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Une pratique d'atelier de lecture/écriture

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Février 2011
Les ateliers d'écritures ont le vent en poupe. Ils sont très souvent animés par des personnes extérieures à l'école, des " écrivains " ou des " écrivains résidants " pour la plupart. Fort heureusement, des enseignants - et depuis tort longtemps à l'ICEM - ont mis en oeuvre ces pratiques dans leur travail quotidien. Les approches sont diverses. Elles varient en  fonction des enfants et des personnalités des maîtres.

 

Nicole Connes, rééducatrice à Albi nous rend compte de son expérience avec les enfants.
 
 
" Moi, je suis un lecteur lent, je lis toutes les phrases musicalement ... pour les mots que chante la langue, "
(Claude Duneton)
 
 

Dans un entretien public dans " L' Enfant Lecteur " (Autrement-Mars 88) Claude Duneton distingue deux sortes de lecture : la lecture de sens, rapide, efficace, qui cherche des informations, classe, ordonne et une autre lecture, celle qui porte attention à la langue.

Et il craint qu'à l'école on n'ait tendance à oublier cette deuxième lecture, lorsque la langue " n'est plus seulement un moyen de communication parfait et univoque mais un lieu de plaisanteries, de poésie, de malentendu, d'inconscient. "
Jeux de voix, de ton, de respiration, la langue pour l'enfant passe d'abord par le corps. " Ce n'est que tardivement que le langage parlé puis écrit deviennent prédominants par rapport aux autres modes de communication. " (Claude Allard, psychanalyste)
Retrouver ce plaisir originel de la langue parlée, de l'écoute et du dire au-delà des difficultés du déchiffrage de l'écrit, tel est un des intérêts de l'atelier de lecture-écriture.

 ... " DONNER ACCÈS A CE GIGANTESQUE RÉSERVOIR QU' EST LA LANGUE ÉCRITE SOUS TOUTES SES FORMES " ... (C. Duneton)
 Matériellement, l'atelier est un lieu, un temps, un groupe.
Lieu un peu particulier à l'école : bibliothèque, salle où on peut s'asseoir par terre, où le corps est moins contraint que dans la classe. Groupe restreint, 6, 8 ou 10 enfants maximum pour permettre l'échange, la circulation de la parole.
Temps bien marqué dans le déroulement de la semaine, rupture, vide : il a fallu écarter tous les petits soucis annexes, les exercices à terminer. L'écriture est un choix, un luxe que l'on s'octroie. 

" ON ÉCRIT À PARTIR DE CE QUI A DÉJÀ ÉTÉ ÉCRIT ", nous dit Rolande Causse.

La séance commence par une lecture. C'est l'adulte qui lit et c'est sa voix qui permet d'entrer dans le texte.
Le choix est vaste, de la comptine au poème très élaboré, du roman à la nouvelle, du conte à l'album.
Lire met en jeu la langue mais aussi l'imaginaire et le désir. Ce moment de lecture est un moment de rupture, de passage dans un autre temps, un autre lieu : l'entrée dans le monde des mots.
 Le point de départ peut être aussi un livre d'art, de photos.
Dans ce cas, tous les participants au groupe sont acteurs de ce passage, ce sont eux qui trouvent les mots, guidés par les couleurs, les formes, les thèmes des illustrations présentées. On peut alterner échanges verbaux et écrits.
 A partir de l'album sur Magritte " Le double secret"  (Collection L'Art en Jeu), je demande aux enfants (CM) de noter les mots qui viennent en regardant le tableau " L'empire des lumières ":  arbre- nuit- lumière- lac- maison.

DÉPLACER ,DÉTOURNER , SORTIR DU QUOTIDIEN.
 

