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logo ressource btn Les exclus et les difficultés d’accès au travail

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Septembre 1997

Longtemps, les travailleurs les plus humbles ont été embauchés à des travaux pénibles ou saisonniers. Aujourd'hui, rarement qualifiés, souvent illettrés, ils ne trouvent plus ces emplois. Restent des "petits boulots" sans suite, et l'expérience de l'exclusion. Témoignages.

Les exclus du Quart-monde en France :
les difficultés d’accès au travail pour les plus démunis, dans les sociétés modernes.

"Les plus pauvres ne veulent plus dépendre à longueur de vie de la charité des autres"                

Claude Ferrand, Le Monde 7-7-88

Pendant longtemps, les travailleurs les plus humbles étaient embauchés :

- dans des activités de manœuvres : balayeurs, hommes de peine (dans les égoûts, les abattoirs, les pompes funèbres); nettoyeurs de wagons ou de camions la nuit, chargeurs, débardeurs, aides-boueux).
- dans des occupations indépendantes : rempailleurs, ferrailleurs, chiffonniers.
- dans des travaux saisonniers : vendeurs de jonquilles, muguet, cresson... cueillette de fruits, vendanges, aides diverses dans les exploitations agricoles.

Aujourd'hui, ces travailleurs, rarement qualifiés, souvent illettrés, ne trouvent plus ces emplois qui se sont transformés ou modernisés, et que l'on confie généralement à des chômeurs plus instruits et plus "capables".
Il reste le travail à temps partiel, l'intérim, les "petits boulots", le travail au noir et surtout les longues périodes de chômage plus ou moins rémunérées, alternant avec le RMI quand le chômeur arrive "en fin de droits".
Il y a eu également des contrats subventionnés par l'Etat qui permettent de survivre avec un apport de 2000 à 3000F par mois :

- SIVP : stage d'insertion à la vie professionnelle)
- CES : contrat emploi solidarité, CIE : contrat initiative emploi
- Emplois-jeunes

 

Parcours

De la DASS1 à la porcherie,
en passant par le pétrole, le ciment...

Monsieur B. travaille depuis 3 ans grâce à une association de sa commune qui propose à des personnes à la recherche d'un emploi des enlèvements2 de volailles. Monsieur B. explique ce que représente pour lui ce travail.

"Dans une nuit, on peut avoir deux, trois ou quatre enlèvements de volailles à faire (dindons, poulets ou canards). Des chauffeurs viennet nous chercher à un point de rendez-vous et nous ramènent, ou alors, on loue une mobylette, mais c'est assez cher. Un enlèvement de volailles peut durer 45 minutes ou quelques heures. On passe beaucoup de temps sur la route. Entre deux enlèvements, on peut attendre dans les voitures une heure ou plus...
En plus des enlèvements et avec la même association, je fais le nettoyage des porcheries, c'est plus dur, mais c'est mieux payé. Et puis on travaille dehors et de jour. Avec les enlèvements de volailles, tu ne dors presque pas. Il y a des jours où je n'arrive pas à aller au travail.
Si je n'ai pas de travail, c'est plus fort que moi, je tourne en rond. A force de ne rien faire, tu n'as plus envie de travailler. J'ai travaillé avec un RMI, il fallait trier des pièces pendant 24 h par semaine. Ce n'était pas intéressant, souvent, il n'y avait rien à faire. Ça ne t'incite pas à travailler. Le RMI vu comme ça, ça  pousse pas les gens à travailler.
A 13 ans, j'ai été placé par la DASS en nourrice, c'était dans une ferme. C'est là que j'ai commencé à travailler. Plus tard, j'ai travaillé dans la maçonnerie, mais j'ai attrapé la gale du ciment. Le plus dur métier que j'ai fait, c'est le nettoyage des cuves à pétrole.
Aujourd'hui, j'aimerais bien apprendre le métier de tapissier, avec une semaine à l'école, une semaine de travail, payé au SMIC.
Quand on a un travail régulier, on peut avoir un salaire plus haut, on peut payer tout ce qu'on doit. On est moins dépendant des autres aussi, qui te dépannent et puis après ça fait des histoires.
"

Solidarité, janvier 1996

 

 

1- DASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales

2- enlèvement : transport de volailles du centre d'élevage jusqu'à l'abattoir.

Petits boulots

La survie dans les fleurs ou dans les poubelles
Je suis mère de 5 anfants. Si je vis, c'est pour mes enfants car ils sont exceptionnels et surtout courageux. La vie ne m'a pas gâtée, mais mes enfants sont formidables. Nous avons beaucoup souffert, mais on s'en est toujours sortis. A chaque fois que je tombe, nous arrivons à nous redresser. Pour nous en sortir, nous faisons le cuivre et l'aluminium car nous ne voulons pas l'aumône ou demander la charité. Nous voulons nous en sortir par nous-mêmes.
Dernièrement, mes enfants ont vendu des jonquilles pour m'aider. Cela m'a fait très mal car ils étaient transis de froid. mais eux, ils étaient très contents car ça nous aidait à manger.
A l'école, la maîtresse m'a demandé si ma fille n'avait pas honte de faire les poubelles et les bennes. Pourquoi nous aurions honte de gagner de l'argent sans demander la charité ?

Communiqué par une volontaire permanente  d'ATD

Vendeur de journaux
Quelques titres de journaux vendus dans la rue ou dans le métro par les sans-abris : Macadam, [Paroles de] la Rue, Sans-Abri...
     
