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Un besoin d'utopie

Janvier 1999

Nous voici entrés dans l’espace monétaire européen ! Nul ne peut l’ignorer.
Espace monétaire sans aucun doute.Mais les espoirs qu’avaient pu nourrir certains sur la construction d’une Europe sociale se sont estompés.
Quatre des plus grands pays européens se sont dotés d’une majorité sociale-démocrate.
On aurait pu espérer que,grâce aux efforts conjugués de nos gouvernants,l’Europe sociale promise allait voir enfin le jour.Au contraire,jour après jour,une politique de modernisation néolibérale à l’échelle européenne se met en place. Edouard Balladur peut se réjouir. A son avis, le fait d’avoir perdu le pouvoir n’est pas une si mauvaise chose pour la droite puisque la gauche fait passer les réformes qu’elle appelait de ses voeux. Effectivement, soucieux de ménager les puissances financières, désireux de se présenter comme de bons gérants de l’ordre néolibéral,attentifs à ne pas déplaire au patronat,les gouvernements européens au mieux laissent faire, au pire accompagnent les transformations sociales voulues par le patronat.
L’Europe qui se construit peu à peu sous nos yeux est une Europe où les services publics sont mis en miette les uns après les  autres. Privatisations,fonds de pensions,déréglementation, rigueur sociale,développement des emplois précaires,tel est aujourd’hui le lot des peuples européens qui voient les inégalités se creuser de plus en plus.
Comme il y a une politique agricole commune, une politique éducative commune se met en place. Les multiples rapports commandés par notre ministère de l’Éducation nationale (rapports Pair, Attali et Ferrier) tout comme les projets du ministre peuvent être lus à deux niveaux.On peut,bien sûr,s’attacher à leurs déclarations d’intentions auxquelles on  peut  souvent  adhérer. Mais  on  peut  aussi  y  découvrir  une  logique  commune d’adaptation, par petites touches, de notre système éducatif afin de le rapprocher du système anglo-saxon que Claude Allègre cite souvent comme « modèle ». Notation au mérite, décentralisation du mouvement, création des Comités locaux d’éducation, renforcement du rôle du directeur d’école, spécialisation des enseignants, adaptation des programmes,multiplication des emplois précaires.Tous ces éléments sont à rapprocher des choix gouvernementaux : rejeter la demande de création d’emplois d’agents titulaires formés dans l’Éducation nationale en arguant du manque de crédits mais refuser de remettre l’impôt sur les sociétés au taux de 50 % comme en 1995 ce qui prive le budget 1999 de 95 milliards de francs !
Pour nous l’alternative est claire : soit entrer dans la logique de cette « troisième voie » à la mode anglaise ou de « nouveau centre » à la mode allemande qui est celle d’une adaptation aux critères de convergence et au pacte de stabilité européen,soit la dénoncer fermement et participer à la construction de nouveaux rapports de force pour nous y opposer.
Des lueurs d’espoir s’allument pourtant çà et là. Des couches sociales traditionnellement difficiles à organiser comme les chômeurs et les précaires font leur réapparition sur la scène politique. Autour des luttes pour les droits de tous (emploi, logement, papiers, etc.) se regroupent de nouveaux militants.Dans la continuité des mouvements sociaux de 1995, une autre façon de vivre le syndicalisme apparaît.Il semble désormais possible de refuser le libéralisme comme seul horizon et de penser raisonnablement qu’un autre monde est possible. La réflexion économique, sociale et politique se développe de nouveau, débarrassée du carcan d’un modèle de société prédéterminé.Le succès d’une association comme ATTAC ou de la coordination contre l’AMI qui a réussi à peser sur les choix du gouvernement montre que nombreux sont ceux qui pensent encore qu’il est possible de transformer le monde tout en ayant à coeur une exigence profonde de démocratie.
En ce début d’année où il est coutume de formuler des voeux, j’en formulerai un :
Que l’utopie dont nous sommes porteurs d’un monde d’où seraient proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination et d’exploitation de l’homme rencontre et féconde les espoirs de changement qui se font jour et que chacun d’entre nous fasse vivre ces exigences dans l’école comme dans la société !
Jean-Marie Fouquer
Président de l’ICEM