De la même,façon que nous nous sommes écartés du monde immédiat, de ce qui nous entoure, nous faisons sortir le mot de la phrase.L'adulte relit le texte et demande aux enfants d'écrire des mots de ce texte : des mots qui lui plaisent, qui lui font peur, des mots étranges ou amusants. C'est " la collection de mots ".
D'un texte de Tahar Ben Jelloun dans " L'enfant de sable ", des enfants du CEl ont retenu : paradis-cheval-écharpe-bonheur-secret-parfum-cavalier-printemps-trésor.

Après la l'écoute d'un conte " La poupée de paille " d'Anne Lobel, je demande aux enfants (CE1 ) d'écrire 4 ou 5 mots qu'ils ont entendus.

 Véronique : poupée -vache -rivière -parents - bois.
 Écrit bref, éclaté, rassurant puisque ces mots ont été dits par l'adulte. L'enfant retrouve les mots importants du texte mais aussi ceux qui lui importent à lui.
 C'est ce jeu des mots, la pluralité des sens possibles, les rencontres entre le texte dit et ce qu'un mot peut évoquer pour un enfant qui importe.
   Cyril ajoute : bijou-brigand.
   Laetitia n'a pas pu écrire des mots isolés, elle a écrit des phrases.
Un échange s'instaure dans le groupe. Peu à peu les éléments du conte se retrouvent entremêlés aux évocations personnelles des enfants.
 
LIRE ET ÉCOUTER, C'EST UN TRAVAIL QUE L'ON APPREND ...
 (lorsque le mot " travail " a le sens de " travail-plaisir ").
 

Lire lentement, écouter le mot que l'on dit, le faire entendre aux autres, prendre le temps d'imaginer à partir de lui.

Écouter ce que dit l'autre parce que peu à peu on sait qu'on va entendre quelque chose de nouveau, d'inattendu.

Laisser le temps de parler, de dévier, de dériver.

DANS LE SILENCE DE L'ÉCRITURE.
 L'adulte prend à nouveau " les choses en main ". Il propose une situation d'écriture, un départ de texte. Le travail sera facilité par tous les échanges précédents : les mots qui on tété dits, écrits, silencieusement sont restés dans la salle.
Pour rassurer, l'adulte propose d'abord des structures simples : " j'aime, je n'aime pas "
 

" J'aime l'odeur

- de la soupe, de la colle, des fleurs, du shampoing,
- l'odeur des gâteaux que ma mère fait,
 - de la grosse pizza de ma mamie,
 - du shampooing au monoï,
 - l'odeur du chewing-gum, du parfum, de la fumée du feu de bois. "

 
 " Je n'aime pas l'odeur "
  - de la souris, du lapin,
 - j'aime les épinards mais pas leur odeur,
  - je n'aime pas l'odeur de mes tortues mais j'aime mes tortues.
 
Texte collectif-CM
 
" ENCOLERE "
 Je suis " encolère " contre mes soeurs, mes frères.
 Parfois, je suis très " encolère " contre ma mère.
 Parfois, je suis très " encolère" contre mes cousines.
 Parfois, ma soeur n'a pas classe, elle me fait râler.
 Parfois, mon père me tape, alors .je suis très " encolère ".
 Je suis très " encolère " contre mon frère.
 Parfois, je suis très " encolère " contre ma famille.
Fatima
 
 

A partir du recueil de poèmes de Jean-Hugues Malineau, " Les couleurs de mon enfance " :

 " Dans un coin bleu de mon enfance, il y avait tout bleu.
           La tête de mon père et de ma mère étaient bleues.
           Mon chat était bleu et il avait fait des petits bleus
           avec une langue bleue.
          Leurs poux, leurs puces étaient bleus,
          c'était embêtant pour enlever les tiques, les poux et les puces,
          c'était très agaçant.
          On ne voyait pas du tout où étaient les chats, puisque tout était bleu,
         même l'air était bleu.
         C'est pour çà qu'on ne voyait rien.
         TOUT ÉTAIT BLEU ET DUR.
        On se cognait à peine qu'on bougeait.
Mickaël
 

En CM nous avons travaillé à partir d'un album de dessins en noir et blanc " Les mystères de Harris Burdick " de Van Allsburg (École des Loisirs).