Chômage
"L'exclus d'aujourd'hui c'est le salarié d'hier, et le salarié d'aujourd'hui, c'est l'exclus de demain"

J.C. Amara, secrétaire général de "Droits Devant"

Vivant au jour le jour pour gagner quelques billets, ils acceptent souvent des conditions de travail inadmissibles, et n'osent pas dénoncer les patrons qui omettent de les déclarer à la Sécurité Sociale. Il résulte de tout cela l'irrégularité des revenus, la perturbation de la vie familiale, et la fréquence du chômage.
Les chômeurs viennent grossir les rangs des exclus.
Quelques données :

- Le chômage frappe 1 Français actif sur 8
- Le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 20700 en novembre.
- Il a progressé de 150 000 en un an, et s'établit à 3 121 500 personnes.
- Une nouvelle dégradation de l'emploi est prévue pour 1997.        

Le Monde, 31-12-96

Les jeunes sont les premiers frappés par le chômage. "En dix ans, la proportion de pauvres a doublé chez les moins de trente ans"

(d'après l'INSEE, publié par Ouest-France 25-9-96)

Sans emploi, plus de revenu. Sans revenu, plus de logement, car le RMI ne permet pas toujours de se procurer un toit ; alors, c'est le centre d'hébergement, pour un temps limité. Puis on se retrouve SDF, à la rue, obligé de "faire la manche".
"Pour personne je ne suis quelqu'un, et c'est cela qui blesse vraiment".

Gary Gallard, chômeur - 1996

Le Mouvement des chômeurs

Décembre 97. Janvier, février 98...
Les chômeurs que l'on croyait condamnés au silence s'organisent et se révoltent. Leurs manifestations brisent la quiétude de ceux qui ont un travail sûr. Elles posent des questions nouvelles aux politiques et aux économistes : problème des inégalités, réforme fiscale, humanisation de l'administration, relance du débat sur la Réduction du Temps de Travail (RTT) à 35 h par semaine pour créer des emplois (de 500 000 à 700 000 au cours des années 1998 à 2000 selon les prévisions de l'OFCE3 et de la Banque de France.    

3- OFCE : Observatoire Français des Conjonctures Economiques

Les gens s'interrogent ; dans quelques années, au train où vont les choses, la majeure partie de la population ne sera-t-elle pas composée de chômeurs et de retraités ? Indemnisés avec quoi ?
"On ne prête qu'aux riches".
Résultat : la richesse est de plus en plus concentrée dans un cercle étroit et souvent anonyme. N'avons-nous pas trop de banquiers et de conseillers fiscaux? N'est-il pas scandaleux que des parlementaires revendiquent en même temps les avantages accordés à l'amarrage des bateaux de luxe et la chasse aux "resquilleurs" du R.M.I.?
La société ne peut-elle être organisée autrement? La devise de la République est-elle toujours   Liberté, Égalité, Fraternité?
On a même des idées :
Toute la société est en mutation. On va vers des activités intermittentes alternant des périodes de travail et d'oisiveté. Il faut s'organiser collectivement pour pouvoir assurer la solidarité.
Il faut donc un revenu d'existence (R.E.) égal pour tous, inconditionnel et cumulable. Ces trois termes sont essentiels. Actuellement, on pourrait estimer ce revenu à 1800F par mois par personne depuis la naissance.  

Politis 21-1-98

 

Mendicité

Ces derniers étés, la mendicité a été interdite4 dans le centre de plusieurs villes : Nice, La Rochelle, Perpignan. Or on ne mendie pas par plaisir, mais pour ne pas mourir de faim.
"Je fais la manche dans le métro, je n'ai pas honte de le dire, mon seul moyen pour vivre, c'est la manche. Quand j'arrive à faire 150F5 par jour, c'est déjà beaucoup."

(Une femme française de 53 ans, interrogée dans le métro, logeant en garni ; en couple).

JO du 27-7-95

Le visage caché...
Un jeune d'une vingtaine d'années, assis par terre, le visage caché par un chapeau mendie dans le hall d'accès à un supermarché.
Je dépose mon aumône dans sa soucoupe en disant :"Allez vite acheter un casse-croûte."
Son regard émerge : "Merci, mais cette semaine, j'essaie de ne pas manger, je garde tout pour acheter un pantalon ; il y a huit mois que je porte celui-ci. Rien pour me changer, pas de linge : j'ai honte !"
Il était ouvrier agricole. Maintenant, sans travail, il dort dans une grange, se nourrissant de légumes rachitiques jetés sur le fumier, et de pommes de terre trop petites pour la récolte. Quand il n'a plus rien à manger, il vient en ville en stop pour "faire la manche".
J'insiste pour qu'il s'achète de la nourriture et je promets d'être là le lendemain avec un pantalon et du linge.
Miracle, il est venu ! Souvent, ils ont peur que je sois une assistante sociale ou quelqu'un de la police, et ils ne viennent pas.

Une alliée ATD, Saint Brieuc, mars 96

"Je n'ai pas d'argent, je n'ai pas de perspective, je n'ai  pas d'amour, je n'ai pas de travail sérieux, et parfois je n'ai même plus envie d'en chercher. Je n'ai pas de maison, je n'ai pas d'amis, pas de sourires, pas de mains à serrer, et je ne suis même pas sûr d'avoir une réservation ferme pour l'enfer".

Jacques, Atelier d'écriture du journal La Rue, 1995

 


4- Certains maires se justifient en disant qu'ils refusent le trouble de l'ordre public: chiens agressifs, dormeurs sur les trottoirs? Ils peuvent accepter des mendiants polis et pas trop voyants !

5- 10 euros

Source : 
BT2 N11 : "Les exclus du Quart-Monde en France" (1997)