ANALYSE
Il s’agissait là pour nous quatre, Mamzelle Couette, Et Paf!, Chabotte Tripouille et moi-même, Monsieur Schlémil, d’exprimer en clown ce que nous voyions du congrès.
Pour cela, nous avons commencé, avant l’ouverture, à chercher ensemble ce que nous inspiraient des thèmes, quelque peu mystérieux pour nous, que sont "méthode naturelle", "tâtonnement expérimental", "texte libre ", "Quoi de neuf ?", "créations mathématiques"; tous les mots qui revenaient sans cesse dans les écrits et les bouches traitant de cette pédagogie. Bien sûr, pour ce faire, j’ai essayé d’écarter Daniel, qui connaissait bien toutes ces appellations, de ces investigations, car cela aurait nous fait perdre notre innocence de clowns.
Nous nous sommes mis dans la peau de spécialistes, de conférenciers, d’aventuriers, de démonstrateurs, experts en tous ces domaines, capables de mettre en application ces principes, avec toute la démesure, l’imagination, le délire sérieux dont nous étions capables.
Puis, dès l’ouverture du congrès, nous avons regardé, senti, éprouvé, et le moins possible réfléchi. Là encore, j’ai gentiment convié Daniel à se mettre entre parenthèses. Nous nous sommes confondus aux congressistes et avons recherché tout ce qui se répétait, servait de ciment entre tous, se déclinait à l’infini ou alors ce que personne ne voyait, pour essayer de l’imaginer en jeu.
Et ça a donné ça :
Et si on essayait de trouver des entrées clownesques en méthode naturelle?
Et si on osait entrer dans le laboratoire de recherche freinétique?
Et si nous étions les couloirs de l’espace congrès voyant passer tous ces gens sans un regard pour nous?
Et si on racontait un conte gressiste?
Et si nous étions les portes des toilettes recouvertes de textes libres?
Nous avons échangé à quatre, nous avons essayé sous forme d’improvisations, nous en avons conservé une part et puis nous avons offert!
Et le retour du public fut extraordinaire.
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Alors, moi, Monsieur Schlémil, je me dis qu’il y a une dimension faite de lâcher prise, de légèreté, de non cérébralité qui a parlé à ce public de vrais chercheurs en pédagogie Freinet, comme si on était nous aussi les « aventuriers de la recherche effrénée ».
Rien de tel pour le confirmer que vous faire partager un moment de recherche clownesque, avant de le jouer sur scène face au public, comme si vous y étiez. Imaginez-moi, sans le nez rouge, mais déjà dans un entre-deux entre Daniel et Monsieur Schlémil, comme si Daniel s’apprêtait à me passer le flambeau. Et de même pour les trois autres clowns :
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Et Paf ! : J’ai remarqué ce midi que toutes les portes des toilettes étaient couvertes de graffitis.
Monsieur Schlémil : Qu’est-ce qu’on pourrait en faire en clowns ?
Chabotte Tripouille : On pourrait jouer deux portes.
Zagor : Oui, mais avec quel enjeu ?
Et Paf ! : Ce pourraient être deux portes qui dialoguent entre elles, une fois qu’elles sont libres de tout occupant.
Chabotte Tripouille : Je me verrais bien faire une porte.
Et Paf ! : Et moi, l’autre. Chacune avec sa personnalité.
Monsieur Schlémil : Oui, mais quel serait l’enjeu de départ ?
Zagor : Et l’état émotionnel des deux portes.
Monsieur Schlémil : Et si elles étaient fières de porter toutes ces inscriptions ?
Chabotte Tripouille : Fières et en colère, car elles ne sont pas reconnues à leur juste valeur…
Et Paf ! : … elles portent les plus beaux textes libres, non ?
Zagor : Oui, elles manifesteraient leur rancœur contre tous ces usagers qui parlent sans arrêt des textes libres mais négligent ceux inscrits sur ces portes.
Monsieur Schlémil : Donc, on démarre avec ces deux portes qui au départ ne disent rien, mais on les voit pivoter et on les entend grincer, et puis, à un moment, elles manifestent leur énervement sans trop expliquer.
Et Paf ! : Et puis, petit à petit, elles rendraient leur colère explicite et auraient des revendications à formuler…
Chabotte Tripouille : Stop ! Arrêtons-nous là, on trouvera la suite sur scène.
Zagor : On essaie.
Alors, Et Paf ! et Chabotte Tripouille se mettent en place, les nez rouges sont bien mis, les costumes aussi. Ils démarrent et partent de cet enjeu clownesque. Si ça leur convient à tous, on gardera la trame pour la représentation à venir. |
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Les maîtres-mots de notre recherche sont donc :
- « accueil » (toutes les propositions sont accueillies),
- « priorité au chemin plus qu’au résultat » (on connait la situation de démarrage et l’enjeu, mais pas tout le scénario ni le résultat final),
- « coopération » (pendant l’improvisation, toute idée de l’un ou de l’autre sera prise en compte et intégrée dans le jeu).
Accueil, tâtonnement expérimental et coopération, quoi !
Ce serait comme si la combinaison de réflexions, d’un côté conceptuelles, de l’autre clownesques, faisaient un tout définissant l’esprit de la pédagogie Freinet et capables de la faire avancer et grandir.
Monsieur Schlémil, qui remercie Daniel Gostain de lui avoir laissé la parole.
Voir aussi:
Quand trois clowns revisitent les savoirs scolaires... :
- La Phrase
- Sujet, verbe et complément

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