 Travail d'écoute de l'introduction avec pour chacun l'écriture des mots "  importants ". Collectivement, nous cherchons les mots qui reviennent le plus souvent dans les listes et peu à peu nous retrouvons le texte assez long que je viens de leur lire, nous approchons le " mystère " qui entoure la fabrication de ce livre, le caractère étrange des illustrations.

 Lors de la première séance, nous avons encore le temps d'observer une des illustrations. Je propose d'écrire encore une fois une collection de mots ; rocher-galets-train à voile-château-nuage gris-brouillage-famille.
Discussion sur un train à voile, expression inventée par un des enfants pour nommer l'étrange engin qui file dans le brouillard. Discussion aussi sur " brouillage " entre brouillard et nuage.
 À la séance suivante, chaque enfant choisit une des illustrations. Je leur demande de faire le travail préalable d'observation précise et de l'écriture de mots. De chercher les personnages, d'imaginer qui peut être dans ce paysage, qui peut raconter l'histoire. De choisir d'écrire " je " ou " il ", d'être présent ou observateur dans le texte.
Encore un moment de discussion puis, c'est la plongée dans le silence de l'écriture. Il y a un plaisir d'écrire, une qualité de silence qui se retrouvent dans tous les ateliers d'écriture qu'ils s'adressent à des adultes ou à des enfants.
L' ÉCOUTE DES TEXTES.
 
 C'est ensuite le retour au groupe, la lecture des textes, l'intérêt de l'écoute, l'étonnement de voir qu'à partir d'un même point de départ peuvent naître des histoires aussi différentes.
 " C'est beau - On dirait un vrai écrivain... " Ce sont aussi les critiques, les " Je n'ai pas compris - Tu aurais pu..."
    Première mise en forme collective des textes : tournures incorrectes, phrases bancales...
 
LA MISE EN FORME DES TEXTES.

Toujours difficile de faire la part du maître et celle de l'élève dans le travail de correction de l'orthographe. Si l'atelier met en avant le plaisir de l'écriture, il est entendu qu'on doit arriver à un texte correctement écrit et présenté.

Après " Les mystères de Harris Burdick ", nous avons observé des calligrammes. Chaque enfant a choisi un objet ou un élément important de son texte et l'a réécrit sous forme de calligramme.
 
LES RÈGLES IMPLICITES DE L'ATELIER.
 

La motivation donne un cadre, un point de départ, mais l'enfant peut choisir d'écrire " à côté ". Il peut choisir un autre point de départ, il peut choisir aussi de ne pas écrire ou de ne pas lire à haute voix.

L'adulte est garant de sa sécurité affective et psychologique. Il n'est pas question ici d'interpréter ce qu'écrit un enfant.

 
ARTISTES OU ARTISANS  ?
C'est le titre d'un article de TDC sur les ateliers d'écriture. Je ne me hasarderai pas à répondre à cette question. Il y a un cheminement avec l'écrit, un apprentissage certain et aussi " le plaisir du texte " dont parle Roland Barthes et que visiblement de très jeunes enfants peuvent éprouver.
Nicole Connes.
 
 
Bibliographie.
 

La Scribure.

 Rolande Causse. Éd.. Buchet-Chastel. Une présentation des ateliers d'écriture pour enfants, ce qui s'y passe, vu de l'intérieur.
 
La grammaire de l'imaginaire.
 Gianni Rodari. Éd.. Messidor.
 Vivant, drôle et plein d'idées pour lancer l'expression.
 

L'enfant lecteur.

Revue Autrement Mars 88
Articles de C. Duneton. G. Patte, C. Allard...

 
Petite fabrique de littérature.
Éd.. Magnard. (3 tomes)
 
Livres pour enfants cités :
 La poupée de paille. Castor Poche.
 Les mystères de H. Burdick. École des loisirs.
 Le double secret. Éd.. centre Pompidou.